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Animation

  • Saules aveugles, femme endormie

    SAULES AVEUGLES, FEMME ENDORMIE (2022) – Pierre Földes

    Adaptation de plusieurs nouvelles de Haruki Murakami, ce projet, stimulant sur le papier et intrigant dans ses premiers teasers, déçoit pour plusieurs raisons.

    Tout d'abord, il faut passer outre du contraste entre une stylisation très proche de la réalité japonaise et le doublage français d'origine. Si ce choix est en phase avec le parti pris assumé de se réapproprier une oeuvre japonaise, et qu'il découle de la co-production européenne, il empêche cependant de pénétrer l'univers du film, qui tend paradoxalement vers un certain réalisme. Soutenus par de longs dialogues, les multiples récits de ce film se tiennent au sein de décors certes vaporeux et étranges, mais qui rappellent tout de même la vie tokyoïte ou provinciale japonaise. Ce traitement du décor est par ailleurs l'un des aspects louables du long-métrage, chaque lieu apparaissant comme une entité onirique toute particulière et parfois sublime (touches de rose translucides, fins sillons pour les routes de campagne ou aplats opaques et ténébreux de la forêt), tout en demeurant identifiable pour donner un cadre social aux protagonistes (l'atmosphère uniforme des bureaux ou les éclairages aux néons rouges des bars japonais). Par ce dualisme, le film représente à la fois la terre du Japon et le rêve du Japon, et ces décors proposent une alternative réussie au mélange de peinture sociale et de fantastique propre à Murakami. Mais l'association entre ces environnements minutieusement créés les nombreux dialogues débités en français ne convainc guère, conférant plutôt une sensation d'artificialité, de fausseté embarrassante.

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    C'est là tout le souci d'une adaptation à la française de Murakami, qui tente à la fois d'associer la fidélité, la réalité et l'exotisme. Dès lors, le film peine à trouver son équilibre. La dualité instillée dans les décors ne mute en effet jamais vers une expression animée tout à fait convaincante, ni même satisfaisante. Même si les environnements sont restitués avec précision, ils apparaissaient comme des blocs uniformes dont l'apparence n'est presque jamais troublée. Mais surtout, les images les plus oniriques, bien souvent des visions captées par le personnage principal, Komura, déçoivent par leur facilité. Ce sont des lieux communs éternellement ressassés, des mythes qui sont tout juste réactualisés mais jamais questionnés dans leur nature et leur place au sein du film d'animation. Une femme nue dans les bois, un délire cauchemardesque à l'hôpital, une boîte mystérieuse... Même si ces motifs peuplent aussi les textes de Murakami, leur traitement n'en est pas pour autant plus original en animation. Au contraire, c'est une forme de mimétisme appuyé, un travail de représentation plus univoque que nouveau qui domine à l'écran, comme si la complexité de l'écriture de Murakami devait nécessairement être traduite par une forme ou une image, lesquels tendent trop à rendre visible l'invisible, ou à dévoiler le suggéré. C'est ce qui se joue lors du segment sur l'apparition de la grenouille et l'attaque de Tokyo par un ver géant. Ce récit, le plus drôle et le plus attachant de l'ensemble, perd peu à peu en puissance, puisqu'il se contente d'illustrer cette situation pourtant ambiguë. La grenouille surgit aussi naturellement qu'un autre protagoniste humain, et rien dans la mise en scène n'aide à interroger plus longuement la raison de cette quête héroïque pour Katagiri, si ce n'est les humiliations quotidiennes.

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    De fait, cette réécriture des nouvelles et leur incarnation repoussent le mystère au lieu de le prolonger, et limitent en outre les interprétations possibles. Le thème des relations hommes-femmes, un sujet souvent débattu chez Murakami (1), est celui qui échoue le plus dans cette reprise animée de l'oeuvre. Les aventures de Komura avec les jeunes femmes à la boîte (et même une jeune fille...) ennuient vite, tout juste soutenues par des visions faciles. Le thème du lien aux femmes n'est ainsi pas une seule fois envisagé sous un angle plus contemporain, et suit au contraire une logique de visions fantasmatiques peu inspirantes, sans aucune poésie.

     

    1. J'aimerais renvoyer ici aux passionnantes discussions sur les portraits de femmes entre Haruki Murakami et sa collègue autrice Mieko Kawakami. Cette dernière fait une lecture fine des problématiques que soulèvent certains choix de l'auteur, tout en ouvrant les échanges sur la question de la création des personnages. Mieko Kawakami, Haruki Murakami, « A Feminist Critique of Murakami Novels, With Murakami Himself », Literary Hub, 2020, trad. de Sam Bett, David Boyd, URL : https://lithub.com/a-feminist-critique-of-murakami-novels-with-murakami-himself/.

  • La Chance sourit à Mme Nikuko

    Le problème du contraste

    LA CHANCE SOURIT À MADAME NIKUKO (Gyôko no Nikuko-chan 漁港の肉子ちゃん, 2021) – Ayumu Watanabe

    Il y a deux mouvements contraires dans La Chance sourit à Mme Nikuko, nouveau long-métrage de Ayumu Watanabe après Les Enfants de la mer (2019). La dualité qui traverse tout le film, depuis ses personnages en contraste, Mme Nikuko et sa fille Kikurin, jusqu'aux partis pris esthétiques parfois radicaux, se révèle problématique car fait passer les plus indécents messages au prétexte du langage de l'animation.

