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Animation - Page 6

  • Un été avec Coo

    KAPPA NO KUU TO NATSU YASUMI - UN ETE AVEC COO (2007)

    Keiichi Hara

    Encore un grand merci à Louise pour le DVD.

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    Un Eté avec Coo est le premier film de Keiichi Hara. Son second film, Colorful, est sorti en salles et en DVD cette année. Un Eté avec Coo s'attache à décrire l'extraordinaire été que va vivre un petit garçon d'une dizaine d'années, Koichi Uehara, et sa famille, en recueillant un kappa(génie des eaux) enfermé dans une pierre pendant plusieurs millions d'années. Le film, s'il peut sembler naïf à la lecture de ce synopsis, et se destiner à un public d'enfants, s'avère néanmoins d'une certaine noirceur, abordant les thèmes de la différence, de la cruauté, ou même de la médiatisation à travers sa seconde partie, riche en rebondissements. Cependant, le premier long-métrage de Keiichi Hara garde tout du long un esprit de légèreté et de fraîcheur.

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    Un Eté avec Coo se distingue tout d'abord par son extrême simplicité, qui tend à laisser à l'animation ce qu'elle de plus pur, de plus fluide et de plus universel. Pas de gigantisme des décors comme chez Miyazaki, pas de fantaisie comme chez Mamoru Hosoda mais plutôt une modestie dans l'animation et les personnages, plus proche en ce sens de Piano Forest (Masayuki Kojima) ou de la veine paisible d'une poignée de films Ghibli (Souvenirs goutte à goutte ou Whisper of the Heart). Le film s'attache tout d'abord à une famille moyenne, vivant dans une banlieue grisâtre, loin de dépenser des actes héroïques et se laissant plutôt porter par les événements. Par ailleurs, la première réaction de la mère face au kappa est de le considérer comme un animal répugnant devant être vite dégagé de la maison familiale. L'esprit reste de fait très universel et convivial. Peu à peu, les membres de la famille (à l’exception de la petite sœur, capricieuse et jalouse) s'intéressent à Coo, effectuent des recherches, le nourrissent et l'intègrent comme une nouvelle partie intégrante de leur quotidien modeste. Très vite, de nombreuses séquences d'une délicate émotion font sourire, complicité autour des repas, taquineries autour de la petite sœur naïve et pleurnicharde, échanges avec le chien, partage du bain ou du rafraîchissante bouteille versée sur la tête, et même baptême alcoolique à travers une étonnante séquence où le père verse sur la coupelle servant de tête au kappa une gorgée de bière, rendant de fait la créature ivre et joyeusement hilare.

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    Cette simplicité gagne de fait l'animation du film et des personnages : leurs traits sont réguliers et sans grande distinction, leurs silhouettes fluettes, leurs gestes simples et quotidiens. En revanche, par contraste, lyrisme et soin sont apportés aux décors, comme si Keiichi Hara présentait la nature comme le véritable aboutissement et achèvement de l'homme. Force en est une bouleversante et émouvante séquence servant de charnière dans l'intrigue du film, où Coo retrouve un ruisseau paisible et partage un moment de nage extatique avec Koichi. Dans cette scène, l'animation de l'eau est bien l'une des plus belles et réussie dans le cinéma d'animation en général, arrivant à retranscrire le miroitement délicat du mouvement de cet élément presque insaisissable. De fait, le film s'avère une re-découverte, d'abord pour Koichi, puis pour sa famille, de la beauté simple de la nature, comme un retour aux sources : la grisaille boueuse du quartier où vivent ces humains se voit supplantée par les décors paisibles et ensoleillés des coins ruraux des alentours.

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    Par la suite, le point de vue de cette histoire s'aiguise et devient plus intéressant à partir de la deuxième partie, celle où l'existence de la petite créature se retrouve dévoilée aux yeux du grand public. De fait, le film décrit très bien la cruauté de la rumeur et des préjugés à travers le regard du personnage de Koichi : peu à peu, ses amis deviennent jaloux, méfiants, distants, et assimilent sa personne à celle, étrangère et bizarre, du kappa. De même, les habitants du quartier regardent ceux qu'ils considéraient comme leurs voisins comme des attractions touristiques, et la modeste maison familiale attire les foules et les caméras, à travers d'absurdes scènes de rassemblement populaire, où les journalistes se battent pour obtenir une bribe d'information sur la créature. Sans jugement porté sur ces pratiques (les journalistes ou les curieux ne sont en rien traités sur le mode péjoratif), le film montre intelligemment cette obsession, souvent médiatique, que porte le monde extérieur à tout ce qui peut ressortir de l'étrange, de la bizarrerie, du non-humain. Le climax du film tend à jouer sur cette fascination totalement malsaine, Coo étant finalement amené dans une émission populaire, face aux caméras, et, malgré les premiers efforts d'humanisation des experts, sera par la suite re-considéré comme un monstre, notamment à travers une parabole avec King Kong. Le kappa grimpe en haut d'une tour surplombant la ville pour échapper aux foules, non pour terroriser cette fois-ci, mais pour exprimer son angoisse face aux rejets des humains. La fin du film, émouvante, n'écarte pas ce constat de la difficulté de communiquer et de se lier avec les autres et de faire accepter sa différence par tous, mais porte en avant, comme un dépassement, une touchante ouverture sur les vertus de l'amitié.

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    A venir : La Servante, Ame et Yuki, les Enfants-Loups

  • Hommage à Satoshi Kon

    A Bout de Souffle

    Hommage à Satoshi Kon, deux ans après son décès le 24  août 2010

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    Regarder un film de Satoshi Kon, ce n'est pas "regarder" un film : c'est entrer littéralement dans un univers différent, parallèle, déluré, flamboyant, sans cesse surprenant, constamment surréel et pourtant terriblement familier. Malgré la complexité des scénarios ou de la forme visuelle, il y a toujours une place pour le spectateur : l'entrée dans le film est immédiate, naturelle, irrésistible, un basculement nouveau, la première à la dernière image étant attractive et intense. Les films de Satoshi Kon ne sont jamais ennuyeux (tout comme les films de Miyazaki, autre grand maître de l'animation japonaise), toujours percutants, toujours en perpétuel renouvellement, mouvement, bouillonnement d'idées et d'images, magiquement agencés par une cohérence infaillible. Pas un seul plan, pas une seule phrase ne peuvent être écartés dans ses films : chaque élément a son importance et constitue une clé dans la poursuite du récit ou la réflexion psychologique qui se tisse progressivement, le tout formant un véritable puzzle onirique et animé.

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    Dans ses derniers mots, poignants, et que l'on peut découvrir sur le site Animeka, Satoshi Kon, qui se savait atteint par un cancer incurable ne lui laissant que quelques mois à vivre, remercie successivement toutes les personnes qui se sont occupées de lui, et qui ont accepté de le soutenir dans son travail, que lui-même juge très particulier. Satoshi Kon semble lui-même dépassé par ses propres idées et son univers, totalement différents de ce qui se produit dans l'animation japonaise. Ses réalisations s'avèrent plus grinçantes, portées par une certaine violence ou de l'humour noir, influencés par le cinéma américain, que Satoshi Kon admirait, mais gardent toujours, paradoxalement, une certaine dose d'humanité et de sentiments. Tokyo Godfathers, par exemple, est un véritable conte de Noël à échelle des plus démunis, marginaux et délaissés de la société japonaise, les trois mendiants insupportables du film se révélant à travers leur recherche de la mère d'un enfant abandonné la veille de Noël à Tokyo. Et même si la plupart de ses films paraissent désespérés, effrayants car ils s'attaquant aux parts les plus noires de la psychologie humaine, leurs derniers plans retentiront toujours comme l'annonce d'une nouveau départ, portant une véritable douceur optimiste. Le dernier plan de Perfect Blue est celui d'une voiture partant vers un nouvel horizon, celui de Millenium Actress d'une fusée s'élevant dans le ciel, et celui de Paprika, surtout, de l'entrée dans un cinéma.

