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Colorful

Le Tableau

COLORFUL (2010) – Keiichi Hara

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(Merci à Louise !)

Après Un Été avec Coo, déjà une agréable surprise, Keiichi Hara nous a proposé Colorful il y a deux ans, un film déjà plus largement distribué que son premier long-métrage. Cependant, en dépit des apparences (et d'une campagne de promotion encore une fois mal conçue en France, visant le jeune public et ne présentant le film que dans le secteur animation jeunesse de la plupart des magasins), Colorfuln’est en rien un film destiné à des enfants. Les thèmes abordés, et plus que tout les dialogues et scènes développés se révèlent d'une complexité humaine très particulière, mettant en avant les rapports de cruauté qui peuvent apparaître au sein d'une famille ou d'un environnement scolaire. Même si le protagoniste principal est un enfant de 15 ans, le film débute par la réincarnation de l'âme d'une personne morte dans son corps, se réveillant à l'hôpital et apprenant que le garçon dont il vient juste de récupérer l'identité a tenté de se suicider. Le film mêle à la fois l'enquête menée pour tenter de comprendre les raisons du suicide du collégien Makoto Kobayashi, et la tentative d'insertion de l'âme à qui l'on a confié cette « 2ème chance », instance narratrice du film, et peu prête à commencer une nouvelle vie dans un corps et un contexte qu'elle ne connaît pas. L'âme est accompagnée en outre d'un petit gardien, Puru-Puru, vêtu et coloré tout de gris et invisible du reste des humains.

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Le résumé du film, encore plus que les images et le tracé régulier, simple et léger de Keiichi Hara, ne présagent pas la profondeur des thèmes abordés. C'est peut-être là le secret de l'alchimie chez Hara, un cinéaste qui prouve avec ce second long-métrage une bien plus belle sensibilité, plus affinée que celle de Mamoru Hosoda (La traversée du temps, Summer Wars, Ame et Yuki). Colorful, encore plus qu'Un été avec Coo, allie avec grâce le paisible et la cruauté, la violence psychologique au lyrisme, le désespoir à l'espoir. Son scénario déploie, sur une durée de deux heures, un long cheminement vers l'acceptation, ne se réfugiant pas dans la facilité, préférant nous faire ressentir la peine et la difficulté de la réincarnation. Alors que tous les ingrédients sont là pour basculer dans le fantastique ou les effets spéciaux, Hara prend le contrepied avec un traitement réaliste et très humain de son scénario, tout comme il l'avait fait avec le récit de l'affolement médiatique autour du kappa Coo dans son précédent film.

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Au final, la seule scène fantastique et irréelle du film reste la séquence d'ouverture. Mais même celle-ci reçoit un traitement particulier, très personnel de par son minimalisme. La réalisation nous fait partager, en vue subjective, les premières visions du passage à l'au-delà, et les interrogations intérieures sont transcrites par des cartons insérés, comme un film muet. L'image est volontairement floue, baignant dans des superpositions de silhouettes et de lumières faibles, d'où émergent seulement une figure nette, celle de Puru-Puru. Autant dire que la représentation de l'au-delà se révèle quasi inexistante et d'une grande sobriété dans le film. L'animation est, réaffirmant par ailleurs une tradition partagée par une grade part des films d'animation japonais, bien plus une confrontation à la réalité et à sa complexité, dans tout ce qu'elle a d'éphémère et d'inattendu. Hara confirme dans ce choix son rapport très personnel avec le cinéma d'animation, se forgeant un style avant tout marqué par l'intimité et la délicatesse.

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En effet, le film nous fait partager les difficultés relationnelles de Makoto avec sa « nouvelle » famille et ses « nouveaux » camarades de classe. Les scènes familiales se révèlent très fréquentes, notamment celles des repas, perpétrant une filiation avec le cinéma d'Ozu ou plus récemment celui de Kore-eda (Nobody Knows ; Still Walking) et chacune d'entre elle montre subtilement les tensions, la pudeur ou l'incompréhension. Par exemple, Makoto, ne supportant pas la présence de sa mère, ne vient aux repas que parce qu'il s'y trouve la compagnie de son père et de son frère. Mais un soir, sa mère, gênée, lui explique qu'ils resteront seuls pour le repas. La tension se fait ressentir alors dans des choix très fins de réalisation, tant sur le dialogue que sur le rythme du montage qui laisse présager une inévitable dispute. Le graphisme soigné et harmonieux du film se plie admirablement à ce genre de scènes.

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Face à ce réalisme psychologique, le choix d'un lyrisme prudent prend toute sa grâce, par contraste. Les tableaux peints par Makoto avant son suicide, en particulier, reflètent une dimension onirique, souvent cachés ou incrustés dans le cadre. Dans la chambre, espace étouffant où Makoto s'ennuie ou se terre la journée, les peintures disséminées sont autant d'espaces ouverts sur le ciel, paradoxalement poétiques pour un collégien s'étant suicidé, et annonçant la progressive réconciliation avec la vie du jeune garçon. A l'école, un tableau trône dans la salle du Club de dessin, tableau qui reviendra fréquemment hanter le film par les questions soulevées sur sa représentation : un cheval, pris dans un monochrome bleuté, semble s'ériger vers une sortie lumineuse, dans un espace aquatique ou céleste ? L'ambiguïté soulevée par la représentation du tableau incarne aussi l'un des moments de lyrisme du film, son in-animation en faisant justement la force.

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Car, cette idée figurant déjà chez Satoshi Kon et ses nombreuses figures fixes et obsessionnelles, le choix d'éléments figés dans un film d'animation prennent une ampleur et une place considérable dans les intrigues, souvent un point fixe cristallisant une émotion. Ici, ce tableau se substitue à l'angoisse de Makoto, celle de ne pas pouvoir atteindre une identité et de trouver sa place, pris dans un mouvement d'hésitation entre le refus – et donc, la montée vers l'au-delà – et l'acceptation de la vie sur terre. Une autre très belle séquence, elle aussi jalonnée d'éléments fixes dans son montage, se révèle emblématique d'un changement dans la perception chez Makoto. Il s'agit de ce très beau passage, presque une pause documentaire, où Makoto rencontre son premier ami, un collégien passionné par l'histoire qui lui fait suivre le parcours d'un ancien tramway le long des rues. L'insertion de photographies en noir et blanc vient figurer cette histoire, créant une nouvelle topographie des lieux et des couleurs, brusque pause qui vient apaiser le rythme et nouer tendrement la rencontre entre les deux collégiens. A partir de là, l'espace et l'animation semblent s'ouvrir, revenant à la force tranquille de la nature qui figurait déjà dans un Été avec Coo, nature vue comme réconciliatrice et intemporelle. 

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Commentaires

  • (Merci de m'avoir "ordonné" de regarder ce film !) En dépit de quelques dialogues qui m'ont semblé maladroits, notamment au tout début, j'ai vraiment apprécié ce "tableau". Comme tu le soulignes, il est bien plus profond que ce à quoi je m'attendais, et il n'est clairement pas destiné à des enfants.
    Alors même que je viens de le visionner, plusieurs scènes superbes me reviennent à l'esprit : l'introduction dans le monde des morts (ce quai de gare anonyme, ces répliques silencieuses...), le début d'une des scènes dans la salle d'arts plastiques où Makoto se voit dans l'eau de son tableau, la route du trawmay (que tu évoques aussi : une première pause bienvenue dans un film qui, pour le moment, se faisait étouffant), la scène de la pêche...
    Le film est percutant, mais n'en dit jamais trop, garde d'après moi une sorte de pudeur, centré sur la sphère de l'intimité familiale et identitaire.

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