Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Crayon Shin-chan : Attack of the Adult Empire
Nostalgie, quand tu nous tiens...
CRAYON SHIN CHAN : ATTACK OF THE ADULT EMPIRE (クレヨンしんちゃん 嵐を呼ぶモーレツ!オトナ帝国の逆襲, KUREYONSHIN-CHAN: ARASHI WO YOBU - MÔRETSU! OTONA TEIKOKU NO GYAKUSHÛ, 2001) - Keiichi Hara
La séance fut présentée par un Keiichi Hara déconcerté face à la moyenne d’âge des spectateurs. Crayon Shin-chan étant une série populaire auprès des enfants au Japon, le cinéaste s’attendait à voir des bambins surexcités. Mais ce sont des adultes attentifs et curieux qui vinrent à cette séance inédite du Forum des Images. Cependant, le changement d’âge n’a pas rendu pour autant la projection plus morne, car chacun retrouva son âme d’enfant face à l’humour et la spontanéité des aventures du garnement Shinnosuke, dit Shin-chan.
Neuvième film de la série Shin-chan, mais cinquième réalisé par Hara, Attack of the Adult Empire évoquait justement le thème de l’âge adulte. Le cinéaste précisa qu’à partir de ce film, il put dériver loin des thématiques habituelles de la série et mettre en place un scénario plus personnel, s’attachant à des réflexions plus profondes en filigrane de l’action. Cette intention rendait l’expérience du film à la fois fort divertissante dans son action et très intelligente par son sous-texte.
Alors que le 21ème siècle approche, un étrange musée du “20ème siècle” ouvre en ville. Par ses attractions liées à la culture populaire de cette époque, il attire tous les adultes de la région, désireux de s’adonner au plaisir nostalgique. Cependant, un matin, ces parents partent, comme hypnotisés, vivre dans ce centre. Les enfants, Shinnosuke et sa bande de copains, décident de ramener leurs géniteurs à la raison et s’embarquent dans une folle aventure.
Le scénario s’attache à la thématique de la nostalgie, et à la difficulté d’accepter la disparition du passé. L’effacement des mémoires adultes pour mieux les ramener à un état d’enfance se révèle parade à la réflexion, plus profonde, sur la difficulté de grandir et de se construire des responsabilités. Du jour au lendemain sans volonté, les parents de Shinnosuke ne prennent plus le temps de réveiller leur progéniture, de leur préparer à manger, de les emmener à l’école… pour au final regarder la télévision et se nourrir de snacks. Dès lors, les enfants, pourtant fort paresseux et capricieux, se voient forcés de se retrousser les manches et d’agir en adultes pour régler la situation ! L’inversion est hilarante et, en même temps, fort pertinente.
Car le film se révèle aussi en phase avec son époque. La contemporanéité du dessin animé surprend, car il croque avec facilité cet état d’esprit observé à l’approche de 2000. Le passage au 21ème siècle a déclenché une certaine terreur chez beaucoup, et ce bond vers le nouveau millénaire a ravivé l’angoisse du changement.
Par ailleurs, autre parade, les antagonistes à l’origine de ce dérèglement des adultes, renvoient à cet ancien temps par leurs attitudes comme leurs codes vestimentaires. Ce couple de scientifiques sont habillés et coiffés comme les héros des vieux animes de science-fiction, en combinaisons noire moulantes et franges stricts. De même, leur mise en scène rappelle les oeuvres des années 1970, tels ceux de Rintaro ou Osamu Dezaki, avec un cadrage au romantisme prononcé, des couleurs très crépusculaires, une posture de contemplation vers le lointain… Cependant, Keiichi Hara se moque beaucoup de cette reprise “nostalgique” d’un ancien temps de l’animation japonais, puisqu’il exagère le sérieux trop prononcé des discours tenus - qui en outre contraste avec le désir de redevenir enfants - comme des stéréotypes de représentation.
Avant de découvrir ce neuvième film, beaucoup m’avaient mise en garde contre l’humour graveleux de la série d’origine, considérée comme peu destinée au public enfant malgré son apparence simpliste. Pourtant Attack of the Adult Empire se révèle relativement prudent avec cet humour vulgaire – certes, il y a bien quelques blagues scatologiques, ou le comportement fort graveleux du jeune Shinnosuke – mais cet humour cohabite avec des marques humoristiques plus universelles et accessibles : burlesque de course-poursuite, absurdité des renversements, choix de voix en décalage avec les physiques, etc. La longue scène d’action à bord du bus a en cela littéralement secoué la salle française de rire, grâce au formidable rythme rocambolesque du moment. Mais une autre séquence mérite d’être mentionnée.
Peu de temps après le départ de leurs parents, le groupe d’enfants délaissé se réunit dans un bar et se lance dans une imitation improvisée des adultes disparus. Cette scène, hilarante, pointe bien le ravageur sens de la subversion propre à la série Shin-chan. Les gamins endossent sans vergogne les pires comportements adultes, figurent la mauvaise foi, l’ivresse, l’adultère ! Echange osé mais qui, en substance, renvoie à l’un des motifs chers à Keiichi Hara. Dans ses longs-métrages à venir, le cinéaste porte une attention toute particulière à la famille, et à la recherche, des deux côtés, d’un comportement modèle. Chez Hara, les parents traversent souvent une phase de questionnement - c’est le cas dans Coo et Colorful, même dans l’attitude très responsable d’O-Ei dans Miss Hokusai - et celle-ci se retrouve dans Attack of the Adult Empire. Le jeu des enfants grossit certes les défauts adultes mais grossit en substance la conclusion du film, à savoir parvenir à la construction d’une famille en dépit des nombreux échecs, regrets, déceptions traversées par les parents.