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    Aucun étonnement à ce que le dernier film inachevé de Satoshi Kon, Yume Miru Kikai (Dreaming Machine ou The Dream Machine pour sa traduction en anglais), porte le mot « Yume » ou « Rêve » dans son titre, film que Satoshi Kon regrette d'avoir dû laisser en suspens suite à l'aggravation de sa maladie. Le réalisateur avait en effet cette conception tout à fait honorable de considérer l'animation comme un véritable moyen de s'immiscer dans l'onirisme d'un ou de plusieurs personnages. Le rêve est en effet le chemin à la fois de la personnalité, de l'intimité, mais aussi de tous les possibles. Déformations, déstructurations, reconstitutions et réalisations sont les mots-clés des univers intérieurs que le cinéaste nous offre à voir, que ce soit chez Mima (Perfect Blue), Chiyoko (Millenium Actress), les trois mendiants de Tokyo Godfathers, mais aussi Tsukiko (Paranoïa Agent), la cantatrice de Memories, ou la jeune fille d'Ohayo (court-métrage réalisé dans le cadre du projet Ani-kuri 15). Mais c'est définitivement Paprika qui conclut le mieux le fruit de sa réflexion, film bien plus abouti et riche qu'Inceptionde Christopher Nolan. La dernière réalisation du cinéaste embarque son spectateur dans une succession de troubles oniriques et dans une fantaisie délirante mais jamais hasardeuse, nous faisant courir, sauter, immerger dans une série d'univers, à bout de souffle.

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    les derniers mots publics de Satoshi Kon : http://www.animeka.com/articles/lettre-de-satoshi-kon.html

    le site de Mad House : http://www.madhouse.co.jp/

    le site de The Dream Machine : http://yume-robo.com/

  • Roujin Z

    ROUJIN Z (1991) – Hiroyuki Kitakubo 

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    Le film est scénarisé par Katsuhiro Otomo et se révèle une agréable surprise, alors que le cinéma du réalisateur d'Akira me rebute souvent par sa violence poussive et morbide et son manque de subtilité. On retrouve dans Roujin Z certains éléments propres à Otomo, tels que le développement de la science et du militarisme au détriment de l'humain, ou encore l'arrivée d'une technologie incontrôlable et finissant par tout détruire. Le postulat de base, même si le film date de 1991, ne manque pas d'actualité : face au vieillissement de la population, le Ministère de la santé au Japon, en collaboration avec une entreprise informatique, propose des machines, sortes de lit géant, programmées pour gérer l'entretien des personnes âgées impotentes ou handicapées. Très vite, évidemment, la haute technologie dérape, piraté en quelque sorte par les désirs du vieil homme utilisé comme cobaye pour le lancement du programme, ne désirant pas du tout finir ses jours dans une machine et préférant retourner auprès du souvenir de sa femme décédée. A cela se mêle son infirmière, jeune étudiante naïve prise d'affection pour le vieux.

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    Le film se détache d'Akira et Steamboy tout d'abord parce qu'il ne vise pas à tomber dans un apocalyptique fragile et terrifiant, mais plutôt à exploiter le côté amusant du scénario. De fait, le film ne tombe pas dans la morbidité malsaine qui caractérise habituellement le cinéma de Katsuhiro Otomo, mais s'empreint bien plus d'une certaine légèreté, et d'un comique burlesque, les protagonistes devant faire face à l'évolution d'une machine contrôlée par les désirs d'un vieil homme nostalgique détruisant tout sur son passage. L'humour absurde et le dynamisme des personnages font sourire, notamment celui du groupe de vieux hackers surexcités face à l'évolution de la machine et en suivant les moindres changements depuis leur lit d'hôpital. De fait, le film, même s'il date des années 90, prolonge l'obsession des films d'animation pour tout ce qui touche à l'émergence des nouvelles technologies, intégrant de nouveaux moyens de communiquer. Par le biais de la machine avec laquelle il fait corps, le vieux bonhomme impotent délivre sa rage de vivre et sa nostalgie du passé, et notamment de sa femme décédée avant lui. L'idée touchante du scénario est de réincarner le souvenir de la femme décédée à travers cette machine infernale. Cette dernière devient ainsi intelligente, reprenant au long de sa déambulation une identité auparavant disparue, fait revivre un souvenir, à l'instar de l'agrégat d'objets de l'espace dans « Magnetic Rose » (premier segment du film Memories), qui reconstitue l'univers personnel d'une cantatrice décédée.

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    Une partie du design de Roujin Z est confiée au grand Satoshi Kon dans le casting. On retrouve en effet la trace de l'immense cinéaste dans l'évolution de la machine, se développant et gagnant en croissance au fur et à mesure des actions, l'inerte devenant progressivement animé, à l'instar du cauchemar électro-ménager et urbain déambulant dans Paprika. De plus, vers la fin du film, il subsiste une séquence, courte malheureusement, où le personnage principal de l'infirmière se promène à l'intérieur de l'amas d'objets, se retrouvant propulsée dans une sorte de caverne hybride. D'emblée, cette scène rappelle les déambulations oniriques de l'héroïne de Paprika dans des espaces mentaux réincarnés, comme par exemple cette immense carcasse humaine représentant un visage dans laquelle elle se déplace tel un papillon. Dans Roujin Z, l'infirmière se retrouve dans un espace composé d'un amas d'objets incarnant des souvenirs, ou des espaces urbains détruits par la machine, comme soudainement coupée du monde et subsistant dans un lieu apocalyptique. Ce moment de poésie est cependant court et il ne pourrait pas s'intégrer plus fortement au ton du récit, délibérément léger et sans ambition.

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    Si le scénario de Roujin Z s'avère fort intéressant, il est cependant dommage que la réalisation reste très convenue, et son style totalement désuet aujourd'hui. Le graphisme et l'animation s'avèrent très vieillis et 'impressionnent peu(contrairement à un film comme Perfect Blue des mêmes années, qui, lui, a gardé une véritable force visuelle, ou encore Akira). De plus, les personnages s'avèrent creux et stéréotypés, comme celui de l'infirmière naïve.Il s'agit ainsi d'un amusant film d'animation aux thématiques intéressantes, mais restant au rang de petit film et de divertissement. 

  • Yobi le renard à 5 queues

    YOBI, LE RENARD A CINQ QUEUES – Lee Sung-Gang

    Grand merci à Louise pour son DVD !

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    Yobi, le renard à 5 queues est le premier film d'animation coréen que je découvre. Passées les premières surprises linguistiques, mon oreille étant plus habituée à entendre des sonorités japonaises face à de l'animation, je n'étais pas au bout de mon étonnement face à ce film réalisé par Lee Sung-Gang, ayant également signé Mari Iyagi, gros succès dans les films pour enfants. En effet, Yobi reste loin de l'harmonie d'un Miyazaki, s'avérant totalement décalé, voire déjanté.

