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Littérature japonaise - Page 2

  • Un Endroit Discret

     

    Un Endroit Discret - Ed Actes Sud 

    Un roman de Seicho Matsumoto

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    Deuxième roman que je découvre de Seicho Matsumoto, après Le Vase de Sable, Un Endroit Discret se rapproche plus du roman social que du polar. A travers l'enquête d'un homme sur sa femme récemment décédée d'un infarctus, Matsumoto traque les failles et obsessions du Japon, faisant une peinture sociale à la fois humaine et cruelle de sa société. 

    Tsuneo Asai, fonctionnaire sérieux occupant un poste important au sein du Ministère de l'Agriculture, apprend lors d'une mission à Kobe que sa femme est brusquement morte d'une crise cardiaque. Tout en remplissant les formalités du deuil de ce drame si soudain, Tsuneo, qui savait sa femme fragile du cœur, ne peut s'empêcher de trouver les circonstances de sa mort suspectes et étranges. Il se rend compte qu'il ne connaissait rien de celle avec laquelle il s'était marié plutôt par conformisme que par amour et commence à traquer la vérité derrière cette mort, découvrant un autre visage de celle qui l'attendait les soirs à la maison. 

    Au travers de cette enquête individuelle fascinante, Matsumoto révèle à la fois les doutes de son personnage et l'étouffement d'une société. C'est l'obsessionnel souci des apparences qui est sans cesse mis en lumière, que ce soit à travers la vie intime et secrète de cette femme morte ou à travers l'enquête de son mari, qui tente de faire passer ses démarches inaperçues. Tsuneo tient à garder son image propre de fonctionnaire, même si la corruption est présente dans son métier, même s'il procure des filles à son supérieur, même s'il doit enquêter dans les maisons closes. Il n'hésite pas à emprunter un faux nom, déguiser ses véritables intentions pour chercher des indices sur sa femme. Par son enquête, il se remet en question, frôle la berge de la folie. Le style incisif et sec de Matsumoto parvient admirablement à nous faire partager les pensées complexes de son personnage, pensées antagonistes de culpabilité, hypocrisie, curiosité ou frayeur. 

    Un Endroit Discret désigne aussi la duplicité de l'épouse que les moyens mis en œuvre à la fin du récit par Tsuneo pour venger sa femme. Le titre, à la fois mystérieux et significatif, vise à révéler le caché sous l'apparence, chaque protagoniste cherchant cet « endroit discret » pour y enfouir ses pulsions, ses passions, ses haines, ses confessions. 

  • Cristallisation secrète

    Mémoire de disparus

    CRISTALLISATION SECRETE (2009) – Yoko Okawa

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    Le roman de Yoko Okawa, célèbre écrivain japonaise, m'a tout de suite séduite pour le court résumé de sa quatrième de couverture et l'étrange impression que laissait la photographie du devant. Cristallisation secrète oscille entre réalisme et fantastique mystique, où la chronique du quotidien paisible d'une île frôle l'improbable poétique et surréel.

    Le roman raconte la lente descente vers la folie des habitants d'une île imaginaire, où divers éléments disparaissent peu à peu. Le principe rappelle Fahrenheit 451 dans le sens où une brigade chassant les souvenirs s'assure de la disparition complète des objets ciblés et arrête les personnes susceptibles de se souvenir. Mais comme avec les livres dans le roman de Ray Bradbury, certains personnages vont tenter de résister en conservant des objets du passé, tandis que d'autres, à la manière de ces hommes-livres isolés dans la forêt de Fahrenheit 451, gardent la mémoire. Cristallisation secrète joue ainsi de manière très poétique et fine avec le thème de la présence-absence, où tout ce qui a disparu laisse forcément des traces, et ce, malgré le travail des brigades acharnés et impitoyables dans leurs actions de suppression. Car les traces subsistent dans la conscience de l'individu, seul réserve secrète pouvant échapper aux griffes des chasseurs de souvenir. Une partie du roman joue ainsi sur les rapports de résistance face à un oppresseur quasi-inhumain, relevant d'un gouvernement invisible, ayant une part de réalisme faisant écho à certains événements similaires s'étant opérés en Asie (la Révolution culturelle en Chine, notamment).

    Cependant, une forme de fantastique se manifeste, ce qui fait toute la force du roman, de même que Bradbury utilisait la science-fiction pour créer la métaphore de son livre. En effet, les objets s'effacent de l'existence selon les agissements hasardeux d'une force obscure et magique, de même qu'ils disparaissent totalement des consciences des habitants. Seuls quelques individus, tel le personnage de l'éditeur que recueille la narratrice, échappent miraculeusement à cette action. Les disparitions vont crescendo au fil du récit : au début, ce ne sont que des objets usuels qui s'effacent (la boîte à musique, le parfum, le ticket de ferry, des bijoux...) ; puis le temps et l'espace sont également touchés, telles les pétales de fleurs qui tombent des arbres et sont emportées par le fleuve, ou le printemps qui limite le temps à une saison qu'est l'hiver, à l'image de l'existence se figeant et de l'absence de mouvement. Enfin, les éléments physiques, touchant directement les personnages, disparaissent. La jambe gauche, le corps tout entier et finalement la voix sont contaminés par cet étrange effacement. Parallèlement, les individus s'isolent de plus en plus. La narratrice décrit ainsi l'autarcie qui se met en place dans les résidences voisines. Les individus ne se distinguent plus, s'effacent et deviennent amorphes, fuyants, uniformes. Les descriptions très objectives et froides de l'héroine sur le monde extérieur démontre cette soumission et disparition de ce qui faisait la spécificité et la richesse de l'île. Seul un partage commun d'une certaine mémoire et de la solidarité établi entre elle, son éditeur et le personnage du vieux grand-père, permettent aux personnages de subsister et de conserver une forme de préciosité essentielle pour leur survie.

