Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Littérature japonaise

  • Jets de poèmes - dans le vif de Fukushima

    JETS DE POEME -DANS LE VIF DE FUKUSHIMA

    (SHI NO TSUBUTE)

     

    Ryôichi Wagô

     

    Traduit du japonais par Corinne Atlan

    Edition érès, 2016

     

    Il est de ces moments où les oeuvres s’entrecroisent et font naître des prises de conscience plus fortes quant aux événements de la terre. Si la catastrophe de Fukushima m’avait profondément bouleversée il y a six ans, son souvenir ne cesse de me hanter, et en même temps de m’alarmer sur de nouvelles problématiques, depuis plusieurs semaines. A cette origine, un entrelacs de créations pertinentes, du Sayonara de Kôji Fukada aux Jeunes lycéennes à Fukushima de Reiko Momochi.

    A cette origine aussi, une conscience plus aiguë de l’urgence environnementale, sûrement en lien avec la période électorale et ces lourds changements de gouvernance qui nous entourent.

    Retour sur l’une de ses oeuvres, la plus marquante dans ce cheminement, emblématique dans l’appel poétique qu’elle construit.

    Lire la suite

  • Les Assassins de la 5ème B, un roman de Kanae Minato

    LES ASSASSINS DE LA 5ÈME B (KOKUHAKU) – Kanae Minato

     

    traduit du japonais par Jacques Lalloz

    éditions Philippe Picquier, 2015

     

    La désormais célèbre (et bouleversante) série de Kiyoshi Kurosawa s'inspirait d'un roman de Kanae Minato. Si Shokuzai n'est toujours pas disponible en français dans nos librairies, Les Assassins de la 5ème B l'est et témoigne d'un style sous-jacent à l'oeuvre de Kurosawa. La cruauté surgit de situations anodines et le drame qui éclate entraîne de lourds traumatismes chez les uns et les autres. En variant les points de vue autour d'un décès accidentel d'une petite fille dans une école, Kanae Minato construit une cinglante spirale de haine et de vengeance.

     

    Lire la suite

  • Le Démon de l'île solitaire

    LE DEMON DE L'ÎLE SOLITAIRE (KOTÔ NO ONI) – Edogawa Ranpo

     

    éditions Wombat

    traduction par Miyako Slocombe

    parution de 2015 / parution originelle en 1930

     

    Le Démon de l'île solitaire déploie toute la quintessence du style d'Edogawa Ranpo, équivalent japonais d'Edgar Allan Poe ou de Théophile Gautier. Le fantastique et l'horreur accompagnent un récit raconté avec une paradoxale élégance, où apparaît un rapport troublant au corps déformé et à la monstruosité.

    Lire la suite

  • Les Sept Roses de Tokyo

    LES 7 ROSES DE TOKYO – Hisashi Inoue

     

    traduit du japonais par Jacques Lalloz

    éditions Philippe Picquier, 2011

    inoue.jpg

     

    Hisashi Inoue est un grand romancier japonais, à ne pas confondre avec son homonyme Yasushi Inoue. Les 7 sept Roses de Tokyo est sa première traduction en France. Bien qu'édité en 2011 par les éditions Picquier, le texte d'origine a été achevé en 1999, après 17 années d'écriture ! La forme du journal intime explique en partie cette durée, puisque le narrateur principal consigne scrupuleusement son quotidien sous la guerre de 39.

     

    Les 7 Roses de Tokyo est en cela un roman-fleuve, émaillé de longs descriptifs, de beaucoup de circonvolutions et réflexions de son narrateur. L'attention met du temps à se maintenir, car mise face à face avec le plus banal du quotidien. Son personnage principal, un Japonais d'une quarantaine d'années, marié et père de famille, fabricant d'éventails qui tient non seulement la description scrupuleuse de ses activités sous la guerre, mais aussi ses comptes personnels. D'emblée, ce faux journal inclut des détails très réalistes, puisque le personnage se pose des questions relatives aux finances de son ménage et entretient plusieurs petits trafics et travaux. S'il peine à vendre ses éventails au début du roman, ce père de famille passera par divers métiers par la suite, du transporteur momentané au calligraphe pour le poste de police. Ce souci de réalisme peut cependant paraître parfois trop scrupuleux, car des dizaines de pages sont parfois consacrées à des comptes ou le contenu de stocks de nourriture ou d'affaires. Cependant, Inoue révèle de-ci de-là des combines inattendues, ou le secret désir de la population pour de la viande ou du savon en bonne qualité.

