Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Les Assassins de la 5ème B, un roman de Kanae Minato
LES ASSASSINS DE LA 5ÈME B (KOKUHAKU) – Kanae Minato
traduit du japonais par Jacques Lalloz
éditions Philippe Picquier, 2015
La désormais célèbre (et bouleversante) série de Kiyoshi Kurosawa s'inspirait d'un roman de Kanae Minato. Si Shokuzai n'est toujours pas disponible en français dans nos librairies, Les Assassins de la 5ème B l'est et témoigne d'un style sous-jacent à l'oeuvre de Kurosawa. La cruauté surgit de situations anodines et le drame qui éclate entraîne de lourds traumatismes chez les uns et les autres. En variant les points de vue autour d'un décès accidentel d'une petite fille dans une école, Kanae Minato construit une cinglante spirale de haine et de vengeance.
L'exercice est particulièrement troublant puisqu'il prend forme dans le milieu scolaire. La fragilité de la structure, autant que la cruauté de certains enfants, est progressivement révélée tandis que l'enquête piétine. La petite fille de Mme Moriguchi, l'institutrice principale de la 5ème B, est retrouvée noyée dans la piscine du collège. Le premier chapitre ouvre violemment la valse : au cours d'un long monologue à ses élèves, la mère revient sur sa vie, la naissance de sa fille et les circonstances de « l'accident », puis accuse deux de ses élèves d'être à l'origine de ce décès. A partir de cette accusation puissamment appuyée, le personnage de l'institutrice disparaît du récit et se succèdent les réactions de différents élèves de la classe.
Shokuzai (2011) de Kiyoshi Kurosawa
Le principe rappelle évidemment Shokuzai, les ellipses temporelles en moins : deux mères de famille s'instituent elles-même, loin de structures judiciaires ne semblant pas faire leur travail, un procès à l'égard d'enfants. Les conséquences de leur accusation vont constituer les problématiques morales de l'histoire et montrer des réalités psychologiques plus complexes, au-delà de l'acte tragique. Shokuzai mettait à nu le thème du traumatisme, tout en peignant en même temps un subtil portrait des jeunesses féminines japonaises. Dans Les Assassins de la 5ème B, c'est le thème des brimades à l'école qui intéressent Kanae Minato. Ce qu'elle démontre est par ailleurs assez rare dans la littérature française – alors qu'il s'agit d'un thème éminemment présent dans les œuvres américaines ou japonaises. Dans le manga, on trouve aussi de nombreux récits, certains jouant même du comique pour approcher ce douloureux état des faits, mettant à nu les actions de moqueries et d'agressions parmi un groupe d'enfants – par exemple dans A Silent Voice de Yoshitoki Oima.
A Silent Voice (2013) de Yoshitoki Oima
Dans le roman, la méchanceté capable de surgir chez des enfants est puissamment approchée au fil des chapitres. Kanae Minato cerne les effets négatifs du groupe, où surgit, suite à la déclaration de Mme Moriguchi, de la paranoïa et de la méfiance, des accusations, et les tentatives de punitions. L'une des caractéristiques du travail de Minato est cette recherche, par un individu ou un groupe, d'une prétendue « justice » loin des institutions. Comme si celles-ci, bien qu'existantes, ne pouvaient pas répondre au besoin des personnages. En cela, le roman, s'il démontre la dangerosité d'une telle pensée, qui mène à de l'agressivité, met aussi en lumière le désarroi total de ceux qui tentent d'exercer cette justice, faute de confiance dans les réelles institutions.
Se démontre aussi le décalage entre la perception adulte et celle des enfants. Le nouvel instituteur de la 5ème B ne voit qu'une classe peu agitée, loin de se douter des tourments qui agitent chacun des élèves. Pire, ses mauvaises interprétations ne font que fragiliser les situations et renforcer les violences. A plusieurs moments, ce gouffre entre deux perceptions et, plus loin, entre deux générations. De même, cet instituteur, comme d'autres protagonistes adultes du roman, sont considérés aussi « inutiles » que les structures judiciaires en terme de résolution du problème.
La seconde partie du roman se concentre sur le destin tragique d'un des deux enfants impliqués dans le décès de la petite fille. Par le biais du point de vue de la mère de cet élève, Kanae Minato rééquilibre les témoignages autour de l'événement. Une autre mère, inquiète, répond à celle, accusatrice, du début, mais entre les deux, la même douleur humaine s'éveille. Si le style du livre est sec, et sa logique de vengeance profondément implacable, du début à la fin, Les Assassins de la 5ème B accorde aussi une place aux humains qui subissent cette violence, tentent par tous les moments de la comprendre pour la faire disparaître.
Commentaires
Quelle belle critique! C'est effectivement un roman puissant avec un dénouement scotchant et beaucoup d'émotions.