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Animation - Page 7

  • Memories

    Memories

    Un projet de Katsuhiro Otomo

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    Comme tout ensemble de courts-métrages, Memories s'avère inégal, très inégal. Tout d'abord, difficile de voir le fil conducteur entre les trois films proposés et plus que cela, le titre lui-même. Les trois épisodes sont pourtant tirés de récits de Katsuhiro Otomo (réalisateur d'Akira), qui a confié la réalisation de deux des segments à Koji Morimoto et Tensai Okamura. Curieusement, le meilleur épisode reste le premier, Magnetic Rose, et le moins empreint de la marque d'Otomo. Réécrit par Koji Morimoto et le grand Satoshi Kon, il ressemble plus à un film de Satoshi Kon qu'à un récit d'Otomo. L'occasion de prouver que le réalisateur d'Akira reste loin de ses pairs Satoshi Kon ou Hayao Miyazaki, en dépit des apparences et de la qualité uniquement formelle des films qu'il propose. Les deux autres segments, Stink Bomb et Cannon Folder pêchent par leur scénario ou leur manque d'originalité, s’avérant inaboutis.

     

    memrose.jpgMagnetic Rose de Koji Morimoto

    Magnetic Rose, qui ouvre l'ensemble, s'avère le plus intéressant et maîtrisé des segments. On y retrouve la ligne scénaristique de Satoshi Kon,ainsi que ses thèmes fétiches : la fascination pour les progrès de la société moderne, avec ces cosmonautes-éboueurs de l'espace ; la collision de la réalité scientifique avec l'inconscient ; le travail sur les réminiscences du souvenir et la confusion entre réel et illusion. La réalisation de Koji Morimoto est soignée, le trait précis sur les détails et la vraisemblance technologique permet de donner un cadre réaliste au propos fantastique. Comme toujours avec Satoshi Kon, le réalisateur respecte sa capacité à imaginer des passerelles entre l'univers fantasmé de la chanteuse d'opéra et l'opération des cosmonautes, grâce à l'animation. Les murs s'effacent pour donner place à un jardin où se promène une silhouette de femme, le fantôme féminin s'agite, les corps deviennent transparents ou en pierre. Magnetic Rose travaille habilement et de manière poétique sur la permanence du désir et du souvenir, faisant jaillir un lyrisme dramatique dans cette histoire de science-fiction.

     

    Stink Bomb de Tensai Okamura

    Amusant et distrayant. Mais que vient faire Stink Bomb dans cet ensemble ? Le graphisme datémembomb.jpg et le récit dans l'absurde et le grinçant, qui montre comment un jeune homme ayant avalé par inadvertance un médicament contre son rhume se révèle être une bombe puante détruisant toute forme de vie à vingt mètres, ne suffisent pas à apporter l'originalité dans l'ensemble. Un banal récit caricatural voulant mettre en lumière l'incapacité des autorités face à l'événement, mais qui fait au final plus sourire que réfléchir, d'autant plus que l'animation est d'un classicisme fade.

     

    memecannon.jpgCannon Folder de Katsuhiro Otomo

    Comme pour Steamboy, Cannon Folder s'appuie beaucoup trop sur sa forme et la prouesse visuelle, palliant aux maladresses du fond et du scénario empli de lacunes. Otomo met en place tout un univers militaire effrayant et l’ensemble se présente comme un immense plan-séquence animé, dans une réalisation à l'ancienne très impressionnante. Mais le format du court-métrage peine à approfondir son sujet, certains passages s'avérant très long, comme le remplissage d'un canon. Otomo dresse le portrait d'une forme de dictature, où la guerre est prônée (contre qui ? On ne le saura pas) et où toute forme d'espoir est bannie. Les visages sont âpres, miséreux, l'ambiance sombre, le quotidien strict et minime, faisant songer à l'URSS. Si l'originalité visuelle marque dans cet enfer belliqueux, le reste manque de nuances et de réflexion, s'en cantonnant à l'impression horrifique qu'il veut donner.

  • The Sky Crawlers

    Ce vide du ciel, ce vide existentiel 

    THE SKY CRAWLERS

    Un film de Mamoru Oshii

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    Sorti en 2008 (mais pas dans les salles lorraines, comme toujours...), The Sky Crawlers est le dernier film d'animation de Mamoru Oshii, qui a aussi réalisé les deux Ghost in the Shell. Adapté de la série de Hiroshi Mori, The Sky Crawlers, se situant dans un futur imaginaire, met en scène des enfants-pilotes destinés à ne jamais grandir et à servir le pays en participant à des batailles aériennes maintenant le front entre les patries ennemies.

     

    Enfants-soldats

    Ce film d'animation, en dépit des apparences, se débarrasse de toute facilité des scènes d'action, se concentrant sur la psychologie des personnages et les questions que soulèvent un tel thème. Il faut savoir que, dans le domaine de l'animation japonaise, la présence des enfants-soldats est fréquente. Osamu Tezuka le sous-entend bien à travers le personnage de robot d'Astro Boy, quasi-privé d'enfance du fait de l'héroïsme et de la perfection robotique. Et une majorité des séries animées privilégient des protagonistes jeunes, parfois projetés comme armes de guerre dans une bataille d'adultes, tels Gundam Seed ou Soukyuu no Fafner, ce dernier étant très efficace de par sa mélancolie. The Sky Crawlers rejoint cette thématique, Mamoru Oshii lui apposant son regard scrupuleux et dur.

