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Wet Moon, un manga de Atsushi Kaneko

WET MOON – Atsushi Kaneko

Editions Casterman, 2011

 

Le style d'Atsushi Kaneko est d'une virtuosité surprenante, voire à des années-lumière de celui d'autres mangakas seinen (destinés aux adultes). Si je dois user d'un stéréotype pour qualifier la lecture, ce serait l'idée que le manga se dévore à toute vitesse. Car le style de Kaneko emporte en même temps qu'il sidère à chaque page. Chaque composition, vertigineuse, riche de détails, appelle néanmoins à tourner la page grâce à son sens du suspense.

Usuellement, les mangas alternent entre des pages au découpage classique et des compositions plus détaillées sur une pleine page ou une double-page. Celles-ci constituent les moments virtuoses du dessinateur, souvent en phase avec une révélation dans le récit. En bref, pour en passer par une comparaison avec le cinéma, des moments de temps forts qui jaillissent d'une trame dont le style volontairement plus faible permet de sublimer, puis d'amortir, ces compositions.

A ce jour, je n'ai que très rarement découvert des auteurs capables de se renouveler à chaque page et de systématiquement remettre en question leur style de tracé, de découpage ou d'encrage. Moto Hagio est en ce sens une exception, beaucoup plus expérimentale que Tezuka – dont elle est l'équivalent féminin en terme de multiplicité et de diversité – et capable, d'oeuvre en œuvre ou au sein de l'oeuvre même, de résister au style unique et à l'harmonie d'un ensemble.

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Atsushi Kaneko est, comme Hagio, du côté de ces auteurs rares et précieux : l'originalité de son style tient précisément à ses expérimentations constantes, autant au niveau narratif que visuel. Au fil des pages de Wet Moon, l'oeil ne se repose jamais, notamment parce que l'auteur souhaite transcrire la vision déformée de son héros, un jeune inspecteur naïf emporté dans une histoire paranormal. Rajoutons à cela que le jeune homme vient de subir une opération au cerveau, dont il garde des migraines fréquentes et une large cicatrice sur le front. L'enquête dans laquelle l'inspecteur se lance est dès lors marquée par la maladie, le vertige, la paranoïa et la folie. Nulle doute que le caractère troublée de son héros permet à Kaneko de s'en donner à cœur joie : sous ce regard névrosé, la déformation du monde post-Seconde-Guerre entremêle la science-fiction aux intrigues géopolitiques de l'époque, et embarque dans un voyage bardé d'hallucinations et de signes.

 

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Les influences de Kaneko sont nombreuses mais le cinéma prédomine ces pages. Influence notable, sachant que le mangaka songea à une carrière de cinéaste – il réalisa en outre un segment pour le film Rampo Jigoku (2005), en hommage à Edogawa Rampo. Wet Moon puise abondamment dans le film noir et psychologique, où la névrose se mêle aux traques, courses-poursuites et interrogatoires. Les ombres de Méliès, Hitchcock, Kubrick, Lynch, Francis Ford Coppola ou encore Brian de Palma planent et inspirent les changements de rythme, la persistance de certains motifs obsessionnels ou encore la volupté de certains visages. Le medium qu'est le manga permet d'avoir une plus grande souplesse dans les changements de référence car ceux-ci ont à voir avec le rythme dans le traitement que leur accorde Kaneko. Certaines originalités avec la couleur sont à noter, comme l'arrivée de détails rouges parmi un ensemble très encré, une pratique qui rappelle Francis Ford Coppola ; comme, de même, le sens de la métamorphose de certains détails. A un autre niveau, aussi, Atsushi Kaneko est véritablement cousin de la fantaisie vorace d'un Satoshi Kon, puisque l'amour du cinéma et le plaisir à décliner les figures cultes se ressentent...

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Le lourd réseau de signes dans lequel Kaneko nous entraîne, par le retour en force de formes à la graphie marquantes – cicatrice, cratères de Lune, imper rouge... – rappelle également le travail de Naoki Urasawa (Monster, 20th Century Boys, Pluto, Billy Bat...). La recherche d'un rythme cinématographique dans le découpage des plans, le plaisir à disséminer des signes dont la compréhension du sens est volontiers retardée par des péripéties et hallucinations en tous genres, leur sont communs. Mais le style de Kaneko déploie des qualités plus audacieuses, puisque confondant avec une aisance rare l'intrigue de son récit avec le fantastique ou le surréalisme. Il emporte dans des vagues de formes qui s'enveloppent et aboutissent parfois à de sublimes renversements des repères. Wet Moon, en particulier grâce à son personnage tempéré de sautes d'humeur et d'accès de folie, entraîne sur des pages où l'obsession mentale se noue avec le cosmique.

 

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