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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 23

  • Nokcheon

    Nokcheon et un Eclat dans le Ciel

    Deux nouvelles de Lee Chang-dong (éditions Seuil)

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    Nokcheon... Joonsik songeait qu'il empruntait cette station depuis une semaine : depuis qu'il avait emménagé dans le quartier. Il s'était tout de suite demandé comment il se pouvait qu'un tel endroit porte un nom aussi noble, aussi poétique, et la réponse ne lui était pas encore venue.

    Nokcheon

     

    Avant de passer à la réalisation, Lee Chang-dong, dont la carrière et le travail restent hélas encore trop peu diffusés en France, pratiquait l'activité de romancier. Il existe à ce jour que deux textes traduits en français aux éditions Seuil, qui permettent de découvrir une autre facette de ce cinéaste coréen fascinant et humain.

    Nokcheon et Un Eclat dans le Ciel se complètent bien dans ce recueil : tous deux condensent ce qu'il y a de plus cru et de plus lyrique dans l'oeuvre de Lee Chang-dong, tirant au désespoir dans Nokcheon et à une forme de renaissance et de nouveau départ dans Un Eclat dans le Ciel, et chacun s'attache à une figure masculine ou féminine. Autant Nokcheon se rapproche de l'âpreté de Peppermint Candy, autant Un Eclat dans le Ciel fait songer au déchirement de l'héroïne de Secret Sunshine, semblant tous deux incarner deux pendants dans l'étrange œuvre de cet homme. Mais il ne faut pas catégoriquement rattacher ces deux nouvelles à certains aspect cinématographiques, mais plutôt les considérer comme des prolongements.

    Prolongements en effet, car la plume de Lee Chang-dong s'avère bien plus aiguisée que sa caméra. Comme si les mots lui permettait d'aller plus loin dans ses dénonciations politiques ou dans le comportement torturé de ses personnages. Les deux nouvelles sont très dures et intenses, traitant de thèmes noirs et approchant des psychologies dérangeantes. 

    Nokcheon suit la brusque remise en cause d'un homme face à la venue de son frère dans la famille. A peine entré dans une vie familiale et professionnelle stable, Joonsik réalise toute la platitude de ses choix, guidés par la normalité et les apparences plutôt que par sa véritable personnalité. De même, la jeune Shinhye du second récit constatera que ses actions avaient été jusque là menées par l'admiration qu'elle vouait à d'autres. Lee Chang-dong jette toujours ses personnages dans des situations exceptionnelles – retrouvailles avec un frère après des années de disparition pour l'un ; interrogatoire brutale et inattendue avec la police pour l'autre – tirant leurs forces et leurs faiblesses de ce contexte, allant au-delà de l'ordinaire pour dévoiler l'extraordinaire des comportements de l'être humain.

    Par Joonsik, l'auteur dévoile le problème de la « normalité », où un homme s'aperçoit de la vacuité convenue de sa vie, fondée sur les apparences et les habitudes. Travail d'enseignant discret et effacé, soumis aux ordres de la hiérarchie, famille ordinaire, vie de couple classique et récent déménagement dans un habitat à la mode. Pourtant, dans ce lieu si enchanteur qu'est Nokcheon, à l'instar du village où arrive l'héroïne de Secret Sunshine, résident le spires insanités humaines qui soient. Un contraste entre la poésie et la saleté, la poésie et la trivialité que Lee Chang-dong explore dans toute son œuvre. De même, c'est par une soirée magnifiquement enneigée que Shinhye se fait arrêter et torturer. Un rare moment de calme avant la violence est partagée autour d'une chanson avec un inspecteur ambigu, dans la voiture à l'arrêt. Les flocons tourbillonnent avec grâce, les propos de l'inspecteur sont presque tendres et pourtant, la suite du récit mène à une torture, autant psychologique que physique, extrêmement éprouvante.

    Les mots de Lee Chang-dong sont francs, directs, réalistes et crus. Les rares dialogues expriment la frustration et la violence. Et parmi tout ce réalisme dur et terrifiant se glissent parfois de courtes phrases poétiques, des comparaisons fiévreuses qui hissent l'humain détestable à un niveau de reconnaissance tendrement fragile.

     

    « Envole-toi. Abandonne tout et envole-toi ! » J'ai voulu savoir ce que cela signifiait. Elle m'a répondu avec un mystérieux sourire : C'est exactement ce qui est écrit. Je veux être un oiseau...

    Je l'appréciais. Elle me fascinait quand je voyais ses longs doigts minces tenir la cigarette. J'ai même eu la tentation de me mettre à fumer...

    Un Eclat dans le Ciel

  • Thirst

    THIRST (2009)

    Un film de Park Chan-wook

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    Je n'avais pas osé voir Thirst à sa sortie, tant les critiques s'acharnaient à en décrire l'hémoglobine et le goût pour le gore du dernier né de Park Chan-wook lors de son passage à Cannes. En trouvant le DVD à la médiathèque de Strasbourg, je profitais de l'occasion, le petit écran étant moins violent que la profondeur du cinéma. Au final, tout a été tellement dit sur ce film avant sa sortie en salles que la surprise n'est plus. Loin de renouveler le genre, Park Chan-wook le respecte encore plus, rejoignant la quintessence d'un mythe vampirique à laquelle il mêle l'adaptation de Thérèse Raquin d'Emile Zola. Le tout porté par une pléiade d'excellents acteurs confirmés.

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    Retour au mythe vampirique

    Tout comme Kim Jee-woon avec le Bon, la Brute et le Cinglé, Park Chan-wook aime à retrouver le film de genre, le vrai, tout en y rajoutant sa touche personnelle. Le vampire devient un objet de fascination et de répulsion, incarnée par la maladie écoeurante qui atteint le corps du prêtre, soigné par un sang contaminé qui lui permet pourtant de survivre. Thirst se caractérise tout d'abord par ce travail sur le corps meurtri et sa chair avide, le titre lui-même venant rejoindre cette thématique qui traverse tout la travail du cinéaste. Les éclairages rendent les peaux blafardes, les plaies plus saignantes, l’atmosphère est volontiers gothique et froide. Park Chan-wook prolonge par ailleurs ce travail sur la froideur et le figé, travail qu'il exploitait dans Sympathy for Mr Vengeance. Eclairages faibles, visages figés et maquillés comme des poupées (à l'effigie de lTae-Joo qui pose en tant que modèle dans la vitrine de sa belle-mère), corps rigides et tendus, même lors des scènes d'amour. Pas étonnant que la figure de prêtre incarnée par Song Kang-ho trouve sa place dans ce décor et cette ambiance morbides, la soutane noire incarnant parfaitement l'élégance et la retenue du vampire, pas si loin de la droiture de Max Shreck dans Nosferatu de Murnau.

