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Animation - Page 4

  • Tales of Vesperia

    Chevaliers en animation

    TALES OF VESPERIA : THE FIRST STRIKE (2009) – Kanta Kamei

    Au sein du grand nombre de productions Tales of… , des jeux vidéos adaptées en séries ou en films animés, Tales of Vesperia s'avère l'une des propositions les plus réussies, échappant aux échecs d'autres exemples comme Tales of the Abyss, Tales of Phantasia ou Tales of Eternia. Généralement, les adaptations peinent à proposer un développement narratif nécessaire pour enrichir le jeu d'origine, présentant des personnages plats et des intrigues sans accroche réelle tout en ne rendant qu'en partie compte des univers d'origine.

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  • Ghost In The Shell

    Vivre virtuel

    GHOST IN THE SHELL (1995) – Mamoru Oshii

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    Presque vingt ans après sa sortie, Ghost in the shell apparaît toujours aussi en avance sur son temps. Peut-être restera-t-il à l'animation ce que 2001, l'Odyssée de l'espace de Kubrick est au cinéma de science-fiction, et ce malgré l'évolution des techniques et les tentatives de nombreux réalisateurs – surtout américains – à se hisser au niveau d'un portrait futuriste complexe. Le film culte de Mamoru Oshii n'a en effet pas pris une ride. Sa force tient autant à une animation sophistiquée qu'à une réflexion philosophique hors du commun, et qu'à évidemment un style de mise en scène extrêmement atypique dans le paysage de l'animation.

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    Vues en plongées, radars balayant le trafic, circuits imprimés et tuyaux dans le cerveau, l'esthétique du film d'Oshii est une véritable cartographie des matières organiques, technologiques et topographiques, effectuant des croisements entre le visible et l'invisible, l'intérieur et l'extérieur. Alors que The Sky Crawlers privilégiait une surface onirique, évoluant des teints laiteux des personnages à la texture vaporeuse du ciel, Ghost in the shell s'appuie sur une matière plus chaotique, plus composite, à la fois précise dans ses lignes mais également complexe dans sa construction. Une certaine harmonie trompeuse se dégage des plans, capables de faire basculer l'espace et la narration dans une atmosphère irréelle ou fantastique. Chez Oshii, la sophistication de l'animation, la précision du trait, du détail, et plus que tout le travail effectué sur les surfaces volumineuses, donnent un aspect de réalité très prenant, mais se révèlent bien souvent propices à un chaos vertigineux. Le temps d'une conversation nocturne sur la surface calme d'un fleuve fait ainsi surgir peu à peu les hantises intérieures, en particulier ce doute existentialiste qui envahit le personnage principal du Major Kusanagi, transformant cet espace paisible en un reflet troublant de son être intérieur.

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    Si les films de Satoshi Kon, élève de Mamoru Oshii à bien des égards, sont bien souvent dans la restitution et l'exploration d'un imaginaire psychique, ceux d'Oshii sont bien plus dans leur incarnation. La perception du monde, les émotions et les questionnements contaminent peu à peu un monde déjà complexe et brouillent les données objectives. L'espace et le temps sont ainsi des frontières sans cesse transgressées, détournées, se débarrassant des traitements habituels. La narration poursuit cet effet, de même que la musique. Les missions effectuées se suivent selon une chronologie particulière, un rapport au temps à la fois pris dans la routine et dans l'inédit. Les personnages réagissent aux événements de manière presque automatisée, extrêmement professionnelle, gardent une contenance en dépit des événements qui prennent une tournure horrifique. Le souci de construire une réactivité professionnelle est propre au cinéma de Oshii. Les aviateurs de The Sky Crawlers, en dépit de leur apparence enfantine, conservait ainsi leur calme, intériorisant peu à peu des angoisses surgissant de manière inattendue et latente sur la dernière partie du film.

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    Enfin, là où Ghost in the shell apparaît véritablement novateur, et fascinant, c'est bien évidemment au niveau de la réflexion qu'il développe au travers du thème du piratage, du virus informatique, de la virtualité. Le récit confère en effet une identité propre au virus, une capacité d'autonomie presque humaine, s'appuyant sur ce paradoxe de donner corps et vie à ce qui se révèle invisible, virtuel, échappant à la corporalité concrète. La complexité du virus tient ici de l'incompréhension et du déroutement d'une logistique informatique afin d'en réduire l'accessibilité. Cette action de réappropriation des codes pour soi, de capacité de main-mise sur la technologie constitue le danger dans Ghost In The Shell, d'autant plus que l'ennemi tient en permanence du virtuel, et donc de l'invisible. Sa mise en scène va associer finement, chez Oshii, un caractère humain à une réactivité dépersonnalisée. Les machines ne sont plus uniquement des machines, mais demeurent vivantes, capables d'autonomie, et intégrées au film en tant que créatures capables de réflexion, de ruse, de tentative de contrôle d'un environnement. L'ouverture l'annonce : ce film sera aussi hybride que le personnage du Major Kusanagi, formé à la fois de chair et de matériaux, de tuyaux comme de veines, enveloppe glacée, sophistiquée, et capable d'agir selon sa volonté. Ghost In The Shell tient à la fois de l'invisible et de la corporalité, de la virtualité autant que de la vie : ses personnages troublés tentent de répondre à leurs questions, agissent au protocole tout en laissant le doute les contaminer. Le danger y est ainsi virtuel mais également existentiel, créant la fascination face à ce long-métrage d'animation. 

