Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Contes du hasard et autres fantaisies
En quête d'imagination
CONTES DU HASARD ET AUTRES FANTAISIES (GÛZEN TO SÔZÔ 偶然と想像) – Ryûsuke Hamaguchi
Quelques années après Asako, Hamaguchi réalise Contes du hasard et autres fantaisies, qu'il explique avoir envisagé comme un recueil de nouvelles. En effet, le film est monté à la manière d'un triptyque, où les thèmes du titre sont interrogés à travers trois courts-métrages sans lien apparent. S'il fait preuve d'une rigueur toute formelle dans son scénario et sa mise en scène, l'exercice de style ne convainc pas toujours et pointe les limites d'un cinéma qui peine à muter depuis deux ans.
Le titre original de ce long-métrage associe les kanjis correspondant au hasard (gûzen), et à l'imagination (sôzô). Le rajout des « contes » dans sa traduction française fait sens quant à la filiation, évidente, que revendique Hamaguchi avec l'oeuvre d'Éric Rohmer. Le choix de mettre « fantaisies » au pluriel peut surprendre. Mais il apporte une clé de lecture au film, car sôzô peut désigner autant l'imagination dans un sens conceptuel que les imaginaires peuplant les esprits des personnages centraux de ces trois récits. Ainsi, Meiko se demande ce qu'il adviendrait si son amie connaissait la véritable de sa liaison avec l'homme dont elle vient de tomber amoureuse. Nao pousse à envisager un rapport sexuel en essayant de fermer la porte du bureau du professeur Segawa. Enfin, Natsuko et Aya s'engagent dans un jeu de rôles où elles revêtissent l'identité d'une figure du passé.
En dépit des changements de modalités, de décors et de personnages, la structure de Contes du hasard et autres fantaisies établit un effet une boucle où dominent la déroute des personnages principaux – ce qui est imaginé est escamoté par les réactions des autres – et la difficulté de dépasser cette nouvelle situation inattendue. La jeune Meiko ne s'attend pas à voir surgir comme par magie l'homme convoité dont elle et son amie sont en train de parler. L'étudiante et femme au foyer Nao est désarçonnée par les commentaires frappant juste du professeur qu'elle tentait de piéger. L'alumnus Natsuko ne s'attendait pas à se tromper et accoster une totale inconnue en croyant qu'il s'agissait de son premier amour de lycée. Pourtant, même si des variations d'une déroute à une autre se font sentir, une fois passée la surprise de cette imagination bernée, chacune des trois histoires peine à trouver sa conclusion propre. La fuite de Meiko, puis le paysage qu'elle photographie dans le premier récit apparaissent comme des actions spontanées dont l'impact ne nous est jamais dévoilé. De même, l'erreur malheureuse – et bien prévisible – de Nao ne trouve qu'une suite amère et hâtive.
Ce sentiment que chaque récit atteint rapidement une impasse surprend en regard du merveilleux équilibre qui avait été atteint dans Happy Hour (2015). Chacun des récits féminins ouvrait tour-à-tour sur une réalité sociale, sur un passé particulier, sur une nouvelle manière de se mettre en scène et de se raconter. Dans Contes du hasard, la troisième histoire, du fait de son quiproquo double, tente d'échapper à cet effet d'impasse. L'étreinte figée du dernier plan fait gage d'une improvisation soudaine, comme si l'écriture, restreinte jusqu'à présent, lâchait la bride au tout dernier moment. Le geste peut s'interpréter comme une tentative de réconciliation saisissant les trois histoires à la fois, puisque l'affection n'avait jamais pu surgir auparavant. Pourtant, est-ce la forme, est-ce la déliaison volontaire des récits ou la rigueur trop marquée, fort littéraire, du style d'Hamaguchi qui freinent l'émotion sensée surgir ?