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    Lyrisme et Loufoquerie

    Tout commence par une légende : quelques inscriptions à l'écran suivie d'une succession de paysages forestiers à l'atmosphère fantastique. On songe bien évidemment à ce sens de la nature qui habite le cinéma japonais habituel (Princesse Mononoke, Origine). Et d'emblée, après cette présentation convenue, un élément inhabituel et loufoque vient habiter l'atmosphère légendaire : la brusque arrivée fantastique d'extra-terrestres, petites boules terreuses recyclant les ustensiles abandonnés pour se construire un abri improbable au cœur d'une souche d'arbre de la forêt. Ils élèvent le jeune renard, bientôt intéressé par la population humaine. Le rythme du film s'avère d'une intensité extraordinaire : les actions affluent, chaque décor regorge de détails visuels, la réalisation a eu au final l'intelligence de ne pas s'apitoyer sur les moments dramatiques et de suivre la versatilité d'un enfant. Les séquences se succèdent en des tableaux oniriques ou comiques, toujours très agréables et plaisants. On assiste par exemple aux réactions déjantées des extraterrestres face aux comportements humains. Une véritable finesse dans l'animation des visages des extraterrestres les rend terriblement attachants et sans cesse remuants. En effet, dans ce film, l'animation s'avère très agitée, mais sur les points de détails. Alors que les décors s'imposent comme vastes, lyriques et calmes (le lac mystérieux lors de la nuit de la pleine Lune, les clairières, les rues nocturnes), les mouvements humains ou des créatures fantastiques s'avèrent précis et multiples, créant sans cesse des impressions de foisonnement, incarnant un visuel plus complexe que celui des films de Miyazaki.

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    Enfance et adolescence

    A bien des égards, Yobi, le renard à 5 queues rappelle le propos de Ponyo sur la Falaise de Hayao Miyazaki. La jeune renarde – à l'instar du poisson rouge qu'est Ponyo – a des élans d'émancipation et d'indépendance, charmée par les garçons humains, amusée et curieuse de leurs coutumes. La naïveté et une formidable vitalité affleurent, tout comme les pouvoirs entretenus par Ponyo : la séquence où la renarde se transforme en humaine est ainsi incarnée visuellement par une véritable ascension dans les branches, où la germination de la nature représente la croissance physique du personnage. Là où la mer répondait aux élans de Ponyo, c'est la nature qui s'avère en harmonie avec Yobi : ouverture des feuilles d'arbres, abondance en couleurs, en lumières... Les extraterrestres se substituent aux parents et constatent le début de la puberté et de la croissance, croissance extraordinaire qui sidère les camarades de Yobi dans le pensionnat. Elle bat tous les autres enfants à la gymnastique, s'avère vive et naïve, trop franche face à certains jaloux. Mais cette extraordinaire vitalité, à l'image de Ponyo, n'est pas sans quelques risques : les quelques queues trahissent parfois la jeune fille, ou ses transformations en mère s'avèrent risquées. Le personnage est par la suite confronté à la dure réalité du moment. Certaines scènes s'avèrent très violentes malgré la cible d'un public jeune, comme l'accident de bus, et tout le final, propos sur la mort et le sens du sacrifice. La finesse des décors et le lyrisme de l'animation tendent à désengorger ces propos bien noirs, derrière lesquels se dessine tout de même un regard sur l'enfance assez pessimiste.

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    Vision de l'enfance

    Face à Yobi est en effet dépeinte une condition difficile de l'enfance, condition des orphelins que d'autres films coréens ont également interrogé (Hansel et Gretel, par exemple). Le jeune garçon qu'elle rencontre est ainsi abandonné par ses parents, et se distingue par sa marginalité vis à vis des autres. Par contraste avec sa condition de petit révolté, le garçon partage le rêve secret de devenir une idole de la télévision, rêve qui semble vain face à la misère qui l'entoure. Le pensionnat dans lequel évolue toute la myriade d'enfants est bien loin de l'idée d'un pensionnat normal : tenu par un seul adulte généreux mais volatil, le lieu insalubre semble totalement isolé du monde et sans subventions. L'ambiance y est froide et parfois malaisée, chaque enfant semblant perdu, telle le personnage très beau de la petite fille ne parvenant pas à communiquer. L'arrivée de Yobi dans ce lieu revigore par ailleurs l'atmosphère et déclenche de vives réactions parmi les humains, sa vitalité explosant les frontières et dérangeant les complexes des uns et des autres. 

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    Au final, Yobi le renard à cinq queues est une curieuse surprise. Le film se distingue des films d'animation des studios Ghibli ou Madhouse, en choisissant une esthétique et une narration bien singulières. Très dynamique, le film brasse dans une sorte de fièvre visuelle de nombreux thèmes difficiles, ou une certaine violence (le personnage inquiétant de l'ombre détective, le chasseur de renards) mais ne se débarrasse jamais de prouesses visuelles et d'un lyrisme assez impressionnant dans l'animation.

     

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  • Tatsumi

    TATSUMI – Eric Khoo

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    Adaptation de Ma vie dans les marges, le manga autobiographique de Yoshihiro Tatsumi, le film raconte la vie de l'inventeur du « gekiga », ou manga pour adultes, genre qui mit longtemps à obtenir une certaine reconnaissance dans le domaine du manga. Le film alterne les moments autobiographiques du jeune Tatsumi avec l'adaptation de cinq de ses histoires en animation, comme suivant un procédé de chapitrage.

    tatsumimonkey.jpgTatsumi respecte tout d'abord très profondément le style de l'auteur, le film se basant sur une animation traditionnelle, avec un mouvement saccadé bien propre aux débuts de l'animation. Selon les histoires, chaque réalisation a son propre « grain », sa propre esthétique visuelle : « l'Enfer » le récit sur Hiroshima, qui ouvre le film, se rapproche du vieux film des années 50 en noir et blanc ; « My beloved Monkey », fable terrifiante sur la condition des ouvriers, opte pour un style dépouillé et sec ; « Juste un homme » est une amère vision sur les frustrations sexuelles ; « Occupé » oscille entre le film social et le film noir ; tandis que « Goodbye » se rapproche plus de l’esthétique des années 20. Toutes ces histoires partagent cependant la même noirceur, extrêmement crues et cruelles dans leurs conclusions, ce que Yoshihiro Tatsumi avouera à la fin du film en voix-off, constatant que ses premiers récits de « gekiga » reflétaient son propre désespoir de l'époque où il vivait, en tant que jeune dessinateur, dans la misère et l'anonymat.

    Concernant ces histoires, elles s'avèrent cependant parfois bien insupportables à suivre, letatsumil'enfer.jpg doublage n'hésitant pas à souligner les passages mélodramatiques ou l'étalage de la souffrance, de même que la réalisation appuie trop souvent sur les passages sexuels alors qu'ils sont peu présents dans les planches originelles. Le meilleur récit reste de loin le premier, stupéfiante histoire sur un fictionnel cliché pris par un jeune homme peu de temps après la catastrophe d'Hiroshima, cliché dont l'interprétation allait être faussée au niveau international. Le récit s'avère terrifiant, passant du témoignage historique au film noir, et montrant le danger du pouvoir des images.

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    Les meilleurs passages du film restent cependant ceux, colorés, où la vie du jeune Tatsumi est esquissée en quelques tableaux oniriques, entre anecdotes, désillusions, fiertés naïves de jeunesse. On songe parfois, sur ces passages, à la sincérité simple de Persépolis (Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud). Ces passages apportent par la suite beaucoup sur le plan historique, reflétant une certaine époque et s'inscrivant dans l'histoire du manga, montrant sa pratique intensive. Le jeune Tatsumi, à chaque épisode de sa vie, nous est toujours dévoilé en plein travail, dessinant fébrilement les visages et les décors de ses histoires, fidèle à sa logique de mangaka primant le fond sur la forme, pliant le dessin à l'intérêt psychologique ou social, où « une fois que l'histoire est écrite, 70% du manga est fait. Les 30% sont le plaisir du dessin »). Malgré la dureté des courtes nouvelles illustrées et la trop grand maigreur des passages autobiographiques, conférant un rythme inégal au film, Tatsumise finit sur une séquence émouvante ou le visage dessiné de Yoshihiro Tatsumi se superpose à l'auteur réel et âgé, en train de finir la planche qui ouvre le début du film. 