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    Rythme

    Les temps d'action sont très rares, le quotidien se déroulant ostensiblement. Un nouveau venu arrive dans la caserne, mais il est pourtant accueilli dès le départ avec le minimum de forme qu'il soit, le déroulement des journées n'étant en rien perturbé. De même, lorsqu'un des cinq pilotes présents meurt au cours d'une mission, un autre vient le remplacer, adoptant les mêmes gestes que celui auquel il succède. Le rythme est ainsi lent, patient, répétitif. A cela s'allie une atmosphère mystérieuse, faite d'attente et de coups du hasard. The Sky Crawlers n’est pas si loin du quotidien des soldats durant les Guerres Mondiales, l'attente faisant songer à ce que décrivait Joseph Kessel dans nombreux de ses romans sur l'aviation (par exemple L'Equipage, un magnifique récit empreint d'humanité). Après une attaque aérienne, les carcasses des avions et des corps sont parfois introuvables pendant plusieurs jours, les pilotes étant soumis à vivre dans le même microcosme sans rien savoir de l'état de leurs coéquipiers.

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    Solitude, délaissement et mélancolie

    La solitude touche les protagonistes, les échanges étant rares et la pudeur permanente. Chacun suit ses activités, forçant peu l'autre à le suivre. Le héros se raccroche aux habitudes de son coéquipier pour s'intégrer, le suit dans l'unique bar des environs, passe ses nuits avec une de ses amies, emprunte sa moto. Les paysages sont peuplés par l'ennui, la platitude et le vide : de grandes campagnes désertées et traversées par des chemins de terre en ligne droite, où les maisons sont rares et le bar la seule attraction du coin. Dans ce creux quotidien, les enfants-pilotes trouvent un écho à leur vie dans le ciel, ce grand ciel vide et vaste dans lequel ils effectuent des figures, traquent les ennemis ou tentent d'y échapper. Nombreux considèrent leurs batailles non pas comme une nécessité mais comme un métier, comme une tâche les définissant, le ciel y étant peut-être le seul espace offert pour se trouver une place. Sur terre, la mélancolie les gagne. On fume doucement une cigarette, on boit pour oublier, on joue nonchalamment au bowling. Lorsqu'un des pilotes se fait traiter de gamin par son comportement délaissé, il répond « mais je suis un gamin ». Pourtant, il n'y a rien d'enfantin dans leurs actions, car ils tentent d'agir comme des adultes, par leur froideur et leur distance.

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    Psychologie et folie

    Enfin, The Sky Crawlers finit par atteindre le thème de la folie, et c'est sur ce point que le film de Mamoru Oshii se révèle le plus fascinant. Le trait figé et les teints pâles des personnages dessinés, la rigueur et le soin de l'animation en font un film latent, inquiétant. Parmi ce quotidien répétitif, ces gestes mis en valeur par l'animation – fumer une cigarette, survoler les airs, caresser le chien, goûter la tarte du bar, observer sans rien dire les autres – la peur de ne pas vieillir et d'en rester au même point finit par surgir. La sorte d'immortalité de ces enfants-pilotes n'est en rien présentée comme une facilité ou un atout, bien plus comme une faiblesse et une angoisse. Les protagonistes tentent d'y échapper par divers moyens : la présence d'un enfant, fille de la commandante ; la recherche de l'amour ; ou même la mort, certains étant prêts à se suicider, ou à se jeter dans le vide. Vide abyssal de la mort, dans le ciel, face à un ennemi invisible et impitoyable, prêt à exaucer la prière de ces enfants-pilotes condamnés à errer sur terre. The Sky Crawlersest ainsi un film profondément mélancolique, se faisant l'écho, avec patience et pudeur, du destin effroyable de ces personnages.

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  • Perfect Blue

    Mimageries

    PERFECT BLUE (1998) – Satoshi Kon

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    Deuxième film que je découvre du ô combien regretté et ô combien génial Satoshi Kon, Perfect Blue me confirme à la fois dans le talent du maître d’animation décédé l’an dernier ; mais également dans l’échec de Black Swan, le récent film de Darren Aronofski. La vision inopportune et simultanée de ces deux films met en avant une similitude troublante entre Perfect Blue et Black Swan, à tel point que l’on se demande si Eve a été réellement la source primordiale d’inspiration pour Aronofski. Le film de Mankiewicz est pourtant totalement éloigné du malaise psychique de Black Swan, tandis que des films tels que Sunset Boulevard de Billy Wilder et bien plus Perfect Blue ou encore Millenium Actress de Satoshi Kon s’en rapprochent plus par l’analyse du phénomène de dédoublement, de glorification et de quête identitaire. Le fait est troublant, au vu du nombre de scènes proches de Black Swan : même sensation de cauchemar, même jeune personnage confronté à la sexualité et à l’ivresse dangereuse de la gloire, même dédoublement horrifique et visions d’un autre « moi », échos à la scène des portraits en mouvement et à celle de la baignoire… Pourtant, Black Swan échoue là Perfect Blue réussit. De la même manière que Millenium Actress, le scénario sait user de lieux communs pour livrer une oeuvre surprenante, intense, infernale et terriblement efficace. 