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    Eros/Thanatos

    La fidélité au mythe vampirique se retrouve aussi, et bien évidemment dans les pulsions de mort et de désir. Inutile de s'étendre sur les multiples fantasmes et interprétations psychanalytiques qui s'associent à la figure du vampire, qui en constituent un phénomène de mode souvent mal réapproprié. Park Chan-wook restitue très bien ces deux thématiques dans son film, Thirst étant à la fois érotique et violent, nauséeux et sensuel. Les deux acteurs sont tous d'abord extrêmement bien dirigés, permettant d'éviter le grotesque des scènes de sexe ou de meurtre. La réalisation joue sur le dévoilé et les zones d'ombre, le cadre effleurant les chairs nues tandis que l'éclairage volontiers expressionniste en souligne les formes... et en cache de nombreuses parties. La noirceur esthétique va de pair avec le propos, largement inspiré de Thérèse Raquin de Zola, où se mêle la critique social (le milieu infect et déshumanisé dans lequel vit la jeune Tae-Joo) et la fièvre du désir qui pousse à tout. L'amour et la mort se trouvent enfin présents dans le thème de la foi, le rôle du prêtre incarné par Song Kang-ho étant une véritable nouveauté par rapport au récit de Zola. Ce prêtre, porté par l'amour de Dieu, est ainsi prêt à s'offrir en cobaye pour des expériences sur une maladie incurable et cutanée, pensant sauver sa peau des défigurations atroces par la grâce de sa religion. En témoignent des scènes morbides et dérangeantes au début du film, où le prêtre inonde de sang la flûte sur laquelle il jouait un air bucolique.

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    Absurde et Humour

    Tout comme beaucoup de films coréens, Thirst partage le goût d'un humour très particulier, propre à la culture coréenne car donnant dans un absurde grinçant et bien souvent dérangeant (ce qui explique en partie les réactions déconcertées de certains de mes amis face à la vision de films mi-grinçants, mi-dramatiques comme The Host). La figure du prêtre, tout d'abord, détonne dans la thématique du film de vampires. Un prêtre porté par le désir mais qui tente de conserver au maximum sa dignité humaine, face aux moqueries de sa compagne aux intentions bien plus pulsionnelles. Le film joue sur le contraste entre ces deux figures, et s'amuse avec la dualité du prêtre vampire : allusion au sang du Christ bu durant la messe, dégustation du sang des poches de perfusion de l'hôpital, folie d'une hémoglobine kitsch qui envahit un espace d'un blanc moderne et luxueux.

    En outre, une majeure partie de l'humour passe à travers la figure du frère, double du personnage de Camille dans Thérèse Raquin, et interprété par l'excellent Shin Ha-kyun, qui jouait le sourd-muet dans Sympathy for Mr vengeance. Le film s'amuse avec les apparitions fantomatiques du mort, qui glougloute aux portes, s'immisce entre les draps avec sa pierre et ses vêtements mouillés, infiltre la mise en scène reconstituant l'imagination du couple qui l'imagine à tous les endroits possibles dans la chambre.

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    Bourreaux et Victimes

    Thirst, comme tous les films de Park Chan-wook, comme beaucoup de films coréens, se fait l'écho de la violence dans la société coréenne. La figure du vampire, certes, fait preuve de cruauté, mais c'est bien plus la dualité du prêtre, déchiré entre conviction et désir, qui intéresse Park Chan-wook. La cruauté repoussante des personnages autour de lui- que ce soient sa compagne, la mère ou le frère – exacerbe ces désirs. Chacun devient à la fois bourreau et victime : la jeune Tae-Joo doit subir les humiliations quotidiennes par sa mère, mais n'hésite pas à se mutiler elle-même pour accuser son mari innocent ; le prêtre fait preuve d'une cruauté inouïe lors de l'assassinat du frère mais se sacrifie pour les malades. Le texte de Zola permet de fournir un écho aux problèmes obsessionnels d'un certain cinéma de Corée : la société est vue dans une ambiance morbide et âcre, définitivement perdue et vouée à la mort et à la souffrance (le double-suicide final). Les personnages se déchirent dans des espaces étouffants, la violence surgit à la moindre réflexion, pulsionnelle, brusque, envahissant le cadre sans préparation préalable. Ce que l'on peut reprocher à Thirst, c'est d'avoir fait passer l'argument vampirique devant les interrogations sociales. Là où Sympathy for Mr vengeance démontrait que l'effroyable spirale de la vengeance était causée par le gouffre entre les classes sociales et l'indifférence des autorités, Thirst privilégie l’esthétique noire et glacée à la véritable critique sociale que l'on trouvait chez Zola.

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  • Paprika

    L'actrice onirique

    Paprika (2006) - Un film de Satoshi Kon

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    Film-somme, film-testament, film-hommage au cinéma, apogée visuelle et virtuelle… Tous les substantifs sont bons pour désigner le dernier film réalisé par Satoshi Kon, tragiquement décédé d'un cancer durant l'été 2010. A ce jour, Paprika est considéré par beaucoup de ses fans comme le point d'orgue du travail de Satoshi Kon, comme s'il pressentait sa mort prochaine. Je préfère le considérer comme une précieuse parcelle de son oeuvre, un travail remarquable qui établit des passerelles avec ses thèmes fétiches et obsessionnels, tout en se tournant, avec lucidité, originalité et une pointe de cynisme, vers l'évolution d'une société de plus en plus médiatisée et dématérialisée. Paprika, par son postulat onirique et scientifique, semblait un sujet en or pour ce réalisateur de la psyché, qui a su, à travers d'autres films brillants comme Perfect Blue ou Millenium Actress, tirer profit des capacités de l'animation à décliner nos identités, mettre à nu les troubles les plus fascinants tout en refusant une psychanalyse facile. Le rêve est au centre de Paprika, matière aux fantasmes, matière aux pulsions les plus délurées.

