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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 24

  • The Sky Crawlers

    Ce vide du ciel, ce vide existentiel 

    THE SKY CRAWLERS

    Un film de Mamoru Oshii

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    Sorti en 2008 (mais pas dans les salles lorraines, comme toujours...), The Sky Crawlers est le dernier film d'animation de Mamoru Oshii, qui a aussi réalisé les deux Ghost in the Shell. Adapté de la série de Hiroshi Mori, The Sky Crawlers, se situant dans un futur imaginaire, met en scène des enfants-pilotes destinés à ne jamais grandir et à servir le pays en participant à des batailles aériennes maintenant le front entre les patries ennemies.

     

    Enfants-soldats

    Ce film d'animation, en dépit des apparences, se débarrasse de toute facilité des scènes d'action, se concentrant sur la psychologie des personnages et les questions que soulèvent un tel thème. Il faut savoir que, dans le domaine de l'animation japonaise, la présence des enfants-soldats est fréquente. Osamu Tezuka le sous-entend bien à travers le personnage de robot d'Astro Boy, quasi-privé d'enfance du fait de l'héroïsme et de la perfection robotique. Et une majorité des séries animées privilégient des protagonistes jeunes, parfois projetés comme armes de guerre dans une bataille d'adultes, tels Gundam Seed ou Soukyuu no Fafner, ce dernier étant très efficace de par sa mélancolie. The Sky Crawlers rejoint cette thématique, Mamoru Oshii lui apposant son regard scrupuleux et dur.

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    Rythme

    Les temps d'action sont très rares, le quotidien se déroulant ostensiblement. Un nouveau venu arrive dans la caserne, mais il est pourtant accueilli dès le départ avec le minimum de forme qu'il soit, le déroulement des journées n'étant en rien perturbé. De même, lorsqu'un des cinq pilotes présents meurt au cours d'une mission, un autre vient le remplacer, adoptant les mêmes gestes que celui auquel il succède. Le rythme est ainsi lent, patient, répétitif. A cela s'allie une atmosphère mystérieuse, faite d'attente et de coups du hasard. The Sky Crawlers n’est pas si loin du quotidien des soldats durant les Guerres Mondiales, l'attente faisant songer à ce que décrivait Joseph Kessel dans nombreux de ses romans sur l'aviation (par exemple L'Equipage, un magnifique récit empreint d'humanité). Après une attaque aérienne, les carcasses des avions et des corps sont parfois introuvables pendant plusieurs jours, les pilotes étant soumis à vivre dans le même microcosme sans rien savoir de l'état de leurs coéquipiers.

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    Solitude, délaissement et mélancolie

    La solitude touche les protagonistes, les échanges étant rares et la pudeur permanente. Chacun suit ses activités, forçant peu l'autre à le suivre. Le héros se raccroche aux habitudes de son coéquipier pour s'intégrer, le suit dans l'unique bar des environs, passe ses nuits avec une de ses amies, emprunte sa moto. Les paysages sont peuplés par l'ennui, la platitude et le vide : de grandes campagnes désertées et traversées par des chemins de terre en ligne droite, où les maisons sont rares et le bar la seule attraction du coin. Dans ce creux quotidien, les enfants-pilotes trouvent un écho à leur vie dans le ciel, ce grand ciel vide et vaste dans lequel ils effectuent des figures, traquent les ennemis ou tentent d'y échapper. Nombreux considèrent leurs batailles non pas comme une nécessité mais comme un métier, comme une tâche les définissant, le ciel y étant peut-être le seul espace offert pour se trouver une place. Sur terre, la mélancolie les gagne. On fume doucement une cigarette, on boit pour oublier, on joue nonchalamment au bowling. Lorsqu'un des pilotes se fait traiter de gamin par son comportement délaissé, il répond « mais je suis un gamin ». Pourtant, il n'y a rien d'enfantin dans leurs actions, car ils tentent d'agir comme des adultes, par leur froideur et leur distance.

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    Psychologie et folie

    Enfin, The Sky Crawlers finit par atteindre le thème de la folie, et c'est sur ce point que le film de Mamoru Oshii se révèle le plus fascinant. Le trait figé et les teints pâles des personnages dessinés, la rigueur et le soin de l'animation en font un film latent, inquiétant. Parmi ce quotidien répétitif, ces gestes mis en valeur par l'animation – fumer une cigarette, survoler les airs, caresser le chien, goûter la tarte du bar, observer sans rien dire les autres – la peur de ne pas vieillir et d'en rester au même point finit par surgir. La sorte d'immortalité de ces enfants-pilotes n'est en rien présentée comme une facilité ou un atout, bien plus comme une faiblesse et une angoisse. Les protagonistes tentent d'y échapper par divers moyens : la présence d'un enfant, fille de la commandante ; la recherche de l'amour ; ou même la mort, certains étant prêts à se suicider, ou à se jeter dans le vide. Vide abyssal de la mort, dans le ciel, face à un ennemi invisible et impitoyable, prêt à exaucer la prière de ces enfants-pilotes condamnés à errer sur terre. The Sky Crawlersest ainsi un film profondément mélancolique, se faisant l'écho, avec patience et pudeur, du destin effroyable de ces personnages.

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  • Premier mois

    Un mois déjà et 250 visites pour ce premier blog, un début qui me fait plaisir et m'encourage à continuer à diffuser et faire partager ma passion pour le cinéma asiatique. Un cinéma si riche et multiple, entraînant sur tous les terrains, de la diversité des thèmes traités dans l'animation japonaise au cinéma populaire ou indépendant de Chine, en passant par les obsessions particulières de la Corée. Un cinéma pour lequel il faut parfois batailer pour voir arriver ses trésors sur les écrans français ou dans des DVDthèques souvent incomplètes et minimalistes. Mais un cinéma tout de même, avec ses valeurs, ses défauts, son exotisme et son originalité, parfois (et heureusement) son universalité... 

    Un grand merci à tous mes visiteurs de juillet et ceux qui m'ont laissé des commentaires. N'hésitez pas à faire savoir vos demandes et vos réactions face aux nouveaux articles !!

     

     

    A venir :

    Kiki la petite sorcière (Hayao Miyazaki)

    Paprika (Satoshi Kon)

    The Sky Crawlers (Mamoru Oshii)

    Coffret Stanley Kwan Partie 2 et 3

    Thirst (Park Chan-wook)

  • Stanley Kwan 1

    RETROSPECTIVE STANLEY KWAN – Partie 1

     

    kwan.jpgStanley Kwan est un réalisateur chinois s'étant fait remarquer durant les années 1990. Il tourne encore aujourd'hui quelques films, malheureusement difficilement trouvables. Stanley Kwan a notamment réalisé un film assez célèbre dans un certain cinéma indépendant de Chine, Lan Yu, histoire d'hommes à Pékin, qui fait parti de ces films fiévreux et intimiste parlant de l’homosexualité en Chine au même titre que Happy Together de Wong Kar-wai ou Nuits d'ivresse printanière de Lou Ye. Metropolitan Film Export vient tout juste de sortir un très beau coffret dédié à trois œuvres de Stanley Kwan, portées par de grands acteurs faisant leurs débuts, tels Maggie Cheung, Carina Lau, Tony Leung ou Leslie Cheung.