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    Tout d’abord, Perfect Blue est un film d’animation, ce qui permet d’acquérir une véritable liberté dans le fantastique et l’incarnation de la psyché à l’écran. Si l’ensemble se place dans un cadre spatio-temporel précis, suivant le personnage de Mima, jeune chanteuse pop japonaise, dans une ville en proie à l’évolution de la technologie, le film prend rapidement une tournure irréelle, troublant tout repère. Dans Millenium Actress, il demeurait le moment de l’interview et les personnages des deux journalistes pour garder une accroche au réel. Il n’en est rien dans Perfect Blue qui suit un fonctionnement cyclique infernal et cauchemardesque. L'échappatoire n'existe pas pour Mima, qui, dès son annonce de départ du groupe dans lequel elle évoluait, semble signer son arrêt de mort. Le final apparaît d'ailleurs comme une libération un peu absurde et inattendue. Si Mima semble s'être acceptée et que le film se finit sur une note d'espoir et de nouveau départ, ce sont les raisons de sa folie et la crise qu'elle a du traverser qui marquent l'esprit du spectateur. Dans Millenium Actress, le sentiment de tragédie et de désillusion face à l'amour perdu l'emportait tout de même sur l'onirisme final. Tel est la force des films de Satoshi Kon : l'horrifique y est si impressionnant et angoissant que seul l'allègement final et libérateur, partiellement rationnel, permet de donner au film une ultime touche d'émotion et d'harmonie.  

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    Une fois de plus, l'animation est le liant des illusions et des réalités mixées de Mima. Le montage, très ingénieux, fait passer d'une scène à l'autre avec une réelle fluidité, jouant souvent sur le thème du mouvement. Dans Millenium Actress, c'était le thème de la course et de la poursuite qui faisait la jonction entre les différents films que jouait Chiyoko, dans Perfect Blue, il s'agit bien plus d'une fuite, un trajet désordonné, chaotique, passant de rêve en réalité. Les effets d'échos sont nombreux, que ce soit au niveau de l'image (mêmes plans réutilisés lors de la scène sous la pluie, ou le visage de Mima à travers l'aquarium), ou du son (récurrence des consignes d'un réalisateur sur le plateau, souvenir des applaudissements à la chanteuse pop), l'ensemble obéissant à une rhétorique de la spirale, proche de l'organisation de la psyché de le jeune héroïne. Chaque scène, chaque angle de prise de vue, chaque détail joue son importance dans le vertige psychologique et physiologique auquel est confrontée Mima, et ce, de manière bien plus fine et scrupuleuse que Black Swan. Le point de vue nous place par exemple souvent dans une situation de voyeur, violant l'intimité de Mima, que ce soit par un travelling arrière sur la fenêtre de son appartement, la vision fugitive des poses dénudées qu'elle offre au photographe, ou plus encore la fameuse scène de viol qu'elle doit jouer pour la télévision, fort moment de suggestion. Le trait grotesque de certains personnages, ajouté à une animation assez saccadée (due aussi à l'époque), donne aisément une impression de malaise, et s'associe à l'ambiance horrifique. 

    Tout comme pour Millenium Actress, les rôles joués par Mima font écho à sa situation et aux événements. Elle figure dans un drama policier, où la série de meurtres scénarisés se retrouve dans la vie réelle avec les nombreux assassinats. La confusion est telle que le doute s'installe quant à la réalité vue au travers de Mima, qui serait un film intérieur, tandis que le drama pourrait être la vérité en elle-même, et non une fiction télévisuelle. Cette confusion se retrouve aussi à l'échelle du journal complété par un admirateur de Mima sur Internet, qui reflète souvent des actions dont elle ne se souvient pas. Les niveaux d'interprétation sont nombreux, les frontières entre fiction/réalité, l'illusion et la vérité se brouillent à tout instant, créant un onirisme constant et dense, chargé d'un doute dramatique.

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    Enfin, et c'est ce qui fait le brio des films de Satoshi Kon, une critique de la société japonaise se dessine toujours au travers de ses films. Millenium Actress, tout en constituant un hommage au cinéma japonais, pointait le conditionnement des ces jeunes actrices repérées pour leur minois d'adolescentes, ainsi que le fonctionnement hiérarchique de l'industrie cinématographique. Pour Perfect Blue, réalisé peu de temps avant les années 2000, au moment du développement d'Internet (Mima découvre avec sa manager le fonctionnement des pages web dans le film), Satoshi Kon s'impose réellement comme un visionnaire quant à l'évolution des nouvelles technologies. La paranoïa de Mima et le voyeurisme de ceux qui l'entourent mettent en avant le thème du pouvoir des images. Le film pointe ce danger de l'image et de l'obsession de filmer afin de connaître tout d'une personne, l'image étant un témoin virtuel, le médiateur pour l'atteindre. La vie privée de Mima se retrouve dévoilée, traquée, par le biais de ce journal sur Internet, et du personnage du fan psychopathe (une sorte de double de l'esprit maléfique qui hante Chiyoko dans Millenium Actress). Mais, paradoxalement, si le film démontre ce danger, il n'y adhère pas pour autant. Le doute subsistera toujours sur cette scène avec le photographe ou celle du viol, entretenant l'ambiguité quant aux vrais agissements de Mima, qui ne semble pas avoir juste joué l'action du viol ou juste posé nue face aux autres pour s'imposer dans le monde du cinéma. Il y aura toujours un vrai respect quant au personnage de la jeune fille, Mima étant candide, positive et courageuse, prête à tout pour s'imposer comme actrice, quitte à se sacrifier en face de ce monde fermé qu'est le cinéma. Evidemment, Satoshi Kon poursuit son hommage à ce monde cinématographique, présenté comme un domaine fascinant pour les jeunes gens, mais également pervers et dangereux. 