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    Rêve et réalité

    Là où le récent Black Swan d'Aronofski s'inspirait franchement, et avec tricherie, de l'étonnant déchirement interne de l'héroïne de Perfect Blue, Inception de Christophe Nolan (un film déjà bien plus sincère et efficace que Black Swan) semble tirer certaines de ses ficelles de Paprika. La comparaison est troublante, le scénario de Paprika mettant en avant l'invention de la DC Mini, un système électronique capable de partager les rêves des individus, ainsi que de les enregistrer, comme une vraie séquence vidéo. Le rêve est en outre l'occasion rêvée pour Satoshi Kon de perfectionner ce en quoi il excelle : son sens de la transition et du raccord-mouvement, où le protagoniste se retrouve propulsé d'un univers onirique à un autre, très proche des multiples mises en abîme d'Inception. Mais le parallèle s'en limite à ces petites idées (il réside également le thème de l'ascenseur, où la référence se fait plus qu'explicite…), les deux films ayant deux propos totalement différents, celui de Paprika surpassant par ailleurs la classique question philosophique que posait le block-buster américain. En effet, Inception, derrière la complexité de son montage, cachait un scénario au final assez simple, mettant ses personnages face à un questionnement phare dans le thème du rêve : la réalité est-elle vraiment celle qui est vécue ? Ne serait-ce pas plutôt le rêve le monde réel ? Satoshi Kon se débarrasse aisément de cette problématique puisque, dans tous ses films, la réalité est sans cesse déformée, malaxée, insaisissable, profondément subjective. Il préfère poser les questions des limites de la science sur un plan éthique, et notamment vis à vis de cette technique d'intrusion dans le rêve, véritable viol de l'intimité.

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    Violations

    Le thème de la violation traverse ainsi tout le film, tout comme il empreint l'oeuvre entière de Satoshi Kon. La mise à nu, l'exposition des images les plus folles, l'étalement symbolique d'une psychologie ambiguë (sous-entendus d'un malaise homosexuel, clins d'oeil à Gustave Moreau avec le mythe d'Oedipe) trouvent leur illustration dans Paprika. Le rêve révèle les pulsions de chacun, imaginations débridées lâchées dans de grands espaces urbains ou fantastiques. La séquence qui révèle la véritable identité de Paprika devient ainsi une véritable mise à nu au sens physique du terme, la jeune femme ayant son corps violé et déchiré en deux par l'un des hommes ennemis. A travers la folie de ce film et ses images délurées, Satoshi Kon dévoile le danger du partage du rêve, avec les extrêmes où tout cela peut mener. Et par cette idée du partage, il met aussi en avant la propension qu'ont les images à circuler facilement, quitte à envahir les esprits et à s'infiltrer partout. La parabole d'Internet est ainsi ingénieuse (cet Internet dont le danger était déjà pointé dans Perfect Blue qui datait de 1998 !) : le commissaire entre non seulement virtuellement mais aussi physiquement dans le site web donnée par Paprika. Et celle-ci est elle-même cette figure virtuelle, aussi insaisissable que séduisante, véritable personnification des nouvelles technologies : elle incarne en effet la libération, la vitesse, la multiplicité des possibilités, elle sait surfer sur les nuages déguisée en Son Goku aussi bien que rouler à moto, voler les bières des affiches publicitaires, se miniaturiser ou se grandir. Cette capacité de transformation et de vélocité s'avère incarner la métaphore féminine des actuelles performances technologiques.

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    Puzzle onirique

    Qui dit transformation, vélocité, dit explosion des frontières. En travaillant sur l'image mentale et ses obsessions, Satoshi Kon nous projette sans cesse dans un intérieur mental, dans la pensée, brouillant les pistes entre objectivité et subjectivité. Le film n'hésite pas à s'attacher à plusieurs personnages et à multiplier les points de vue : fantasmes des employés du laboratoire, univers dérangé de certains personnages aux frustrations sociales et sexuelles, vision des médias, point de vue démultiplié de Paprika, rêve de la thérapie du commissaire. Ce dernier s'avère particulièrement intéressant : ses rêves incarnent parfaitement, grâce à la technique de l'animation, l'étrange imagerie mentale qui composent l'espace onirique. On passe d'une univers à un autre, d'un thème et d'une ambiance à une autres par des transitions très particulières, dans le mouvement ou dans la forme, sans que jamais le fil du parcours onirique ne semble brisé ou incohérent. La construction peut s'apparenter aisément à une spirale, les points de vue frôlant le vertige par moment, par exemple lors de la dégringolade du commissaire dans les couloirs rouges ocres. De plus, l'ensemble du scénario, comme toujours chez Satoshi Kon, s'appuie sur la technique précise et ciselée du puzzle en reconstitution. Le traumatisme du commissaire a fort à faire avec cette construction : les éléments trouvent peu à peu leur signification, une image en particulier agit comme un leitmotiv obsessionnel, celle de papdedouble.jpgson double assassiné chutant au ralenti dans l'escalier. Le rêve surréaliste phénoménal qui s'infiltre partout est quant à lui annoncé durant toute la durée du film, les indices parsèment l'enquête, certains plans se font écho, dans la séquence du parc d'attraction par exemple. La présence de la double personnalité, enfin, cristallise tout ce système d'échos et de parallèles. Ce thème peut se lire dans le personnage du policier mais aussi, et surtout, à travers la duplicité de Paprika et ces deux personnages de femmes opposées mais marquantes. Millenium Actress, Perfect Blue ou même Tokyo Godfathers sous certains aspects, sont tous trois des illustrations schizophréniques. Il est en de même pour Paprika, à la différence près que les deux femmes sont clairement deux entités distinctes qui partagent un même corps mais dont les envies et les ambitions sont radicalement différentes. Nul besoin pour l'une comme pour l'autre de changer de comportement, il s'agit plus d'une complémentarité temporaire qui permettra à chacune de trouver sa raison d'exister. Paprika finira par trouver son envol, se libérer de toute étreinte corporelle, évanescente comme l'air, tandis qu'Atsuko se raccrochera à la terre et à la réalité, avec la promesse de fonder sa vie avec celui qu'elle aime. Paprika confirme en outre une tendance quasi-féministe qui se retrouve dans la plupart des films de Satoshi Kon, à travers deux figures de femmes très fortes, ainsi qu'avec ce final grandiose, où la femme aspire goulûment l'homme, sorte d 'inversion d'Adam et Eve !

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    Imaginaire japonais

    papgrenouille.pngPaprika est plus marqué par l'univers japonais que les autres films de Satoshi Kon, tout comme Le Voyage de Chihiro s'inspire bien plus des croyances ancestrales avec Miyazaki. On y retrouve un imaginaire vif avec ce rêve phénoménal agissant comme une sorte de virus et réunissant toutes les figures spirituelles, légendaires ou religieuses de la culture japonaise. La personnification de certains figures animales (telles les grenouilles, ce qui fait songer au Voyage de Chihiro) et de personnages fantasmagoriques contrastent habilement avec les objets animés de la rue, dans une folle farandole où la légende ancestrale rejoint la modernisation actuelle. Les distributeurs déformés et hurlants, lampadaires, réfrigérateurs et autres appareils ménagers forment unepapfantasme.jpg cacophonie infernale des machines, en écho avec la fascination du Japon pour l’univers robotisé et automatisé (Metropolis avec Osamu Tezuka, Steamboychez Katsuhiro Otomo). Ce rêve tonitruant rassemble tout ce qu'il y a de fascinant et paradoxalement terrifiant dans le pays : un passé surnaturel chargé de légendes glauques qui continue d'imprimer sa marque dans une société tendant pourtant à l'occidentalisation ; un avenir de plus en plus tourné vers la puissance matérielle et économique et empreint du phénomène de mondialisation. Dans certains passages, il peut même se lire une critique des psychoses du Japon. A la fin, le rêve envahit la réalité, mais s'en fait la délirante métaphore. Des hommes d'affaires se jettent du toit en riant, grinçante vision du suicide, des patriarches politiques aux allures de poupées se disputent le trône, tels des pantins décharnés, et les jeunes gens voient leurs visages remplacés par des portables, amer vision d'une jeunesse déconnectée de la réalité et sans personnalité. Derrière son délire visuel, Satoshi Kon distille toujours autant une vision noire de sa société, dans le chaos le plus total. Seule une Paprika énergique paraît maintenir ce chaos.