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  • la colline aux coquelicots

    KOKURIKOZAKA KARA / LA COLLINE AUX COQUELICOTS – Goro Miyazaki

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    Débarrassons-nous déjà de tout rapprochement du dernier film de Goro Miyazaki avec celui de notre Hayao bien-aimé, le fils du célèbre cinéaste souffrant sans cesse de la comparaison. Certes, il ne faut pas pour autant écarter de la Colline aux coquelicots divers héritages des studios Ghibli, de par la technique d'animation similaire, du tracé aux mêmes évocations, ou de quelques séquences en référence à de célèbres oeuvres, mais la Colline aux coquelicots reste très éloigné du cinéma de « Miya », s'attachant à une veine plus réaliste, moins fantaisiste, et peut-être plus empreinte de la personnalité de Goro. Les Contes de Terremer, maladroite première œuvre, hésitait entre la restitution d'un univers de fantasy anglais et la pâle recopie des thèmes du père. La Colline aux coquelicots impressionne moins mais se révèle plus cohérent, plus lisse dans sa construction et sincère dans ses intentions.

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    D'emblée, dès les premières images, Kokurikozaka Kara s'empreint d'une certaine nostalgie d'un cinéma japonais des années 50. Yasujiro Ozu, grand cinéaste emblématique de cette époque, semble être la principale influence de cette histoire, les cadrages soignés rappelant sans cesse ses plus grands films, tels Le Goût du Riz au thé vert ou Voyage à Tokyo. La jeune héroïne prépare soigneusement les repas du matin et du soir, encadrée par les battants de porte, le pourtour des fenêtres, chaque plan jouant habilement d'effets de « cadres dans le cadre », typiques aux intérieurs japonais de l'époque. L'hommage à Ozu se poursuit dans le traitement d'une temporalité attachée aux gestes du quotidien et à la répétition des activités. En témoignent les nombreuses séquences consacrées à la préparation culinaire, le soin attachée aux études ou à la sérigraphie des tracts, rythme latent et paisible imposé par l'activité humaine et l'importance de l'objet. Ces séquences rappellent celles de l'agriculture dans les Contes de Terremer, où l'attachement aux outils se fait sentir. Même précision du détail de la préparation culinaire dans la Colline aux Coquelicots, mais également au niveau des études et de l'activité littéraire et artistique du Quartier Latin, ainsi qu'au niveau de ces drapeaux symboliquement hissés chaque matin par l'héroïne. Enfin, la présence d'Ozu se retrouve dans le soin attaché au social et au rappel constant du travail et de l'activité des hommes : l'illustration de la zone portuaire ou des commerces de la ville signalent constamment la croissance industrielle et économique, toile de fond aux déboires amoureux des jeunes gens.

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    Tout ceci fait du film de Goro Miyazaki une œuvre très sobre et réaliste, autant au niveau du graphisme qu'au niveau du récit et de la narration. La sobriété du trait et des décors vont de pair avec la naïveté des émotions, la solidarité et l'humanité optimistes diffusées dans cette histoire de renaissance du Quartier Latin. Nous sommes certes très loin de la fantaisie de Hayao, ou de la richesse à la fois psychologique et divertissante que révèlent ses personnages, mais la Colline aux Coquelicots conserve un certain charme et une réelle modestie. Certaines séquences très jolies réussissent à atteindre une tendre émotion : le coup de foudre de l'héroïne face au plongeon du jeune homme emporté du Club de littérature ; la mobilisation féminine opérée pour la rénovation du Quartier Latin ; les scènes familiales du pensionnat... Le film défend une certaine solidarité et humanité sages, autour de l'histoire de ce bâtiment, les séquences les plus agréables étant celles de l'entraide dans la rénovation et de la bataille engagée des jeunes gens. Le décor de ce Quartier s'avère très réussi, faisant songer à l'éclectisme du Château ambulant.

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    Le point faible du film reste cependant son histoire d'amour, assez prévisible et dont l'émanation naïve contraste de manière assez maladroite avec la gravité des propos. La résolution des problèmes familiaux s'avère facile et quelque peu absurde ou précipitamment amenée afin de finir sur une note positive. Restent ces jolies métaphores animées de l'escapade amoureuse, notamment avec cette symbolique de la marche : les deux héros marchent au même pas, dévalent la pente à vélo, grimpent les escaliers en cadence comme on monte les sommets du sentiment amoureux.

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    Enfin, n'ôtons pas à la Colline aux coquelicotsson caractère historique esquissé avec légèreté, issu de l'adaptation littéraire. Les premières révoltes de la jeunesse se font sentir, dans un univers scolaire désuet et presque militaire (les chants entonnés dans la salle de conférences lors du passage du proviseur), mais aussi, et surtout, les prémisses d'une certaines indépendance féminine. A l'instar de son père, Goro Miyazaki présente un portrait de femme plus flatteur que les éléments masculins. C'est grâce à l'héroïne que le préfet acceptera de valider la conservation du Quartier Latin. Le portrait est certes moins frappant que celui d'une princesse Mononoke, ou d'une Nausicaa, mais on retrouve quelques touches féministes : le souvenir d'enfance, le réconfort dans les bras de la mère, l'autonomie dans la gestion du pensionnat, l'audace de s'imposer parmi les groupes d'étudiants masculins...

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  • Le Voyage de Chihiro

     

    L'Autre côté du Tunnel

    - Retour sur le Voyage de Chihiro

    LE VOYAGE DE CHIHIRO (2002) - Un film de Hayao Miyazaki

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    A l'occasion des dix ans du film-phare d'Hayao Miyazaki, un des rares films d'animation dans l'histoire du cinéma à avoir reçu de prestigieux prix, que ce soit le prix du Meilleur film asiatique à Hong Kong, l'Ours d'or de Berlin ou l'Oscar du Meilleur film d'animation à Hollywood, il est temps de revenir sur la particularité de ce long-métrage dans la filmographie des studios Ghibli. Atypique, tendrement nostalgique, mystique et mythologique, Le Voyage de Chihiro reste, avec les années, un des chefs d'oeuvre du cinéma d'animation, prouvant qu'au-delà de la qualité artistique réside une profonde humanité, imposant toujours autant le respect et l'admiration.

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    Prolongement et rupture

    Pourquoi Le voyage de Chihiro, avec Princesse Mononoke, est-il le film le plus adulé des générations ayant découvert Miyazaki au début des années 2000, période où un grand nombre de ses œuvres fut projeté en salles et édité en DVD ? La force de Princesse Mononoke, et son succès, incombent à l'esprit épique du film, et à des valeurs écologiques en parfaite adéquation avec les interrogations du moment. Mais Le Voyage de Chihiro est, quant à lui, un film totalement atypique dans la filmographie de Miyazaki, un film dont le récit et les motifs sont peut-être les plus mystérieux et complexes à décrypter. C’est tout d'abord l'un des rares films des studios Ghibli (avec Pompoko d'Isao Takahata) à affirmer aussi fortement la culture asiatique, projetant son héroïne dans un monde mystique bardé de créatures inspirées de légendes, de dieux vivants, de yokai en tous genres, univers très spécifique à cette culture. Pourtant, le film, malgré cet ancrage asiatique, a séduit les foules, parce que Miyazaki a su trouver le moyen de faire accepter cet univers à son spectateur par le biais de son héroïne.

