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The Lost City of Z

L'aventure comme dans un rêve

THE LOST CITY OF Z (2016) – James Gray

Dès son premier plan, la vision nocturne d'un Indien tenant une torche au-dessus de l'eau, le nouveau film de James Gray annonce son pouvoir d'envoûtement. La brièveté de cette image, vite chassée par un fondu au noir, constitue les prémisses d'un voyage aussi exotique qu'existentiel. Une apparition, plutôt qu'un plan ; un bref éclat orangé dans la nuit, une illusion mystérieuse à défaut d'une cité réelle. En somme, l'inscription du titre du film en lettres dorées et la prestance de cet Indien solitaire ont plus d'impact qu'un panorama large sur les vestiges d'un trésor du passé. Le film entier trouve sa force dans ce préambule fugace.

james gray, cinéma américain

En effet, The Lost City of Z est la parabole d'un ressac, celui d'un accomplissement sans cesse inatteignable, et annoncé de bout en bout, approché pas à pas, avant qu'il ne se transforme en illusion évanescente. Le film s'inspire de la quête de Percy Fawcett, et d'un roman éponyme écrit par le journaliste David Grann sur le sujet. Fawcett (Charlie Hunnam), ancien colonel envoyé en mission pour cartographier l'Amazonie, suspecte l'existence d'une cité ancienne et inconnue. La scène à la haute société des géographes révèle combien l'idée de Percy, en divisant les scientifiques, s'impose d'emblée comme une probable chimère, un rêve d'illusionné tombé amoureux de l'exotisme. Le film suggère fréquemment le mirage en dialoguant avec une mise en scène du mystique, de l'imaginaire, comme lors d'un échange avec une diseuse de bonne aventure. Tandis que cette dernière discourt sur le futur de l'aventurier, le décor en arrière-plan se transforme et vogue vers des forêts boisées et frissonnantes. De même, l'espace naturel ne cède jamais totalement la place à une réalité tangible, et les traces de la cité ne correspondent qu'à des visions brèves, entretenues par l'aura de la terre exotique que rend superbement le traitement du paysage et de la lumière par l'opérateur Darius Khondji et son équipe. C'est l'Amazonie à la fois terre de lumières et de zones obscures qui se présente à nous, un monde producteur de visions stupéfiantes comme celle de crânes entassés dans une crevasse ou d'une panthère sous les ombres de la forêt.

james gray, cinéma américain

Gray appartient aux mystiques (aux partisans de Méliès, serait-on tenté de proposer), ainsi qu'aux romanesques, voire aux romantiques, aussi ce trouble dans la représentation de la quête n'est jamais démontré par l'entremise d'un regard cynique ou critique. Même les commentaires des scientifiques, de Nina (Sienna Miller) la femme de Percy, ou du partenaire de voyage Henry Costin (Robert Pattinson) sont présentés sous un angle sérieux, et non ironiques, comme autant de regards en coin faisant vaciller la beauté des paysages. Bien au contraire, tout en suggérant la possibilité illusoire de cette trajectoire de Percy, le long-métrage embrasse un rythme romancé, traduit le désir de mystère et de lointain, et parvient à aligner de nombreux moments « miraculeux » où l'on est tenté de suivre le personnage. Certains regretteront l'absence d'une troisième heure qui offrirait à son héros la rencontre tant espérée avec sa cité, ou son équivalent en terme de trésor caché au creux de la jungle. Mais James Gray reste fidèle à sa pudeur habituelle dans le lyrisme, privilégiant l'expérience d'une traversée intime, loin du genre de l'aventure. La quête de Percy s'apparente en effet plus à une aventure onirique, l'aventure d'un rêve jailli d'entre les roches.