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    Hommage au cinéma

    Enfin, si Paprika peut être librement interprété à différents niveaux – scénario complexe, angle psychanalytique, critique de la société, vision du Japon et de ses transformations – il reste incontestablement et peut-être avant tout un formidable hommage au cinéma. Millenium Actress et Perfect Blue prouvent la forte thématique du cinéma, monde à l'industrie fascinante et perverse, pour lequel les héroïnes se passionnent mais dans lequel elles doivent aussi se papleçonciné.jpgbattre pour être reconnues. Dans Paprika, l'hommage au cinéma n'a jamais été aussi fort, agissant comme une sorte de retour à la passion première de Satoshi Kon. Le personnage du commissaire évidemment, est un des médiateurs de cette passion : toute son entreprise psychanalytique mise en œuvre avec la DC Mini révèlera son traumatisme cinématographique pour finalement accepter son passé. L'ouverture, magnifique d'originalité se veut comme une palette des genres cinématographiques avec le thème du spectacle, le film à suspense, la comédie, les clins d'oeil à Hitchcock dans le train, le fantastique... De nombreuses leçons de cinéma ponctuent le film, définitions de la ligne imaginaire et du Panfocus, et bien évidemment cette très belle idée de l'écran de cinéma traversé, toujours en lieu avec le thème de l'explosion des frontières... A la fin du film, le commissaire se rend au cinéma, retrouve ses premières amours. L'auto-citation finale est présente avec à l’affiche toutes les œuvres réalisées par Satoshi Kon, ultime héritage représenté. Mais le film que va découvrir le commissaire n'est pas Paprika, mais un film dont on aperçoit auparavant l'affiche au milieu du film, lorsque le personnage s'évanouit dans sa voiture : il s'agit d'un étrange film dont l'affiche a des allures de paradis perdu, avec deux silhouettes d'enfants éblouis sous un soleil d'été. Comme si Satoshi Kon nous invitait à revenir sur un émerveillement d'enfant, à rejoindre une forme d'émotion toute originelle et juste par le cinéma.

    Tout ce tissu cinématographique sous-jacent à l'intrigue et à l'action mènent ainsi à ce constat simple, et pourtant essentiel : le cinéma c'est rêver. Au début du film, après une première immersion dans l'imaginaire du commissaire, ce dernier et la jeune Paprika tiennent cette conversation : « les rêves nocturnes sont des courts-métrages artistiques, et les rêves matinaux des longs-métrages de divertissement », affirme la jeune fille. Ce à quoi le commissaire réplique : « Et toi, tu es une actrice de films oniriques ? » Ce seul échange dépeint tout le génie merveilleux du film. 

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  • Carré de Culture Tangmo

    Carré de culture à Tangmo

    Un film de Delphine Ziegler

    Avec la danseuse-chorégraphe Aurore Gruel

     

    Dans le cadre d'une résidence à Bouxières-Aux-Dames (charmante petite ville un peu isolée sur une colline en Lorraine), la cinéaste Delphine Ziegler et la chorégraphe Aurore Gruel ont projeté le film qu'elles avaient réalisé à Tangmo en Chine. Difficile de trouver la catégorie où ranger ce travail, toujours est-il que je décidais d'y consacrer un article, vu la qualité du travail proposé par ces deux artistes, d'autant plus que la danse d'Aurore, alliée à la réalisation et au montage de Delphine reflètent l'esprit asiatique dans lequel elles se plongent.

    Eau

    Elles s'y plongent, en effet, autant au sens figuré qu'au sens figuré, puisque l'eau est au centre de Tangmo, traversé par un petit canal qui constitue la structure et la ressource du village. La composante naturelle, le « retour aux sources » s'intègrent ainsi tout naturellement à la danse du film, épuré et calme dans son rythme. La rigueur et la beauté des plans, souvent fixes, de Delphine Ziegler, s'attachent à la matière des choses et à leur confrontation avec la robe brune de la danseuse, confrontation qui peut aller jusqu'à la fusion. Le tissu de la robe vient même à s'intégrer à la roche brune, créant une seconde peau plissée par l'eau qui coule, dans un plan particulier.

    Contemplation

    L'ensemble touche à la contemplation. Contemplation que l'on peut palper dans de nombreux films indépendants chinois, ou dans le cinéma asiatique en général. La paisibilité du petit village, avec son eau qui coule en permanence, permet au corps d'Aurore de s'imprimer dans une démarche lente. La fixité des plans longs et la transition par de lents fondus enchaînés rejoint ce phénomène de contemplation et d'ostentation, laissant toute sa place et son temps aux mouvements de la danseuse, à sa lente imprégnation au lieu. Certains fondus sont particulièrement beaux, par exemple dans l'immense vieux temple ou lors d'un contrejour sur un balcon.

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    (c) Delphine Ziegler

     

    Immersion dans le quotidien

    Enfin, ce travail est une étrange immersion non seulement dans le paysage, mais aussi dans le quotidien des habitants de Tangmo. Tandis qu'Aurore évolue dans les rues, les habitants continuent leur travail, observent le curieux protagoniste au milieu de l'eau, voire suspendent un instant leur quotidien pour observer ce qui se passe. Un curieux contraste s'effectue ainsi entre une femme arrêtée au bord du canal où la danseuse bouge, discutant activement de çà de là tout en s'interrompant parfois, le regard et la voix happées par cette danse et cette eau qui coule. Un travail sur une séquence révèle aussi ce contraste : Aurore s'extirpe lentement d'une ruelle, le regard perdue vers le lointain, tandis qu'on entend des individus hors-champ qui piaffent, discutent allègrement, voire crachent à terre. De même, lors d'une séquence tournée près d'un chantier, les bruits de fond et les discussions des ouvriers s'opposent à l'évolution de la danseuse sur le mur. Ce beau contraste rappelle le magnifique Still Life de Jia Zhanke, où durant l'activité intense sur les chantiers visant à démolir les maisons envahies par le barrage des Trois-Gorges, les ouvriers s'interrompaient pour observer le paysage dévasté, perdus dans leurs pensées. 