     

    Love Unto Wastes (1986) : Love Unto Wastes s'intéresse à une poignée de personnagesloveaff.jpg désoeuvrés, gaspillant le meilleur de leur temps dans des amours malheureux et de nombreuses beuveries insensées. A travers ce film à la fois maladroit et intense, Stanley Kwan exprime toute la frustration d'une certaine jeunesse, désabusée et peinant à maintenir ses illusions, en proie à une solitude terrible, tout en dressant un portrait d'une Chine aux multiples visages. Le héros principal, incarné par un Tony Leung tout jeunot, doit reprendre le commerce de riz de son père, enfermé dans une logique de succession familiale. Les femmes qu'il rencontre proviennent de Taïwan, venues à la recherche du luxe et de la vie urbaine rêvée dans les bars du soir et les karaokés, mais traînent leurs longues jambes avec désinvolture, lassitude. Ces personnages, dans un premier temps, gravitent les uns autour des autres, entre fêtes d'anniversaires, soirées, visites d'appartement. Stanley Kwan les filme avec cette distance discrète et cette observation respectueuse, ne jugeant pas leur paresse et mollesse, approchant quelques détails de l'intimité. La chanteuse de karaoké qui se retourne au milieu de sa chanson pour pleurer. Une autre qui évite la question « As-tu déjà avortée ». Une dernière qui se cache derrière ses lunettes de soleil pour esquiver les confrontations. Et Tony Leung qui observe ces femmes, les admire par leur désinvolture et leur humour, également attiré par les miroitements de leur appartement luxueux et leur mode de vie désintéressé.

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    Et soudain le drame jaillit. Avec violence et naturel à la fois. La jeune chanteuse se fait assassiner par un voleur. Et ce n'est pas tant la recherche du coupable qui construit le scénario. Stanley Kwan utilise cet argument, cette fausse piste pouvant nous faire douter de l'innocence des amis de la chanteuse dans cette assassinat pour révéler non seulement les failles de ses personnages, mais aussi introduire le protagoniste clé de l'inspecteur de police chargé de l'enquête. Interprété par un Chow Yun-fat excellent, ce rôle atypique dans la carrière du célèbre acteur est le plus nuancé de l'ensemble, cet inspecteur paumé introduisant une touche loveuntowastes.jpgd'humour dans le drame agissant et étant le catalyseur de toutes les frustrations. Chow Yun-fat fait des exercices de gymnastique en plein interrogatoire, revient sur les lieux du crime par curiosité et surprend une scène d'amour, imite Columbo et finit par échanger une soirée arrosée avec ceux qu'ils surveillent. Par lui, le spectateur s'introduit dans l'intimité de ces jeunes gens, dont les désirs affleurent, les angoisses se montrent, les lunettes craquent. A la fin, il ne reste plus que des regrets, des souffrances, des résidus d'avortement. Comme le personnage de Chow Yun-fat qui avoue avoir approché les jeunes gens juste pour les voir gaspiller leur vie, le spectateur a partagé ces Love Unto Wastes, ces amours déchus, ces vies consommées par le plaisir, incapables de retrouver le plaisir et leur place, brisées et délaissées. Le film dénonce cette solitude d'une certaine jeunesse, isolée dans la société, ne pouvant pas s'intégrer socialement et étant quasiment oubliée. Seul cet inspecteur de police, parce qu'il connaît d'autres souffrances depuis le départ de sa femme, s'intéresse à eux, se retrouve dans leur solitude. Les marginaux se retrouvent et si ce très beau film laisse une trace d'amertume et de regrets, il laisse percer à la fin la possibilité d'une amitié entre ces êtres désoeuvrés. 

  • Jiro Taniguchi

    RETOUR SUR JIRO TANIGUCHI

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    J'ai beaucoup parlé de mangas pour adolescents dans cette rubrique, et peu de ce qui se passait du côté des adultes. Il faut dire que le "seinen" s'exporte beaucoup moins que les mangas pour jeunes générations, étant donné que cette dernière est plus demandeuse que la génération adulte (qui a, du coup, et malheureusement, généralement une mauvaise perception des bandes dessinées japonaises). L'un des rares à s'être imposé dans le paysage français est l'illustre Jiro Taniguchi, révélé il y a quelques années déjà. Je me rappelle lire les premières oeuvres de Jiro Taniguchi vers 13 ans, à la même époque que le Poulet aux prunes de Marjane Satrapi (ils étaient tous deux les deux auteurs très en vogue à l'époque dans le rayon BD). L'auteur japonais est le seul (avec Osamu Tekuza, pilier dans l'histoire du manga, et à la limite Naoki Urasawa, l'auteur de Monster, 20th Century Boys ou récemment Pluto) à être totalement reconnu dans le domaine du manga et considéré comme un vrai artiste. Ce constat est malheureux, le manga étant souvent considéré comme un sous-genre, bardé de clichés d'un dessin à la va-vite, d'un trait grotesque et hyperbolique et d'une intrigue de divertissement. Si beaucoup n'échappent pas à ces caractéristiques (mais, après tout, l'hyperbole et la niaiserie existent aussi bien dans de nombreuses BD européennes !), certains mangas sont de vraies perles, capables de générer de multiples émotions et de captiver, dans sa logique de construction en chapitres, presque à l'image d'un roman-fleuve, les yeux et l'esprit avec intensité !

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    Bref, revenons au très grand Jiro Taniguchi, qui a heureusement contribué à l'ouverture au genre japonais. Pourquoi ce succès et cette reconnaissance ? Le fait est simple : les mangas de Jiro Taniguchi se distinguent par leur composition très occidentale et leur souci d'une narration très soutenue, littéraire et romancée. Le découpage est rigoureux, clair et limpide, les formats sont généralement plus grands que celui d'un manga traditionnel, et la précision du trait domine. les personnages de Jiro Taniguchi oscillent entre la rigueur anatomique de nos vieilles règles occidentales, et les caractéristiques faciales issues du style japonais (yeux larges, deux traits simples pour la bouche, droiture du nez, rondeur de la tête). D'où ce style, ce tracé si particulier, si naturellement agréable, universellement apprécié dans les oeuvres de Taniguchi. Celles-ci ont permis de changer une vision souvent fermée du manga, qui n'y voyait que l'agressivité des traits et du découpage, le grotesque des actions et du propos. Autre élément fondamental chez Taniguchi : le sens du décor et de l'espace. Chaque détail est étudié avec scrupule, rendu avec la finesse de la plume à l'image du travail d'un graveur ou d'un peintre d'estampes. Le Sommet des Dieux, passionnant ensemble sur l'ascension de l'Everest, en est l'exemple le plus probant : le rendu des chaînes de montagne et de la beauté fatale de ces sommets divins y sont sidérants, étourdissants. Ce manga, qu'il faut par ailleurs absolument découvrir, autant pour la finesse du travail pictural que pour l'humanité de son propos, reste l'une des meilleures créations de l'auteur, un bouleversant et long cheminement qui captivent le lecteur d'une page à l'autre.)