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  • Bilan de l'année 2020

    LES ŒUVRES ASIATIQUES DE 2020

    Longs métrages, courts métrages et séries

    Pour cette année qui nous a chamboulés, qui a vu les salles se fermer et les écrans d'intérieur s'illuminer, pas de traditionnel top. Ni l'envie ni l'intérêt ne furent présents pour s'engager à comparer, classer, hiérarchiser. Les années précédentes, j'élaborais toujours mon top avec un grand plaisir, aimant replonger dans mes souvenirs des salles obscures et me remémorer les expériences cinématographiques. Cette fois-ci, l'ombre et les lumières n'ont pas dansé, les voisins de rangées ont été absents, et les réels souvenirs de cinéma n'existent que faiblement dans ma mémoire. Je ne voyais pas d'intérêt à raviver ces bribes qui me rendent amère plus qu'enthousiaste.

    Pourtant, je tenais à partager la découverte de certaines œuvres, la plupart vues en intérieur, dans un usuel bilan annuel. A la place du top figure donc un abécédaire de séries, films et courts-métrages asiatiques qui ont émerveillé le regard, fait crépiter le cerveau ou apporté un fin plaisir entre les instants difficiles.

    Une liste donc, dans l'ordre alphabétique et laissée au bon jugement de mes quelques lecteurs.

    Belle et heureuse année 2021 à toutes et à tous. Qu'elle nous permette de revenir en douceur vers nos habitudes cinéphiles et nous apporte émotion et réflexion.

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  • Top Cinéma 2018

    TOP TEN 2018
     
    Si cette année fut riche en événements pour ma part, et si le temps ne me fut guère laissée pour remplir les colonnes de ce blog, la fibre cinéphile a tout de même résisté aux changements. Si j'ai certes vus moins de films qu'à l'habituelle, j'ai à mon actif une bonne centaine d'oeuvres visionnées en salles, ce qui permet de proposer le traditionnel top de l'année.
    Constatons que cette année fut très belle sur le continent américain comme asiatique. D'une part, l'on eut le plaisir de découvrir de beaux films indépendants très sensibles, souvent signés par de jeunes réalisatrices, comme de faire face au renouvellement de cinéastes confirmés (Andersen, McDonagh, Spielberg...). De l'autre côté du blog, le Japon ne fut pas en reste avec sa Palme d'or, mais aussi la venue d'anciennes comme de nouvelles têtes*. L'animation japonaise fut cependant en deçà des réussites, avec plusieurs films inégaux et décevants - la sortie du virevoltant Penguin Highway y remédiera peut-être l'an prochain. Côté Chine, il faut souligner l'original Une Pluie sans fin et les dernières oeuvres de Wang Bing. La Corée fut dominée par l'une des plus grandes injustices cannoises de ces dernières années, le sidérant Burning, nouveau chef d'oeuvre de Lee Chang-dong.
    (*le film Senses ne fut pas intégré dans le compte-rendu de cette année puisqu'il a déjà été intégré dans le top 2017. Il n'en reste pas moins l'un des films japonais les plus impressionnants de l'année)
     
     
    Merci aux quelques visiteurs de ce blog ainsi qu'aux internautes qui me suivent et me commentent sur les réseaux sociaux.
    Bonne année 2019 à tous !
     
     

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  • Mary et la fleur de la sorcière

    Un dernier p’tit tour de magie et puis…

     

    MARY ET LA FLEUR DE LA SORCIÈRE (メアリと魔女の花 MEARI TO MAJO NO HANA, 2018) - Hiromasa Yonebayashi

    Lors de la sortie du film au Japon, Hiromasa Yonebayashi avait déclaré que son dernier opus reflétait la situation du studio Ghibli. La cessation des activités de ce dernier entraînait la disparition d’un certain univers, merveilleux, magique, absence avec laquelle il fallait maintenant composer. De fait, la vision de Yonebayashi sur cette situation prenait corps à travers une jeune fillette se rêvant sorcière, et traversée par cette question emblématique : “que fait-on quand la magie n’est plus là ?“ Pourtant le cinéaste évite plus le problème qu’il ne l’élude durant son troisième long-métrage. Le “que fait-on” reste toujours aussi palpable sur ce film qui se veut, plutôt qu’une réelle proposition, d’abord un héritage et un hommage au studio.

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  • Crayon Shin-chan : Attack of the Adult Empire

    Nostalgie, quand tu nous tiens...