  • Hansel et Gretel

    Les Orphelins 

    Hansel et Gretel (2007)

    Un film de Yim Phil-sung

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    Merci à Gwladys pour le DVD !

    Hansel et Gretel, lors de sa sortie en DVD, m'avait attirée dans les rayons. Voir un conte de Grimm adapté en film coréen semble improbable et pourtant prouve la vitalité d'un tel cinéma, tout comme il peut exister au Japon des mangas sur des thèmes surprenants et inattendus. Si le film a connu un échec à sa sortie, son édition DVD pour la France se veut de rattraper le coche avec un double-DVD de très grande qualité, comportant notamment un making-of très amusant et intéressant (certaines vidéos filmées durant le tournage par les enfants-acteurs du film y sont par exemple présentes).

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    Non pas un conte, mais des contes

    Le film de Yim Phil-sung, réalisateur d'Antarctic Journal, ne se veut pas la retranscription du conte d'Hansel et Gretel, qui apparaît plutôt comme un prétexte. Un jeune homme, en passe d'être père, a un accident de voiture sur une route isolée. Assommé à la tête, il échoue au beau milieu d'une forêt obscure. Une jeune fille portant une lanterne le recueille et le mène dans sa famille, habitant une charmante maison au beau milieu de cette forêt. Malgré l'insistance des parents pour qu'il reste, le héros quitte la famille et recherche son chemin. Très vite, il revient sur ses pas, incapable de trouver la sortie et se voit peu à peu condamné à rester dans lahanselparents.jpg charmante maison de cette famille. Dans ce film fantastique et proche d'un huis-clos peut se retrouver l'influence de plusieurs contes. Ce sont tout d'abord les enfants qui sont au centre du dispositif maléfique, et non plus des personnages d'adultes ou de sorcière. Par ces enfants qui refusent de laisser partir les adultes qui échouent dans leur maison sont présents la peur de l'abandon du Petit Poucet, l'isolement au milieu d'une forêt comme pour Le petit Chaperon Rouge, et l'enchantement de la Belle au bois dormant. L'intemporalité reste bien représentée dans le film, le héros se réveille dans une chambre dont les objets ont parfois changé mystérieusement de place, la nuit arrive rapidement dans la forêt, la neige intervient brusquement malgré le soleil... Les décors et les effets spéciaux s'avèrent soignés et efficaces : la maisonnée a tout ce qu'il y a de plus charmant et d'inquiétant, les tentures et les tapisseries sont truffées de détails, et certains passages dans la forêt font songer à la poésie horrifique du Labyrinthe de Pan (Guillermo Del Toro).

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    Les dérapages de l'horrifique...

    Une bonne partie du film peine à trouver ses marques et son originalité. Le début fonctionne comme un film d'horreur conventionnel. La sympathie forcée de la bonne famille met mal à l'aise, de même que les décors enfantins. Le suspense s'installe lors ds séquences de nuit : silhouettes qui circulent dans les couloirs, mélodies disgracieuses, déplacements dans le grenier labyrinthique... Tous les ingrédients sont là, convenus et avenants. Le film dérape ainsi un peu dans son patchwork glauque et terrifiante, allant jusqu'à des absurdités lourdes comme l'anthropophagie supposée des enfants ou leur vieillissement prématuré. Là n'est pas l'intérêt d'Hansel et Gretel, qui parvient à trouver, au bout d'une bonne demie-heure d'effets attendus, son véritable propos et son originalité.

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    ...jusqu'à une étonnante lecture psychologique

    En effet, Hansel et Gretel s'épanouit plus dans la relecture qu'il fait du conte transposé, et non dans ses effets, notamment sur le plan de la psychologie. On sait bien, avec les nombreuses interprétations psychanalytiques du conte (le travail de Bruno Bettelheim), qu'une adaptation au cinéma s'avère bien plus intéressante sur le plan de la réflexion que du prétexte de l'action ou de l'esthétisme merveilleux décrits. Le film remet tout d'abord en question la cruauté de la morale du conte. C'est en lisant la fin d'Hansel et Gretel, où la « méchante sorcière » est poussée dans le feu que les enfants du film furent amenés à user de la même cruauté, suivant la doctrine manichéenne du conte de base. Ils ne distinguent, par leurs caprices, le monde qu'en noir et blanc, à l'image de ce programme de télévision qu'ils regardent en boucle, entre les gentils lapins et les méchants ours, les parents aimables et les parents agressifs, cédant ou non à leurs caprices.

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    Parallèlement à cela, Hansel et Gretel se risque sur le chemin de la compassion et du mélodrame, avec cependant une certaine énergie et efficacité. Par l'histoire de ces enfants abandonnés et à la recherche de leurs parents se dessine le thème plus intéressant de l'enfance maltraitée. Lors des séquences des souvenirs se retrouve la violence du cinéma coréen, avec sa crasse, sa sueur, sa froide cruauté. Le film dénonce ainsi la condition des orphelins et de la maltraitance des enfants en Corée à une certaine époque, intention tout à fait honorable et bien plus intéressante que le pâle film horrifique du départ. L'esthétique glauque et malaisée sert ainsi par la suite le sombre propos de la maltraitance et de l'abandon. Le passé torturé des enfants rejoint ensuite la réalité présente avec ce curieux et excellent personnage de faux prêtre dérangé qui croise sans le savoir de dangereux jeunes criminels. Rencontre et collision absurde à laquelle assiste le héros, entre le plus malsain et fou des malfaiteurs (il chante, ému, une prière à la Lune avant de feuilleter sa Bible où figurent les photographies des jeunes victimes dont il a abusé) et ces enfants perturbés par trop de violence. Le film se finira ainsi par la catharsis de cette violence, dans une impressionnante scène de tornade.

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    Certes maladroit sur certains points, le film de Yim Phil-sung reste une curieuse surprise, originale dans ses intentions et prenante. Les enfants se débrouillent assez bien, les adultes aussi. Hansel et Gretel est ainsi un film atypique dans le cinéma coréen, où le genre du fantastique reste assez peu présent, puisqu’il n'y a guère que The Host (Bong Joon-ho) dans les références les plus connues. 

  • Kiki la petite sorcière

    Le chat, la mer et le ciel 

    Kiki la petite sorcière

    Un film de Hayao Miyazaki

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    Merci à Fanny pour le DVD !

