Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Exposition Nobuyoshi Araki au Musée Guimet
EXPOSITION NOBUYOSHI ARAKI
Du 13 avril au 5 septembre 2016
au Musée des Arts Asiatiques Guimet
L'exposition de Nobuyoshi Araki au Musée Guimet permet de redéfinir l'image d'un photographe à la réputation trop rapidement limitée à sa spécialité du bondage. Araki est en effet souvent associé à la photographie érotique, et pour avoir mis en valeur des modèles féminins dénudés à l'aide de cordes nouées. Cette exposition du Musée proposait un parcours thématique montrant les autres obsessions d'un artiste fascinant.
Le bondage a, évidemment, une place prépondérante dans l'oeuvre d'Araki. Les photographies renvoient à la pratique sadomasochiste du kinbaki, où la corde est là pour faire saillir la chair des membres et maintenir des postures sexuelles. Mais ces nombreuses photographies que l'on découvre dans la galerie Guimet amènent un trouble autre que celui de l'érotisme : contrastant franchement avec les poses et les chairs mises en valeur, les visages des modèles d'Araki sont dénués de tout désir ou exaltation physique. La sobriété des regards et l'absence d'expression tranchent avec l'ensemble de la composition. Sont au final plus chargées de sensualité les fameux cœurs d'orchidée qu'il approche de très près, dans une comparaison évidente avec le sexe féminin. Les photographies de ces fleurs reflètent un érotisme frémissant, par la netteté de pétales voluptueuses et de couleurs éclatantes. De même, ses portraits de nus traversés de jets de peinture reflètent un autre érotisme, plus sulfureux.
Pour autant, l'érotisme d'Araki dégage autre chose que le désir. L'idée de la mort est intrinsèquement liée à tout son travail. Au milieu de la galerie consacrée aux photographies bondage trône par exemple une sélection d'archives sélectionnées par Araki dans les fonds du musée Guimet. Ces archives montrent des pratiques de bondage pratiquées au début du XXème siècle, similaires à celles restituées par l'artiste, à la différence près qu'elles étaient utilisées pour des châtiments. Ces prisonniers ou condamnés aux membres noués établissent un troublant parallèle, tant leur inspiration, bien qu'inattendu, tombe sous le sens. Ces anciens documents expliquent en outre un peu plus le choix de la dés-érotisation des visages.
La première galerie met autrement en valeur cette dualité entre la mort et le désir à travers une série de photographies consacrées aux voyages amoureux de l'artiste. Il faut saluer l'ingéniosité de la construction du parcours opéré par le Musée Guimet, qui nous fait suivre, par les photographies, alignées avec délicatesse les unes après les autres, le bonheur, puis la douleur, du couple formé par Nobuyoshi et Yôko. Cette dernière, atteinte d'une maladie, succombe au début des années 1990. Deux voyages – « Voyage sentimental », consacré au mariage et au voyage de noces ; et « Voyage d'hiver », qui accompagne la femme de l'hôpital à l'enterrement – articulent ce rapprochement entre les thématiques. D'une part, c'est l'attention pleine de désir du photographe qui se concentre sur les regards perdus de sa compagnes, sa nudité ou les draps d'une nuit partagée ; de l'autre, c'est l'angoisse qui embrasse les instruments médicaux, les fleurs de funérailles ou le vide laissé dans un appartement. Le passage d'un voyage à l'autre se révèle poignant et, sur le second, l'émotion qui charge ces espaces vides bouleverse.
Enfin, l'exposition met aussi en avant de nombreuses autres actes photographiques. Les nombreux polaroïds, qu'ils cernent le Japon ou l'étranger, démontrent l'obsession photographique d'Araki, inséparable de son appareil et porté par un compulsif geste de tout immortaliser sur pellicule. En témoigna également un amusant reportage où le photographe, en déplacement en Italie, ne cesse de prendre des clichés de ceux qui l'accueillent ou encore d'aller voir les natifs dans la rue pour leur demander de poser. Parmi la dense collection exposée sur les murs peuvent en outre se reconnaître de nombreuses personnalités célèbres – Lady Gaga par exemple, mais aussi un Takeshi Kitano marchant aux côtés d'Araki dans la rue. Vers la fin du circuit, des pratiques plus plastiques révèlent la créativité de l'artiste, qui travailla aussi sur des portraits doubles, des effets de peinture et de calligraphie sur ses œuvres.
En plus d'accorder une véritable place à un type de photographie rarement exposé, l'exposition Nobuyoshi Araki mettait en valeur un artiste autre que le spécialiste du kinbaki – un prolifique photographe, un grand voyageur appréciant se balader dans les rues, un fêtard allant à al rencontre de beaucoup de monde, et enfin un homme amoureux.
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