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The Night is Short, Walk On Girl

Le jeu de l'alcool, de l'amour et du hasard

 

THE NIGHT IS SHORT WALK ON GIRL (夜は短し歩けよ乙女, YORU WA MIJIKASHI ARUKE YO OTOME) - Masaaki Yuasa

 

Un film découvert lors de la soirée d'ouverture du 15ème Carrefour de l'animation au Forum des Images.

Après une tentative à la fois inspirée et inégale dans le film tout public, Masaaki Yuasa revient avec ce long-métrage sur les terres déjà conquises et sur lesquelles il joue ses matchs préférés. Sur son principe marcheur et alcoolique, mais aussi épisodique comme me le fit remarquer finement ma voisine de salle, Yuasa renoue avec ses thèmes de prédilection, son style fantaisiste et joyeusement subversif, mais également l'univers de Tomohiko Morimi, auteur de The Tatamy Galaxy et Uchôten Kazoku. Sur grand écran, l'alchimie n'en est que plus forte et pétillante.

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Déjà, pour les aficionados de Yuasa, le plaisir est doublé du fait de la dimension extrêmement méta du film. Celle-ci n'empêche pas l’adhésion à l’oeuvre, divertissante et joyeuse, pour ceux qui ne connaissent pas le cinéaste. Comme toujours chez Yuasa, tout va très très vite, mais cette vélocité n’égare pas car elle maintenue par un humour de tous les instants, des gags burlesques, des rebondissements visuels bien pensés, et une ironie plaisante… Concernant l’aspect méta, il s’entretient particulièrement avec The Tatami Galaxy, adapté en 2010 par Yuasa. De nombreux protagonistes de la série refont leur apparition, parfois en endossant les habits de nouveaux rôles mais gardant le même visage. En réalité, Yuasa reprend à l’exact le graphisme de Yusuke Nakamura (le garçon et la fille de la série sont les mêmes, le machiavélique Ozu prend les traits d’un enfant), mais au niveau des rôles, la dynamique se révèle transformée. Là où les personnages agissaient en tant qu’antagonistes dans The Tatami Galaxy, ils sont ici plus témoins ou complices de la romance en cours.

(à noter que les trois adolescents de Lou et l’île aux sirènes apparaissent également, en tant que figurants, dans la scène centrale du théâtre. Un autre détail méta remarqué par Prof Godzilla)

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The Night Is Short, Walk On Girl

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The Tatami Galaxy

De fait, le dernier film de Yuasa se résume d’abord à une yoru, une nuit de passage où les amitiés comme les unions se scellent, où d'autres se brisent, et l’alcool coule à flot et les langues se délient. En bref une logique de chassé-croisé que le dynamisme propre à Yuasa se fait plaisir à retranscrire. Le premier temps suit d’abord une déambulation absurde dans les rues, de bars et bars, de fêtes en fêtes, où la sobriété persistante de la jeune fille - en dépit des litres qu’elle ingurgite - fait naître paradoxalement l’ivresse de tous ses voisins. Le second temps, passé l’excitation du début de la nuit, laisse place aux discussions, aux récits divers, et aux représentations culturelles. Se retrouve la touche de Morimi et sa savante érudition distillée en travers des aventures de ses personnages.

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Après le chassé-croisé de personnages, celui des références culturelles se met ensuite en place. Le plaisir de la référence est d’autant plus persistant qu’il a lieu à Kyoto, ville très culturelle et marquée par de nombreux festivals. Les protagonistes se rendent ainsi sur un marché aux livres, puis interprètent des pièces de théâtre… Si le rapport aux livres permet d’enclencher la construction en spirale et la densité des dialogues, celui à l’art de la scène renvoie au complexes jeux de l’amour et du hasard qui agitent la galerie de personnages. En cela la scène des multiples déclarations d’amour est un concentré habile et hilarant de tous les scénarios possibles concernant une première demande amoureuse. La présence du théâtre, lieu d’émulation de la flamme romantique, permet les confrontations osées, entre travestissements, révélations des péchés mignons, audacieuses répliques.

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Le passage au long-métrage permet à Yuasa d’affiner certaines de marques stylistiques bien singulières - et en même temps d’en fluidifier l’usage. Contrairement à l’inventivité parfois débordante de The Tatami Galaxy et sa tendance à se disséminer - tendance facilitée par le format de la série - la durée du film permet de concentrer le meilleur de ce travail animé. Ainsi ses célèbres introspections mentales s’appuient sur une animation en 2D très proche de celle du cinéma américain des années 60 - par exemple chez Saul Bass avec simplicité géométrique des corps, des teintes vives et homogènes, un mouvement basé sur des rythmes réguliers. Elles abondent dans The Tatami Galaxy, et transcrivent la vision définitivement cloisonnée dans l’imagination du jeune héros masculin. Parce que le film fait le choix d’avoir d’autres points de vue, elles sont ici plus ponctuelles, filtrant de-ci de-là, jusqu’à s’imposer totalement sur le dernier quart du film. Yuasa ménage plus son spectateur, sans perdre de son sens du référencement à multiples tiroirs. Malgré l’ivresse, l’intrigue amoureuse comme dramatique se tiennent, et l’on prend plaisir à accompagner ces vagabondages de la logique au non-sens soudain, de la tragédie à la comédie, d’une ligne harmonieuse à une ligne plus rebelle.

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La vélocité friponne de l’animation de Yuasa trouvait enfin sens sur grand écran. La maturité du récit alliée aux multiples jeux mentaux délirants imaginés par le cinéaste  ont définitivement enflammé la salle, hilare d’un bout à l’autre, lors de cette cérémonie d’ouverture. Face à un tel succès, il est dès lors fort regrettable que le film ne connaisse pas de sortie en salles françaises.

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