    J'avais découvert Kiki la petite sorcière lors de sa sortie en France en 2004. Le film (qui date de 1989) avait été brillamment restauré et était ressorti dans les salles françaises, à l'instar d'une série d'autres inédits, comme Le Château dans le ciel et Nausicaa de la Vallée du Vent. Je le redécouvre en DVD, avec toujours autant de bonheur. 

    Kiki est une petite fille qui, pour devenir sorcière, doit montrer son potentiel en partant durant une année dans une ville étrangère et se faire accepter par les habitants. A travers ce postulat enfantin, Miyazaki brosse le portrait d'une jeune fille au bord de l'adolescence, qui se découvre à travers ce parcours initiatique. La vivacité de l'animation et les personnages colorés allègent le dureté du propos, qui partage les affres et doutes de la fillette qui découvre un monde pas si rose et agréable que la charmante maison de ses parents.

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    kikijiji.jpgLe Chat

    Sur chacune de ses apparitions, Jiji apparaît auprès de Kiki. Jiji et Kiki, deux noms pétillants de protagonistes qui forment un duo contradictoire constituant une bonne partie de l'humour du film. Jiji, amer, ne cesse de critiquer la ville et d'abattre les illusions de sa sorcière par ses répliques cinglantes, méfiant comme un chat de gouttière. Le chat n'a pas la langue dans sa poche, donnant lieu à des séquences hilaranteskikiparents2.jpg comme ses rencontres avec un énorme chien bougon ou le boulanger muet chez lequel loge Kiki. Cependant, c'est ce premier détail qui révèle les changements de la petite sorcière. Jiji est tout d'abord une accroche à la terre de ses parents, un héritage de l'enfance dorée et la preuve de ses origines de sorcière. Le compagnon de tous les instants, qui la suit sur une bonne partie du film, découvrant la ville et ses habitants avec elle, ne peut soudainement plus lui parler, se sensibilisant au langage bien plus félin de la voisine d'en face. Lorsque Kiki s'aperçoit qu'elle ne peut plus lui parler, elle perd de sa confiance en elle tout en se détachant de sa dépendance d'origine, se confiant à d'autres qu'à lui.

     

    kikimer.jpgLa Mer

    Kiki a le coup de cœur face à la ville car elle y est émerveillée par la mer. Tout comme dans Le Voyage de Chihiro, cette mer est synonyme de beauté mystérieuse, large et vaste, isolant la cité des Bains ou la ville adoptée par la sorcière. Celle-ci est en contraste avec la maison bien abritée derrière les arbres de ses parents, où sa mère s'active dans la serre, sphère protectrice du reste du monde. Les décors jouent toujours un rôle primordiale dans les films des studios Ghibli et la ville en bord de mer de Kiki n'en est pas exempt. Parallèle à celle où habitent Sosuke et sa mère danskikiville.jpg Ponyo sur la Falaise, elle a des abords charmants, une ambiance colorée tout en révélant ses caprices. Kiki découvre les complications d'une circulation complexe lorsqu'elle traverse les rues en balai, manquant de provoquer un grave accident. La sorcière n'a pas sa place dans ces rues animées, parmi ces voitures et camions agités. Elle découvre ainsi le monde urbain et ses caprices, l'hospitalité et le rejet. Une boulangère enceinte jusqu'au cou l'accueille à bras ouverts tandis que des jeunes filles fardées de son âge pouffent sur son passage. Comme toujours, tous les personnages rencontrés dans ce film de Miyazaki sont capables de révéler une certaine cruauté discrète sans jamais être condamnés ou perdre de leur candeur.

     

    kikivol2.jpgLe Ciel

    Le ciel, l'action. Le film sait rythmer les moments de calme et ceux d'agitation, entre action et réflexion, quête initiatique et divertissement maîtrisé. Il parvient à retranscrire, grâce à l'animation impeccable, la sensation d'onirisme et de vitesse lors des séquences de vol, que ce soit lors du voyage à balai, de la traversée dans la ville, du parcours sur l'autoroute à vélo, ou encore lors du final avec le dirigeable. On reconnaît l'amour de Miyazaki pour les machines de vol, passion qui rythme ses films : l'engin de Nausicaa, l'avion rouge dans Porco Rosso, les dirigeables des pirates du Château dans le ciel ou le dragon dans Le Voyage de Chihiro. Le balai trouve ainsi aisément sa place dans la filmographie du grand maître. Par les scènes dans le ciel, l'agressivité du vol ou du vent se révèle tout autant que son agréable impression. Certaines séquences sont même très impressionnantes et inquiétantes (l'attaque des corbeaux, le suspense lorsque le dirigeable s'effondre sur la ville). Tout comme le chat, l'action de voler est un élément caractéristique à la sorcière et révélateur des troubles qui agite une fille aux bords de l'adolescence. C'est la disparition de son don qui inquiète Kiki et indique les changements de son corps et de son esprit qu'elle ne comprend pas.

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    Le film passe ainsi habilement par les accessoires de la sorcière, loin de l'image surnaturelle habituelle, pour transfigurer les failles et les doutes qui agitent toute jeune adolescence face à la cruauté des hommes, le fonctionnement d'une communauté, l'ambition et la peur de décevoir dans cette ville. Parcours initiatique transporté par la robe noire et les yeux malicieux et naïfs de Kiki, son chat noir aux grands yeux sur ses épaules, Kiki la Petite Sorcière est, à l'instar d'Arietty, un film sur les angoisses de l'adolescence, frais et grave, subtil et agréable. 

  • DVD Detective Dee

    Sortie du film Detective Dee (Tsui Hark) en DVD et Blu-Ray

     

    dd.jpgL'excellent dernier film de Tsui Hark, en salles durant avril dernier, vient déjà de sortir en DVD et Blu-ray. Une injustice se pointe déjà, récurrence sur le marché et stratégie commerciale pour pousser le public français à acheter des lecteurs Blu-rays : l'édition BD contient trois fois plus de bonus qu'une édition DVD bien décevante et simple (pas de making-of, ni d'entretiens avec le réalisateur ou les comédiens). Le fort travail de reconstitution et de restitution de l'Histoire, de même que les effets spéciaux desservant des idées monumentales de mises en scène, donnent pourtant matière à réflexion et explication dans ce film. On aurait pu souhaiter des bonus techniques et des interviews d'historiens sur le sujet...

     

    Bref, toujours est-il que la sortie de ce DVD permet de revenir sur cet extraordinaire et flamboyant film de genre, qui parvient à donner sa dose d'émotion et d'action sans jamais tomber dans les lieux communs et parvenant toujours à surprendre, étonner, émerveiller. Le casting de haut niveau réunissant de grands noms du cinéma chinois (Andy Lau, Carina Lau, Tony Leung Ka-Fai...) porte et prolonge la richesse visuelle et émotionnelle de Detective Dee. Un divertissement de très bonne qualité, qui fait déjà parti de la quintessence du cinéma populaire chinois.