Dans sa redéfinition du hasard ou de l'imagination, le long-métrage joue souvent sur des figures de substitution, des moyens qui permettent indirectement d'entrer dans l'intimité du personnage. C'est une stratégie de longue date chez Hamaguchi, en particulier dans son usage de l'art (théâtre, littérature, danse...) comme révélateur de tourments dissimulés. Par exemple, le texte érotisé du roman est le moyen d'ouvrir la brèche (au lieu de la porte) de la solitude de Nao. Pourtant, les mondes intérieurs ne semblent presque pas exister dans la mise en scène et l'approche adoptées. Cette difficulté à exister pourrait se lier à la question paradoxale de l'imagination. Si celle-ci est mise au centre des récits, elle n'existe pas à l'écran. Elle n'est prolongée nulle part, ni dans les dénouements des petites histoires, ni dans la mise en scène, qui pose paresseusement ses personnages dans quelques lieux urbains.
Certes, la modestie de la mise en scène est un parti pris volontaire mais elle ne justifie par pour autant les poncifs auxquels on assiste -le coup de la rencontre dans l'escalier mécanique est récurrent, celui de l'envoi du mail à la même personne l'est tout autant. Tout au plus surgissent parfois de fugaces visions d'un milieu social précis, comme le bureau modernisé de Kubota, ou bien le jeu plus ludique de la porte du bureau – jeu qui suscite par ailleurs le malaise avec les enjeux actuels du harcèlement universitaire en Europe. L'intertitre au début de la troisième histoire place quant à lui dans un imaginaire futuriste qui paraît surgi de nulle part, et sans aucun rapport avec les enjeux du film.
L'existence de micros-liens entre chacun des récits aurait-elle été bénéfique à cette construction sans souffle ? En tout cas, Contes du hasard et autres fantaisies confirme avec Drive My Car un changement problématique dans le cinéma d'Hamaguchi, et ce, au moment même où il atteint paradoxalement un important succès critique et public. Ces deux derniers films s'engagent néanmoins dans une suprématie de l'écriture sur tout le reste, une écriture qui semble tout balayer sur son passage. De fait, les corps des acteurs – pourtant tous impeccables - sont distancés, ou révélés dans une froideur mécanique. Au souvenir des éclats lyriques et sensuels de Passion (2008), Touching The Skin of Eeriness (2013) ou Asako, on ne peut que regretter cette tendance récente chez Hamaguchi.
Commentaires
Hello
Ton texte me rassure. J'avoue que Drive my car ne m'avait pas autant passionnée que ses œuvres précédentes alors, j'ai attendu que ce film-là sorte en vod… franchement, je crains que le grand écran n'ait pas grand-chose à voir avec mon ennui grandissant mais bien ce verbiage incessant qui gâche tout de même une bonne partie du 3e segment dont on devine assez vite les tenants. J'ai l'impression d'une petite ritournelle qui n'évolue guère. Bref ! je n'attends pas son prochain film avec impatience.
Contrairement à Fukada qui continue de me passionner même si — ou parce que — je n'arrive pas à trouver une explication au trouble que ses films provoquent chez moi. L'affaire est d'autant plus amusante que j'ai vu son dernier diptyque au cinéma à l'envers, j'étais à l'ouest comme d'habitude. Et il marche aussi très bien dans le désordre :) peut-être mieux. Il faudra que je le revoie dans sa chronologie un de ces quatre
Chère Fred,
Merci beaucoup pour ton commentaire et heureuse de savoir que tu reprends le fil des blogs et des sorties cinéma.
J'aime aussi beaucoup Fukada et ce trouble à la fois léger et profond que tu évoques - seulement,et contrairement à toi, je n'ai guère apprécié son dernier diptyque, grande déception comme poour Hamaguchi...
Bonjour, je me réjouissais de voir ce film après Drive my car, Asako et Senses. Il n'est pas mal mais qu'est-ce qu'il est bavard. Au bout d'un moment, c'est lassant. Des trois histoires, c'est la troisième qui est ma préférée avec ces deux femmes. Bonne soirée.