    En effet, avec ce sujet, l'auteur fait saisir l'importance et la richesse de petits éléments du quotidien : ces objets usuels qui parsèment et ponctuent notre existence, permet de nous livrer des repères et des clés pour bien vivre et créer notre existence. Le roman débute ainsi sur la description minutieuse et précieuse des objets que la mère de la narratrice cachait dans son atelier et qu'elle conservait à l'abri des brigades spéciales. C'est là que se met en place un vocabulaire très poétique et précieux, transfigurant le quotidien et le banal en des présences extraordinaires. Ce soin et cette attention aux objets et l'appel au quotidien simple et usuel, amis réconfortant, rappelle l'esprit de Yasujiro Ozu, excellent cinéaste japonais qui diffuse cet esprit de plénitude que tentent de conserver les protagonistes de Cristallisation secrète dans ses films.

    Au-delà de cette histoire de résistance, le roman comporte une belle dimension philosophique en filigrane, autant sur le thème du passé, que sur celui du langage. Le fait de garder le souvenir et d'avoir une accroche au passé permet de subsister plus que les autres, de ne pas vivre au jour le jour et de ne pas se laisser inhiber par les contraintes extérieures et le flux du temps. La résistance au temps permet de créer une sorte de constance de sa personnalité et de conserver une unicité personnelle, ce qui explique la fascination de la narratrice, soumise sans cesse au changement, face à son éditeur qui lui permet d'incarner cette permanence qu'elle désire et qu'elle voit comme un refuge. En outre, la dimension la plus intéressante du roman est d'avoir fait une narratrice écrivain. Tout le long du récit, cette femme est obsédée par une question inquiétante : et si les mots disparaissaient, eux aussi ?

    A travers ce personnage d'écrivain s'exerce ainsi un questionnement très profond sur les mots, sur la représentation du monde par les mots. Ces mots uniformes qui gardent cependant une trace et des repères vis à vis de l'existence. La mise en abîme est double dans Cristallisation secrète : la narratrice est une forme de substitut de Yoko Ogawa elle-même, et le roman que l'héroïne écrit est une représentation indirecte de ce qui lui arrive. Cette jeune femme se rend par exemple compte que les histoires qu'elle écrit sont sans cesse marquée par la disparition. Un formidable travail de mise en abîme tisse des liens entre le récit-cadre et le récit-encadré, ce roman qu'écrit la narratrice et dont nous sont livrés quelques extraits. Le personnage de l'éditeur trouve un double dans celui du professeur de dactylographie. Cristallisation secrète joue fortement sur un symbolisme porté par son phrasé poétique et la finesse de sa composition.

    Cristallisation secrète, par le biais de ce récit fantastique et déchirant et de son écriture agréable et fluide, nous fait revenir à l'essentiel. Le plus anodin disparaît, créant ainsi le sentiment d'étrangeté menant jusqu'à la folie, où seul le contact avec les êtres, qu'ils soient vivants ou morts, permet encore de résister face au monde qui part en lambeaux sur cette île.

  • Le Vase de sable

    LE VASE DE SABLE

    Un roman de Seicho Matsumoto

     

    vase_sable.jpgSeicho Matsumoto est un romancier japonais de la seconde moitié du 20ème siècle, réputé dans le domaine du policier comme étant le « Simenon japonais ». Cette appellation m'a poussée à m'intéresser à cet écrivain, étant une adepte de Simenon. Le Vase de Sable est l'une des enquêtes les plus célèbres de l'inspecteur Imanishi, le héros de Matsumoto, et fut adapté par le cinéaste Yoshitaro Nomura en 1974.

     

    L'inspecteur s'y retrouve confronté à l'assassinat violent d'un sexagénaire retrouvé dans une gare, ne disposant que d'un vague témoignage et d'une absence d'identification du cadavre. Cette maigreur au niveau des indices marque le style de Matsumoto et justifie son appellation de « Simenon japonais ». Dans les régions rurales et isolées du Japon, l'inspecteur et son adjoint doivent effectuer un véritable travail de minutie et de patience, seuls face au mystère des événements et de leur complexe imbrication. Tout comme Maigret, Imanishi est un homme simple, concret et précis, préférant voir les choses par lui-même plutôt que d'en déléguer à ses subordonnés. Le roman est ainsi et d'abord une formidable traversée géographique dans le pays. Imanishi passe une journée entière à scruter les bords de la voie ferrée dans l'espoir d'y trouver un indice, lit le journal, écoute tout témoignage, n'hésite pas à se documenter longuement dans les archives ou les dictionnaires. Il se rend dans les villages isolés et interroge des familles pauvres.

     

    La critique sociale est aussi fortement présente dans ce roman policier, en lien directe avec la résolution de l'enquête. Le motif du coupable démontre le lent cheminement qu'il a dû parcourir pour arriver à ce meurtre, plutôt expliqué par la pression sociale et la rupture entre les différentes classes et milieux que par une habituelle explication psychologique. C'est la sociologie et l'étude de moeurs qui tissent plus le propos de l'enquête chez Matsumoto.

     

    Le style est simple, le rythme très posé, laissant le temps aux événements et nous faisant vivre de manière très réaliste la lenteur de l'enquête. Nous ne sommes pas loin du style latent et observateur d'un Simenon. Un roman policier agréable et posé, refusant tout sens du suspense et menant plus à la réflexion.