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  • Patéma et le monde inversé

    Une inversion plate

    PATEMA ET LE MONDE INVERSÉ (SAKASAMA NO PATEMA) – Yasuhiro Yoshiura

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    Yasuhiro Yoshiura avait réalisé, avant Patema et le monde inversé, le film Pale Cocoon (2005), ainsi qu'une curieuse série de six épisodes, Eve no Jikan (pouvant être traduit par « Le Temps de Eve », réalisée en 2008). Cette dernière présentait une certaine singularité dans son graphisme, ainsi q'une thématique autour du robot humanoïde proche de la série Real Humans, produite par Arte à la même période. Alors qu'Eve no Jikan réussissait à proposer un regard, bien qu'inachevé, à la fois tendre et angoissant sur son sujet, le nouveau film de Yasuhiro Yoshiura déçoit énormément. La frustration est d'autant plus grande que Patema reçut une campagne promotionnelle assez dense en France, là où d'autres productions japonaises pour enfants bien plus admirables ou honorables – Piano Forest ; Lettre à Momo – sont restés inaperçus, desservis par une distribution mineure. Les critiques françaises ayant cependant apprécié le spectacle, il faut cependant espérer que le long-métrage de Yasuhiro Yoshiura, pourtant peu réussi, ne cantonne pas une nouvelle fois la perception de l'animation japonais à ce naïf conte engoncé dans un symbolisme et des jeux d'opposition assez lourds.

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    L'inversion de Patema consiste ainsi à composer un univers balançant entre deux pôles, le monde « d'en bas » et celui « d'en haut », allant des bas-fonds troglodytes à la ville sur la terre ferme. D'emblée, par ces univers, déjà peu intéressants au niveau plastique car demeurant esquissés, croqués grossièrement en toile de fond, une opposition peu convaincante se joue entre le sous-sol convivial, plutôt archaïque mais chaleureux, et la société moderne, pervertissant forcément l'individu dans un système déshumanisé et fondé sur le profit. Les protagonistes secondaires représentent eux-mêmes cette vision caricaturée, desservant plus sa logique plutôt que d'apporter une psychologie singulière. Le personnage du « méchant » en est le plus criant exemple, tel exemple stéréotypé qu'il semble provenir d'une autre époque, proche des méchants des séries animées de justiciers des années 1990 où le faciès arrogant rejoint un caractère tout aussi machiavélique. L'absence de réflexion ou d'approfondissement sur ce personnage, qui gouverne la loi sur le « monde d'en-haut » consterne à un tel point que la représentation de l'univers qu'il dirige devient peu crédible.

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    Beaucoup de critiques français ont, dans un geste de comparaison décidément bien trop systématique dès qu'une production nous vient du Japon, évalué Patema en fonction de l'oeuvre d'Hayao Miyazaki, bien souvent en la plaçant au même niveau d'inventivité ou d'émotion. Le film demeure pourtant très loin de la subtilité d'un Miyazaki – pour reprendre cette comparaison chère aux journalistes français. Plus encore, la société du « haut » dont il nous dresse le portrait reste ainsi affublé d'arguments futuristes d'une totale médiocrité, englués dans une vision manichéenne difficilement supportable. À cette société contrôlée, abondamment stricte par des effets de décors grotesques (les tapis roulants énormes qui amènent les enfants à l'école, la rigidité des enseignants qui reprennent ceux qui regardent par la fenêtre, l'obsession du contrôle...) peuvent se préférer les portraits tout de même plus subtils d'animes récents tels que Toward the Terra (réalisé par Osamu Yamasaki en 2008, et lui-même inspiré d'un subtil manga de science-fiction des années 1970) ou No 6 (Kenji Nagasaki, 2011, d'après le roman de Atsuko Asano). Difficile de trouver un intérêt pour la description proposée par le film, où agissent de plus un couple d'enfants lui aussi peu crédible. Les deux personnages principaux correspondent à des archétypes d'héros/héroïne, de la jeune fille naïve au garçon en marge du système. Une telle catégorisation devient perturbante dans le sens où chacun des protagonistes semble se présenter comme l'unique élément de résolution du conflit entre les deux univers, les retranchant dans des rôles de miraculés et de pacificateurs plutôt gênants au vu du peu de profondeur de leurs réflexions. Ce manque de subtilité demeure très loin des galeries de personnages, bien plus riches dans leurs caractéristiques et traversés de dilemmes présentes chez Miyazaki (Dora dans le Château dans le Ciel (1986), Dame Eboshi dans Princesse Mononoké (1997), Fujimoto dans Ponyo sur la Falaise (2008)...).

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    Patéma et le monde inversé s'échappe, pour quelques séquences, de son système manichéen et de la platitude de sa réflexion, lorsque les deux héros viennent à s'envoler dans les airs. Le sentiment irritant face à l'inspiration évidente du Château dans le Ciel et du motif des deux enfants voltigeant parmi les nuages vient à s'estomper quand le scénario fait brusquement intervenir un nouvel espace inattendu. Une troisième dimension qui permet justement une unique échappatoire et la pointe d'une véritable émotion, notamment parce qu'elle demeure mystérieuse, non accablée par le discours manichéen et la morale bien pensante accablant tout le film. Une certaine sensibilité pointe de ce court passage, sensibilité qui aurait pu, si elle avait été présente, « inverser la donne » dans Sakasama no Patema, et en éviter l'ennuyeuse platitude.

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  • Le Vent se lève

    De ciels en ciels

    KAZE TACHINU – LE VENT SE LEVE, IL FAUT TENTER DE VIVRE – Hayao Miyazaki

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    Lorsque Miyazaki débuta son projet de biopic autour de l'ingénieur en aviation Jiro Horikoshi, Toshio Suzuki confia que sa prochaine réalisation serait un grand changement et demeurerait marquée par la catastrophe de Fukushima. Plutôt que de s'attarder sur le caractère final et conclusif du dernier long-métrage de Miyazaki, cette déclaration du producteur du studio et grand ami du cinéaste se révèle bien plus importante pour saisir Kaze Tachinu. Le film opère en effet un virage à 180 degrés dans l'univers animé du cinéaste, proposant un rythme, une narration, une vision du monde étonnamment en rupture avec ses œuvres précédentes. La féérie persiste mais elle est ici comme un obstacle résistant difficilement au réalisme le plus noir, le plus fragile. Kaze Tachinu demeure ainsi l'oeuvre la plus angoissante de Hayao Miyazaki, certes imprégnée de réalisme, mais également de romantisme, d'onirisme, traversant une étonnante diversité de tons.