     

    CRAYON SHIN CHAN : ATTACK OF THE ADULT EMPIRE (クレヨンしんちゃん 嵐を呼ぶモーレツ!オトナ帝国の逆襲, KUREYONSHIN-CHAN: ARASHI WO YOBU - MÔRETSU! OTONA TEIKOKU NO GYAKUSHÛ, 2001) - Keiichi Hara

     

    La séance fut présentée par un Keiichi Hara déconcerté face à la moyenne d’âge des spectateurs. Crayon Shin-chan étant une série populaire auprès des enfants au Japon, le cinéaste s’attendait à voir des bambins surexcités. Mais ce sont des adultes attentifs et curieux qui vinrent à cette séance inédite du Forum des Images. Cependant, le changement d’âge n’a pas rendu pour autant la projection plus morne, car chacun retrouva son âme d’enfant face à l’humour et la spontanéité des aventures du garnement Shinnosuke, dit Shin-chan.

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  • The Night is Short, Walk On Girl

    Le jeu de l'alcool, de l'amour et du hasard

     

    THE NIGHT IS SHORT WALK ON GIRL (夜は短し歩けよ乙女, YORU WA MIJIKASHI ARUKE YO OTOME) - Masaaki Yuasa

     

    Un film découvert lors de la soirée d'ouverture du 15ème Carrefour de l'animation au Forum des Images.

    Après une tentative à la fois inspirée et inégale dans le film tout public, Masaaki Yuasa revient avec ce long-métrage sur les terres déjà conquises et sur lesquelles il joue ses matchs préférés. Sur son principe marcheur et alcoolique, mais aussi épisodique comme me le fit remarquer finement ma voisine de salle, Yuasa renoue avec ses thèmes de prédilection, son style fantaisiste et joyeusement subversif, mais également l'univers de Tomohiko Morimi, auteur de The Tatamy Galaxy et Uchôten Kazoku. Sur grand écran, l'alchimie n'en est que plus forte et pétillante.

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  • Fireworks

    Feux d’artifice mais pétards mouillés

     

    FIREWORKS (打ち上げ花火、下から見るか? 横から見るか? UCHIAGE HANABI, SHITA KARA MIRU KA? YOKO KARA MIRU KA?) - Akiyuki Shinbo, Nobuyuki Takeuchi

    Parfois on ne pardonne pas le mauvais goût de beaucoup. Ma sidération fut grande face au dernier choix de distribution d’Eurozoom - qui jusque là s’était rarement trompé - et elle fut béante face au bon accueil de ce film d’animation par une partie de la critique française. Est-ce à dire que l’étiquette japanimation permet maintenant d’accepter tout et n’importe quoi, en particulier depuis que les studios Ghibli ont brisé la glace d’une mauvaise réputation longtemps prédominante ?

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  • Entretien avec Keiichi Hara

    « J'aime beaucoup ceux qui choisissent d'être solitaires »

     

    ENTRETIEN AVEC KEIICHI HARA

     

    L'année 2017 était aussi celle des 100 ans de l'animation japonaise, déjà célébrés en France par des invités prestigieux à la Japan Expo et de nombreuses sorties en salles, souvent assurées par le distributeur Eurozoom. Le Forum des Images clôtura avec brio la commémoration et laissa la place belle aux créations du continent nippon. Mais surtout l'institution convia le cinéaste Keiichi Hara en tant qu'invité d'honneur.

    Après une longue carrière dans la série télévisée, où, il fut notamment assistant sur Doraemon et réalisateur de Crayon Shin-chan, Keiichi Hara réalisa trois longs-métrages très personnels remarqués dans les festivals d'animation. Tout d'abord, Un Eté avec Coo (2007), d'après Masao Kogure et Yuichi Watanabe, conte l'amitié entre un jeune garçon réservé et un kappa sans famille. Trois ans plus tard, Colorful, adaptation du roman éponyme d'Eto Morio, suit le retour à la vie de Makoto, dont l'âme s'est réincarnée chez un adolescent suicidaire. Enfin, Miss Hokusai (2015), s'inspire du manga d'Hinako Sugiura et porte le point de vue d'O-Ei, fille d'Hokusai et artiste sous la période Edo. Entre les deux derniers films, il est important de préciser que le réalisateur eut un passage du côté du film live : Hajimari no michi, un biopic sur Keisuke Kinoshita en 2013.

     

    J'eus la chance de m'entretenir, durant un peu plus d'une heure, avec ce réalisateur très réfléchi et ouvert. A quatre autour d'une table au 7ème bar – M. Keiichi Hara, sa femme qui l'avait accompagné, la traductrice Shoko Takahashi et moi-même – nous commençâmes une discussion sur son style, ses inspirations, sa vision du Japon.

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  • Critique de Dans un recoin de ce monde

    Peindre l'ordinaire

     

    DANS UN RECOIN DE CE MONDE (KONO SEKAI NO KATASUMI NI この世界の片隅に) – Sunao Katabuchi

     

    Le dernier-né de Sunao Katabuchi marque par la densité de sa construction. La récitation en voix-off est soutenue, le récit riche en protagonistes et anecdotes. Fort logique, puisque Dans un recoin de ce monde est porté par l'ambition de raconter la moitié d'existence d'une jeune Japonaise sous la Seconde Guerre Mondiale, entre rencontres, petits comme grands événements. Mais cette intention honorable est parfois desservie par un travail d'écriture et d'animation inégal et désarticulé.

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