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    Contrairement à Black Swan, qui pointait du doigt le déséquilibre de la pauvre Nina uniquement (si l'on tient exception de sa mère dévouée), c'est le machiavélisme de l'environnement qui l'entoure et des adultes qui déclenchent la folie en Mima, qui ne désire que retrouver son simple mais sincère succès de chanteuse pop pour jeunes gens. Le final, optimiste et étrangement apaisé, ouvre la voie à la femme adulte, capable de pardonner, de se retrouver une vraie identité, loin des multiples prototypes imaginés par ses fans, loin des images envahissantes et des imitations erronées et superficielles, ce "Mimageries" qui tissent les rêves animés de Satoshi Kon.

  • Arietty le petit chapardeur

    ARIETTY LE PETIT CHAPARDEUR - Hiromasa Yonebayashi

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    Adapté du conte de Mary Norton, Arietty le petit Chapardeur explore avec brio l’infiniment grand et infiniment petit, œuvre enfantine qui révèle derrière les éléments les plus simples leur complexité et leur richesse insoupçonnée. Dans ce monde, les plus faibles, par exemple le personnage de Sho, jeune garçon malade, ou de son inoffensive grand-mère  deviennent les plus effrayants pour la famille d’Arietty. L’humain ou d’autres animaux tels le chat ou le corbeau, sont vus comme des géants, voire des monstres ; ce que l’animation parvient merveilleusement à retranscrire. Le début du film concerne l’arrivée du jeune homme, les images étant adaptées à sa taille. Son regard, qui suit d’abord le paysage, puis s‘élève vers le haut, révèle le vrai sujet du film lorsqu’il s’abaisse vers le bas, attiré par le comportement étrange du chat près d’une fleur. Dès lors, c’est la regard du jeune garçon qui permet la découverte d’Arietty, phénomène d’identification à un enfant brusquement mis en face d’un être merveilleux. Le reste du film s’attache cependant ensuite à Arietty et à son évolution, Sho n’étant finalement qu’un intermédiaire, un moyen de soulever les herbes et de regarder,  le temps d’un récit d’une heure vingt, vers le bas, nous qui sommes si habitués à regarder vers l’avant et le dessus de nos têtes. Le film ne s’en limite pas à ce choix de point de vue : il est, comme tous les récits de Miyazaki, une ode à la simplicité, au retour aux valeurs et aux choses les plus simples et communes.

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    Cependant, le film apparaît déjà comme un grand récit d’aventure, joliment rythmé et au charme toujours aussi irrésistible. Un récit d’aventure, certes, mais à petite échelle. C’est le coup de brio du réalisateur et du scénario de Miyazaki : réussir à donner à cette légende d’être minuscules la force et l’originalité nécessaires pour divertir. Tout un univers microscopique est reconstitué, où l’œil peut se délecter des astuces déployées par la famille pour se construire un intérieur semblable à celui des humains, mais en dix fois plus réduit. La multiplicité des détails ravit, les couleurs chaudes et végétales harmonisent une demeure marquée par la chaleur, la joie de vivre, la simplicité, donnant sa place au spectateur malgré sa taille réduite. Le plus simple et méprisant des objets de tous les jours y acquiert une valeur précieuse et nouvelle : un mouchoir en papier constitue un drap de choix, l’épingle se révèle épée, le morceau de sucre reste convoité, les feuilles de laurier parfument et embellissent la maison, la cuisine de poupée devient un véritable trésor. Le film semble vouloir faire prendre conscience de la valeur des choses, et prôner un retour intelligent au matériel, à travers l’humilité de personnages ponctuant tous les films des studios Ghibli.

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    La simplicité se retrouve aussi dans une unité de lieu et de temps : chaque déplacement devient un long parcours tortueux dans les recoins de la maison, le moindre geste se retrouve amplifié et complexifié par la différence de taille. De nombreux panoramiques substituent la vision humaine du spectateur à celle extraordinaire d’Arietty : le jardin est une vraie forêt peuplée d’insectes monstrueux (certaines scènes font écho aux créatures croisées par l’héroïne de Nausicaa de la Vallée du Vent) ; les tuyauteries de la maison de longs couloirs obscurs ; les meubles des pièces deviennent d’immenses falaises. Le trajet effectué au début du film avec le père, sorte de baptême de chapardeur pour la jeune fille, imprime une certaine tension tout du long, de même que le sauvetage de la mère, amplifié par le visage monstrueux de l’aide-ménagère, une réplique modeste de la sorcière Yubaba de Chihiro.

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    Enfin, ce charmant long-métrage continue de diffuser en filigrane les valeurs toujours défendues par Miyazaki et les productions Ghibli, cette sorte de sagesse jamais didactique doucement soufflée à l’oreille des spectateurs. Le sens de la famille s’impose dans le trio que forme Arietty avec son père et sa mère, celle-ci, notamment, très drôle, donne lieu à une angoissante scène de disparition, tel un écho à l’angoisse de Sousuke lorsqu’il retrouve la voiture vide de Lisa dans Ponyo sur la Falaise. La nature joue bien évidemment un rôle primordiale, et ce, à travers un court discours écologique (qui aurait peut-être pu ne pas être présent…) qu’adresse Arietty au garçon malade. Une vie saine et paisible est prônée à travers le périple d’Arietty, en contraste avec les dissensions entre les deux peuples. La cruauté de la bonne et la méfiance paranoïaque des chapardeurs pour les humains rappelle les ségrégations entre les êtres de la forêt les humains de Princesse Mononoke.