     

    Au fil de la lecture, cette vie accordée au rythme des finances et des occupations du jour est peu à peu troublée par les événements de la guerre. Là est le plus grand tour de force d'Inoue, celui de projeter dans un point de vue interne très terre-à-terre, se devant de construire ses journées avec rationalité en dépit des bombardements, des décisions gouvernementales inattendues. Or, c'est précisément à partir du moment où ce courageux comportement est mis à rude épreuve que le roman se révèle particulièrement prenant, voire bouleversant. Lorsque le personnage, habitué aux alarmes des bombes, apprend que sa fille et son gendre se trouvait sur l'un des lieux visés par les avions américains, l'instant d'émotion est saisissant. Le protagoniste et sa petite histoire plonge soudain au cœur de la tragédie historique, telle une prise de conscience de la guerre en son sens concret de destruction de vies. Le style montre ainsi finement cette sensation complexe du quotidien sous la guerre, qui n'est fait ni de tragédie grandiloquente ou de violence visible à tous les niveaux : au contraire, les semaines passent en contenant les mêmes habitudes, les mêmes bavardages entre voisins, et les questions essentielles se posent sans plus de gravité (que manger ? Où trouver à manger ? Comment gagner de l'argent ?) ; et le drame de la période déferle de manière inattendue, frappant brièvement au cœur de la banalité.

     

    L'événement, qui arrive à mi-chemin du journal, amorce un changement dans la description quotidienne. En seconde partie du récit, Inoue livre en effet un passionnant témoignage sur une page méconnue de l'Occupation américaine. Face à un haut gradé des Etats-Unis, jeune intellectuel voulant oeuvrer pour le rétablissement du pays sous égide du pays Occidental, le narrateur doit affronter son projet de réforme de la langue japonaise. Celui-ci consiste à abandonner l'écriture des kanjis, pour la remplacer par des kanas simplifiés – notamment les katakanas, utilisée aujourd'hui pour écrire et prononcer des mots en grande partie d'origine anglaise. Dans le complexe échange entre celui qui veut sacrifier toute une partie de l'histoire linguistique et calligraphe du Japon, et celui qui, bien malgré lui, va devoir défendre la tradition, Inoue critique beaucoup la tentative de conquête du Japon par l'Occident. Et pose au-delà un regard sur les enjeux de conquête d'un pays.

     

  • Pissenlits dansant dans la neige

    PISSENLITS DANSANT DANS LA NEIGE

    Une conférence de Yoko Tawada le 17 septembre à la Maison de la Culture du Japon

    Jeudi dernier, la MCJP accueillait en clôture d'un colloque sur Yasunari Kawabata l'auteure Yoko Tawada. C'est avec malice que Tawada apporta son regard d'écrivain, de lectrice, sur la dernière œuvre inachevée de Kawabata, « Tanpopo », Les Pissenlits, et présenta un texte traduit avec efficacité par Cécile Sakai.

    La conférence de Tawada avait un véritable atout à être ouverte à tous les publics. Avec une redoutable aisance, son écriture alliait l'analyse fine à une expérience personnelle, connectait l'anecdote à la recherche plus exigeante. L'idée du pissenlit vint ainsi rejoindre, dans une interrogation sur la fleur et sa charge symbolique, l'ornementation du passeport de l'auteure, ou le film Tampopo (Jûzû Itami, 1985) et sa vulgarité comique. Le discours évolua par évocations, comparaisons, renvois originaux et décalés – mais faisant toujours sens – vers les motifs du récit et ses circonvolutions possibles, tels la cécité / sexualité, l'impuissance, la neige, la montagne... Ces circonvolutions déjà présente dans le récit et entre les autres œuvres de Kawabata, Tawada les faisait rimer avec d'autres histoires, les siennes, celles de sa double-culture, de l'écriture et du quotidien de son pays. Elle mit ainsi en résonance, avec émotion, les restes de Fukushima avec les images du célèbre écrivain.