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    Une oeuvre de Taniguchi ne se lit pas comme un simple manga, mais véritablement comme un roman. Chaque page laisse le temps à la complexité de sa composition et à la densité d'un texte bien souvent issu d'une oeuvre littéraire. En cela, le travail est empreint d'une tranquilité zen proche de la pensée asiatique. les thèmes de la plupart des récits de Taniguchi concernent soit la famille, soit le cheminement individuel et spirituel : Quartier Lointain, Le journal de mon père ou Les années douces pour la famille, Le Sommet des Dieux, Seton ou Au temps de Botchan étant plus de grandes fresques s'attachant au rapport de l'homme à la vie, à l'immensité, à sa passion ou à son époque. Quartier Lointain reflète un questionnement proche d'Ozu à partir de cette trame simple : un homme, entre deux voyage d'affaires, connaît une pause atemporelle où il se retrouve rajeuni, dans la peau de lui-même à 14 ans, âge où son père avait quitté la maison. Avec subtilité, le récit, fluide et empreint de nostalgie, décrit l'évolution du comportement de cet homme, qui revit les choses de son enfance, réfléchit à ses regrets ou ses erreurs. Pas de dramatique introspection psychologisante, pas de mélodrame ni de violence, juste une paisible et cruelle observation du monde de l'enfance qui se délite progressivement, à l'image d'un film d'Ozu, dont Taniguchi reconnaît recevoir l'influence. Si son oeuvre se rapproche, par la forme, de la bande dessinée, voire de la littérature occidentales, les récits et la conception de l'humanité restent fidèles à une pensée asiatique : ostentation face au temps qui passe, recherche de l'harmonie, de l'équilibre, profonde spiritualité envers les objets, les paysages, les animaux et le passé. Une oeuvre de Taniguchi se lit de manière posée, paisible, car elle émane une douceur et une humanité profondément sensibles et touchantes. 

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  • Pandora Hearts

    PANDORA HEARTS – Jun Mochizuki 

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    Je voulais parler de ce manga depuis longtemps, d’autant plus que les premiers tomes sont maintenant enfin sortis en librairie (toujours ce paradoxe entre le succès croissant de la bande dessinée japonaise dans notre pays et une publication française rare). Pandora Hearts de Jun Mochizuki est une version revisitée du mythique Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Carroll, qui inspire également de nombreux autres mangas. Mais, et c’est ce qui fait le talent de cette série, l’auteure ne s’en tient pas à une vision moderne ou parodiée des figures du roman. Elle en utilise juste les codes pour mieux les assortir à son récit et à son propos, bien éloignés du questionnement d’Alice.

     Oz Vessalius est l'héritier de la famille Vessalius, l'une des familles appartenant aux quatre duchés. A 15 ans, il doit passer une cérémonie de passage à l'âge adulte. Un événement pendant cette cérémonie l'entrainera dans un monde sombre et confus : un monde parallèle connu sous le nom d'Abysse, sorte de Pays des Merveilles horrifique. Il y rencontrera Alice, figure tyrannique à la recherche de ses souvenirs perdus. Derrière cette rencontre, une foule d'événements et de personnages vont s'introduire peu à peu, tous connectés par les événements mystiques et à la recherche de la vérité.

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    A travers le merveilleux royal de Pandora Hearts se retrouvent des thèmes bien typiques à la culture japonaise, notamment la question du passé et de la mémoire, qui hante chaque protagoniste. Le récit brasse avec un certain lyrisme l’action aux réflexions psychologiques des héros, les intrigues politiques au mystère des souvenirs morcelés d’Alice. Un fort symbolisme romantique agit tout au long des chapitres, tels les topoï de la rose, de la montre à gousset, de la mélodie familière, des jardins secrets, des évanescentes du passé… L’atout de Pandora Hearts est son scénario jouant sur la fragmentation, à l’image de la mémoire morcelée et incomplète d’Alice. Le mystère s’épaissit et se complexifie au fur et à mesure des chapitres, les indices étant délivrés par fragments, suggestions, visions fugitives sur le papier. L’ambiance joue aussi une importance capitale dans cette histoire, bardée de romantisme, d’onirisme envoûtant. Le trait est gracile et élégant, le découpage aéré et agréable, à la fois dépouillé et voluptueux lors des scènes de souvenirs, ou torturé et angoissant lors des introspections intérieures.Paradoxalement, si le mystère s’étoffe au fil des chapitres, le lecteur reste accroché, et le suspense se fait plus prenant, tout agissant sur la suggestion ou le souvenir, donc entretenant un doute constant jusqu’à ménager de grands moments dé révélation flamboyant. Il est ainsi assez plaisant de lire ce manga qui, loin des actions survoltées et grotesques de certains autres, laisse sa place à l’imagination du lecteur, grâce à son lyrisme empli de mystère et d’intrigues.

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    Les personnages du manga s’avèrent assez bien nuancés, échappant à de nombreux lieux communs typiques des protagonistes de ce genre. Chacun se retrouvera en proie au doute selon les situations. Le personnage principal, Oz, jeune garçon volatile, gai comme un pinson ayant un certains sens de l’opportunisme, révélera sa solitude par la suite. Alice, figure féminine très forte et tyrannique, oscille en permanence entre son côté féroce et la beauté de sa franchise. Gil, serviteur d’Oz, verra sa dévotion à son maître remise en cause par tous les autres protagonistes. Sharon, figure de jeune fille passionnée, révèle une sagesse infinie. Break, undes personnages les plus populaires de la série au Japon, est une sorte de Chapelier Fou charmant et inquiétant, tentant de dominer les situations par son comportement cynique. Mais un autre personnage me semble le plus tragique et complexe, c'est celui, empreint d'héroïsme, d'Eliot Nightray, sorte d'incarnation nostalgique de certaines valeurs perdues comme l'honneur, la fierté du nom, le sens chevaleresque et de l'amitié. Ce personnage, dont l'apparition semble hasardeuse au début, se connecte progressivement à l'immense toile d'araignée qu'est l'intrigue de la tragédie de Sabrié (événement mystique et apocalyptique autour duquel planent tous les souvenirs disparus), et se retrouve précipité dans un destin tragique avec son serviteur Leo, par ailleurs lui aussi un personnage très ambivalent.  

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    Dans Pandora hearts, à l'instar de Nabari No Ou, l'ennui est rare, du fait de l'ambiance envoûtante, chaque page étant une délectation des yeux, les illustrations peintes de l'auteur étant particulièrement belles. Les personnages sont de plus tous attachants, car tous mystérieux et échappant aux habituels lieux communs des héros typés de nombreux mangas. Au fil des chapitres, la dimension tragique s'intensifie, et certains passages s'assimilent à une véritable catharsis visuelle. Jun Mochizuki réussit à imprimer visuellement, par des découpages parfois violents et un travail typographique brutalisé (mais loin de tomber dans le gore ou l'horrifique, c'est là toute la qualité de son oeuvre qui conserve en permanence une certaine élégance) la torpeur psychologique de ses personnages, souvent dans l'incompréhension face à l'immensité de ce qui les dépasse. Difficile de comprendre, dans ces passages, quel est le véritable objet de leur peur, le mystère confinant parfois jusqu'à l'abstraction, et pourtant, l'impression s'en retrouve fortifiée et intensifiée, déchirante et troublante. 

    Pandora Hearts fut adapté en anime de 25 épisodes et n'échappe pas à cette règle cruelle de la déception, la série peinant à restituer la force de l'oeuvre originale, surtout en raison de la mollesse de l'animation. Reste l'atmosphère, assez bien rendue grâce à une très bonne bande originale, et le casting de voix, toujours excellent au Japon (notamment Akira Ishida, qui interprète le personnage du Chapelier Fou, un doubleur très populaire à la voix exquise). 

