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Le Démon de l'île solitaire

LE DEMON DE L'ÎLE SOLITAIRE (KOTÔ NO ONI) – Edogawa Ranpo

 

éditions Wombat

traduction par Miyako Slocombe

parution de 2015 / parution originelle en 1930

 

Le Démon de l'île solitaire déploie toute la quintessence du style d'Edogawa Ranpo, équivalent japonais d'Edgar Allan Poe ou de Théophile Gautier. Le fantastique et l'horreur accompagnent un récit raconté avec une paradoxale élégance, où apparaît un rapport troublant au corps déformé et à la monstruosité.

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La couverture de ce roman de Ranpô est signée par Suehiro Maruo. Le détail n'est par anodin, car les mangas dérangeants de cet auteur s'aligneront précisément sur le style du romancier, chef de file de l'horreur et du fantastique au Japon. Maruo fait appel à de nombreux de ses thèmes fétiches, voire à la datation de ses œuvres, puisque ses personnages sont souvent costumés comme dans un monde d'avant-guerre.

 

Parce qu'il est d'abord un feuilleton pour la revue Asahi dans les années 1930, Le Démon de l'île solitaire peut paradoxalement soulever un certain amusement chez le lecteur. Le style est habile puisqu'il annonce à chaque fin de chapitre de funestes événements à venir, une manière de tenir les lecteurs de l'époque en haleine. Le narrateur est divisé entre son devoir très sérieux de témoigner avec distance et objectivité ; et les relents de souvenirs qui l'ont terrifié. Le gouffre entre cette angoisse personnelle et l'étiquette d'écrivain amuse ainsi, en même temps qu'il capture d'emblée son lecteur. Car toute l'oeuvre sera traversée de cette ambiguïté. De même, le style s'efforcera d'atteindre un certain raffinement dans la description du sentiment d'horreur.

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Le décalage s'accentue avec la tournure des événements. Chez Ranpo, le personnage ne s'efforce pas seulement de livrer son récit dans un langage soutenu pour organiser les événements, il le fait aussi pour mettre de la distance vis-à-vis de visions et de sentiments qui le révulsent. La grande contenance du style approche tout en douceur des thématiques taboues, comme la malformation corporelle, l'infirmité, l'expérimentation médicale et surtout l'homosexualité.

Concernant tout le chapitre consacré à la monstruosité corporelle, le roman déploie une véritable audace dans sa combinaison de l'infernal avec le romantique. Les jumelles siamoises, par exemple, gagnent leur humanité par le partage de leurs désirs intimes en constante contradiction. Rapport tragique d'une opposition personnelle au cœur d'un corps unifié qui rappelle une très belle nouvelle de Moto Hagio sur le sujet, « Hanshin », trouvable dans son anthologie parue chez Glénat. L'oeuvre de Ranpo a en cela clairement inspiré des imaginaires monstrueux complexes, bardés de visions infernales, et flirtant, de manière aussi indécente que sensible, avec des sentiments romantiques.

En revanche, sur le thème de l'homosexualité, qui passe par le biais de la complexe relation entreprise avec un collègue étrange, les réactions du narrateur révèlent très clairement la lourdeur du tabou au Japon. A ce niveau, l'opinion portée sur le sujet est quasi-péjorative, condamnant lourdement le désir du même sexe comme un acte dangereux et malsain. Alors que les personnages à malformation corporelle révèlent autant de cruauté que d'humanité, l'homosexuel est de bout en bout frappé par la démence. Un choix qui éclaire, au-delà du roman, sur la difficile acceptation du sujet au Japon.

 

 

L'oeuvre d'Edogawa Ranpo sera mise à l'honneur au cours du mois d'octobre à l'Université Paris Diderot et à la Maison de la Culture du Japon

https://www.fabula.org/actualites/colloque-edogawa-ranpo-ou-les-labyrinthes-de-la-modernite-japonaise_75527.php

 

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