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    Enfin, tout comme pour Ponyo, Arietty le Petit Chapardeur dévoile de manière amusante les premiers émois amoureux de son protagoniste. Elle n’ose se montrer au jeune garçon, celui s’assimilant plus à une pudeur de jeune fille plutôt qu’à la frayeur d’être vue par un humain. Elle rougit et frisonne lorsqu’elle aperçoit le regard masculin fixé sur elle et se cache derrière un mouchoir ou une branche d’arbre. Ses émois vont de pair avec sa vivacité et sa révolte, son désir de découverte mais aussi de désillusion, très proche en cela du personnage de Kiki. Arietty le Petit Chapardeur fait parti de ces œuvres enfantines du studio Ghibli qui, avec Kiki la Petite Sorcière, Mon Voisin Totoro ou Ponyo sur la falaise, effleurent avec justesse les désirs de l’adolescence.

  • Millenium Actress

    La folle course de Chiyoko 

    MILLENNIUM ACTRESS (2001) - Satoshi Kon

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    Ce film d'animation japonais est la première oeuvre que je découvre de Satoshi Kon, maître de l'animation au même titre que Miyazaki ou Katsuhiro Otomo et malheureusement décédé fin 2010. Millenium Actress fait parti de ces films uniques et indestructible, une grande épopée visuelle à la construction aussi efficace que cohérente. Millennium Actress est un petit bijou, qui derrière les airs naïfs de ses personnages et la simplicité du trait et de l'animation, brasse de grands thèmes sur le destin, la vie d'une actrice, la vieillesse, l'amour, et le cinéma. Satoshi Kon a réussi à mêler, à cette histoire hautement palpitante et infernale, un regard empreint de maturité, d'humanité et de poésie. 

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    Deux journalistes se rendent dans la demeure où vit recluse la célèbre actrice d'un certain cinéma populaire, Chiyoko. dans une première partie, la vieille femme, paisible et sereine, s'apprête à livrer le récit de sa vie privée et de l'évolution de sa carrière professionnelle. Dès le départ, le film adopte un virage très réaliste en dépit de la présence de l'animation : les deux journalistes, des caricatures très drôles du monde de la télévision, se frayent un chemin dans le bois qui entoure la luxueuse demeure de Chiyoko, discutant du sujet, de leurs attentes, de la rencontre. Ces deux personnages, médiateurs de l'introspection de Chiyoko, forment un tandem irrésistible et complémentaire : le journaliste est un homme mûr sous l'adoration de Chiyoko, qui malgré son jeune âge, n'a pu se débarrasser des émois amoureux qu'il éprouvait face à ses films lorsqu'il était jeune ; le cadreur est un jeune homme décontracté et plein de cynisme, dont le seul objectif est de remplir son contrat en enregistrant le maximum d'images pour la télévision. L'un incarne une sorte d'époque quasi-révolue, celle de l'espoir et de la grâce de Chiyoko, et d'un cinéma populaire et ouvert, empreint d'un sentiment épique naïf et passionné ; l'autre représente l'époque plus matérialiste et technique du nouveau millénaire, très terre-à-terre et lucide face aux rêves dans lesquelles nous emmène Chiyoko. Car, rapidement, le film s'épanouit dans l'animation, changeant les frontières du réel et de l'imaginaire, de la réalité présente du XXIème avec celle fantasmée du cinéma. 

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    En effet, Chiyoko nous emmène peu à peu, au travers de son interview, dans un univers mental propre à elle, reflet de ses propres désirs et angoisses, et dans lequel vont se retrouver impliqués le journaliste et le cadreur. Le luxueux salon laisse place à des décors de forêts ou de temples, de quais de gare ou d'intérieurs japonais des années 50. Le rythme et la temporalité sont efficacement traités : le passage de la vue objective à subjective se fait peu à peu, le présent se rappelant parfois à l'écran. Au bout de la moitié du film, la temporalité est définitivement cassé pour nous emporter dans un tourbillon infernal et interminable, où se jalonnent les différents espoirs déçus de Chiyoko, sorte de princesse destinée à rechercher sans relâche l'homme qu'elle aime. 

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    L'animation prend son véritable envol avec les fameux passages qui concernent la quête de Chiyoko. Millenium Actress est un film sur le destin d'une femme, dont la vie intime fut toujours étroitement liée avec les rôles de sa carrière. Le film se plaît à confondre les deux dimensions, à entrelacer et mêler les reconstitutions filmiques avec le quotidien de la jeune fille. Si Chiyoko grandit au fur et à mesure, passant de la timide collégienne à la jeune fille passionnée, puis à la femme mûre, elle ne renoncera en rien à celui qu'elle aime, un peintre dissident qui tentait d'échapper à la police. Dans chacun de ses rôles, elle est confrontée aux mêmes détracteurs, à des obstacles et à des portes fermés, à des alliés, le tout répondant à une malédiction éternelle. Mais si le film joue sur la répétition et la thématique de la spirale et du cercle, il n'est en rien redondant ou lassant. A chaque nouvel espoir, la volonté se fait plus forte, les obstacles plus pénibles, et l'inaccessibilité plus déchirante. De plus, l'animation donne progressivement de plus en plus d'ampleur et de dynamisme à cette quête, créant une multiplicité dans le désir. 