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    Le cinéma de Miyazaki n'est en effet plus tout à fait le même avec ce film. Mais pour en apprécier la force, il faut en accepter ce changement, et pleinement s'en emparer. Plus latent, plus expérimental, plus audacieux dans ses partis pris également, Kaze Tachinu se rapproche plutôt de l'oeuvre du maître adulé de Miyazaki, à savoir Isao Takahata. Certaines touches de mise en scène, certaines choix de narration, d'attachement à des détails, rappellent la précision documentaire de l'animation chez Takahata. Les petits gestes du quotidien, tel le pliage d'un avion en papier, le bruissement des feuilles de cresson avalées goulûment par un Allemand, le jeu romantique d'une terrasse à un buisson, le roulement d'une mécanique discrète ou le froissement des pages au travail construisent peu à peu une mélodie de la quotidien, ou plus largement d'une vie, celle de cet ingénieur passionné.

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    Comment embrasser une vie entière sur l'échelle d'un film d'animation ? Le scénario de Miyazaki et sa réalisation sensible y répondent par ces choix, très minutieux, très subtils, de l'émotionnel qui traverse le personnage. L'écriture permute sans cesse de l'intime au général, mêlant par des actions minimes la grande Histoire du Japon – et même celle de l'Europe – à celle du sentiment personnel. L'approche du fascisme et de la Seconde Guerre Mondiale trouvent ainsi leur écho, leur représentation sous-jacente, dans un fugitif croisé dans la rue, dans l'apparent calme paisible vécu sur la « Montagne Magique » où courent cependant des chuchotements sur la guerre. Le film glisse dans ces moments des expérimentations, d'audacieuses subtilités dans l'animation : la fuite du fugitif se transforme en un condensé d'ombres expressionnistes, soulignant l'inquiétude d'un événement frôlant la balade nocturne de Jiro et son ami. L'étrangeté qui s'en dégage se plie alors à l'étrangeté de l'atmosphère de cette époque, où tout semble se jouer en coulisses, dans une totale invisibilité, pris dans un chaos confus que les apparences et la quotidienneté du travail de Jiro tentent de contenir. D'années en années, ce sont des failles qui se glissent entre les déplacements de Jiro et l'évolution de sa carrière. À la perfection de ses créations, à son admiration pour les mécaniques logiques, répondent les imperfections de la vie, tour-à-tour plaisantes ou bien effrayantes.

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    La fantaisie ou le fantastique se font plus ainsi discrets, plus disséminés dans une retranscription réaliste des années 1930. La faille la plus concrète dans cette époque demeure celle, sidérante de force sur grand écran, du tremblement de terre du Kanto. Le film lui confère son potentiel monstrueux... en le considérant comme un véritable monstre, dans la lignée du Sans-Visage poursuivant Chihiro ou du Roi de la forêt de Princesse Mononoke, rythmé par des bruits de bouche et des raclements rauques, craquelant les surfaces, enflammant le ciel. Cette puissance violente, désastreuse, comme héritière des ciels brûlants et fumants du Tombeau des Lucioles (Isao Takahata), vient rapidement marquer Kaze Tachinu, lui conférer la présence de la menace. Sa puissance terrifiante hantera les lieux et les événements observés par Jiro, traversant un geste, une ombre courante, un jet de sang sur une colline, une présence militaire.

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    À cette menace répondent cependant, fidèle aux vers de Paul Valéry, les imperfections sentimentales de Jiro. Son récit avec Naoko fait traverser un romantisme assumé, volontiers inaltérable et intemporel dans cette époque troublée, suspendant sur près d'un quart du film la menace présente. Miyazaki propose pour la première fois une histoire d'amour complète, où son animation vient à scander au compte-goutte les envolées du sentiment éprouvé, l'attente et le besoin de l'autre. Les étreintes de Naoko et Jiro sur un quai de gare ou leur précipitation d'un lieu à celui où se trouve l'autre partage quelque chose du bouleversant cercle fusionnel porté par Chihiro et Haku dans le Voyage de Chihiro. Les thèmes autour de Naoko conservent l'épure et la délicatesse chères au pianiste Joe Hisaishi, qui compose dans ce film une nouvelle bouleversante partition. Par les progressives déclinaisons d'un thème empreint de pudeur, ses notes brassent les niveaux de rapprochement ou de distance amoureux se jouant entre Naoko et Jiro. La sentimentalité et ses mouvements gagnent aussi l'amitié, à travers la relation à la fois comique et sincère partagée avec le patron de Jiro, l'attachement à la jeune sœur ou encore, investissant un terrain nouveau, l'étrange rivalité avec le collègue et ami Honjô.

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    L'évolution du ciel, palpable, fait traverser les états d'âme de Jiro et son rapport à ces divers personnages. D'un ciel à l'autre, son regard se transforme, d'abord idéaliste, puis pessimiste, passionné, amoureux, troublé. A travers les états célestes, Miyazaki incarne une véritable cartographie humaine. Le premier ciel d'ouverture est celui de l'onirisme, celui d'un rêve d'enfant. Les suivants seront ceux, triomphants, enveloppés d'une sensualité ronde proche de l'atmosphère de Porco Rosso, du maître Caproni, ingénieur italien sur lequel Jiro prend modèle. L'état de l'excitation du jeune homme apparaît au travers de séquences à l'animation à la fois bouleversante et discrète. Miyazaki déploie dans chacun de ses films ce phénomène, propre à lui, d'un mouvement rendu épique dans un contexte minimalisant. Ici, le souffle de l'inspiration, dans lequel se niche celui de l'espoir, gagne sa retranscription dans des effets de projections mentales où, penché au milieu de ses collègues, Jiro se concentre, puis devient traversé par le souffle de la création, de l'inventivité, la couleur de son front laissant traverser les mouvements souples de ses machines. L'outil d'instruments « d'époque » dans la partition d'Hisaishi, comme l'accordéon ou la guitare en particulier, confèrent un parfum d'époque rendant magnifiquement compte de cet optimisme et de cette inspiration du scientifique.

