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La Maison dans l'arbre

LA MAISON DANS L'ARBRE

Un roman de Mitsuyo Kakuta

Editions Actes Sud, 2013

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Ce roman de Mitsuyo Kakuta s'empare d'un large destin familial, des premiers pas d'une femme exilée en Mandchourie jusqu'au balbutiements de son dernier petit-fils dans le Japon d'aujourd'hui. Petit à petit, l'écriture et la structure éclatée de l'auteure nous entraîne dans le tourbillon temporel qui s'agence et qui grandit en couples, enfants, petit-enfants...

À chaque nouveau personnage introduit, de part et d'autre des deux époques, se pose bien souvent la question de son évolution. Comment en est-il arrivé là ? Qu'a-t-il pu se passer pour qu'un tel personnage évolue ? Les transitions et les dichotomies entre les comportements soulèvent un véritable suspense psychologique et humain, progressivement prenant. L'ouverture, trompeuse, laisse croire à l'importance de Yoshitsugu, le dernier de la famille, qui décide après le décès de son grand-père, responsable du grand restaurant familial, d'emmener sa grand-mère en Mandchourie. Mais, l'entrée de cette dernière sur le pays où elle a rencontré son mari fait recommencer l'histoire familiale. Progressivement, tous les personnages précédemment vus à travers le regard de Yoshitsugu, notamment son frivole oncle Taijiro qui les accompagne pour le voyage, retrouvent leur place et se révèlent. La grand-mère devient le pivot de cette transition temporelle, entraînant dans le passé de deux immigrés japonais et ouvrant sur un rapport singulier à l'Histoire.

Avec finesse, le roman de Mitsuyo Kakuta embrasse toute la seconde moitié du siècle jusqu'au nouveau millénaire, et propose dans un mouvement romanesque ambitieux un regard sur les grandes évolutions de son pays. Le projet d'unification des peuples d'Asie, la Seconde Guerre Mondiale et la défaite, la reconstruction du Japon, l'arrivée de la télévision, les rébellions des années 1970 sont autant d'événements qui jalonnent le roman. L'écriture de Mitsuyo Kakuta et son aisance condense brillamment ces évolutions, les faisant filtrer au travers des personnages. Mais au-delà de la peinture historique et sociale, c'est la progression humaine qui touche dans ce récit. En parallèle des mouvements du pays, la famille se construit, affirme ses valeurs propres tut en s'effritant dans son évolution. Là réside la paradoxe de ce destin déchirant : plus la famille s'étend, plus elle assure sa pérennité, plus ses membres sont voués à disparaître, à s'effacer, à s'individualiser. « N'avons-nous pas honte d'avoir fui ? » s'interroge constamment la grand-mère, divulguant inconsciemment ce comportement de fuite dans l'héritage familial, où chacun s'éloigne, revient sur ses pas, tente de vivre par lui-même, puis redevient dépendant... Autant de trajets et de retours qui, bien qu'intensifiés, nous rappellent à notre propre famille.

Avec douceur, dans un surprenant et lent assouplissement du rythme, le roman de Mitsuyo Kakuta soulève le bouleversement. Les pièces se mettent en place, les enfants naissent et grandissent, le travail évolue, les souvenirs se connectent à la réalité présente. Dans cette fabuleuse saga s'agite sur ses dernières pages la vérité sur les réactions des uns et des autres, et se révèlent les failles de chacun. Se met ainsi en place la genèse de ce titre poétique, cette « maison dans l'arbre » qui est un improbable refuge loin de la lourde quotidienneté des sentiments familiaux, loin de l'inévitable glissement du destin. Se comprend ainsi, dans l'attachement de la grand-mère et de l'oncle au jeune Yoshitsugu - qu'ils surnomment tous deux « mon petit Yoshi » - leur reconnaissance fugace et spectrale d'un des enfants disparus dans cette histoire. Se dessine, dans les dernières pages du retour au pays, le sentiment d'avoir plongé au cœur des dissensions et des passions familiales, et d'en ressortir la tête pleine d'idées émues et tendres.

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