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    Et c'est là le second point qui différencie le Voyage de Chihiro des autres films de Miyazaki. Il existe un certain type d'héroïne chez le cinéaste, héroïnes plus ou moins âgées, de la petite fille à la femme naissante, de Kiki à Mononoke ou Sophie, mais qui s’imposent par leur force de caractère et leur courage. L'admiration connue de Miyazaki pour les femmes se manifeste dans ces figures auxquelles le spectateur doit s'accrocher, figures qui apportent l'univers du film, voire l'incarnent. C'est la sorcellerie fantaisiste de Kiki, le don de Nausicaa face aux Ohmus, les Totoros réconfortants de Mei, le secret du cristal de Shiita, la forêt monstrueuse et digne de San, ou encore le monde sous-marin de Ponyo. Il réside certes une exception avec Porco Rosso, seul film où le héros est masculin, mais les figures féminines qui y résident aspirent à la même définition. Chacune a son dynamisme, sa volonté de vivre et de découvrir, d'aimer face aux autres protagonistes et aux événements. Chihiro, dès l'ouverture du film, s'oppose d'emblée à toutes ces figures féminines. Le second plan du film découvre une gamine étendue à l'arrière de la voiture de ses parents, les yeux mi-clos, l'air las et désespéré, un bouquet de fleurs dans les bras. La gamine est chétive, molle, boudeuse, peureuse. Pleine de mauvaise foi, elle tire la langue à sa future nouvelle école, se plaint face à ses fleurs fanées, refuse de suivre ses parents à la lisière du tunnel. La suite du film confirmera cette impression, les réactions de Chihiro s'avérant spontanées, naïves, et l'égarement tenace. Nous sommes loin de la gaieté de Kiki ou de Shiita, loin de la force de caractère de San ou de Nausicaa. Il est de même pour le tracé du protagoniste : par opposition à l'élégance sensuelle de ses pairs féminines, ou aux douces formes rondes naissantes des autres jeunes filles, Chihiro s'avère frêle et chétive, gamine commune, inaperçue, discrète, loin de l'image de l'héroïne. C'est peut-être pour cela, paradoxalement, que l'identification s'avère plus facile, que l'attachement à cette fillette est immédiat, tant ses réactions de base s'avèrent compréhensibles car communes.

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    Quête existentielle

    Tout comme la traduction française l'indique assez justement, Le Voyage de Chihiro est le périple existentiel de cette petite fille. L'imaginaire mystique auquel elle est confronté, ainsi que les nombreuses péripéties et les multiples personnages rencontrés la poussent à faire des choix chihiro travail.jpget à affirmer sa personnalité. Le passage chez Yubaba est la première étape pour Chihiro : elle y clame vigoureusement sa présence pour y avoir un travail. L'attachement au travail permet en effet dans ce milieu d'avoir une place. Par ce désir, Chihiro s'insère dans un système, dans une forme de société, si imaginaire soit-elle, s'intègre au mouvement des adultes et à un rythme tourbillonnant autre que celui de sa vie de petite fille. Cette insertion passe par exemple par le changement de nom, nom volé par la sorcière Yubaba. Une insertion ainsi cruelle, où l'identité de petite fille doit s'effacer pour se fondre dans la masse des employés. Paradoxalement, si Chihiro perd une part de son identité au début du film (retrouvée par l'aide de Haku, qui récupère les vêtements et le bouquet de fleurs fanées, symboles nostalgiques de l'enfance volée), elle gagne une certaine reconnaissance dans le milieu des bains avec l'épisode du Dieu Putride. Cette phase de reconnaissance est par ailleurs la première étape vers la reconnaissance de son identité, voire une forme de reconstruction. C'est durant cet épisode que Chihiro aura le premier flash-back du souvenir de son enfance. Par la suite, le film jouera sans cesse entre mémoire et avenir, entre part d'enfance et part de reconstruction : découvertes initiatiques pour Chihiro de la peur, du danger, mais aussi de l'amitié, du pouvoir ; tout en laissant sa part à la nostalgie d'enfance. Le souvenir lié à la première rencontre avec Haku, certes, mais plus encore le retour final à l'équilibre, boucle bouclée face au début du film, accompagné par la mélodie volontiers mélancolique composée par Joe Hisaishi.

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    Par ailleurs, parallèlement à cette quête existentielle du personnage principal, un autre protagoniste suit son chemin, de manière plus symbolique et fantasmagorique : il s'agit de Sans-visage, l'étrange monstre qui s'infiltre dans le royaume des bains grâce à Chihiro. Le nom même de Sans-Visage, ainsi que son apparence fantomatique, son visage s'apparentant à un masque, en fait un personnage en quête vorace d'une identité, avalant grenouilles, femmes et crapauds des bains, s'empiffrant littéralement des corps des autres pour combler une absence de reconnaissance. Ce personnage, qui était à la base le point de départ du film, trouvera sa place auprès de Zeniba, la sœur jumelle de Yubaba.

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    Alice, les contes et les mythes

    chihiro tunnel.jpgD'emblée, dès le début du film, la comparaison avec Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, ou même avec Alice de l'autre côté du miroir, s'avère inévitable. La thématique du tunnel (que l'on retrouve également chez Ponyo à la fin du film) fait songer au tunnel dévalé par Alice. Mais, par opposition, là où Alice traverse à toute vitesse un lieu de passage en bric-à-brac et d'objets divers, Chihiro s'engouffre dans un tunnel sombre et silencieux, extrêmement sobre mais qui révélera par la suite des décors d'une très grande richesse ornementale. De plus, la symbolique des portes, du passage, du mouvement d'un espace à une autre, crible tout le film : le pont qui doit être traversé sans respirer, premier rituel de passage pour Chihiro, la porte de derrière pour aller voir le vieux Yamaji, les escaliers dangereux, l'ascenseur, les multiples portes des appartements de Yubaba, et surtout le passage fleuri emblématique du film, où Chihiro s'engouffre dans un champ de fleurs roses, celles-ci étant un écho direct au bouquet qui ouvre le film. Tout, dans Le Voyage de Chihiro, n'est que passage, traversée vers l'au-delà, d'une pièce à une autre, d'un étage à l'autre, d'un milieu à un autre, verticalement, horizontalement, en diagonale même, de l'eau (les bains) au ciel (le retour sur le dos du dragon). Et ces passages traduisent une forme de traversée mystique, vers un imaginaire autre, voire un enfer.

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    De fait, Le Voyage de Chihiro fait songer au conte, ou encore au mythe d'Orphée, avec son atmosphère mystérieuse et ses allusions poétiques. Chihiro bascule dans le monde des non-vivants, où les parents sont transformés en cochons tels des enfants pris au piège d'une sorcière. La scène de goinfrerie rappelle le conte d'Hansel et Gretel, qui s'incarne aussi dans la goinfrerie de Sans-visage réclamant des plats luxueux aux employés des bains. Et la structure des Bains rappelle elle-même un décor de conte, avec ses abords richement décorés, à tendance dorée ou rouge sombre, emplie de fresques, d'étoffes et de décorations multiples. La « teinte » du film est en elle-même particulière et atypique au vu de la couleur des autres films de Miyazaki : plus chaleureuse, plus exotique, les traits s'avèrent plus fins, les détails plus luxueux, et la lumière plus tamisée. Etrangeté du décor et de la cinématographie qui font de Chihiro un espace mystique, rappelant la richesse des temples chinois.

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    Quant au mythe d'Orphée, il se retrouve dans la comparaison au royaume des morts, mais également dans une inversion du mythe. Orphée descend aux Enfers, se heurtant aux vents et aux obstacles, tandis que Chihiro est au contraire poussée vers le lieu maudit, poussée par ses parents ou par le vent qui s'engouffre dans le tunnel. Lorsque la nuit tombe, les rues sont peuplées de fantômes, des silhouettes noires transparentes, sortes d'âmes en peine rappelant les âmes des morts. Et bien évidemment, Chihiro doit quitter ce petit royaume sans se retourner, à l'image d'Orphée quittant les lieux avec Eurydice à la seule condition de ne pas la regarder dans les yeux.

