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Millenium Actress

La folle course de Chiyoko 

MILLENNIUM ACTRESS (2001) - Satoshi Kon

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Ce film d'animation japonais est la première oeuvre que je découvre de Satoshi Kon, maître de l'animation au même titre que Miyazaki ou Katsuhiro Otomo et malheureusement décédé fin 2010. Millenium Actress fait parti de ces films uniques et indestructible, une grande épopée visuelle à la construction aussi efficace que cohérente. Millennium Actress est un petit bijou, qui derrière les airs naïfs de ses personnages et la simplicité du trait et de l'animation, brasse de grands thèmes sur le destin, la vie d'une actrice, la vieillesse, l'amour, et le cinéma. Satoshi Kon a réussi à mêler, à cette histoire hautement palpitante et infernale, un regard empreint de maturité, d'humanité et de poésie. 

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Deux journalistes se rendent dans la demeure où vit recluse la célèbre actrice d'un certain cinéma populaire, Chiyoko. dans une première partie, la vieille femme, paisible et sereine, s'apprête à livrer le récit de sa vie privée et de l'évolution de sa carrière professionnelle. Dès le départ, le film adopte un virage très réaliste en dépit de la présence de l'animation : les deux journalistes, des caricatures très drôles du monde de la télévision, se frayent un chemin dans le bois qui entoure la luxueuse demeure de Chiyoko, discutant du sujet, de leurs attentes, de la rencontre. Ces deux personnages, médiateurs de l'introspection de Chiyoko, forment un tandem irrésistible et complémentaire : le journaliste est un homme mûr sous l'adoration de Chiyoko, qui malgré son jeune âge, n'a pu se débarrasser des émois amoureux qu'il éprouvait face à ses films lorsqu'il était jeune ; le cadreur est un jeune homme décontracté et plein de cynisme, dont le seul objectif est de remplir son contrat en enregistrant le maximum d'images pour la télévision. L'un incarne une sorte d'époque quasi-révolue, celle de l'espoir et de la grâce de Chiyoko, et d'un cinéma populaire et ouvert, empreint d'un sentiment épique naïf et passionné ; l'autre représente l'époque plus matérialiste et technique du nouveau millénaire, très terre-à-terre et lucide face aux rêves dans lesquelles nous emmène Chiyoko. Car, rapidement, le film s'épanouit dans l'animation, changeant les frontières du réel et de l'imaginaire, de la réalité présente du XXIème avec celle fantasmée du cinéma. 

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En effet, Chiyoko nous emmène peu à peu, au travers de son interview, dans un univers mental propre à elle, reflet de ses propres désirs et angoisses, et dans lequel vont se retrouver impliqués le journaliste et le cadreur. Le luxueux salon laisse place à des décors de forêts ou de temples, de quais de gare ou d'intérieurs japonais des années 50. Le rythme et la temporalité sont efficacement traités : le passage de la vue objective à subjective se fait peu à peu, le présent se rappelant parfois à l'écran. Au bout de la moitié du film, la temporalité est définitivement cassé pour nous emporter dans un tourbillon infernal et interminable, où se jalonnent les différents espoirs déçus de Chiyoko, sorte de princesse destinée à rechercher sans relâche l'homme qu'elle aime. 

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L'animation prend son véritable envol avec les fameux passages qui concernent la quête de Chiyoko. Millenium Actress est un film sur le destin d'une femme, dont la vie intime fut toujours étroitement liée avec les rôles de sa carrière. Le film se plaît à confondre les deux dimensions, à entrelacer et mêler les reconstitutions filmiques avec le quotidien de la jeune fille. Si Chiyoko grandit au fur et à mesure, passant de la timide collégienne à la jeune fille passionnée, puis à la femme mûre, elle ne renoncera en rien à celui qu'elle aime, un peintre dissident qui tentait d'échapper à la police. Dans chacun de ses rôles, elle est confrontée aux mêmes détracteurs, à des obstacles et à des portes fermés, à des alliés, le tout répondant à une malédiction éternelle. Mais si le film joue sur la répétition et la thématique de la spirale et du cercle, il n'est en rien redondant ou lassant. A chaque nouvel espoir, la volonté se fait plus forte, les obstacles plus pénibles, et l'inaccessibilité plus déchirante. De plus, l'animation donne progressivement de plus en plus d'ampleur et de dynamisme à cette quête, créant une multiplicité dans le désir. 