    Pandora Hearts de Jun Mochizuki fait parti, à mon sens, avec Nabari No Ou, des meilleurs mangas dans le paysage adolescent actuel. Le talent de la jeune auteure ne cesse d'évoluer au fil des tomes (14 en ce moment sont déjà parus au japon, mais le final semble s'approcher), qui amènent à des sommets d'émotion et de tension. Une première série très prometteuse, par sa sincérité et son style affirmé.

  • Running Out of Time - Mad Detective

    RUNNING OUT OF TIME (1999) et MAD DETECTIVE (2008)

    Deux films de Johnnie To

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    Bien représentatifs de l'efficacité du maître hong-kongais, Running out of Time (1999) et Mad Detective (2008, co-réalisé avec Wai Ka Fay) pourraient être des chefs d'oeuvre s'il n'y manquait pas un petit quelque chose qui les amèneraient au même rang que l'époustouflant Exilé, à ce jour l'un des meilleurs films de Johnny To, et pourtant l'un des plus méconnus. Ils incarnent cependant tous deux la fantaisie violente du cinéma du réalisateur, combinant un scénario haletant, s'amusant à suivre tout autant à démonter les codes du genre et de conserver un rythme effréné, et un souci de mettre en situation des personnages à demi-fous. Ces deux films confirment une certaine efficacité dans le style, bien loin de la vision politico-guerrière mise en oeuvre dans le dyptique d'Election, insoutenable et étouffant. 

    L'une des raisons de la réunion de ces films dans cette critique est son acteur commun, le génial Lau Ching-wan. n'hésitant pas à frôler l'autodérision, notamment pour le protagoniste de Mad Detective, l'acteur se retrouve face à deux rôles très différents. Dans l'un, il incarne le pilier fondateur de l'intrigue, sa vision s'accordant au champ de la caméra, brouillant la frontière entre réalité et subjectivité gagnée par la folie et la paranoïa, ce qui en constitue un caractère tragiquement désuet. Dans l'autre, il soutient le personnage incarné par Andrew Lau (le futur mafieux infiltré dans la police et co-réalisateur d'Infernal Affairs), se prêtant à un rôle plus léger, dans le but d'organiser un jeu complice avec son partenaire, atteint d'un cancer en phase terminale. Pourtant, là où Running Out of Time pouvait se prêter aisément au mélodrame obscur, le film se révèle léger et dynamique, jouant sur l'antagonisme de ses deux personnages. 

    Le thème de l'affrontement final et massif se retrouve ainsi dans Running Out of time, à travers la confrontation entre les deux acteurs, l'un marqué par la tragédie, l'autre par la joie de vivre. Leurs visages mêmes s'opposent : Lau Ching-wa est d'un physique volontiers bonhomme et sympathique, tandis que la beauté efféminée et encore jeune de Andrew Lau le pose comme quelqu'un de fragile. Cependant, là où l'on aurait pu attendre dans cette course-poursuite   que le plus dynamique soit le chat, l'inverse se produit : c'est la malade qui se révèle le plus redoutable et machiavélique, n'hésitant pas à piéger son adversaire, qui prend un certain plaisir à jouer les complices de sa propre destruction. Le héros de Johnnie To sont toujours si curieux qu'ils n'hésitent pas à se lancer dans l'inconnu et dans le risque. Ainsi, si Running Out of Time imprime le thème de la confrontation, Mad Detective concerne plus un duel introspectif. L'ancien inspecteur incarné par un Lau Ching-wa bien plus dramatique, s'enfonce dans sa propre folie pour lever le voile sur la mystère des autres. 

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    Le double joue ainsi un rôle majeur dans Mad Detective, alors que c'est le temps qui marque Running Out of Time. Johnnie To se plaît à utiliser des caractéristiques psychologique sou de concepts abstraits pour les incarner en permanence dans sa mise en scène et dans la construction dramatique du récit.  Dans l'un, le détective voit les 7 personnalités du suspect, créées grâce à un artifice classique de montage (le raccord-regard sur l'homme surveillé sifflant un air/puis sur le détective l'observant hors-champ/pour découvrir, dans un troisième plan, 7 nouvelles personnes continuant de siffler le même air à la place du suspect), dans l'autre, la bombe est à la fois une menace et un moyen d'égrener le temps qu'il reste au malade. les idées de mise en scène se multiplient, les films jouant ou déjouant les attentes, utilisant jusqu'au bout les possibilités ouvertes par le thème. Le final de Mad Detective est ainsi flamboyant, et ce, malgré une présence convenue des miroirs dans ce drame psychologique : tous reflètent à la fois la réalité, la folie, la subjectivité du personnage, et éclatent au rythme des balles et des révélations. Quant à Running Out of Time, ses bombes n'explosent jamais, contre toute attente, tout moyen est bon pour s'infiltre dans la course : les pas claquent dans les escaliers, certains rampent dans les conduits d'aération, les voitures se bousculent, et les deux ennemis finissent par  se retrouver coincés l'un contre l'autre entre deux portières lors d'un échange de tirs intensif.

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    Les personnages restent empreints d'un soupçon de fantaisie, ce qui rajoute du charme à ces deux films et les distingue d'un banal film d'action. Dans Running Out of Time, Lau Ching-wa est un négociateur volatile et nonchalant, sorte de Patrick Jane attendri par ses subordonnés et mesquin envers son supérieur ridicule. Il faut aussi compter sur la présence de Suet Lam dans ce film, un second rôle très récurrent chez Johnnie To, notamment parce qu'il comporte ce faciès mémorable du lourdaud patibulaire, ce que l'acteur joue avec une belle efficacité. Quant à Andrew Lau, si son interprétation a moins de densité que dans Infernal Affairs (notamment en raison de son plus jeune âge), les belles scènes de complicité mises en oeuvre avec Lau Ching-wa permettent de relever son niveau. Lau Ching-wa, immense acteur qui s'illustre dans les deux films, incarne ainsi le personnage fou de Mad Detective, un homme prêt à subir toutes les épreuves pour ressentir physiquement les détails de l'enquête, comme se faire jeter enfermé dans une valise depuis le haut d'un escalier, ou s'enterrer pendant toute une nuit sous la terre. Ce personnage représente bien l'humour noir et morbide qui s'imprime dans les films de Johnnie To, qu'ils soient légers ou violents. L'homme offre une oreille en guise de cadeau d'adieu à son supérieur qui prend sa retraite, toujours balancé entre le sérieux du sacrifice et l'absurdité des gestes de mutilation. Si ces deux films offrent leur lot de personnages incongrus, il y manque cependant un adversaire excentrique et à la hauteur des héros. Il n'y a par exemple pas de folie joviale comme celle déployée par le mafieux incarné par Simon Yam (assurément l'un des meilleurs interprètes de méchants dans le cinéma d'action d'aujourd'hui) dans Exilé ou Vengeance. Les ennemis à contrecarrer restent malheureusement en-deçà de la mise en scène et des interprètes principaux. 

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    Les deux films s'aventurent de plus sur le chemin de l'urbanité et de la nuit. La ville nocturne est toujours primordiale dans la filmographie de Johnny To, que ce soient les environs d'Hong-Kong ou de Macao. Un des films les plus connus du cinéaste imprime très bien cette passion : PTU, suivant les circonvolutions de divers protagonistes durant toute une nuit dans les rues. Les personnages errent au milieu des avenues désertes, les paysages étant proches des landes d'un western par leur désolation, leur mystère amenant les êtres à se méfier des alentours ou d'eux-mêmes. C'est souvent dans une rue déserte que les hommes se retrouvent face à la solitude et au drame dans Johnnie To, et les deux films n'échappent pas à la règle.  