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    Kaze Tachinu parvient enfin à cristalliser, par sa subtile animation, par son attention minutieuse, la portée de la menace invisible. Derrière les ciels romantiques et machineries fantaisistes qu'imagine Jiro gronde le danger d'une réalité se débarrassant d'un tel onirisme. Lors du décollage de sa création, en dépit de la joie de ses employeurs, Jiro voit cependant son regard – et le nôtre avec – se décaler, se déplacer inconsciemment et sans explication. Le monde harmonieux de Miyazaki se déforme soudain, vacille quelques secondes, effrayante explosion pendant quelques secondes des repères rassurants qu'il avait parvenu à bâtir jusque-là, rejoignant le souffle incontrôlable du tremblement de terre ouvrant son récit. C'est la prise de conscience de la catastrophe, de la guerre à venir, du destin tragique de ces beaux avions, et c'est le vent qui se lève à son annonce.

    Et lorsque l'ingénieur regarde les avions qu'il a créés s'écraser dans le feu et la fureur belliqueuse, ce désastre demeure cependant vu avec les yeux d'un poète, où les carcasses disparaissent dans les nuages, enveloppées dans des vagues roulantes et enflammées. Plus que le songe qui persiste, c'est le sentiment du sublime qui tend alors à percer.

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  • Albator corsaire de l'espace

    Space opera et spleen spatial

    ALBATOR CORSAIRE DE L'ESPACE – Shinji Arakami

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    Bonne surprise, Albator corsaire de l'espace concilie une esthétique époustouflante à la mélancolie apocalyptique. Dans cette aventure spatiale, l'esthétique du space opera est mise au service d'un spleen intérieur, reliant la détresse humaine de son héros aux visions élégiaques d'un espace en reconstruction.

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    Loin de se révéler une gonflante adaptation ne comptant que sur ses ressources technologiques, le film déploie une véritable force visuelle alliée intelligemment aux thèmes, sombres et torturés, de l'exil et de la destruction portés par le personnage d'Albator – Harlock en version originale. La réalisation est emphatique, prenante, s'amusant presque de l'image de marque du corsaire tout en lui conférant une dimension dramatique. Ainsi, certains effets « gratuits » ne manquent pas, laissant déborder volontiers la puissance charismatique du révolutionnaire. Voix grave et longue cape rouge flottant dans le vent, le corsaire nous embarque en même temps que le jeune Yama à bord de l'Arcadia. Le film parvient pour un premier temps à nous raviver le mythe, n'hésitant pas à renouer avec l'esthétique gothique de la série de base, lui conférant même une atmosphère volontiers lugubre et chargée. Ce pacte n'est pas sans amuser, très efficace comme lors de la séquence où le jeune Yama est sauvé miraculeusement par le corsaire, qui se transforme en véritable justicier sans peur. En outre, le film confère à Albator un comportement aussi lugubre, parfois nonchalant, à l'image de son atmosphère, entretenant cette ambiguïté du personnage, à la fois héroïque et audacieux, mais également foncièrement antipathique et froid.

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    Evidemment, malgré la modernisation du protagoniste, le film ne se débarrasse pas de certaines lourdeurs propres aux stéréotypes de l'anime. La classique opposition entre les deux frères qui sous-tend le conflit spatial est un poncif du genre, alourdissant le propos et en s'appréciant que comme une logique de distraction, dans l'attente de voir à l'action le corsaire charismatique. De même, les protagonistes de l'équipe, que l'on aurait souhaité voir plus présents, demeurent ancrés à leurs caractères d'origine, du râleur mécanicien corpulent à la fidèle sous-lieutenant sensuelle. Les questions éthiques et politiques contenus dans la situation cèdent un peu trop rapidement le pas à la question élégiaque, ce qui est regrettable. En revanche, en ce qui concerne le rapport d'Albator à la Terre disparue, le film parvient admirablement à renouer avec un rapport romantique, se transformant sur sa dernière partie en une ample et mélancolique exploration de l'espace, alternant entre de prenantes batailles spatiales et des vues contemplatives et émues de la planète. Le spleen vient progressivement teinter la réalisation, ralentir le rythme, conférer à l'animation le meilleur de son émotion en faisant du monde spatial le prolongement visuel et sonore de la souffrance intérieure du corsaire. Le film d'Arakami trouve dans ces moments de suspension et de souvenir une véritable efficacité dans la retranscription d'un sentiment profond de mélancolie.

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    Sans s'attendre à un résultat grandiose sur tous les plans, cet Albator captive, et parvient surtout à relever parfois de l'inattendu. Il n'est pas une simpliste lecture du phénomène, tentant d'en conserver la profondeur psychologique, trouvant certes quelques limites, mais l'effort demeure appréciable et le résultat ébouriffant.

  • Le Jardin des mots

    La Goutte de trop

    LE JARDIN DES MOTS – KOTONOHA NO NIWA – Makoto Shinkai

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    Dernière création de Makoto Shinkai, ce moyen-métrage réunit à la fois toute la splendeur du style Shinkai, mais également ses limites et son principal défaut. L'histoire d'amour romantique que nous conte le cinéaste se révèle empreinte de pudeur et de finesse... jusqu'à un final pour le moins décevant. Chez ce cinéaste romantique, la frontière entre sensibilité fragile et exacerbation sentimentale se fait toujours sentir, bâtissant une œuvre inégale, aboutie graphiquement, mais encore maladroite au niveau dramatique.