    En à peine une heure, la conférence de Tawada fut riche en thèmes et références, liant et déliant les figures tracées dans les Pissenlits de Kawabata. De l'hôpital à la montagne, de la fille au père, à la mère et à son mari, l'auteure a glissé un regard pertinent et très ouvert dans ses interprétations, jonglant autant avec les kanjis de son pays qu'avec les quelques objets posés devant elle, en guise d'évocations comiques. La légèreté de son ton et sa facilité à agripper ces différentes propositions n'ont étayé en rien l'exercice d'analyse et n'ont fait que redoubler l'envie de découvrir les écrits de ces Pissenlits.

    la page de l'événement : http://www.mcjp.fr/francais/conferences/pissenlits-dansant-dans-la-neige/pissenlits-dansant-dans-la-neige

    le site de Yoko Tawada : http://yokotawada.de/?page_id=24

  • La Maison dans l'arbre

    LA MAISON DANS L'ARBRE

    Un roman de Mitsuyo Kakuta

    Editions Actes Sud, 2013

    maison-dans-l'arbre.jpg

     

    Ce roman de Mitsuyo Kakuta s'empare d'un large destin familial, des premiers pas d'une femme exilée en Mandchourie jusqu'au balbutiements de son dernier petit-fils dans le Japon d'aujourd'hui. Petit à petit, l'écriture et la structure éclatée de l'auteure nous entraîne dans le tourbillon temporel qui s'agence et qui grandit en couples, enfants, petit-enfants...

    À chaque nouveau personnage introduit, de part et d'autre des deux époques, se pose bien souvent la question de son évolution. Comment en est-il arrivé là ? Qu'a-t-il pu se passer pour qu'un tel personnage évolue ? Les transitions et les dichotomies entre les comportements soulèvent un véritable suspense psychologique et humain, progressivement prenant. L'ouverture, trompeuse, laisse croire à l'importance de Yoshitsugu, le dernier de la famille, qui décide après le décès de son grand-père, responsable du grand restaurant familial, d'emmener sa grand-mère en Mandchourie. Mais, l'entrée de cette dernière sur le pays où elle a rencontré son mari fait recommencer l'histoire familiale. Progressivement, tous les personnages précédemment vus à travers le regard de Yoshitsugu, notamment son frivole oncle Taijiro qui les accompagne pour le voyage, retrouvent leur place et se révèlent. La grand-mère devient le pivot de cette transition temporelle, entraînant dans le passé de deux immigrés japonais et ouvrant sur un rapport singulier à l'Histoire.

    Avec finesse, le roman de Mitsuyo Kakuta embrasse toute la seconde moitié du siècle jusqu'au nouveau millénaire, et propose dans un mouvement romanesque ambitieux un regard sur les grandes évolutions de son pays. Le projet d'unification des peuples d'Asie, la Seconde Guerre Mondiale et la défaite, la reconstruction du Japon, l'arrivée de la télévision, les rébellions des années 1970 sont autant d'événements qui jalonnent le roman. L'écriture de Mitsuyo Kakuta et son aisance condense brillamment ces évolutions, les faisant filtrer au travers des personnages. Mais au-delà de la peinture historique et sociale, c'est la progression humaine qui touche dans ce récit. En parallèle des mouvements du pays, la famille se construit, affirme ses valeurs propres tut en s'effritant dans son évolution. Là réside la paradoxe de ce destin déchirant : plus la famille s'étend, plus elle assure sa pérennité, plus ses membres sont voués à disparaître, à s'effacer, à s'individualiser. « N'avons-nous pas honte d'avoir fui ? » s'interroge constamment la grand-mère, divulguant inconsciemment ce comportement de fuite dans l'héritage familial, où chacun s'éloigne, revient sur ses pas, tente de vivre par lui-même, puis redevient dépendant... Autant de trajets et de retours qui, bien qu'intensifiés, nous rappellent à notre propre famille.