    Enfin, si le cinéma de To s'impose comme marqué par sa masculinité, la femme n'en est pas pour autant écartée et y joue toujours un rôle primordial, souvent tendre ou déclencheur (hé oui, si la rédactrice de cette critique n'est pas insensible au charme des comédiens masculins des films de Johnny To, elle ne soutiendra jamais un film qui ne défend pas la femme d'une manière ou d'une autre). Dans Running out of time, le personnage féminin est de passage et s'avère la seule esquisse d'une jolie intrigue sentimentale avec le malade poursuivi par la police. Dans Mad Detective, il acquiert une importance capitale dans la folie du personnage : la femme interprétée par Kelly Lin s'avère une chimère, un souvenir désiré et construit d'après les photographies, que l'homme soumet aux autres qui jouent le jeu en acceptant son existence fantôme. le film crée ainsi une belle parabole sur l'amour perdu et désiré, sur la permanence d'une image fantasmée mais irréelle. 

    Moins intensifs ou flamboyants par rapport à Exilé ou Election, ces deux films de Johnny To s'avèrent cependant excellents par leur sens du rythme, leur habile scénario combiné à une mise en scène toujours en recherche d'originalité et de trouvailles, et surtout leurs interprètes fascinants.

  • Perfect Blue

    Mimageries

    PERFECT BLUE (1998) – Satoshi Kon

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    Deuxième film que je découvre du ô combien regretté et ô combien génial Satoshi Kon, Perfect Blue me confirme à la fois dans le talent du maître d’animation décédé l’an dernier ; mais également dans l’échec de Black Swan, le récent film de Darren Aronofski. La vision inopportune et simultanée de ces deux films met en avant une similitude troublante entre Perfect Blue et Black Swan, à tel point que l’on se demande si Eve a été réellement la source primordiale d’inspiration pour Aronofski. Le film de Mankiewicz est pourtant totalement éloigné du malaise psychique de Black Swan, tandis que des films tels que Sunset Boulevard de Billy Wilder et bien plus Perfect Blue ou encore Millenium Actress de Satoshi Kon s’en rapprochent plus par l’analyse du phénomène de dédoublement, de glorification et de quête identitaire. Le fait est troublant, au vu du nombre de scènes proches de Black Swan : même sensation de cauchemar, même jeune personnage confronté à la sexualité et à l’ivresse dangereuse de la gloire, même dédoublement horrifique et visions d’un autre « moi », échos à la scène des portraits en mouvement et à celle de la baignoire… Pourtant, Black Swan échoue là Perfect Blue réussit. De la même manière que Millenium Actress, le scénario sait user de lieux communs pour livrer une oeuvre surprenante, intense, infernale et terriblement efficace. 

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    Tout d’abord, Perfect Blue est un film d’animation, ce qui permet d’acquérir une véritable liberté dans le fantastique et l’incarnation de la psyché à l’écran. Si l’ensemble se place dans un cadre spatio-temporel précis, suivant le personnage de Mima, jeune chanteuse pop japonaise, dans une ville en proie à l’évolution de la technologie, le film prend rapidement une tournure irréelle, troublant tout repère. Dans Millenium Actress, il demeurait le moment de l’interview et les personnages des deux journalistes pour garder une accroche au réel. Il n’en est rien dans Perfect Blue qui suit un fonctionnement cyclique infernal et cauchemardesque. L'échappatoire n'existe pas pour Mima, qui, dès son annonce de départ du groupe dans lequel elle évoluait, semble signer son arrêt de mort. Le final apparaît d'ailleurs comme une libération un peu absurde et inattendue. Si Mima semble s'être acceptée et que le film se finit sur une note d'espoir et de nouveau départ, ce sont les raisons de sa folie et la crise qu'elle a du traverser qui marquent l'esprit du spectateur. Dans Millenium Actress, le sentiment de tragédie et de désillusion face à l'amour perdu l'emportait tout de même sur l'onirisme final. Tel est la force des films de Satoshi Kon : l'horrifique y est si impressionnant et angoissant que seul l'allègement final et libérateur, partiellement rationnel, permet de donner au film une ultime touche d'émotion et d'harmonie.  

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    Une fois de plus, l'animation est le liant des illusions et des réalités mixées de Mima. Le montage, très ingénieux, fait passer d'une scène à l'autre avec une réelle fluidité, jouant souvent sur le thème du mouvement. Dans Millenium Actress, c'était le thème de la course et de la poursuite qui faisait la jonction entre les différents films que jouait Chiyoko, dans Perfect Blue, il s'agit bien plus d'une fuite, un trajet désordonné, chaotique, passant de rêve en réalité. Les effets d'échos sont nombreux, que ce soit au niveau de l'image (mêmes plans réutilisés lors de la scène sous la pluie, ou le visage de Mima à travers l'aquarium), ou du son (récurrence des consignes d'un réalisateur sur le plateau, souvenir des applaudissements à la chanteuse pop), l'ensemble obéissant à une rhétorique de la spirale, proche de l'organisation de la psyché de le jeune héroïne. Chaque scène, chaque angle de prise de vue, chaque détail joue son importance dans le vertige psychologique et physiologique auquel est confrontée Mima, et ce, de manière bien plus fine et scrupuleuse que Black Swan. Le point de vue nous place par exemple souvent dans une situation de voyeur, violant l'intimité de Mima, que ce soit par un travelling arrière sur la fenêtre de son appartement, la vision fugitive des poses dénudées qu'elle offre au photographe, ou plus encore la fameuse scène de viol qu'elle doit jouer pour la télévision, fort moment de suggestion. Le trait grotesque de certains personnages, ajouté à une animation assez saccadée (due aussi à l'époque), donne aisément une impression de malaise, et s'associe à l'ambiance horrifique. 

    Tout comme pour Millenium Actress, les rôles joués par Mima font écho à sa situation et aux événements. Elle figure dans un drama policier, où la série de meurtres scénarisés se retrouve dans la vie réelle avec les nombreux assassinats. La confusion est telle que le doute s'installe quant à la réalité vue au travers de Mima, qui serait un film intérieur, tandis que le drama pourrait être la vérité en elle-même, et non une fiction télévisuelle. Cette confusion se retrouve aussi à l'échelle du journal complété par un admirateur de Mima sur Internet, qui reflète souvent des actions dont elle ne se souvient pas. Les niveaux d'interprétation sont nombreux, les frontières entre fiction/réalité, l'illusion et la vérité se brouillent à tout instant, créant un onirisme constant et dense, chargé d'un doute dramatique.