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    Cette progressive accélération du rythme s'assimile et représente merveilleusement les sentiments de Chiyoko, à la cadence de son coeur qui bat plus fort à l'approche de celui qu'elle aime, protagoniste dont le visage restera toujours inconnu, comme s'il pouvait être une pièce imaginative de Chiyoko dans son souvenir fantasmé. Certains moments, véritablement magiques, sont restés célèbres pour ce puissant dynamisme : ceux où Chiyoko court, portée par son amour et sa folie, traversant les âges, les époques, les décors et les costumes, dérapant mais se relevant toujours. Le film tisse un système impressionnant d'échos de scènes à scènes, renouvelle toujours le thème de la poursuite tout en créant des liens entre Chiyoko enfant et Chiyoko adulte, Chiyoko dans son premier rôle de petite fille voyageant en train à Chiyoko dans son dernier rôle à bord d'un vaisseau spatial.

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    Au-delà de l'efficacité d'un scénario, à la base classique, car traitant des thèmes communs de l'amour perdu et de l'écoulement du temps, Millenium Actress est enfin un formidable regard sur la société japonaise du XXème siècle, son évolution, et surtout son cinéma. Le personnage de Chiyoko incarne un prototype de femme qui réussit à se faire un nom dans le domaine, mais reste cependant écrasée par l'uniformité de ses rôles, toujours encadrée par les mêmes acteurs jaloux. Plus encore, elle devra faire face au destin tout tracé devant elle, et dont elle veut s'échapper pour rejoindre son amant : une mère qui décide de ses actions, un réalisateur qui lui fait pression pour qu'elle devienne sa femme au foyer, une société qui ne la voit qu'à travers les personnages qu'elle incarne. Au final, Chiyoko aura droit à une multiplicité de visages maquillés et de costumes différents, mais n'apparaîtra sous sa véritable forme que lors de l'interview, où elle révélera ses vraies frustrations. Une femme aux multiples miroirs et facettes mais qui n'est animée, derrière tous ces masques, que par le feu brûlant de son amour. Ce personnage traverse tout le XXème siècle, vu en filigrane des rôles qu'elle incarne. La guerre est décrite à travers des rôles de jeune fille miséreuse, perdue parmi des villages bombardés (Hiroshima y est signifié de manière très forte). Puis la société de communication par des projets plus ambitieux, et la guerre froide avec le rapport au film d'aventure spatiale. Le cinéma japonais, dont elle incarne le pan populaire, se fait l'écho de l'Histoire et de la culture de ce pays, car Millenium Actress est un formidable hommage à ce cinéma. Le film passe par tous les genres : la bluette romantique pour adolescents ; le film de science-fiction ; le film de ninja ; le film engagé sur la Résistance durant la guerre ; les reconstitutions historiques ; le film de guerre ; la fiction familiale avec des références à Ozu ; le film fantastique et mystique, lien direct avec le thème de la malédiction qui hante Chiyoko ; et même le dessin animé d'une certaine époque avec une séquence ingénieuse où Satoshi Kon grossit volontairement son trait de dessin et s'inspire du travail des estampes japonaises. 

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    Millennium Actress est un magnifique portrait de femme, dont les sentiments sont incarnés avec une belle grandeur à travers l'animation impeccable. ce film, par sa rigoureuse construction, se rêvée un hommage passionné et un regard lucide au cinéma , à l'amour et à l'identité en elle-même. Cette fameuse clé que Chiyoko porte en permanence autour de son cou, n'ouvrira jamais le coffre qu'elle recherche, et restera un élément mystérieux et fascinant jusqu'au bout, à l'image de l'identité de Chiyoko. A la fin du film,  Chiyoko finira par accepter son destin, à reconnaître son échec, prête à finir ou à continuer sa folle course, mais au-delà de la vie, au-delà des étoiles, dans un rêve inachevé et mystérieux.

  • Ponyo sur la falaise

    Les enfants et les parents

    PONYO SUR LA FALAISE (2009) – Hayao Miyazaki 

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    Après l'inégal Château ambulant, Hayao Miyazaki, que l'on croyait effacé après la sortie des Contes de Terremer de son fils, revient en force avec un nouveau film incroyable, réunissant une fois de plus les ingrédients qui avaient fait le charme des précédents et réussissant à transcender une fois de plus l'écran et les ressources de l'animation.

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    Ponyo sur la falaise est une adaptation dérivée de la Petite sirène, devenue un « poisson rouge » tentant d'échapper à l'autorité de ses parents et de son foyer maritime. L'originalité du scénario, qui détourne grandement toutes les questions romantiques qui saturait le Disney, est dereposer, tout d'abord sur la réduction de la romance à l'échelle de l'enfance, et ensuite d'y apposer constamment le regard des parents, définissant plusieurs figures paternelles et maternelles auparavant moins explorées dans les autres oeuvres de Miyazaki. Enfin, l'univers maritime est prétexte à une explosion de couleurs et créatures diverses. Ce qu'installe le cinéaste japonais avec les profondeurs de la mer est similaire avec ce qu'il créait dans la forêt de Mononoke Hime ou dans le ciel de Laputa. Les films de Miyazaki ont un fondement profondément écologique, et la première partie du film, avec l'arrivée de Ponyo dans le monde des humains, permet de vérifier ce thème. 