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    Le Jardin des mots, en dépit de son titre quelque peu trompeur, s'empare bien plus du motif de la pluie plutôt que de celui du jardin – où se rejoignent les deux amis. La pluie scande en effet l'évolution du récit, passant du mois de juin, humide et arrosé, à celui caniculaire, et ainsi aride au niveau du sentiment amoureux, d'août. Dans cette histoire, le romantisme de Shinkai prend tout son envol, cernant l'approche progressive, l'attirance mutuelle qui grandit, le tout enveloppé dans une certaine pudeur propre au cinéaste. Dans une séquence en particulier, la sensibilité de Shinkai s'épanouit dans la retranscription, par le biais du montage, du mouvement dans l'image et du son, de la montée du désir. Au bout des dix premières minutes apparaît ainsi ce passage mémorable où le rythme s'accélère sur le mois de juin, saisissant le désir progressif du jeune adolescent, parallèlement à son quotidien. Le temps s'accélère car porté par une attente et une émotion, les gestes d'impatience se reportent ensuite sur le mouvement de la ville, des transports, des oiseaux dans le ciel, de la pluie qui tombe. Toute cette séquence, probablement la plus vibrante du film, compose un mouvement amplifiant le sentiment intérieur, l'incarnant dans des motifs extérieurs, un peu à la manière de David Lean dans ses épopées romantiques. Par ailleurs, le rôle du train dans Brève Rencontre se révèle parfois similaire à celui du tramway dans Le Jardin des mots, ces deux transports en commun scandant métaphoriquement les étapes de la romance.

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    Sur la seconde partie du film, le film perd de son intérêt, parallèlement à la perte du romantisme. Le portrait que dresse Shinkai du monde lycéen, brusquement mis sur le devant, se révèle très stéréotypé et attendu, maladroit, tout en nous projetant dans une réalité amère, celle où le romantisme auparavant déployé ne peut pas exister. L'exquise photographie et lumière des rencontres sous la pluie s'estompe, laissant place à un univers froid et plat. Si cette deuxième partie du récit déçoit, le plus décourageant, comme une goutte de trop dans ce film très pluvieux, demeure le final, qui, sans le dévoiler, tombe dans une surenchère émotionnelle inutile. Peut-être manquerait-il chez Shinkai une pointe d'érotisme ou de sensualité. Le motif du pied et du fétichisme que lui porte le jeune étudiant dans ce film dessinaient une thématique nouvelle dans l'oeuvre de Shinkai, composant un imaginaire sensuel autrement troublant que la sensibilité pudique du cinéaste. Cet imaginaire apparaissait par touches tendres, au détour de plusieurs plans – un pied délicatement mesuré, une chemise délicatement entrouverte, une respiration plus trouble de la part des personnages – et serait probablement le moyen pour Shinkai d'évoluer. Si Le Jardin des Mots atteint en effet une impressionnante maturité visuelle, le film présente encore une vision balbutiante et naïve dans son propos.

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  • Koji Yamamura

    RETROSPECTIVE KOJI YAMAMURA

    Le 6 décembre 2013 au Forum des Images

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    Invité d'honneur au Carrefour de l'Animation du Forum des Images (du 5 au 10 décembre 2013), Koji Yamamura y a présenté une œuvre à la fois expérimentale et pleine de sensibilité. Sa filmographie est composée par de nombreux courts-métrages – les plus connus constituent l'ensemble de La Boîte à Malice, souvent projeté pour le jeune public – mais également de nombreuses œuvres de commande pour des festivals ou pour la télévision. Fait rarissime, ces derniers furent projetés en deuxième partie, constituant un pan souvent méconnu de la réalité de la réalisation, mais apportant tout autant son lot de surprises. En outre, autre phénomène rare, et extrêmement appréciable, Koji Yamamura, présent du début à la fin de la projection, s'est révélé un précieux pédagogue, présentant consciencieusement son travail, et attendant même patiemment les questions et réactions des spectateurs à la sortie de la salle, accompagné par le grand spécialiste Ilen Ngûyen.

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    Le Vieux Crocodile

     

    Yamamura présente, à travers ces courts-métrages, une capacité à se saisir de styles et de textures diverses, expérimentant graphiquement, mêlant le trait crayonné aux encrages. Le Vieux crocodile (Toshi wo totta wani, 2005) se révélait une exception dans ce qui été projeté, car il s'agissait bien plus d'une ré-appropriation du style de Léopold Chauveau, auteur-illustrateur français du début du XXème siècle. Autrement, l'oeuvre de Yamamura présente néanmoins, parmi sa diversité, une certaine singularité d'une part dans le traitement de la déformation et du mouvement métamorphique, d'autre part dans son travail sonore d'une véritable richesse.

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    Le Mont Chef

     

    Déformations, en effet, ou plutôt changements d'un état à un autre, semblent scander les propositions graphiques et narratives de Yamamura. Dès Le Mont Chef (Atama Yama, 2002), une réalisation qui lui valut d'être remarqué en Europe, le cinéaste appuie des basculements constants entre la banalité et l'extraordinaire, entre le microcosme et le macrocosme, entre l'humour noir et le poétique. Son animation « vacille », se révèle prise dans des soubresauts graphiques, à l'image de l'existence de ce personnage qui voit pousser sur son crâne un cerisier. Ces mêmes basculements se retrouvent dans les courtes esquisses expérimentales de A Child's metaphysics (Kodomo no Keijijôgaku, 2007), ensemble noir qui part des rondeurs mignonnes d'enfants pour mieux les écarteler, les briser, les casser en formes géométriques. Ce même effet se retrouve d'ailleurs dans le générique – lui aussi projeté – que Yamamura a composé pour une émission de Takeshi Kitano, où les traits du visage calme représentant le cinéaste japonais sont subrepticement tiraillés dans tous les sens (idée qui rend d'ailleurs extrêmement bien compte du style artistique de Kitano, pris sans cesse entre la rigidité impassible et la violence explosive).