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    Enfin, et c'est ce qui fait le brio des films de Satoshi Kon, une critique de la société japonaise se dessine toujours au travers de ses films. Millenium Actress, tout en constituant un hommage au cinéma japonais, pointait le conditionnement des ces jeunes actrices repérées pour leur minois d'adolescentes, ainsi que le fonctionnement hiérarchique de l'industrie cinématographique. Pour Perfect Blue, réalisé peu de temps avant les années 2000, au moment du développement d'Internet (Mima découvre avec sa manager le fonctionnement des pages web dans le film), Satoshi Kon s'impose réellement comme un visionnaire quant à l'évolution des nouvelles technologies. La paranoïa de Mima et le voyeurisme de ceux qui l'entourent mettent en avant le thème du pouvoir des images. Le film pointe ce danger de l'image et de l'obsession de filmer afin de connaître tout d'une personne, l'image étant un témoin virtuel, le médiateur pour l'atteindre. La vie privée de Mima se retrouve dévoilée, traquée, par le biais de ce journal sur Internet, et du personnage du fan psychopathe (une sorte de double de l'esprit maléfique qui hante Chiyoko dans Millenium Actress). Mais, paradoxalement, si le film démontre ce danger, il n'y adhère pas pour autant. Le doute subsistera toujours sur cette scène avec le photographe ou celle du viol, entretenant l'ambiguité quant aux vrais agissements de Mima, qui ne semble pas avoir juste joué l'action du viol ou juste posé nue face aux autres pour s'imposer dans le monde du cinéma. Il y aura toujours un vrai respect quant au personnage de la jeune fille, Mima étant candide, positive et courageuse, prête à tout pour s'imposer comme actrice, quitte à se sacrifier en face de ce monde fermé qu'est le cinéma. Evidemment, Satoshi Kon poursuit son hommage à ce monde cinématographique, présenté comme un domaine fascinant pour les jeunes gens, mais également pervers et dangereux. 

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    Contrairement à Black Swan, qui pointait du doigt le déséquilibre de la pauvre Nina uniquement (si l'on tient exception de sa mère dévouée), c'est le machiavélisme de l'environnement qui l'entoure et des adultes qui déclenchent la folie en Mima, qui ne désire que retrouver son simple mais sincère succès de chanteuse pop pour jeunes gens. Le final, optimiste et étrangement apaisé, ouvre la voie à la femme adulte, capable de pardonner, de se retrouver une vraie identité, loin des multiples prototypes imaginés par ses fans, loin des images envahissantes et des imitations erronées et superficielles, ce "Mimageries" qui tissent les rêves animés de Satoshi Kon.

  • Arietty le petit chapardeur

    ARIETTY LE PETIT CHAPARDEUR - Hiromasa Yonebayashi

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    Adapté du conte de Mary Norton, Arietty le petit Chapardeur explore avec brio l’infiniment grand et infiniment petit, œuvre enfantine qui révèle derrière les éléments les plus simples leur complexité et leur richesse insoupçonnée. Dans ce monde, les plus faibles, par exemple le personnage de Sho, jeune garçon malade, ou de son inoffensive grand-mère  deviennent les plus effrayants pour la famille d’Arietty. L’humain ou d’autres animaux tels le chat ou le corbeau, sont vus comme des géants, voire des monstres ; ce que l’animation parvient merveilleusement à retranscrire. Le début du film concerne l’arrivée du jeune homme, les images étant adaptées à sa taille. Son regard, qui suit d’abord le paysage, puis s‘élève vers le haut, révèle le vrai sujet du film lorsqu’il s’abaisse vers le bas, attiré par le comportement étrange du chat près d’une fleur. Dès lors, c’est la regard du jeune garçon qui permet la découverte d’Arietty, phénomène d’identification à un enfant brusquement mis en face d’un être merveilleux. Le reste du film s’attache cependant ensuite à Arietty et à son évolution, Sho n’étant finalement qu’un intermédiaire, un moyen de soulever les herbes et de regarder,  le temps d’un récit d’une heure vingt, vers le bas, nous qui sommes si habitués à regarder vers l’avant et le dessus de nos têtes. Le film ne s’en limite pas à ce choix de point de vue : il est, comme tous les récits de Miyazaki, une ode à la simplicité, au retour aux valeurs et aux choses les plus simples et communes.

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    Cependant, le film apparaît déjà comme un grand récit d’aventure, joliment rythmé et au charme toujours aussi irrésistible. Un récit d’aventure, certes, mais à petite échelle. C’est le coup de brio du réalisateur et du scénario de Miyazaki : réussir à donner à cette légende d’être minuscules la force et l’originalité nécessaires pour divertir. Tout un univers microscopique est reconstitué, où l’œil peut se délecter des astuces déployées par la famille pour se construire un intérieur semblable à celui des humains, mais en dix fois plus réduit. La multiplicité des détails ravit, les couleurs chaudes et végétales harmonisent une demeure marquée par la chaleur, la joie de vivre, la simplicité, donnant sa place au spectateur malgré sa taille réduite. Le plus simple et méprisant des objets de tous les jours y acquiert une valeur précieuse et nouvelle : un mouchoir en papier constitue un drap de choix, l’épingle se révèle épée, le morceau de sucre reste convoité, les feuilles de laurier parfument et embellissent la maison, la cuisine de poupée devient un véritable trésor. Le film semble vouloir faire prendre conscience de la valeur des choses, et prôner un retour intelligent au matériel, à travers l’humilité de personnages ponctuant tous les films des studios Ghibli.

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    La simplicité se retrouve aussi dans une unité de lieu et de temps : chaque déplacement devient un long parcours tortueux dans les recoins de la maison, le moindre geste se retrouve amplifié et complexifié par la différence de taille. De nombreux panoramiques substituent la vision humaine du spectateur à celle extraordinaire d’Arietty : le jardin est une vraie forêt peuplée d’insectes monstrueux (certaines scènes font écho aux créatures croisées par l’héroïne de Nausicaa de la Vallée du Vent) ; les tuyauteries de la maison de longs couloirs obscurs ; les meubles des pièces deviennent d’immenses falaises. Le trajet effectué au début du film avec le père, sorte de baptême de chapardeur pour la jeune fille, imprime une certaine tension tout du long, de même que le sauvetage de la mère, amplifié par le visage monstrueux de l’aide-ménagère, une réplique modeste de la sorcière Yubaba de Chihiro.

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    Enfin, ce charmant long-métrage continue de diffuser en filigrane les valeurs toujours défendues par Miyazaki et les productions Ghibli, cette sorte de sagesse jamais didactique doucement soufflée à l’oreille des spectateurs. Le sens de la famille s’impose dans le trio que forme Arietty avec son père et sa mère, celle-ci, notamment, très drôle, donne lieu à une angoissante scène de disparition, tel un écho à l’angoisse de Sousuke lorsqu’il retrouve la voiture vide de Lisa dans Ponyo sur la Falaise. La nature joue bien évidemment un rôle primordiale, et ce, à travers un court discours écologique (qui aurait peut-être pu ne pas être présent…) qu’adresse Arietty au garçon malade. Une vie saine et paisible est prônée à travers le périple d’Arietty, en contraste avec les dissensions entre les deux peuples. La cruauté de la bonne et la méfiance paranoïaque des chapardeurs pour les humains rappelle les ségrégations entre les êtres de la forêt les humains de Princesse Mononoke.

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    Enfin, tout comme pour Ponyo, Arietty le Petit Chapardeur dévoile de manière amusante les premiers émois amoureux de son protagoniste. Elle n’ose se montrer au jeune garçon, celui s’assimilant plus à une pudeur de jeune fille plutôt qu’à la frayeur d’être vue par un humain. Elle rougit et frisonne lorsqu’elle aperçoit le regard masculin fixé sur elle et se cache derrière un mouchoir ou une branche d’arbre. Ses émois vont de pair avec sa vivacité et sa révolte, son désir de découverte mais aussi de désillusion, très proche en cela du personnage de Kiki. Arietty le Petit Chapardeur fait parti de ces œuvres enfantines du studio Ghibli qui, avec Kiki la Petite Sorcière, Mon Voisin Totoro ou Ponyo sur la falaise, effleurent avec justesse les désirs de l’adolescence.