    Avec douceur, dans un surprenant et lent assouplissement du rythme, le roman de Mitsuyo Kakuta soulève le bouleversement. Les pièces se mettent en place, les enfants naissent et grandissent, le travail évolue, les souvenirs se connectent à la réalité présente. Dans cette fabuleuse saga s'agite sur ses dernières pages la vérité sur les réactions des uns et des autres, et se révèlent les failles de chacun. Se met ainsi en place la genèse de ce titre poétique, cette « maison dans l'arbre » qui est un improbable refuge loin de la lourde quotidienneté des sentiments familiaux, loin de l'inévitable glissement du destin. Se comprend ainsi, dans l'attachement de la grand-mère et de l'oncle au jeune Yoshitsugu - qu'ils surnomment tous deux « mon petit Yoshi » - leur reconnaissance fugace et spectrale d'un des enfants disparus dans cette histoire. Se dessine, dans les dernières pages du retour au pays, le sentiment d'avoir plongé au cœur des dissensions et des passions familiales, et d'en ressortir la tête pleine d'idées émues et tendres.

  • Le petit joueur d'échecs

    Le Mystère de l'automate

    LE PETIT JOUEUR D'ECHECS – Yoko Ogawa – éditions Actes Sud.

    ogawa.jpg

     

    Dernier roman de Yoko Ogawa, sorti en mars dernier, Le Petit joueur d'échecs noue avec le registre « tendre » de l'auteure. Moins cru que ses nouvelles, plus tendre et linéaire, Le Petit Joueur d'échecs suit la vie d'un personnage atypique, marginal et d'une immense discrétion. C'est bien ce thème de la marginalité que Ogawa révèle à travers ce portrait, mettant en lumière l'existence extraordinaire d'un protagoniste effacé.

    Le récit renoue tout d'abord avec les univers étranges qui enveloppent les histoires d'Ogawa, ces univers précieux et à la lisière du fantastique, tels des instruments merveilleux et mécaniques savamment composés mais qui continuent de faire miroiter leur art du mystère. Le monde des échecs, associé aux lieux que va traverser ce petit joueur, rend une fois de plus compte de l'imagination poétique de l'auteure, qui bouleverse par l'immersion qu'elle nous fait vivre dans un monde étrange, nouveau, mélancolique et traversé d'évocations lyriques. Les nombreux passages s'attachant à décrire la sensation produite par « l'océan des échecs » se révèlent des passages de toute beauté dans le récit, tandis que le dernier refuge du jeune prodige, cette maison de retraite au sommet d'une montagne et par laquelle on n'accède qu'en funiculaire, renoue avec ces pensionnats de soin silencieux et au rythme rituel qui accompagne les nombreuses autres histoires de Yoko Ogawa.

    La délicatesse propre à l'auteure saisit de manière bien souvent imagée et poétique l'autisme de ce petit garçon, notamment en le confrontant à d'autres personnages aussi singuliers que lui. Chez Ogawa, il n'y pas ou peu de comportement ordinaire. Chaque individu fait preuve d'une intériorité troublante, et ces mondes intérieurs se frôlent et se rencontrent avec hésitation, fragilité. Cette beauté du rapport humain se retrouve dans l'écriture, toujours sensible, de l'auteure japonaise. Ogawa confronte donc son petit personnage à un homme éléphantesque et d'une générosité aussi large que son embonpoint ; à une jeune fille timide inséparable d'une colombe ; ou à une diversité d'adversaires, du plus agressif au plus raffiné.