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    Enfin, il faut revenir sur les deux symboles emblématiques du film, à savoir l'eau et le train. Tous représentent l'idée du mouvement, mais un mouvement rétrospectif, vers le passé. L'eau est le symbole inévitable du cours du temps, marquant toutes les étapes initiatiques de Chihiro : le ruisseau traversé après le passage du tunnel, la forte nuit de pluie, la chute dans le bain du Dieu Putride, l'immense lac traversé à pieds jusqu'au train, et enfin ce souvenir d'enfance résolvant la clé du nom de Haku. Le train, quant à lui ouvre le film et c'est après son passage que Chihiro rencontre Haku. C'est ensuite à bord de ce train que le spectateur sera amené à quitter pour un instant le royaume des Bains et à découvrir des stations de gare isolées, flottantes, aux personnages énigmatiques. La musique de Joe Hisaishi, sur cette séquence, s'avère particulièrement mélancolique, créant une pause temporelle dans le rythme du film, l'avancée de Chihiro étant brusquement interrompue par ce retour à la paisibilité (le train avançant dans le sens inverse de celui du temps, allant de la droite vers la gauche), prolongé par la suite avec la visite dans la demeure de Zeniba, chaleureux foyer perdu dans la forêt. Tout comme dans tous ses films, le passé et le mouvement constituent pour Miyazaki un thème important et essentiel dans la construction de l'identité de ses œuvres : c'est par le retour au souvenir, aux sources que Chihiro retrouvera l'harmonie de sa vie de petite fille, tout en ayant grandi. Une forme de reconstruction identitaire peu à peu gagnée de l'autre côté du tunnel.chihiro demeure.jpg

  • Piano forest

    Sur le bout des doigts 

    Piano Forest

    Un film de Masayuki Kojima 

    Grand merci à Louise pour le DVD !

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    C'est un bien charmant film que Piano Forest. Une excellente initiation à la musique pour le jeune public, avec la touche d'émotion nécessaire, alliées à la légèreté du trait et la pudeur du propos.

    pianoenfants.jpgRivalité et Amitié

    Le film joue sur le contraste, classique, entre deux figures enfantines opposées. Les deux jeunes garçons, aux familles et aux comportements différents, sont dans cet âge où leur avenir commence à être décidé par un conditionnement extérieur, leur liberté étant entravée par les mouvements familiaux ou la pression scolaire. Le personnage de Shuhei, le fils de bonne famille, en particulier, semble répondre aux espoirs fondés par ses parents. Être pianiste ne semble pas incarner une décision totalement personnelle, même si Shuhei y prend du plaisir, mais plus un moyen d'accéder à une image lisse et glorieuse, à la hauteur de l'obsession d'avoir une bonne réputation au Japon. Kai, quant à lui, est un garnement dont la mère est prostituée, sans père et ne comptant que sur ses mains et sa gouaille audacieuse pour survivre face au monde adulte, s'écartant de la normalité ou du chemin scolaire par tous les moyens. Mais le film ne condamne en rien ses personnages, valorisant leur figure et esquissant par jolies touches leurs psychologies. Entre les deux vont se jouer de doux rapports d'amitié et de rivalité, autour du concours régional du meilleur jeune pianiste. Le film évite bien heureusement le pathétisme ou la facilité, restant sur la corde sensible et la simplicité des émotions enfantines.

    Nature et Lyrisme

    Là où le film prend véritablement son envol et sa force, au-delà du parallélisme assez classiquepianokai.jpg entre les deux figures enfantines, c'est dans la retranscription de la passion musicale. Piano forest a bien évidemment une valeur très pédagogique, alliant à son animation simple et épurée la douceur des rythmes de Chopin, de Beethoven ou de Mozart, voulant sensibiliser le jeune public à la musique classique. L'animation permet d'allier au rythme pianistique des mouvements fluides et généreux, embrassant les arbres, la végétation et les visages dans un même mouvement circulaire, à l'image de l'harmonie et du calme que retrouve Kai lors de ses performances au piano. Car le film se concentre sur la figure de Kai, où s'oppose à la fois la violence et la douceur, la rage et la légèreté, l'ardeur de sa chevelure rousse et la dextérité de ses doigts fins. A travers Kai, figure bien plus attachante et intéressante que Shuhei, se retranscrit la plus forte émotion du film : celle d'une image d'enfance mélodieuse et harmonieuse, secrètement cachée derrière les arbres, recherchée par le professeur du film (qui deviendra une figure de père de substitution pour Kai, un peu comme s'il essayait de conserver ce secret). Piano Forest se veut, au final, éviter tout flash-forward, préférant finir sur l'image nostalgique de ce piano à l'abri dans la forêt, abri de l'enfance, de l'innocence, du bonheur.

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    A venir : Aniki mon frère de Takeshi Kitano

  • Summer Wars

    Sauvons le monde tout en buvant des boissons fraîches

    Summer Wars

    Un film de Mamoru Hosoda

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    En été, il y a les vacances. En été, les lycéens ont du temps libre. En été, les jeunes recherchent généralement un job d'été. En été, les fêtes de famille sont là : on se réunit, on boit, on mange, on taquine le « petit ami », nouveau venu dans le cercle. En été, on regarde la télévision, son portable, on joue à l'univers virtuel d'Oz. En été, on doit se battre. En été, on finit même par devoir sauver le monde.

     

    Le film de Mamoru Hosoda, vu comme le successeur du génial Satoshi Kon dans les grands noms de la maison de production MadHouse (l'un des piliers essentiels au cinéma d'animation japonais avec les studios Ghibli), rejoint quelques unes des thématiques du regretté réalisateur de Paprika tout en y apposant une marque plus légère, enfantine. Certes moins pertinent et plus convenu que les folles créations de Satoshi Kon, Summer Wars reste un film agréable, d'une fluidité extraordinaire en dépit de l'hyperbolisme et de l'absurdité qui l'empreignent.

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    Le film joue sur deux niveaux, nouant à la fois avec la tradition et la société moderne, à savoir le thème de la famille et le postulat d'un monde virtuel et digne du jeu vidéo réel. Le personnage principal se retrouve précipité dans la grande famille tonitruante de celle qui l'a choisi pour jouer son « petit ami » aux yeux de sa grand-mère, et se retrouve mêlé à un grand chaos international, le monde virtuel d'Oz étant piraté et parasitant tous les réseaux et moyens de communication de la vie réelle. Commence alors une folle course dans les deux mondes, afin de sauver le monde d'une absurde collision avec un satellite.

     

    summertablée.jpgUn été en famille

    Summer Wars aborde largement le thème de la famille, dépeignant les grandes réunions des générations dans tout ce qu'il y a de plus déluré et émouvant. Bien que le film soit japonais et qu'une majeure partie de l'action concerne un temple typique et une famille traditionnelle, l'esprit reste universel. Par le biais du personnage de Kenji, qui s'incruste sans le vouloir dans les retrouvailles estivales, le spectateur est convié à partager les moments de rires ou de larmes autour de la grande table. L'animation permet de saisir le moindre échange et d’exagérer la complexité des relations dans la grande famille (quoique certaines lorraines ne sont pas si loin du compte de cette impressionnante tablée) et de placer au niveau de toutes les générations. Pourtant, malgré les différences de comportement, des oncles rigolards aux femmes coquettes ou natures, en passant par les enfants surexcités ou l'adolescentsummergdmere.jpg ténébreux, chacun est relié par deux éléments : la fierté de leur nom et leur appartenance au monde d'Oz. On retrouve la force des liens du sang et de l'honneur des familles ancestrales, prêtes à se battre pour faire triompher une justice loyale. Le personnage décapant de la grand-mère, maîtresse rigide de la tablée, ne peut que se scandaliser face à l'attaque anonyme, car virtuelle, au niveau du monde d'Oz. Le film joue sur le choc entre le passé historique et épique et l'univers des jeux vidéos, entre le traditionnel et l'avenir des nouvelles technologies.