  • Histoires de Shanghai - I Wish I Knew

    I WISH I KNEW - HISTOIRES DE SHANGHAI (2011) - Jia Zhangke 

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    I Wish I Knew, d'après sa traduction française, la distribution française ayant la fâcheuse habitude d'exploiter les films asiatiques sous leur titre anglais, comme un refus de notre langue française (pour exemple, les autres films de Jia Zhangke, Still Life et 24 City, mais aussi Still Walking et Air Doll de Kore-eda, Secret Sunshine et Poetry de Lee Changdong…), est un film de l'extraordinaire Jia Zhangke, qui continue son odyssée dans les méandres de la mémoire des Chinois de sa société. I Wish I Knew, titre inspiré de la célèbre chanson, qui donne lieu à une émouvante scène de valse, prolonge le travail particulier de Jia Zhangke, à la lisière du documentaire et de la fiction, entre ancrage réaliste et échappées oniriques. Moins fort que Still Life, mais néanmoins touchant et surprenant, le film confirme l'habilité du cinéaste à mettre en scène la réalité, styliser le témoignage et poser un regard poétique et vibrant sur la ville de Shanghai. Peut-être la longueur du film et son fonctionnement cyclique (les témoignages se succèdent parfois sans pause, donnant un contenu assez dense) alourdissent quelque peu la splendide forme de la réalisation, mais le mystère qui se dégage d'une telle ville, à l'histoire complexe et bouleversée, attisent la curiosité d'un spectateur européen. 

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    Tout comme pour 24 City, Jia Zhangke se frotte à la lisière de la fiction et de la réalité, du vrai et du faux, de la mise en scène et de  la simple captation. Sa réflexion est d'autant plus pertinente que le simple fait de filmer une réalité, même dans un souci constant de restituer la vie réelle dans son intégrité, signifie déjà la fustiger, la déformer, lui apposer un regard subjectif. Il y a toujours le choix du cinéaste, le choix de l'emplacement d'une caméra, d'un micro, d'un certain montage, qui captent et magnifient puissamment un fragment du quotidien. Les interviews - ce terme s'avère plutôt mal approprié pour parler de ces témoignages délivrés par les gens que rencontre l'équipe du film, qui se livrent et guident la pensée plutôt que répondre à une demande de journaliste - des différents protagonistes sont toujours mises en scènes, paradoxalement. Il se dégage une esthétique impressionnante dans la manière de filmer les visages et les corps sagement assis dans leur environnement. De très lents et doux travellings autour de la personne, notamment, créent une sorte de mystère, utilisant un mouvement généralement adapté à des films fantastiques dans un cadre documentaire. De plus, la qualité des intervenants crée l'ambiguité sur l'idée d'un témoignage spontané : tout répond à une mise en scène logique et scrupuleuse, un soin dans la présentation de chacun, s'assimilant à une certaine époque, ambiance, histoire personnelle. La somme de ces témoignages fait de Shanghai une ville multiple, mais néanmoins toujours portée par un souvenir ému et déchiré de ses habitants : la vieille femme romantique qui se souvient de la rencontre avec son mari par l'entremise de son cousin ; le jeune homme qui économise scrupuleusement pour s'acheter sa première voiture de courses ; l'actrice âgée qui se souvient de ses expériences avec son partenaire timide dans un célèbre film de romance ; le vieil homme qui se rappelle l'assassinat de son père ; la femme qui raconte le phénomène d'exclusion qu'elle avait connue en quittant Shanghai ; l'ancienne salariée qui se remémore avec fascination sa rencontre avec le président Mao… Tant et tant d'histoires toutes aussi déchirantes et touchantes les unes que les autres, efficaces grâce à ce respect du regard et cette patience que déploie Jia Zhanke dans tout son travail. 

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    Au sein de cette fresque à la narration bousculée, passant d'une subjectivité à l'autre, mais toujours à travers une belle fluidité dans le montage, un personnage de femme, entièrement fictif, cette fois-ci, constitue le fil rouge de ce pèlerinage, comme nous accompagnant dans la découverte des différents vécus. Incarnée par Zhao Tao, elle est un peu la muse de Jia Zhangke, présente dans ses précédents films (elle jouait une jeune fille bouleversante car criblée de doutes dans 24 City, où son témoignage recréé concluait le film). Elle arpente, mystérieuse, sa fine silhouette et ses courts cheveux dans le vent, les quais de Shanghai, les rues de Shanghai, les chantiers des hommes de Shanghai, s'infiltre dans un immeuble et dépose une enveloppe dans une boîte aux lettres. Est-elle la réminiscence d'un souvenir lointain ? Une pâle connaissance à la recherche de quelqu'un ? Le mystère nimbe ce personnage aux gestes pourtant communs, dans une action semblant déclencher tant d'hypothèses. Certaines séquences oniriques jouent sur de nombreux effets de ralentis, la présentant comme une image subliminale, une présence fantomatique incarnant la passerelle entre passé et présent, histoires de Shanghai et l'actuelle Shanghai. Elle déambule dans les rues, dans ces structures architecturales dont le cinéaste arrive toujours à autant capter le pouls et la démesure. 

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    Enfin, et c'est ce qui fait la singularité de I Wish I Knew, le film délivre un hommage puissant au cinéma de la ville, et de la Chine elle-même. Jia Zhangke s'inscrit non seulement dans la petite histoire de Shanghai, mais également dans sa représentation à l'écran : il met en parallèle la ville actuelle avec les archives filmées de l'époque, filme le fleuve de la même manière que Lou Ye (le réalisateur de Nuits d'ivresse printanière) dans un de ses premiers films, interroge de grands réalisateurs comme Hou-Hsiao-Hsien, rencontre l'assistant de Antonioni sur un de ses films en Chine, écoute la voix brisée de Rébecca Pan, une des actrices fétiches de Wong Kar-Wai. L'hommage au cinéma est aussi riche que passionnant, donnant une vision ample et nouvelle sur le cinéma de la Chine, passant par d'autant de grands noms que d'humbles projets. Ce choix confirme la sensibilité de Jia Zhangke pour le pouvoir du cinéma : un pouvoir témoin de son monde, toujours sur la cordes sensible et à la lisière de l'onirisme. Un cinéma à la fois écho du contemporain, mais aussi à l'écoute du passé, capable d'attiser le souvenir et son fascinant mystère. 

  • Millenium Actress

    La folle course de Chiyoko 

    MILLENNIUM ACTRESS (2001) - Satoshi Kon

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    Ce film d'animation japonais est la première oeuvre que je découvre de Satoshi Kon, maître de l'animation au même titre que Miyazaki ou Katsuhiro Otomo et malheureusement décédé fin 2010. Millenium Actress fait parti de ces films uniques et indestructible, une grande épopée visuelle à la construction aussi efficace que cohérente. Millennium Actress est un petit bijou, qui derrière les airs naïfs de ses personnages et la simplicité du trait et de l'animation, brasse de grands thèmes sur le destin, la vie d'une actrice, la vieillesse, l'amour, et le cinéma. Satoshi Kon a réussi à mêler, à cette histoire hautement palpitante et infernale, un regard empreint de maturité, d'humanité et de poésie. 