     

    Ici, la critique du film

     

    Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme.

    Un film de Tsui Hark

    Edité en DVD par Wild Side Vidéo

    En bonus : un entretien avec Jean-Claude Zylberstein sur le personnage historique du juge Ti (Dee étant la traduction anglaise de Ti).

     

    A venir :

    Animation : Paprika (Satoshi Kon) ; Kiki la petite sorcière (Hayao Miyazaki) ; Summer Wars (Mamoru Hosoda) ; Piano Forest (Masayuki Kojima)

    Cinéma coréen : Thirst (Park Chan-wook) ; Hansel et Gretel (Yim Phil-sung)

  • Memories

    Memories

    Un projet de Katsuhiro Otomo

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    Comme tout ensemble de courts-métrages, Memories s'avère inégal, très inégal. Tout d'abord, difficile de voir le fil conducteur entre les trois films proposés et plus que cela, le titre lui-même. Les trois épisodes sont pourtant tirés de récits de Katsuhiro Otomo (réalisateur d'Akira), qui a confié la réalisation de deux des segments à Koji Morimoto et Tensai Okamura. Curieusement, le meilleur épisode reste le premier, Magnetic Rose, et le moins empreint de la marque d'Otomo. Réécrit par Koji Morimoto et le grand Satoshi Kon, il ressemble plus à un film de Satoshi Kon qu'à un récit d'Otomo. L'occasion de prouver que le réalisateur d'Akira reste loin de ses pairs Satoshi Kon ou Hayao Miyazaki, en dépit des apparences et de la qualité uniquement formelle des films qu'il propose. Les deux autres segments, Stink Bomb et Cannon Folder pêchent par leur scénario ou leur manque d'originalité, s’avérant inaboutis.

     

    memrose.jpgMagnetic Rose de Koji Morimoto

    Magnetic Rose, qui ouvre l'ensemble, s'avère le plus intéressant et maîtrisé des segments. On y retrouve la ligne scénaristique de Satoshi Kon,ainsi que ses thèmes fétiches : la fascination pour les progrès de la société moderne, avec ces cosmonautes-éboueurs de l'espace ; la collision de la réalité scientifique avec l'inconscient ; le travail sur les réminiscences du souvenir et la confusion entre réel et illusion. La réalisation de Koji Morimoto est soignée, le trait précis sur les détails et la vraisemblance technologique permet de donner un cadre réaliste au propos fantastique. Comme toujours avec Satoshi Kon, le réalisateur respecte sa capacité à imaginer des passerelles entre l'univers fantasmé de la chanteuse d'opéra et l'opération des cosmonautes, grâce à l'animation. Les murs s'effacent pour donner place à un jardin où se promène une silhouette de femme, le fantôme féminin s'agite, les corps deviennent transparents ou en pierre. Magnetic Rose travaille habilement et de manière poétique sur la permanence du désir et du souvenir, faisant jaillir un lyrisme dramatique dans cette histoire de science-fiction.

     

    Stink Bomb de Tensai Okamura

    Amusant et distrayant. Mais que vient faire Stink Bomb dans cet ensemble ? Le graphisme datémembomb.jpg et le récit dans l'absurde et le grinçant, qui montre comment un jeune homme ayant avalé par inadvertance un médicament contre son rhume se révèle être une bombe puante détruisant toute forme de vie à vingt mètres, ne suffisent pas à apporter l'originalité dans l'ensemble. Un banal récit caricatural voulant mettre en lumière l'incapacité des autorités face à l'événement, mais qui fait au final plus sourire que réfléchir, d'autant plus que l'animation est d'un classicisme fade.

     

    memecannon.jpgCannon Folder de Katsuhiro Otomo

    Comme pour Steamboy, Cannon Folder s'appuie beaucoup trop sur sa forme et la prouesse visuelle, palliant aux maladresses du fond et du scénario empli de lacunes. Otomo met en place tout un univers militaire effrayant et l’ensemble se présente comme un immense plan-séquence animé, dans une réalisation à l'ancienne très impressionnante. Mais le format du court-métrage peine à approfondir son sujet, certains passages s'avérant très long, comme le remplissage d'un canon. Otomo dresse le portrait d'une forme de dictature, où la guerre est prônée (contre qui ? On ne le saura pas) et où toute forme d'espoir est bannie. Les visages sont âpres, miséreux, l'ambiance sombre, le quotidien strict et minime, faisant songer à l'URSS. Si l'originalité visuelle marque dans cet enfer belliqueux, le reste manque de nuances et de réflexion, s'en cantonnant à l'impression horrifique qu'il veut donner.

  • I saw the devil

    J'ai rencontré le Diable

    Un film de Kim jee-woon

    (Merci à Big-Cow pour cette critique ! )

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    Je ne suis pas très familier du cinéma asiatique, encore moins du cinéma coréen, que je n'ai croisé que par quelques films : Old Boy, Memories of Murder, The Host. Je vais quand même essayer de m'exprimer sur J'ai rencontré le diable, vu la semaine dernière, un jeudi après-midi où le temps ne devait pas être glorieux, et ayant par ailleurs déjà eu d'excellents retours sur le film, que ce soit par Facebook ou par Mad Movies.

     

    J'ai rencontré le diable a été réalisé par Kim Jee-woon, réalisateur entre autres de A Bittersweet Life et Le bon, la brute et le cinglé, que je n'ai pas encore eu l'occasion de voir. Le film raconte la traque de Kyung-chul (Choi Min-sik, déjà génial dans Old Boy), tueur en série et psychopathe notoire dans le civil, autrement conducteur d'une navette scolaire, par le policier et fiancé de sa première victime Soo-hyun (Lee Byung-hun), dans une Corée qui semble envahie par les psychopathes et les assassins. Le film dépasse bien vite le cadre de l'enquête policière classique, où les policiers recherchent l'identité du tueur, pour se concentrer sur la traque en elle-même, et le profond désir de vengeance qui ronge Soo-hyun.

     

    J'ai rencontré le diable est un grand film. Pas un film qui retourne les tripes, mais un très grand film quand même, excellent, jouissif. J'ai lu que Kim Jee-woon n'avait pas écrit le scénario du film, mais que celui-ci lui avait été proposé par Choi Min-sik, lequel voulait interpréter le tueur : et c'est en effet la première chose qui crève l'écran, Choi Min-sik, magistral, probablement le plus grand serial-killer qu'il m'ait été donné de voir au cinéma, qui tue comme il déguste son café ou conduit sa navette scolaire, tranquillement, une fois passée la première exaltation : une sorte de surréaliste tueur en pantoufles, à l'image de quelques uns des psychopathes qu'il rencontre. A l'opposé, Soo-hyun, suintant une sorte de haine vengeresse crasse qui marque l'écran, d'une singulière cruauté, au point que l'on se demande, parfois, qui est vraiment le diable dans tout ça.