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    A Child' Metaphysics

     

    En outre, il est honorable de souligner l'étonnant travail sonore qui apparaît dans ces films, témoignant d'un véritable laboratoire de bruitages, de chants et de voix. Yamamura fait appel dans Le Mont Chef à des conteurs de rakugo, créant ainsi des décalages étonnants par rapport au comportement quelque peu vulgaire du personnage. Ce choix se retrouve dans l'adaptation d'une nouvelle de Kafka, qui a recours à des choeurs à la fois d'hommes et d'enfants, cette fois-ci dans une optique plus atmosphérique. En outre, les personnages, chez Yamamura, s'expriment toujours de manière indirecte, par le biais d'une voix narrateur, d'un texte conté, ou encore par des doublages toujours décalés, sans souci de réalisme. Il ne règne pas l'attention portée à un accent dynamique ou compréhensible tel qu'on peut le trouver dans l'animation industrielle en général, mais bien plus un empâtement dans les voix, un surjeu exagéré de manière à créer des effets de distance, d'humour et de décalages étonnants.

    Déformations et décalages composent ainsi l'oeuvre de Koji Yamamura. Ses deux beaux films, à la fois emblématiques de son style mais témoignant le plus le talent, restent son adaptation du texte de Frank Kafka, Un Médecin de campagne, et sa réalisation sur la vie de Muybridge, coproduite par l'Office Nationale du Film.

    Un Médecin de campagne (Kafuka inaka isha, 2007)

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    Très belle proposition, Un Médecin de campagne fait l'une des plus belles retranscriptions graphique et sonore du style de Kafka. Les effets anamorphiques des corps et des visages, alliés au travail atmosphérique rendent en effet compte de son écriture torturée. La prosodie tortueuse de l'écrivain allemand se retrouve ainsi incarnée dans le chemin tortueux parcouru par l'animation, faite d'angles étranges, de changements brusques de perspectives, d'angles brisés, cassés, de silhouettes anguleuses et onduleuses. Chaque sentiment intérieur du médecin, bien souvent celui de l'angoisse et de l'incompréhension, devient une composition métamorphique à l'écran, l'animation permettant de donner aux corps représentés ce que l'imagination travaille dans les esprits. Sans cesse, le film donne l'impression de contempler cette histoire au travers d'un globe de verre, et le récit devient peu à peu surréaliste, composant une étrangeté étonnante et très impressionnante.

    Les Cordes de Muybridge (2011)

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    Expérience sensorielle plutôt qu'un documentaire conventionnel, Les Cordes de Muybridge est une variation sur l'inventeur de la décomposition du mouvement. Les voix sont peu présentes dans ce court-métrage, tandis qu'un travail de bruitage et un thème musical dominé par le piano scandent les différentes histoires contées. Des temporalités se lient, des figures se rejoignent, des expériences animées se confrontent, créant une rythmique très particulière. Le motif du mouvement de décomposition du cheval vient constituer le liant visuel et sonore – le son rendant compte du bruit des obturateurs des appareils photographiques placés par Muybridge pour son expérience – de cet ensemble dissonant. Les Cordes de Muybridge s'apprécie ainsi comme une partition graphique, dont les mouvements se révèlent aussi vibrants que les émotions qu'ils procurent.

    Le site personnel du studio Yamamura Animation : http://www.yamamura-animation.jp/index.html

  • Tokyo Godfathers

    Le Bébé miracle

    TOKYO GODFATHERS (2003) – Satoshi Kon

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    Tokyo Godfathers se révèle souvent écarté dans la filmographie de Kon, placé au second plan derrière les histoires complexes et imbriquée de Millenium Actress ou de Paprika. Pourtant, le troisième long-métrage de Satoshi Kon, jamais sorti sur les écrans français, permet d'offrir une nouvelle facette à l'oeuvre de ce cinéaste, tout en s'inscrivant dans sa sensibilité propre.

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    Si le récit reste en effet construit sur une certaine linéarité, se centrant sur trois protagonistes aux personnalités beaucoup moins divisées et éclatées que les héroïnes de ses autres films, le film est peut-être l'un des plus personnels du cinéaste japonais. N'opérant plus à l'intérieur même des cosmos psychiques de ses personnages, la réalisation propose ainsi une regard plus extérieur, plus cynique, mais également plus romanesque sur la société japonaise. Tokyo Godfathers nous projette en effet dans l'univers des sans-abris de Tokyo, n'hésitant pas à se saisir des situations les plus contestables et révoltantes de la ville, l'enrobant d'un regard juste, évitant tout effet moralisateur ou complaisant. Au travers des péripéties de nos « Pieds Nickelés » très attachants, le scénario n'évite pas l'humour, tournant autant en dérision les réactions courroucées des citoyens face aux mendiants, que celle parfois survoltées des sans-abris ; mais dresse aussi un portrait noir et sinistre de la société japonaise sous son angle le plus cruel. Si Tokyo Godfathers ne cherche certes pas le même degré de malaise que Paranoïa Agent, ou encore Perfect Blue, le film reste néanmoins une œuvre très mature et pertinente, révélant à travers de nombreuses scènes le fossé social, mais également la violence d'une certaine jeunesse. Une séquence en particulier nous montre un groupe de jeunes gens décidant de se « distraire » en brutalisant un vieil homme sans-abri, séquence animée à la fois avec une grande sobriété et une pointe d'humour noire - les jeunes essayant d'imiter les postures de leurs héros de combat favoris, rappelant ce phénomène d'un passage à l'illusion fictionnelle dès qu'il s'agit de la violence, et qui est à l'oeuvre dans Paranoïa Agent. En outre, le film touche par son récit d'une poignée de jours, à toutes les strates de la société, constituant en ces personnages sans refuge un moyen de passe-partout, rencontrant un patron yakuza ou des immigrés d'Amérique Latine, passant d'un moyen de transport à un autre, offrant un panorama sur ce Tokyo lumineux, bardé d'images et de cultures.