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    Deux journalistes se rendent dans la demeure où vit recluse la célèbre actrice d'un certain cinéma populaire, Chiyoko. dans une première partie, la vieille femme, paisible et sereine, s'apprête à livrer le récit de sa vie privée et de l'évolution de sa carrière professionnelle. Dès le départ, le film adopte un virage très réaliste en dépit de la présence de l'animation : les deux journalistes, des caricatures très drôles du monde de la télévision, se frayent un chemin dans le bois qui entoure la luxueuse demeure de Chiyoko, discutant du sujet, de leurs attentes, de la rencontre. Ces deux personnages, médiateurs de l'introspection de Chiyoko, forment un tandem irrésistible et complémentaire : le journaliste est un homme mûr sous l'adoration de Chiyoko, qui malgré son jeune âge, n'a pu se débarrasser des émois amoureux qu'il éprouvait face à ses films lorsqu'il était jeune ; le cadreur est un jeune homme décontracté et plein de cynisme, dont le seul objectif est de remplir son contrat en enregistrant le maximum d'images pour la télévision. L'un incarne une sorte d'époque quasi-révolue, celle de l'espoir et de la grâce de Chiyoko, et d'un cinéma populaire et ouvert, empreint d'un sentiment épique naïf et passionné ; l'autre représente l'époque plus matérialiste et technique du nouveau millénaire, très terre-à-terre et lucide face aux rêves dans lesquelles nous emmène Chiyoko. Car, rapidement, le film s'épanouit dans l'animation, changeant les frontières du réel et de l'imaginaire, de la réalité présente du XXIème avec celle fantasmée du cinéma. 

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    En effet, Chiyoko nous emmène peu à peu, au travers de son interview, dans un univers mental propre à elle, reflet de ses propres désirs et angoisses, et dans lequel vont se retrouver impliqués le journaliste et le cadreur. Le luxueux salon laisse place à des décors de forêts ou de temples, de quais de gare ou d'intérieurs japonais des années 50. Le rythme et la temporalité sont efficacement traités : le passage de la vue objective à subjective se fait peu à peu, le présent se rappelant parfois à l'écran. Au bout de la moitié du film, la temporalité est définitivement cassé pour nous emporter dans un tourbillon infernal et interminable, où se jalonnent les différents espoirs déçus de Chiyoko, sorte de princesse destinée à rechercher sans relâche l'homme qu'elle aime. 

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    L'animation prend son véritable envol avec les fameux passages qui concernent la quête de Chiyoko. Millenium Actress est un film sur le destin d'une femme, dont la vie intime fut toujours étroitement liée avec les rôles de sa carrière. Le film se plaît à confondre les deux dimensions, à entrelacer et mêler les reconstitutions filmiques avec le quotidien de la jeune fille. Si Chiyoko grandit au fur et à mesure, passant de la timide collégienne à la jeune fille passionnée, puis à la femme mûre, elle ne renoncera en rien à celui qu'elle aime, un peintre dissident qui tentait d'échapper à la police. Dans chacun de ses rôles, elle est confrontée aux mêmes détracteurs, à des obstacles et à des portes fermés, à des alliés, le tout répondant à une malédiction éternelle. Mais si le film joue sur la répétition et la thématique de la spirale et du cercle, il n'est en rien redondant ou lassant. A chaque nouvel espoir, la volonté se fait plus forte, les obstacles plus pénibles, et l'inaccessibilité plus déchirante. De plus, l'animation donne progressivement de plus en plus d'ampleur et de dynamisme à cette quête, créant une multiplicité dans le désir. 

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    Cette progressive accélération du rythme s'assimile et représente merveilleusement les sentiments de Chiyoko, à la cadence de son coeur qui bat plus fort à l'approche de celui qu'elle aime, protagoniste dont le visage restera toujours inconnu, comme s'il pouvait être une pièce imaginative de Chiyoko dans son souvenir fantasmé. Certains moments, véritablement magiques, sont restés célèbres pour ce puissant dynamisme : ceux où Chiyoko court, portée par son amour et sa folie, traversant les âges, les époques, les décors et les costumes, dérapant mais se relevant toujours. Le film tisse un système impressionnant d'échos de scènes à scènes, renouvelle toujours le thème de la poursuite tout en créant des liens entre Chiyoko enfant et Chiyoko adulte, Chiyoko dans son premier rôle de petite fille voyageant en train à Chiyoko dans son dernier rôle à bord d'un vaisseau spatial.

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    Au-delà de l'efficacité d'un scénario, à la base classique, car traitant des thèmes communs de l'amour perdu et de l'écoulement du temps, Millenium Actress est enfin un formidable regard sur la société japonaise du XXème siècle, son évolution, et surtout son cinéma. Le personnage de Chiyoko incarne un prototype de femme qui réussit à se faire un nom dans le domaine, mais reste cependant écrasée par l'uniformité de ses rôles, toujours encadrée par les mêmes acteurs jaloux. Plus encore, elle devra faire face au destin tout tracé devant elle, et dont elle veut s'échapper pour rejoindre son amant : une mère qui décide de ses actions, un réalisateur qui lui fait pression pour qu'elle devienne sa femme au foyer, une société qui ne la voit qu'à travers les personnages qu'elle incarne. Au final, Chiyoko aura droit à une multiplicité de visages maquillés et de costumes différents, mais n'apparaîtra sous sa véritable forme que lors de l'interview, où elle révélera ses vraies frustrations. Une femme aux multiples miroirs et facettes mais qui n'est animée, derrière tous ces masques, que par le feu brûlant de son amour. Ce personnage traverse tout le XXème siècle, vu en filigrane des rôles qu'elle incarne. La guerre est décrite à travers des rôles de jeune fille miséreuse, perdue parmi des villages bombardés (Hiroshima y est signifié de manière très forte). Puis la société de communication par des projets plus ambitieux, et la guerre froide avec le rapport au film d'aventure spatiale. Le cinéma japonais, dont elle incarne le pan populaire, se fait l'écho de l'Histoire et de la culture de ce pays, car Millenium Actress est un formidable hommage à ce cinéma. Le film passe par tous les genres : la bluette romantique pour adolescents ; le film de science-fiction ; le film de ninja ; le film engagé sur la Résistance durant la guerre ; les reconstitutions historiques ; le film de guerre ; la fiction familiale avec des références à Ozu ; le film fantastique et mystique, lien direct avec le thème de la malédiction qui hante Chiyoko ; et même le dessin animé d'une certaine époque avec une séquence ingénieuse où Satoshi Kon grossit volontairement son trait de dessin et s'inspire du travail des estampes japonaises. 

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    Millennium Actress est un magnifique portrait de femme, dont les sentiments sont incarnés avec une belle grandeur à travers l'animation impeccable. ce film, par sa rigoureuse construction, se rêvée un hommage passionné et un regard lucide au cinéma , à l'amour et à l'identité en elle-même. Cette fameuse clé que Chiyoko porte en permanence autour de son cou, n'ouvrira jamais le coffre qu'elle recherche, et restera un élément mystérieux et fascinant jusqu'au bout, à l'image de l'identité de Chiyoko. A la fin du film,  Chiyoko finira par accepter son destin, à reconnaître son échec, prête à finir ou à continuer sa folle course, mais au-delà de la vie, au-delà des étoiles, dans un rêve inachevé et mystérieux.