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Cette progressive accélération du rythme s'assimile et représente merveilleusement les sentiments de Chiyoko, à la cadence de son coeur qui bat plus fort à l'approche de celui qu'elle aime, protagoniste dont le visage restera toujours inconnu, comme s'il pouvait être une pièce imaginative de Chiyoko dans son souvenir fantasmé. Certains moments, véritablement magiques, sont restés célèbres pour ce puissant dynamisme : ceux où Chiyoko court, portée par son amour et sa folie, traversant les âges, les époques, les décors et les costumes, dérapant mais se relevant toujours. Le film tisse un système impressionnant d'échos de scènes à scènes, renouvelle toujours le thème de la poursuite tout en créant des liens entre Chiyoko enfant et Chiyoko adulte, Chiyoko dans son premier rôle de petite fille voyageant en train à Chiyoko dans son dernier rôle à bord d'un vaisseau spatial.

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Au-delà de l'efficacité d'un scénario, à la base classique, car traitant des thèmes communs de l'amour perdu et de l'écoulement du temps, Millenium Actress est enfin un formidable regard sur la société japonaise du XXème siècle, son évolution, et surtout son cinéma. Le personnage de Chiyoko incarne un prototype de femme qui réussit à se faire un nom dans le domaine, mais reste cependant écrasée par l'uniformité de ses rôles, toujours encadrée par les mêmes acteurs jaloux. Plus encore, elle devra faire face au destin tout tracé devant elle, et dont elle veut s'échapper pour rejoindre son amant : une mère qui décide de ses actions, un réalisateur qui lui fait pression pour qu'elle devienne sa femme au foyer, une société qui ne la voit qu'à travers les personnages qu'elle incarne. Au final, Chiyoko aura droit à une multiplicité de visages maquillés et de costumes différents, mais n'apparaîtra sous sa véritable forme que lors de l'interview, où elle révélera ses vraies frustrations. Une femme aux multiples miroirs et facettes mais qui n'est animée, derrière tous ces masques, que par le feu brûlant de son amour. Ce personnage traverse tout le XXème siècle, vu en filigrane des rôles qu'elle incarne. La guerre est décrite à travers des rôles de jeune fille miséreuse, perdue parmi des villages bombardés (Hiroshima y est signifié de manière très forte). Puis la société de communication par des projets plus ambitieux, et la guerre froide avec le rapport au film d'aventure spatiale. Le cinéma japonais, dont elle incarne le pan populaire, se fait l'écho de l'Histoire et de la culture de ce pays, car Millenium Actress est un formidable hommage à ce cinéma. Le film passe par tous les genres : la bluette romantique pour adolescents ; le film de science-fiction ; le film de ninja ; le film engagé sur la Résistance durant la guerre ; les reconstitutions historiques ; le film de guerre ; la fiction familiale avec des références à Ozu ; le film fantastique et mystique, lien direct avec le thème de la malédiction qui hante Chiyoko ; et même le dessin animé d'une certaine époque avec une séquence ingénieuse où Satoshi Kon grossit volontairement son trait de dessin et s'inspire du travail des estampes japonaises. 

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Millennium Actress est un magnifique portrait de femme, dont les sentiments sont incarnés avec une belle grandeur à travers l'animation impeccable. ce film, par sa rigoureuse construction, se rêvée un hommage passionné et un regard lucide au cinéma , à l'amour et à l'identité en elle-même. Cette fameuse clé que Chiyoko porte en permanence autour de son cou, n'ouvrira jamais le coffre qu'elle recherche, et restera un élément mystérieux et fascinant jusqu'au bout, à l'image de l'identité de Chiyoko. A la fin du film,  Chiyoko finira par accepter son destin, à reconnaître son échec, prête à finir ou à continuer sa folle course, mais au-delà de la vie, au-delà des étoiles, dans un rêve inachevé et mystérieux.

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