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    Les personnages eux-mêmes représentent une certaine face de la société. Gin, le plus terre-à-terre et probablement le moins intriguant des trois, permet de faire des rappels à la réalité du moment, et constitue surtout un contrepied admirable et humoristique aux réactions bien souvent impulsives d'Hana ou de Miyuki. Cette dernière présente une véritable profondeur, touche aux jeunes générations, étant une adolescente dont le mal-être reste admirablement dépeint, ne tombant jamais dans la caricature. Quant à Hana, il se révèle le personnage le plus saisissant de l'ensemble, apporte une nouvelle facette aux psychologies généralement dressées chez le cinéaste. Il se révèle en effet son seul et unique personnage homosexuel ayant une vraie place dans la dramaturgie – quelques références à l'homosexualité étant glissées dans d'autres de ses films, mais à travers des protagonistes mineurs, tels le directeur de l'entreprise ou Osanai dans Paprika – mais est loin d'être uniquement un prétexte à porterun regard sur ce tabou. Au contraire, le scénario lui confère une véritable présence et un caractère bien trempé. Hana est en effet un personnage à la fois attachant et infernal, condense à la fois tous les tics stéréotypés du travesti tout en révélant une singularité, notamment à travers le court récit de son passé. C'est l'une des plus grandes réussites de Satoshi Kon, sur le plan de la construction psychologique, parvenant à concilier – pour s'en amuser – le cliché avec l'originalité. L'animation du personnage rend compte de cela, puisque la plastique du visage d'Hana traverse toutes les phases d'animation possibles, évoquant autant le cartoon que le seinen, pris entre postures féminines et viriles. Le film restitue admirablement les jeux de relations à l'intérieur de son trio, créant toutes les situations possibles pour aboutir à un panel de réactions, isolant parfois les personnages pour les reprendre en duo, avant de rétablir l'équilibre final, celle de former un groupe à trois, et presque une famille recomposée.

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    Allié à cette richesse dans la création des personnages, le récit lui-même se montre tout aussi passionnant et dynamique. A travers son troisième long-métrage, Satoshi Kon nous montre qu'il sait être autant un bon conteur qu'un bon cinéaste d'animation, multipliant les intrigues et les tons. La virtuosité de ce film se révèle plus implicite, moins extravertie que dans ses autres films, opérant par détails, glissements, retournements de situations, mélange des tons. Une étonnante séquence, au départ absurde et burlesque, conte ainsi l'invitation impromptue des trois mendiants à un mariage dans le milieu mafieux. Les personnages se retrouvent parmi le gratin du milieu des yakuzas, détonnant dans le décor de cette réception luxueuse. Au beau milieu de cette séquence pleine de drôlerie, l'atmosphère, en quelques plans, dérape soudain vers la tension et un bouleversement inattendu. L'animation, très belle et toute en précision, se révèle dans ces changements de tons d'une véritable efficacité, le trait et le mouvement des corps et des visages nous faisant passer successivement du grotesque au sobre, de la course-poursuite à la méditation, précipitant les choses pour mieux les freiner ensemble. Ce travail graphique impeccable joue admirablement sur ces diversités de glissements.

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    Le plus étonnant se révèle ce rapport au miracle qu'entretient tout le réseau d'images et d'actions du film. Dans le reste de la carrière du cinéaste, il y a peu ou pas d'allusion à la religion, ou du moins à une forme de mysticisme, étant bien plus plongé dans un turbulent univers psychique ou fantastique marqué par la noirceur, la fantaisie, ou la féérie. Ici, dès le début du film, la connotation religieuse est présente, tout d'abord avec la période de Noël, l'ouverture sur une messe donnée par l'Eglise Catholique pour la charité, et enfin cette pancarte symbolique d'Ange aux Larmes qui introduit le personnage de Miyuki. Le film se base sur des références au catholicisme, choix étonnant car cette religion se révèle minoritaire dans un pays surtout porté sur le bouddhisme, mais qui représente bien cette vision très scientifique qui englobe le film, à savoir la construction d'un univers animé proche de la réalité, sans pour autant tomber dans des effets poussés de mimétisme. Tokyo Godfathers se révèle ainsi la plus réaliste des œuvres du cinéaste, la plus précise dans la peinture sociale et dans la représentation d'une société portée par le médiatique. Cependant, si la distance et l'ironie se révèlent en contradiction avec les explorations intérieures de ses autres films, Tokyo Godfatherspartage la même humanité et la même sincérité d'émotion, l'arrivée de ce bébé miracle permettant de réconcilier les personnages avec eux-mêmes et de révéler leur sensibilité.

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  • A Tree of Palme

    La poupée sans mère

    A TREE OF PALME (PARUMU NO KI - 2002) – Takashi Nakamura

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    Cette réadaptation de Pinocchio se révèle très inégale, mais témoigne néanmoins de la création d'un très bel univers, création portée par le travail aguerri de Takashi Nakamura. Directeur d'animation chez Katsuhiro Otomo (Akira), mais aussi Miyazaki (Nausicaa de la vallée du vent), ce réalisateur a tiré de ce parcours un goût pour les décors majestueux, à la fois terrifiants et envoûtants, et une partition à la fois naturaliste et apocalyptique.