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    Il subsiste toujours un contraste entre le monde florissant et lumineux du milieu naturel, ici la mer, et les constructions monstrueuses humaines. Dans la première partie du film, Ponyo quitte un foyer familial où les cellules se démultiplient à l'infini, où les créations affluent, où les couleurs miroitent sous les bulles, pour rejoindre les bordures saturées de déchets et agitées par les palles des bateaux de la ville de Sosuke. Par ailleurs, l'idéal du père du petit poisson est purement écologique, se concrétisant par le paradis bullaire qu'il créera pour les vieilles femmes de la maison de retraite. Miyazaki sait parfaitement utiliser toutes les ressources de son élément, allant jusqu'à transformer la ville en étang gigantesque, peuplé de créatures préhistoriques, envahie par des vagues fantastiques. La musique merveilleuse de Hisaishi est toujours aussi surprenante et délicieuse pour embaumer cet univers. De plus, une certaine gradation s'effectue, de manière maîtrisée, entre les différentes étapes du bouleversement, des quelques vagues monstres du père qui poursuivent le petit garçon jusqu'à l'explosion colorée et crépitante provoquée par Ponyo et enfin la confusion complète entre paysage humain et naturel. 

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    Cette transformation d'un paysage, déjà observée dans les autres films de Miyazaki, comme Le voyage de Chihiro (les bains semblant vestiges s'animant à la tombée de la nuit), provoquée généralement par les esprits et autres créatures mystiques, se déclenche par la revendication du petit poisson. On peut voir en la force magique de la fillette, jusqu'à écraser son père, les excroissances liées à l'adolescence. Les inquiétudes de Fujimoto ne sont-elles pas analogues à celles classiques du père face à leurs filles grandissantes ? Car derrière la naïve histoire d'amour entre les deux enfants réside toujours le regard des parents en arrière-plan, que ce soit Lisa dans la maison ou Fujimoto sur son « véhicule » marin. Le film oppose ces deux figures, l'une chaleureuse et attentive, gardant son calme face aux événements, l'autre catastrophé et maladroit. Or, Miyazaki s'attache rarement aux portraits des parents, les laissant toujours inexistants dans ces films les plus célèbres, préférant plutôt la présence des grands-parents. Dans Ponyo, la mère est bien plus courageuse et exemplaire que le père, sachant comment exprimer ses sentiments, que ce soit Lisa pétillante ou la « déesse de la mer », présence maternelle impressionnante. Néanmoins, les personnages de parents n'en restent pas moins nuancés, comme Fujimoto, intéressant car rare jusqu'à présent dans l'univers miyazakien. Cette figure de père maladroit, fatigué et inquiet change du gentil homme à lunettes de Totoro ou Kiki, la petite sorcière, s'avérant même beaucoup plus amusant et touchant.

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    Enfin, Ponyo sur la falaise réunit admirablement tous les ingrédients du vieux cinéaste. Jamais l'animation n'aura atteint un tel de gré de fluidité, jamais les décors n'auront été aussi ravissants et précis et le fantastique aussi flamboyant. De plus, le film fut réalisé de manière traditionnelle, presque entièrement à la main, ce qui rajoute une certaine pureté que l'on perdait un peu dans le précédent. Par ailleurs, le début du film est l'exact miroir de celui de Laputa, l'ascension de Ponyo vers le large s'apparentant à la chute de Shiita vers la terre. Mais Ponyo reste un ravissement pour les yeux et les oreilles, toujours aussi originale et maitrisé.

  • Omoide Poroporo

    Retour à la Terre

    OMOIDE POROPORO (SOUVENIRS GOUTTE A GOUTTE) – Isao Takahata

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    Merci à Louise pour le DVD !

    Souvenirs goutte à goutte est un film d'animation sorti le 20 juillet 1991 (il y a donc exactement 20 ans!) et heureusement disponible en DVD actuellement. Le film d'Isao Takahata permet de réaffirmer les valeurs du cinéma des studios Ghibli, posé dans sa narration et le choix de ses thèmes, plus tourné vers le public adolescent et adulte pour livrer une leçon de sagesse et de poésie.

    Histoire d'une jeune adulte

    Taeko atteint la trentaine, est toujours célibataire au grand dam de sa mère, et suit la routine deomotrain.jpg son travail dans de quelconques bureaux à Tokyo. Lorsqu'elle demande un congé pour passer des vacances à la campagne, la jeune femme posé et tranquille de Tokyo se transforme en une travailleuse dynamique et enthousiaste, aidant aux récoltes des fleurs de carthame, dont les pigments rouges sont utilisés par les teinturiers. C'est au cours de ces vacances paysannes que ses souvenirs d'enfance vont se manifester, d'abord par petites touches, puis de manière suffisamment fréquentes pour que la jeune femme ait envie de les raconter. Postulat assez simple, mais qui révèle bien des choses sur une jeune adulte. Là où le thème du souvenir est attendu avec des protagonistes âgés revenant sur les étapes de leur vie, c'est ici à travers une jeune femme que s'entame le processus de remémoration.