james gray, cinéma américain

Avec ce sixième long-métrage, force est de constater l'éclosion de la carrière de Gray, passionnante de bout en bout. The Lost City of Z s'engage définitivement dans le virage pris avec The Immigrant (2013). Après quatre récits contemporains, dominés par des imaginaires ou des genres urbains, The Immigrant signait une plongée dans le classicisme historique, racine nourricière pour un travail plus ambitieux sur l’esthétique et l'écriture du film. Si ce film pouvait déconcerter par la rupture qu'il engageait – et par une impression de coupure à l'égard de la dimension plus sociale et réaliste de ses premiers films – The Lost City of Z le dépasse de loin et réconcilie les deux tranches de la filmographie. Oeuvre du mûrissement, à l'ambition symphonique, le film déploie prises de risque et démesure au sein du style grayien. La retenue propre au cinéaste et sa gestion de l'émotion concentrée sur sa montée – plutôt que sur son éclatement cathartique, souvent délaissé, occulté, chassé par le montage – atteint là sa forme la plus parfaite, la plus bouleversante. L'émotion, au lieu d'éclater trop aisément à l'image, se crée par les signes qui le prédéfinissent, par ses moments de naissance et ses indices d'accomplissement, qu'illustrent des allers-retours fréquents et brutaux entre l'Amazonie et l'Angleterre, entre le désir de départ et l'angoisse du périple, entre les visages des natifs et ceux des propres enfants de Percy. Dans le montage des strates du film se traduit ainsi une intime montée, voire une escalade, des circonstances qui préparent à un jaillissement émotionnel. Richesse sensorielle perçue dans le nid brillant des feuilles qui se caressent, visions lointaines des natifs qui partagent tranquillement leur art de vivre, lettres de la femme qui décrit, entre deux poèmes, la croissance des enfants... Pour autant, et en dépit des formes de ressac et de répétition, la quête évolue sensiblement, par des échecs successifs, par une excitation de Fawcett qui s'émousse parfois, par des adieux familiaux plus poignants.

james gray,cinéma américain

En effet, cette histoire cache une autre forme de ressac, au-delà de celui qui lie les deux univers de Fawcett, ainsi que l'idée et la réalité de la cité. La construction elliptique du film tend à démontrer la transformation de l'homme, d'une ambition personnelle vers un désir de transmission plus familial. La première scène nous projette au cœur du rythme d'une chasse à courre dans le vert britannique éclatant, moment a priori de contexte qui livre cependant des indices sur l'état d'esprit de son personnage. Par la suite, Percy Fawcett guettera d'abord la jungle comme une proie, aux contours aussi vibrants que ceux d'un cerf en course. Un autre passage illustre subtilement cette relation, par l'entrée brusque d'une flèche s'encastrant dans le carnet du colonel. Cette interaction violente et distante, dont le contre-champ ne nous est en outre pas dévoilé sur la suite du montage, propulse l'idée que Fawcett se fait du territoire et de ses habitants. C'est une confrontation brusque et palpitante, un jet qui s'adresse directement à lui comme pour mieux l’appâter. Dans cette première phase pourrait poindre une critique du colonialisme et de l'ambition de l'homme blanc qui ne cherche pas, ou peu, à considérer le natif comme son égal, mais bien plus à le visualiser comme une entité opposée et intrigante. Par la suite, la progressive importance que revêt le discours contradictoire de Nina, et la présence des enfants à l'écran, rendent plus complexes le rapport à l'autre terre. Le va-et-vient inscrit un espace familial tout aussi sibyllin que l'Amazonie, entre scènes de conflits conjugaux et moments brusques de retrouvailles et de séparation. C'est dans la silhouette d'une des filles qui court après la carriole à laquelle part son père, ou encore le passage, comme les wagons d'un train, des chambres où dorment les enfants, que peut se nicher le questionnement du sens de cette quête et la mise en doute des sacrifices. Par un renversement poignant, Percy comble ce désir de transmission en entraînant son fils avec lui, et entraîne leur propre fin par la même occasion. L'aventure du rêve de la cité restera un flambeau brandi en guise de conclusion, une énigme perdue dans la nuit.

Commentaires

  • Bonsoir Oriane, je suis arrivée au bout de ce film avec un sentiment très mitigé : trop lent. A la fin, je n'en pouvait plus et quelle noirceur. Ce genre d'histoire n'est pas trop pour moi, désolé. Bonne soirée.

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