    Pour cerner l'autisme de son personnage, ce renfermement compulsif, une série de contradictions imagées viennent cerner l'enfant : son corps ne grandit pas alors que son esprit dépasse l'intelligence d'un adulte, son jeu est extraordinairement développé alors qu'il se révèle effacé dans sa présence, et surtout il éprouve le besoin de jouer les pièces à l'aveugle, sous l'échiquier, refusant de croiser le visage de son adversaire. L'utilisation du pantin mécanique – dont la description se révèle l'un des plus beaux passages du style Ogawa – est comme l'ultime métaphore de cette discrétion. Les doigts mécaniques et ciselés de l'automate se fait le prolongement des coups de génie du petit joueur. Un mystère plane sous la marionnette, un corps recroquevillé se cache pour mieux partager sa passion. Le Petit Joueur d'échecs est ainsi l'histoire de ce paradoxe, celui qui s'inscrit à travers ce personnage, trop timide pour affronter la réalité, mais éminemment passionné pour s'ouvrir au monde. 

  • Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants

    ARRACHEZ LES BOURGEONS, TIREZ SUR LES ENFANTS (1958) - Kenzaburo Ôé

    arrachez-les-bourgeons-01.jpg

     

    Le livre du Prix Nobel de Littérature s'avère, tout comme son titre, d'une véritable violence psychologique et physique. L'écriture fine et précise de Kenzaburo Ôé nous plonge dans un univers quasi-déshumanisé, d'une sensibilité à fleur de peau, et totalement engagée.

    Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants suit les quelques jours d'une poignée d'enfants délinquants exilés sur les routes durant la 2ème Guerre Mondiale au Japon. Kenzaburo Ôé fait ainsi d'emblée partager le destin de protagonistes souvent oubliés dans l'horreur de la guerre, à savoir ces enfants vivant en centre pour jeunes délinquants, considérés comme une honte à la société, au statut bien plus bas que celui des paysans vivant dans la misère. Contraints de fuir sur les routes, ces enfants tentent de trouver un refuge auprès des villages, qui les rejette cependant comme s'ils n'étaient que de la vermine. Le récit dresse ainsi un portrait très cruel de ces populations prises dans la guerre et la misère, et qui ne font que se déchirer entre elles, et se rejeter mutuellement, les enfants devenant souvent les bêtes noires du village et s'avérant traités comme des animaux. L'un d'entre eux narre le récit d'une poignée de jours où le groupe se retrouve enfermé dans le village où s’est déclarée une épidémie. De fait, le film décrit très bien le danger et la cruauté des effets de foule, notamment dans les situations de crise : les villageois, eux-mêmes opprimés par les armées extérieures, choisissent de reporter leurs angoisses sur les populations étrangères (illustrée à travers le personnage de Lee, un jeune Coréen), les déserteurs, ou encore ces enfants, qui se retrouvent humiliés et injustement accusés au moindre prétexte.

    L'action devient rapidement un huis-clos oppressant, où les enfants se retrouvent enfermés et condamnées dans le village, faisant face à l'abandon et à la peur d'une épidémie qui ne sera jamais officiellement déclarée. En une poignée de jours, c'est en véritable autarcie que les jeunes personnages vont tenter de survivre, s'organisant comme de véritables adultes sur cet enfer misérable et minimalisé. Ceci est l'occasion pur l'auteur d'aborder plusieurs thèmes essentiels, en filigrane et de manière métaphorique, tels l'amitié, l'amour et la sexualité, le sens du pouvoir et de la gouverne, la découverte de la mort et de la violence. Le désespoir finit par gagner ce qui incarne généralement l'essence de la pureté et de la naïveté, à savoir la population enfantine, qui doit au contraire affronter, se battre, surmonter, la dure réalité et la cruauté environnante.