     

    summerconnection.jpgUn été face aux écrans

    Les écrans affluent dans Summer Wars, le monde virtuel d'Oz étant un prolongement de la thématique chère à ce cher Satoshi Kon, qui exploitait les potentialités de l'image virtuelle dans Perfect Blue ou Paprika. Mamoru Hosoda ne joue cependant pas ou peu sur la confusion mode réel/imaginé, et préfère marquer la frontière. Par contre, il se penche sur l'idée du substitut, de l'image médiatrice, de l'avatar utilisé sur Internet. D'un univers à l'autre, le graphisme se transforme, en lien avec la pratique du cosplay, les personnages s'incarnant dans des figures animales, robotiques ou spirituelles. Hosoda s'amuse à créer des comparaisons ou des oppositions dans les figures choisies : chaque avatar traduit d'une certaine manièresummernatsuki.jpg l'esprit du personnage tout en pouvant surprendre parfois par la révélation de son propriétaire. Kenji, le héros, s'incarne dans un bonhomme au visage rond et naïf, à l'effigie de son comportement gauche ; la forte personnalité de Natsuki retrouve ses racines dans le kimono traditionnel que son personnage porte ; et le frêle et chétif Kazuma devient un féroce lapin de combat dans le monde virtuel. Intéressant aussi la manière dont s'effectue le piratage de la vaste entreprise Oz. C'est en s'attaquant au principe même, principe dangereux de la liaison et des fortes interconnections entre le réel et les mécanismes informatiques, que l'investigateur summerpara.jpgincontrôlable du piratage peut paralyser et contrôler tout un pays, s'inspirant d'une version à l'extrême des grands réseaux sociaux existants actuellement sur Internet. Et ce pirate s'inspire exactement de la force de ce monde virtuel, à savoir la diversité d'avatars et de figures de substitutions. Ce prétexte permet de fournir à l'animation un impressionnant travail de graphisme, synthèse des dynamiques du jeu vidéo et de l'espace communautaire, allant au-delà des possibilités. Une caméra fébrile, privilégiant les plongées, les contreplongées, les travellings audacieux et calculés plongent littéralement le spectateur dans un univers de couleurs, lignes et motifs nouveaux et multiples, s'opposant au rythme très calme et à la mise en scène rigide des scènes de la réalité.

     

    Dans sa deuxième partie, la première s'attachant à jouer du phénomène de virtuel et de décriresumemrfight.jpg les effets de l'emprise des images et d'Internet sur la vie réelle, Summer Wars donne cependant dans un schéma plus classique et convenu, comme rejoignant un public plus jeune. Là où Paprika affirme clairement, malgré son ludisme et sa fantaisie, un propos et des problèmes éthiques d'une certaine maturité dans la réflexion, Summer Wars privilégie au final le divertissement et l'époustouflant. L'action virtuelle finit par contaminer la réalité, avec cette abracadabrantesque course contre la montre du final, où l'absurde se mêle à l'hyperbolique, où la ribambelle d'oncles, de tantes et de rejetons, déjà impressionnantes, décuplent les moyens humains par les moyens techniques : camions, vaisseau, ordinateurs, quantités de nourriture et explosions rythment le grand final. Et pourtant, malgré tous ces chambardements, la chaleur de l'été et sa tranquillité aux accents de nostalgie finissent par primer sur cette épopée, comme si Summer Warn'était finalement qu'une grande parenthèse, un moment de convivialité partagé autour de l'écran avant de retrouver la fraîcheur des boissons...

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  • Paprika

    L'actrice onirique

    Paprika (2006) - Un film de Satoshi Kon

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    Film-somme, film-testament, film-hommage au cinéma, apogée visuelle et virtuelle… Tous les substantifs sont bons pour désigner le dernier film réalisé par Satoshi Kon, tragiquement décédé d'un cancer durant l'été 2010. A ce jour, Paprika est considéré par beaucoup de ses fans comme le point d'orgue du travail de Satoshi Kon, comme s'il pressentait sa mort prochaine. Je préfère le considérer comme une précieuse parcelle de son oeuvre, un travail remarquable qui établit des passerelles avec ses thèmes fétiches et obsessionnels, tout en se tournant, avec lucidité, originalité et une pointe de cynisme, vers l'évolution d'une société de plus en plus médiatisée et dématérialisée. Paprika, par son postulat onirique et scientifique, semblait un sujet en or pour ce réalisateur de la psyché, qui a su, à travers d'autres films brillants comme Perfect Blue ou Millenium Actress, tirer profit des capacités de l'animation à décliner nos identités, mettre à nu les troubles les plus fascinants tout en refusant une psychanalyse facile. Le rêve est au centre de Paprika, matière aux fantasmes, matière aux pulsions les plus délurées.

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    Rêve et réalité

    Là où le récent Black Swan d'Aronofski s'inspirait franchement, et avec tricherie, de l'étonnant déchirement interne de l'héroïne de Perfect Blue, Inception de Christophe Nolan (un film déjà bien plus sincère et efficace que Black Swan) semble tirer certaines de ses ficelles de Paprika. La comparaison est troublante, le scénario de Paprika mettant en avant l'invention de la DC Mini, un système électronique capable de partager les rêves des individus, ainsi que de les enregistrer, comme une vraie séquence vidéo. Le rêve est en outre l'occasion rêvée pour Satoshi Kon de perfectionner ce en quoi il excelle : son sens de la transition et du raccord-mouvement, où le protagoniste se retrouve propulsé d'un univers onirique à un autre, très proche des multiples mises en abîme d'Inception. Mais le parallèle s'en limite à ces petites idées (il réside également le thème de l'ascenseur, où la référence se fait plus qu'explicite…), les deux films ayant deux propos totalement différents, celui de Paprika surpassant par ailleurs la classique question philosophique que posait le block-buster américain. En effet, Inception, derrière la complexité de son montage, cachait un scénario au final assez simple, mettant ses personnages face à un questionnement phare dans le thème du rêve : la réalité est-elle vraiment celle qui est vécue ? Ne serait-ce pas plutôt le rêve le monde réel ? Satoshi Kon se débarrasse aisément de cette problématique puisque, dans tous ses films, la réalité est sans cesse déformée, malaxée, insaisissable, profondément subjective. Il préfère poser les questions des limites de la science sur un plan éthique, et notamment vis à vis de cette technique d'intrusion dans le rêve, véritable viol de l'intimité.

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    Violations

    Le thème de la violation traverse ainsi tout le film, tout comme il empreint l'oeuvre entière de Satoshi Kon. La mise à nu, l'exposition des images les plus folles, l'étalement symbolique d'une psychologie ambiguë (sous-entendus d'un malaise homosexuel, clins d'oeil à Gustave Moreau avec le mythe d'Oedipe) trouvent leur illustration dans Paprika. Le rêve révèle les pulsions de chacun, imaginations débridées lâchées dans de grands espaces urbains ou fantastiques. La séquence qui révèle la véritable identité de Paprika devient ainsi une véritable mise à nu au sens physique du terme, la jeune femme ayant son corps violé et déchiré en deux par l'un des hommes ennemis. A travers la folie de ce film et ses images délurées, Satoshi Kon dévoile le danger du partage du rêve, avec les extrêmes où tout cela peut mener. Et par cette idée du partage, il met aussi en avant la propension qu'ont les images à circuler facilement, quitte à envahir les esprits et à s'infiltrer partout. La parabole d'Internet est ainsi ingénieuse (cet Internet dont le danger était déjà pointé dans Perfect Blue qui datait de 1998 !) : le commissaire entre non seulement virtuellement mais aussi physiquement dans le site web donnée par Paprika. Et celle-ci est elle-même cette figure virtuelle, aussi insaisissable que séduisante, véritable personnification des nouvelles technologies : elle incarne en effet la libération, la vitesse, la multiplicité des possibilités, elle sait surfer sur les nuages déguisée en Son Goku aussi bien que rouler à moto, voler les bières des affiches publicitaires, se miniaturiser ou se grandir. Cette capacité de transformation et de vélocité s'avère incarner la métaphore féminine des actuelles performances technologiques.