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    La deuxième chose que l'on retire de cette traque extraordinaire, de cette chasse peu commune entre ces deux personnages hauts en couleur, c'est le sublime de la photographie, l'aspect magistral, incroyable, épatant de ces plans somptueux, de ces décors géniaux. On pense à cette excellente scène d'introduction, au bord d'une route enneigée ; à ce premier affrontement entre les deux grands acteurs du film, au coeur d'une somptueuse serre, où la maîtrise de l'éclairage se révèle être particulièrement géniale ; au bus du tueur lui-même, et sa superbe décoration, avec ces deux petites ailes d'ange de chaque côté du rétroviseur.

     

    Ce que l'on retient aussi, c'est la brutalité du film, l'hémoglobine récurrente (sans tomber dans du gore outrancier), la fascination que provoque, là encore, la horde de psychopathes qui peuplent la Corée de Kim Jee-woon. Les références cinématographiques au genre sont d'ailleurs nombreuses : on pense, bien sûr, à Memories of Murder, dans cette enquête menée au début du film, mais également pour les touches d'humour dispersées ça et là dans le film et qui nous renvoient au cinéma de Bong Joon-ho en général ; le plan conçu par Kyung-chul, qui souhaite mettre un terme à sa traque, peut évoquer Seven.

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    L'importance de ces références cinématographiques, la singularité de Kyung-chul, m'ont fait me poser une question sur ce qui avait amené ce personnage à tuer (et attention, je risque ici de spoiler). On ne sait pas d'où il vient, on ne sait pas vraiment pourquoi il est devenu ainsi : on sait tout juste qu'il a abruptement quitté son fils et ses parents, pour se réfugier dans une baraque au fond de laquelle il commet ses meurtres sordides. On ne sait pas si des traumatismes l'ont poussé à devenir ainsi. Certes, on suppose qu'il fricote depuis longtemps avec la mort, comme en témoignent ses retrouvailles avec le tueur cannibale de l'hôtel, autre personnage haut en couleur, mais guère plus. Sorti d'on ne sait où, Kyung-chul semble bien loin des tueurs traditionnels, alors que les pulsions qui semblent le saisir ne sont que vaguement évoquées : le meurtre n'est pas présenté comme un besoin, comme un rituel, ni rien de semblable : il se contente de tuer. De tuer, mais toujours tranquillement : fumant en même temps, sa tasse de café posée à côté de lui alors qu'il découpe des corps, comme s'il était en pantoufles dans son canapé à regarder un polar. Ce qui m'amène à me demander si, à ce stade, le meurtre ne serait pas pour lui une sorte de choix de vie : il ne semble pas poussé par des contraintes extérieures, il commet ses actes tranquillement, sans se soucier de rien (en témoignedevilaffchoi.jpg la jeune fille qu'il assomme dans son bus avant de l'achever chez lui). Par ailleurs, cette attitude presque spectatrice chez lui (comme quand il demande à la secrétaire du médecin de se déshabiller, et se contente de soupirer et de lui lancer des objets quand elle est trop lente, comme il aurait pu le faire dans une mauvaise représentation théâtrale), l'importance des références cinématographiques dans ses actes (ainsi, quand il surgit de la droite de l'écran lors du premier meurtre, à la manière du tueur de Memories of Murder qui surgit sur le chemin lors d'un de ses assassinats), laissent à penser qu'il s'est construit cette identité de tueur comme spectateur, comme quelqu'un qui, abreuvé de films de genre et de récits glauques, aurait décidé, lui aussi, d'embrasser la carrière de serial killer : d'où, là encore, sa tranquille jubilation quand il trouve comment berner Soo-hyun. C'est probablement ce qui fait de J'ai rencontré le diable un grand, un très grand film : un personnage si ambigü, si fascinant, interprété par un acteur de génie. Et si Lee Byung-hun est tout aussi excellent en homme assoiffé de vengeance, c'est avant tout Choi Min-sik qui reste dans les esprits, dans le rôle d'un des plus grands tueurs de l'histoire du cinéma.

     

    Par Big-Cow

  • Un Endroit Discret

     

    Un Endroit Discret - Ed Actes Sud 

    Un roman de Seicho Matsumoto

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    Deuxième roman que je découvre de Seicho Matsumoto, après Le Vase de Sable, Un Endroit Discret se rapproche plus du roman social que du polar. A travers l'enquête d'un homme sur sa femme récemment décédée d'un infarctus, Matsumoto traque les failles et obsessions du Japon, faisant une peinture sociale à la fois humaine et cruelle de sa société. 

    Tsuneo Asai, fonctionnaire sérieux occupant un poste important au sein du Ministère de l'Agriculture, apprend lors d'une mission à Kobe que sa femme est brusquement morte d'une crise cardiaque. Tout en remplissant les formalités du deuil de ce drame si soudain, Tsuneo, qui savait sa femme fragile du cœur, ne peut s'empêcher de trouver les circonstances de sa mort suspectes et étranges. Il se rend compte qu'il ne connaissait rien de celle avec laquelle il s'était marié plutôt par conformisme que par amour et commence à traquer la vérité derrière cette mort, découvrant un autre visage de celle qui l'attendait les soirs à la maison. 

    Au travers de cette enquête individuelle fascinante, Matsumoto révèle à la fois les doutes de son personnage et l'étouffement d'une société. C'est l'obsessionnel souci des apparences qui est sans cesse mis en lumière, que ce soit à travers la vie intime et secrète de cette femme morte ou à travers l'enquête de son mari, qui tente de faire passer ses démarches inaperçues. Tsuneo tient à garder son image propre de fonctionnaire, même si la corruption est présente dans son métier, même s'il procure des filles à son supérieur, même s'il doit enquêter dans les maisons closes. Il n'hésite pas à emprunter un faux nom, déguiser ses véritables intentions pour chercher des indices sur sa femme. Par son enquête, il se remet en question, frôle la berge de la folie. Le style incisif et sec de Matsumoto parvient admirablement à nous faire partager les pensées complexes de son personnage, pensées antagonistes de culpabilité, hypocrisie, curiosité ou frayeur. 

    Un Endroit Discret désigne aussi la duplicité de l'épouse que les moyens mis en œuvre à la fin du récit par Tsuneo pour venger sa femme. Le titre, à la fois mystérieux et significatif, vise à révéler le caché sous l'apparence, chaque protagoniste cherchant cet « endroit discret » pour y enfouir ses pulsions, ses passions, ses haines, ses confessions.