    Dans cette histoire bouleversante, le style de Kenzaburo Oé est sec, précis, oscillant entre un lyrisme poétique et un réalisme cru. La bestialité s'avère souvent présente dans les comportements, que ce soit dans une agressivité rageuse, une sexualité pauvre, ou l'effet de meute, les enfants se blottissant par exemple souvent les uns contre les autres pour survivre ou se réchauffer, partageant tout et détruisant toute forme d'intimité. Cependant, de nombreuses métaphores imagées colorent la narration à la première personne et décrivent, avec poésie, lyrisme, les rares instants de bonheur que collecte précieusement les personnages. Les joies pures de l'enfance, la sensation de liberté retrouvée lors d'un matin de neige, la maladresse du premier amour, la délicatesse développée autour des découvertes diverses, nourriture, faisan attrapé, fleurs... Mais la fin, tout comme l'ensemble de ce roman, montre la fuite en avant d'une poignée de personnages qui se déchirent et tentent de survivre, et, au-delà, d'une société prise dans l'horreur de la guerre.


  • Manuscrit Zéro

    MANUSCRIT ZERO

    Yoko Ogawa

    éd. Actes Sud

    manuscrit.jpg

    Merci à ma mère pour ce beau cadeau.

    J'avais déjà fait part de mon admiration envers Yoko Ogawa, grande auteure japonaise passant souvent inaperçue derrière Haruki Murakami ou Akira Yoshimura, avec Cristallisation Secrète, publication de 2009, sur mon premier blog (bien avant que Mirabelle-cerisier n'existe). Cristallisation Secrète était bien alors le premier roman japonais que je lisais, et reste l'un des plus beaux romans découverts. 

    Manuscrit Zero s'annonce d'emblée comme un ovni littéraire. Le style de Yoko Ogawa est déjà unique à lui tout dessus, style constitué d'un vocabulaire riche, mais à la sémantique plein de mystère et d'évocations étranges, proches de l'illusion. Le frontière entre scrupuleuse observation de la réalité et le fantastique reste toujours fébrile et présente chez Yoko Ogawa. Dans ces manuscrits naissent ainsi de courts récits, de courtes descriptions de faits personnels et quotidiens où vient se glisser, imperceptiblement, le fil de la fiction et le souffle d'un imaginaire onirique.

    Visites frauduleuses dans les cérémonies sportives des écoles primaires ; révélation d'un acte particulier de plagiat de jeunesse ; remémoration de la maison de la grand-mère à travers une interview confuse ; la description du cours des grandes lignes ; journée passée dans un centre thermal... Tout s'apparente à un journal intime, où le « je » narrateur distille les moments de découvertes, d'explications, de descriptions, de souvenirs. A ceci près que l'écriture d'Ogawa rejoint progressivement un imaginaire étrange, à la fois familier et hermétique, distant et proche, effleurant les débuts de romans ou de récits fictifs. D'où le titre, Manuscrit Zéro, qui exprime bien cette idée d'ébauche, de tentatives, fructueuses ou non. Le roman se lit ainsi agréablement, chaque feuillet amenant son lot d'évocations.

    Comme toujours, l'auteure aime à faire passer les sentiments derrière l'observation scrupuleuse. Le relevé de certains détails tendres, allié à la tendresse de la plume, montre par exemple la gêne occasionnée lors d'une interview où l'auteure s'éparpille dans se souvenirs ; ou encore le désir face à l'assistant social de la mairie, joueur occasionnel de trompette ; et bien évidemment le doux regret de l'enfance, avec par exemple les discrètes visites à la mère à l’hôpital, où la narratrice lit paisiblement, trouvant ses pages « au rythme de la respiration » de la malade.

     

    Ces pages chargées de la douceur de la quotidienneté, teintée d'un discret et furtif fantastique, transmettent une certaine émotion latente.

     

    « Le matin arrive R, l'assistant social de la mairie en charge de l'amélioration de la vie. (...) En sa présence, ma voix se fait toute petite. Mes cordes vocales se recroquevillent comme effrayées à l'idée de révéler toutes sortes de choses telles que mon écriture qui n'avance pas du tout, ma dégustation des mousses, mon retard dans le paiement du gaz, ma dispute avec les voisins au sujet de la nourriture des chats errants, mon crachat vengeur sur la selle de leur bicyclette, mon entrée sans autorisation dans une école primaire, ou ma discrète récupération d'une bouilloire électrique à l'endroit où l'on dépose les objets encombrants. »