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    A Tree of Palme conquiert tout d'abord par sa force graphique. Tour à tour sous l'influence des décors d'Otomo, avec quelques détails dans l'animation des vapeurs, fumées, atmosphères diverses proches de ceux de Steamboy, mais également sous celle de Miyazaki, avec la prédominance d'un monde naturel et aliénant, l'univers développé par Nakamura envoûte facilement, créant une forme d'étrangeté qui accompagnera tout le récit. Ensuite, ce monde révèle au fur et à mesure une véritable richesse, dans la tradition du registre de la fantasy, brassant une diversité de tons atmosphériques et de graphismes, et construisant une véritable poésie dans l'image. La séquence où Palme et Popo, dérivant sur une barque la nuit, atterrissent dans une clairière emplies de bourgeons fluorescents et d'étoiles se révèle d'une pure beauté.

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    Le mythe de Pinocchio dont il est tiré ne se révèle qu'un prétexte dans l'histoire : bien d'autres thématiques viennent porter le récit, notamment au travers des personnages secondaires, comme celui de Xian, mais également ceux de Shatta ou Popo. Entre Palme et ces deux derniers se tisse par ailleurs un similaire rapport conflictuel avec l'image de la mère : le premier la recherche en vain, hanté par une image romantique de la femme qui l'a élevé ; le second, Shatta – l'un des protagonistes les plus intéressants du film – tente de sauver sa mère qui est devenue une meurtrière ; tandis que la dernière est confrontée aux accès de violence et à la jalousie de sa parente. Ces thèmes se révèlent autrement plus fascinants que celui de la tentative de devenir humain, ou encore celui du conflit entre les peuples imaginaires dans ce monde fantastique. Le récit peine quelque peu à définir les priorités de toutes ces intrigues, se révélant parfois chaotique, confus, incertain.

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    Dans A Tree of Palme, le plus saisissant reste la caractérisation et la construction du personnage de Palme, intriguant sur une bonne partie du film. Hormis sur un final convenu, Palme est, sur toute la durée du récit, une figure très angoissante, baignée de zones d'ombre et d'une véritable neutralité en faisant un élément insaisissable. L'ouverture, magistrale et puissante, du film l'impose dès le début comme un curieux personnage hybride, une poupée au comportement à la fois animal et robotisé, aux réactions inquiétantes et incontrôlées. Son créateur constate par ailleurs sa nouvelle tentative de fugue avec lassitude. Avec Palme, nous sommes loin du registre féérique de Walt Disney, étant bien plus dans une noirceur de ton et une incompréhension. Une grande partie du film saisit ainsi cet état d'animation partielle et morcelée, où Palme est sans cesse pris dans une immobilité longue et des accents de fureur. En outre, les quelques éléments d'humanité qui existent dans la poupée (ses souvenirs nostalgiques de sa « mère », la femme de son créateur, décédée suite à une maladie) sont représentés avec une certaine mélancolie poignante, constituant un réseau d'images lyriques dans cet ensemble inégal.

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  • La Tour au-delà des nuages

    La frontière du coma

    KUMO NO MUKO, YAKUSOKU NO BASHO – LA TOUR AU-DELA DES NUAGES (2004) – Makoto Shinkai

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    Premier long-métrage de Makoto Shinkai, cinéaste que certains décrivent comme l'héritier de Miyazaki. Le film, bien que bancal, témoigne cependant du style personnel du cinéaste, dont l'univers autant que les choix narratifs se révèlent singuliers. L'un de ses derniers longs-métrages, très remarqué à sa sortie, Le Voyage vers Agharta présente moins de singularité, notamment parce qu'il souffre de comparaisons marquées avec les productions Ghibli (Laputa, Chihiro, Mononoke Hime).

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    Ici, le premier long-métrage de Shinkai traduit à la fois une certaine maladresse, notamment en terme de rythme ou de montage, mais témoigne d'une formidable sensibilité, notamment au travers de sa texture graphique, d'une qualité sidérante. En effet, ce qui marque et distingue en premier Shinkai dans le paysage de l'animation, c'est sa capacité à créer des univers d'une force visuelle magnifique, et dont la précision, l'harmonie, la souplesse incarnent l'héritage de sa carrière dans le jeu vidéo. Le film se révèle notamment particulièrement novateur au niveau de la création de la lumière, et des mouvements de circulation des rayons lumineux. Les séquences dans les transports – qu'ils soient anodins comme le tramway, ou bien plus époques comme les avions – sont de vrais moments d'anthologie visuelle, où la forme vient donner au récit ou à un simple échange entre deux personnages une véritable tension.

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    Le récit de Shinkai se révèle poétique, d'une belle capacité d'association entre l'intime et le spectaculaire, faisant croiser une situation politique avec un triangle amoureux entre de jeunes adultes. Les premiers émois se retrouvent brisés par la grande histoire, qui se déroule dans un monde futuriste totalement imaginaire, mais dressant des passerelles avec la question des armes technologiques et de la guerre au Japon. Mais au final, c'est bien plus l'idée de la frontière qui va définir tout le film. L'image de la limite, le trait de la distance, va marquer les plus belles séquences, celles des rêves de Sayuri, se trouvant dans un coma étrange et angoissant, celles de ses retrouvailles momentanées au beau milieu d'une chambre d'hôpital avec son amie d'enfance, ou encore celle de cet avion construit à mains nues, s'enlisant dans la zone à risque autour de la Tour. Le film de Shinkai tisse ce motif parmi un ensemble qu'on aurait voulu moins romancé. L'abondance de la voix-off, le surplus de coupes et de séquences scientifiques sans réel intérêt empêchent Kumo no muko, yakusoku no basho, d'atteindre sa véritable texture émotionnelle. En restent les traces des séquences nostalgiques, celles de ces souvenirs de jeunesse, où trois étudiants rêvaient sous la voûte du ciel et des nuages.

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