    Retour à l'enfance

    omofamille.jpgLe trait est posé et harmonieux, l'ensemble ressemble à un film d'Ozu, avec son sens de la famille et sa nostalgie de l'image. Le film s'articule sur une série de scènes de l'enfance de Taiko, et l'influence d'Ozu se fait le plus sentir sur ces scènes : cadrage au niveau des tatamis et des personnages agenouillés, plans de groupe, même pudeur et simplicité des sentiments. Le film est marqué par une très grande justesse, saisit les moments de joies, de tristesse ou de tension avec une véritable retenue. Cette justesse permet la portée universelle des scènes décrites, malgré le contexte et les intérieurs japonais : la déception après l'ouverture d'un ananas, fruit rare à l'époque ; les disputes avec la grande sœur ; les illusions de carrière d'actrice après avoir joué dans une pièce à l'école ; l'arrivée des premières règles ; et bien évidemmentomoshojo.jpg les premières amours... Mais Souvenirs goutte-à-goutte, par son système de fragmentation, obéit à un rythme posé et maîtrisé, donnant à ces scènes le naturel et l'émotion nécessaires pour éviter tout effet de lourdeur ou de stéréotype. De plus, on retrouve dans ces scènes toute une culture de l'époque : le style inachevé et pâle donne l'impression de voir un vieux dessin animé japonais, certains visages de Taeko enfant revêtissent même parfois le large regard naïf des personnages féminins des shojo de l'époque. De multiples références à des émissions, groupes musicaux de l'époque parsèment en outre les scènes nostalgiques.

    Retour à la terre

    omocampagnevr.jpgEnfin, les souvenirs sont mis en parallèle avec les vacances de Taiko à la campagne. Une large part est ainsi consacrée, en contraste avec le cocon de la maison d'enfance et de l'école, aux paysages naturels et à l'essence purifiante de la campagne. Alors que les souvenirs apparaissent dans un trait léger et des couleurs presque pastels et claires, la partie du présent est plus verdoyante, prononcée dans le style et les choix d'atmosphère. Le film revendique l'ostentation et la modestie des vies des paysans, et laisse sa place à l'harmonie des lieux et des sons. Des chants hongrois résonnent dans la montagne, le rouge des carthames s'imprime à l'écran. Le calme et la douceur de cette campagne mènent Taeko à la réflexion, la rêverie, le souvenir, ses pensées d'enfance reflétant au final les seules fortes émotions qu'elle a pu éprouver dans sa vie. Le retour à l'ensemble va de pair avec un retour aux sources, à la terre natale, à la terre du bonheur et de la vraie vie. Si Taeko commence à se souvenir dans un train, merveilleuse symbolique qu'on peut retrouver dans tous types de films, elle refuse au final de voyager dans le train du retour, préférant prendre ses valises, descendre de la voie toute tracée vers Tokyo, et de revenir à la terre qui lui plaît. 

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  • Nasu - Un été andalou

    NASU - UN ETE ANDALOU

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    Comment obtenir la meilleure combinaison cosmopolite dans un film ? Nasu remplit aisément cette condition, étant, sous l'égide des studios Madhouse, le premier film d'animation consacré au cyclisme, ce sport bien occidental, et se déroulant en Andalousie, le tout marqué par une réalisation japonaise. Oui, bien avant nos françaises Triplettes de Belleville (Sylvain Chomet), les célèbres studios japonais avaient déjà créé un film d'animation consacré au vélo et à son esprit compétitif forcené.

    Durant un peu plus d'une heure, le film est présenté sur la jaquette comme une collaboration studios Ghibli-Madhouse productions, Hayao Miyazaki faisant figure d'être l'initiateur de ce projet. Affirmation un peu poussée de la part de l'éditeur DVD, les studios Ghibli n'étant pas présents dans le générique final... On reconnaît au contraire plutôt la patte des studios Madhouse à travers le choix de personnages déjà adultes, et d'un graphisme plutôt décapant qu'allant dans le sens de l'harmonie de chez Ghibli.

    Le film respecte la durée d'une étape d'un Tour compétitif, où le cycliste Peppe doit traversernasu.jpg les landes perverses car désertiques de son pays natal, l'Andalousie, le jour où son frère se marie. A travers ce postulat sont dressés les deux thèmes principaux du film, à savoir le sens de la patrie et de la fratrie. Si l'action se passe en Andalousie, il se retrouve ce goût de la terre natale, des champs cultivés et d'anciennes traditions culinaires de la région, phase écologique que l'on peut difficilement soustraire à la majorité des films d'animation japonais. C'est peut-être à ce niveau que l'on retrouve le plus l'esprit de Miyazaki. Nasu donne une couleur dynamique à l'Andalousie, porté par les chansons typiques, les panoramiques sur les paysages, l'excentricité de ses habitants (tel l'oncle, un cas typique aussi agaçant qu'attachant), le symbole du taureau qui vient fournir de l'ombre au cycliste harassé.

    Ensuite, agit le second thème, à savoir le trajet initiatique de Peppe, qui voit dans cette étape un
    défi, une manière de surpasser son frère qui se marie avec celle qu'il aimait. Peppe compense la perte affective par le gain de la course, mais se rend vite compte de la différence énorme entre les deux, sa victoire n'étant que le reflet de la désillusion. Là aussi, malgré l'écart géographique se retrouve une conception du temps typique au cinéma japonais, car « cyclique » dans ce film sur le cyclisme. Peppe revient sur les souvenirs de son passé, tout comme il traverse emblématiquement sa terre natale.

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    On peut regretter la trop grande sagesse du film, qui ne dure qu'une heure et développe peu lethème du vélo à travers l'animation. L'opposition très virile entre les sportifs est bien mise en avant, amis c'est seulement sur la fin de la course que Nasu se permet quelques libertés dans l'animation, les cyclistes se transformant en monstres déformés lors du sprint ultime. Nasu est ainsi un agréable film, teinté d'une légère nostalgie et d'une légère, trop légère, excentricité. Il aurait été bien de voir craqueler un peu les limites de cette Andalousie sereine.