  • dans le studio Ghibli

    Dans le Studio Ghibli – Travailler en s’amusant

    Toshio Suzuki

    Editions Kana

    ghibli.gif

    Difficile de trouver la catégorie pour ce récit du producteur du studio Ghibli dont je viens de commencer la lecture. Publié par les éditions Kana, branche francophone de publications de manga, il est pourtant un récit autobiographique agrémenté de quelques illustrations, et non pas un manga, et dépeint de près diverses anecdotes concernant le studio Ghibli et ses deux fondateurs incontournables, Isao Takahata et Hayao Miyazaki. J’ai finalement décidé de le ranger dans la catégorie littérature, car il s’agit avant tout d’un récit autobiographique entrepris par Toshio Suzuki.

    La seconde partie du titre « travailler en s’amusant » s’allie parfaitement avec le forme agréable et le style simple de Suzuki, en parfaite adéquation avec la légèreté sincère des productions Ghibli. Dès sa préface, intitulé « les souvenirs inscrits en nous », Suzuki évoque l’importance de la notion de l’instant présent pour les deux réalisateurs avec lesquels il collabore, notamment Hayao Miyazaki, affectueusement surnommé « Miya » qui est « un spécialiste de l’oubli ». Suzuki aborde cette notion du présent, de l’immédiateté des projets pour en déduire sa démarche de remémoration, simple et non organisé, du moins juste chronologique, qui vise à raconter diverses anecdotes précises, des lambeaux inscrits en lui, ne voulant aucunement forcer la mémoire. Ce qui en fait un récit aux multiples références, détournements, allant de citations littéraires brusquement délivrées à de percutantes phrases retenues dans les échanges avec les réalisateurs. Le livre s’organise en une série de chapitres suivant la création de la revue Animage, première revue consacrée à l’animation japonaise dont Toshio Suzuki a été le principal créateur, la réalisation de Nausicaa, la fondation du studio Ghibli… chacun introduit par une citation de l’auteur ou de ceux qu’il a rencontrés : « Quand on côtoie quelqu’un, il faut partager sa culture » ou «dévaler une pente ensemble, c’est ça, réaliser un film ». Ces courtes phrases font la spontanéité du récit, immédiatement complice avec le lecteur.

    Toshio Suzuki a une formation de journaliste-rédacteur, ayant collaboré à l’hebdomadaire Asahi Geinô, et par la suite, à la revue Animage, toute première revue exclusivement consacrée à l’animation japonaise en 1978, ce qui était une grande première. C’est dans le cadre de la création de cette dernière qu’il a rencontré Takahata et Miyazaki. Sa formation et son esprit journalistique, puis ensuite de producteur fidèle à ses deux compères, en font quelqu’un d’altruiste, partageant généreusement anecdotes et un point de vue fort intéressant et précis sur les méthodes de travail des réalisateurs. Il raconte par exemple sa première terrible rencontre avec Takahata, qui refusait un entretien avec le journaliste, lui dressant  une série de remontrances durant une heure entière pour argumenter son refus. On peut aussi découvrir de courts croquis d’affiches de films (Ponyo sur la Falaise, dernier né de Miyazaki père, qui orne la couverture du livre, mais aussi Horus, Prince du soleil), des dessins inédits de Toshio Suzuki ou de Miyazaki, et même des extraits de storyboard, par exemple celui du Château de Cagliostro, témoin de la précision rigoureuse de Miyazaki. Car le récit n’est pas seulement un empilement d’anecdotes savoureuses,  il livre aussi un point de vue sur les techniques employées par le studio Ghibli, tout en ouvrant le champ à d’autres formes de l’animation (un parallèle est effectué avec Disney) et avec de multiples formes culturelles (la littérature, notamment, qui a une place fondamentale).

    Je conseille ainsi l’achat de ce livre pour les passionnés des studios Ghibli, mais aussi pour ceux qui veulent avoir un aperçu sur le métier de producteur ou sur l’animation japonaise en général. Passionnant et très agréable à lire, il nous fait encore plus aimer le travail des studios sans tomber dans l’autocélébration !