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    Puzzle onirique

    Qui dit transformation, vélocité, dit explosion des frontières. En travaillant sur l'image mentale et ses obsessions, Satoshi Kon nous projette sans cesse dans un intérieur mental, dans la pensée, brouillant les pistes entre objectivité et subjectivité. Le film n'hésite pas à s'attacher à plusieurs personnages et à multiplier les points de vue : fantasmes des employés du laboratoire, univers dérangé de certains personnages aux frustrations sociales et sexuelles, vision des médias, point de vue démultiplié de Paprika, rêve de la thérapie du commissaire. Ce dernier s'avère particulièrement intéressant : ses rêves incarnent parfaitement, grâce à la technique de l'animation, l'étrange imagerie mentale qui composent l'espace onirique. On passe d'une univers à un autre, d'un thème et d'une ambiance à une autres par des transitions très particulières, dans le mouvement ou dans la forme, sans que jamais le fil du parcours onirique ne semble brisé ou incohérent. La construction peut s'apparenter aisément à une spirale, les points de vue frôlant le vertige par moment, par exemple lors de la dégringolade du commissaire dans les couloirs rouges ocres. De plus, l'ensemble du scénario, comme toujours chez Satoshi Kon, s'appuie sur la technique précise et ciselée du puzzle en reconstitution. Le traumatisme du commissaire a fort à faire avec cette construction : les éléments trouvent peu à peu leur signification, une image en particulier agit comme un leitmotiv obsessionnel, celle de papdedouble.jpgson double assassiné chutant au ralenti dans l'escalier. Le rêve surréaliste phénoménal qui s'infiltre partout est quant à lui annoncé durant toute la durée du film, les indices parsèment l'enquête, certains plans se font écho, dans la séquence du parc d'attraction par exemple. La présence de la double personnalité, enfin, cristallise tout ce système d'échos et de parallèles. Ce thème peut se lire dans le personnage du policier mais aussi, et surtout, à travers la duplicité de Paprika et ces deux personnages de femmes opposées mais marquantes. Millenium Actress, Perfect Blue ou même Tokyo Godfathers sous certains aspects, sont tous trois des illustrations schizophréniques. Il est en de même pour Paprika, à la différence près que les deux femmes sont clairement deux entités distinctes qui partagent un même corps mais dont les envies et les ambitions sont radicalement différentes. Nul besoin pour l'une comme pour l'autre de changer de comportement, il s'agit plus d'une complémentarité temporaire qui permettra à chacune de trouver sa raison d'exister. Paprika finira par trouver son envol, se libérer de toute étreinte corporelle, évanescente comme l'air, tandis qu'Atsuko se raccrochera à la terre et à la réalité, avec la promesse de fonder sa vie avec celui qu'elle aime. Paprika confirme en outre une tendance quasi-féministe qui se retrouve dans la plupart des films de Satoshi Kon, à travers deux figures de femmes très fortes, ainsi qu'avec ce final grandiose, où la femme aspire goulûment l'homme, sorte d 'inversion d'Adam et Eve !

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    Imaginaire japonais

    papgrenouille.pngPaprika est plus marqué par l'univers japonais que les autres films de Satoshi Kon, tout comme Le Voyage de Chihiro s'inspire bien plus des croyances ancestrales avec Miyazaki. On y retrouve un imaginaire vif avec ce rêve phénoménal agissant comme une sorte de virus et réunissant toutes les figures spirituelles, légendaires ou religieuses de la culture japonaise. La personnification de certains figures animales (telles les grenouilles, ce qui fait songer au Voyage de Chihiro) et de personnages fantasmagoriques contrastent habilement avec les objets animés de la rue, dans une folle farandole où la légende ancestrale rejoint la modernisation actuelle. Les distributeurs déformés et hurlants, lampadaires, réfrigérateurs et autres appareils ménagers forment unepapfantasme.jpg cacophonie infernale des machines, en écho avec la fascination du Japon pour l’univers robotisé et automatisé (Metropolis avec Osamu Tezuka, Steamboychez Katsuhiro Otomo). Ce rêve tonitruant rassemble tout ce qu'il y a de fascinant et paradoxalement terrifiant dans le pays : un passé surnaturel chargé de légendes glauques qui continue d'imprimer sa marque dans une société tendant pourtant à l'occidentalisation ; un avenir de plus en plus tourné vers la puissance matérielle et économique et empreint du phénomène de mondialisation. Dans certains passages, il peut même se lire une critique des psychoses du Japon. A la fin, le rêve envahit la réalité, mais s'en fait la délirante métaphore. Des hommes d'affaires se jettent du toit en riant, grinçante vision du suicide, des patriarches politiques aux allures de poupées se disputent le trône, tels des pantins décharnés, et les jeunes gens voient leurs visages remplacés par des portables, amer vision d'une jeunesse déconnectée de la réalité et sans personnalité. Derrière son délire visuel, Satoshi Kon distille toujours autant une vision noire de sa société, dans le chaos le plus total. Seule une Paprika énergique paraît maintenir ce chaos.

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    Hommage au cinéma

    Enfin, si Paprika peut être librement interprété à différents niveaux – scénario complexe, angle psychanalytique, critique de la société, vision du Japon et de ses transformations – il reste incontestablement et peut-être avant tout un formidable hommage au cinéma. Millenium Actress et Perfect Blue prouvent la forte thématique du cinéma, monde à l'industrie fascinante et perverse, pour lequel les héroïnes se passionnent mais dans lequel elles doivent aussi se papleçonciné.jpgbattre pour être reconnues. Dans Paprika, l'hommage au cinéma n'a jamais été aussi fort, agissant comme une sorte de retour à la passion première de Satoshi Kon. Le personnage du commissaire évidemment, est un des médiateurs de cette passion : toute son entreprise psychanalytique mise en œuvre avec la DC Mini révèlera son traumatisme cinématographique pour finalement accepter son passé. L'ouverture, magnifique d'originalité se veut comme une palette des genres cinématographiques avec le thème du spectacle, le film à suspense, la comédie, les clins d'oeil à Hitchcock dans le train, le fantastique... De nombreuses leçons de cinéma ponctuent le film, définitions de la ligne imaginaire et du Panfocus, et bien évidemment cette très belle idée de l'écran de cinéma traversé, toujours en lieu avec le thème de l'explosion des frontières... A la fin du film, le commissaire se rend au cinéma, retrouve ses premières amours. L'auto-citation finale est présente avec à l’affiche toutes les œuvres réalisées par Satoshi Kon, ultime héritage représenté. Mais le film que va découvrir le commissaire n'est pas Paprika, mais un film dont on aperçoit auparavant l'affiche au milieu du film, lorsque le personnage s'évanouit dans sa voiture : il s'agit d'un étrange film dont l'affiche a des allures de paradis perdu, avec deux silhouettes d'enfants éblouis sous un soleil d'été. Comme si Satoshi Kon nous invitait à revenir sur un émerveillement d'enfant, à rejoindre une forme d'émotion toute originelle et juste par le cinéma.

    Tout ce tissu cinématographique sous-jacent à l'intrigue et à l'action mènent ainsi à ce constat simple, et pourtant essentiel : le cinéma c'est rêver. Au début du film, après une première immersion dans l'imaginaire du commissaire, ce dernier et la jeune Paprika tiennent cette conversation : « les rêves nocturnes sont des courts-métrages artistiques, et les rêves matinaux des longs-métrages de divertissement », affirme la jeune fille. Ce à quoi le commissaire réplique : « Et toi, tu es une actrice de films oniriques ? » Ce seul échange dépeint tout le génie merveilleux du film. 

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