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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 21

  • 11 fleurs

    11 FLEURS – Wang Xiaoshuai

     

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    Deux éléments handicapent le nouveau long-métrage du cinéaste Wang Xiaoshuai, auteur des formidables Beijing Bicycle, Shanghai Dreams et Une famille Chinoise. D'une part, la coproduction française, paradoxalement, en apportant une belle aide à la finance du film et à sa diffusion, semble dériver le cinéaste de sa veine réaliste et intimiste, certaine séquences s'avérant plus convenues. D'autre part, la large part autobiographique qui habite le film, empli de souvenirs d'enfance de Wang Xiaoshuai à la fin de la Révolution Culturelle, limite le potentiel imaginatif et restreint le développement de certains personnages, malheureusement. Le fait que Wang Xiaoshuai choisisse un personnage d'enfant le représentant contraste avec les psychologies habituelles qu'il évoquait dans ses précédents films et ne donne pas lieu à une véritable fascination.

     

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    Wang Xiaoshuai s'inspire de son enfance pour dépeindre la fin de la Révolution Culturelle à travers les yeux d'une famille quelconque réfugiée à la campagne du fait du statut de peintre amateur du père. Le jeune Wang explore de nouveaux sentiments tandis que les premières luttes prennent place. La dimension politique est ainsi assez faible, le film privilégiant le regard de l'enfant et le quotidien de la famille. La reconstitution est soignée, ancrant le film dans des tons ocres et embrassant des paysages magnifiques de la campagne. Les séquences amènent à plusieurs drames à différents niveaux : drame principal autour de la chemise causant la fierté de Wang, choisi pour mener la gymnastique matinale instaurée par Mao, mais aussi sa honte, puisqu'il la perd ; drame adjacent avec le fugitif traqué dans la forêt ; drame de la jeune camarade de Wang, violée par l'un des patrons de l'usine ; drame de l'absence du père... Les trois derniers points scénaristiques présentaient beaucoup plus d'intérêt que le premier, qui s'impose cependant sur tout le film. L'initiation du jeune Wang est en effet ce qui pêche au rythme et au propos, car de nombreuses scènes s'avèrent convenues et déjà vues : les échanges avec la bande de copains, assez maladroits, les premières émotions sexuelles avec la vision des parents dans le lit, les premières désillusions, la vision de la violence... le problème est que le jeune comédien employé reste très loin du talent des héros de Beijing Bicycle ou Shanghai Dreams, Wang Xiaoshuai étant peut-être plus doué pour diriger et filmer les adolescents plutôt que les enfants. Le jeune acteur se révèle peu attachant, gardant le même masque d'indifférence durant presque tout le film. De plus, la présence de la part autobiographique semble limiter les prises de libertés avec le personnage et sa psychologie.

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    Heureusement, on retrouve le meilleur de Wang Xiaoshuai dans une poignée de personnages environnants et de séquences, où se manifeste, toujours de manière subtile et intelligente, une belle analyse de la psychologie humaine. Dès Beijing Bicycle apparaissait, par la ténacité des deux garçons qui se disputaient le vélo, une sorte de mystère humain où les sentiments ne passaient pas pas les mots mais uniquement par les gestes et les élans inexpliqués de violence. La mise en scène pudique et lente de Beijing Bicycle tendait à sublimer ces élans inexplicables mais pourtant terriblement justes, comme lors des longues courses-poursuites entre les deux garçons. Dans 11 Fleurs, la lenteur est aussi présente mais les longueurs se font paradoxalement plus ressentir dans l'accumulation de séquences courtes que dans les séquences de longue durée. Car c'est bien plus la succession des scènes d'initiation classiques qui pêchent au rythme, alors que les rares moments de réelle mise en scène intriguent bien plus. La rencontre avec le fugitif est ainsi remarquable de force et de mystère, agissant bien sur l'ambiguïté du comportement du jeune assassin fascinant qui vole la chemise du jeune Wang pour colmater sa blessure. L'approche est lente, presque sauvage, en cohérence avec le cadre de la forêt broussailleuse. Wang se salit du sang de ce jeune homme, la sueur perle et la terre s'accroche aux peaux, brisant le cadre rigide des institutions de Mao et ramenant à une réalité difficile. Par la suite, cette apparition charismatique et animale restera la seule du film, les autres tentatives de rencontre avec le fugitif s'avérant des séquences inutiles, et l'ambiguïté de la relation s'effaçant peu à peu.

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    Autre personnage fascinant et lui aussi opaque, c'est celui de le jeune fille violée. La mise en scène de Wang Xiaoshuai est sur ce point d'une finesse remarquable. Dès le début du film, cette jeune fille est ainsi filmée de loin, sa silhouette étant isolée par le décor et la cadre, montrant déjà le terrible acte qui l'a divisée de ses camarades. La révélation du viol par le père de la jeune fille est par ailleurs l'une des séquences les plus émouvantes et tragiques du film, réalisée avec une justesse et une pudeur impressionnantes, loin du mélodrame. Enfin, l'ultime regret reste la maigre présence du père, qui ouvre cependant le film. La très belle affiche française est sur ce point très trompeuse, car elle laisse penser que c'est cette relation au père qui va tisser une toile autour de la Révolution Culturelle, d'autant plus que la famille est un des thèmes clés de Wang Xiaoshuai. Pourtant, sur une bonne partie du film, le père disparaît et ne revient que sur quelques séquences finales, celles-là aussi très fortes. Le jeune Wang ne pipe mot face à son père très bavard, acquiesçant à toutes ses questions et références artistiques. La passion pour la peinture du personnage étant brimée par le gouvernement Mao et le rang d'artiste ravalé à celui d'ouvrier, le père tente ainsi de diffuser ses connaissances à son fils, à travers de très jolies scènes où la flamme de la bougie éclaire en secret des tableaux impressionnistes réduits à des reproductions miniatures. Les 11 fleurs du titre illustrent quant à elle la scène d'ouverture, où le père apprend à peindre un bouquet de fleurs à son fils, comme 11 bougies soufflées face aux différents événements. Dommage que le dernier film de Wang Xiaoshuai, très bon réalisateur dans son pays, souffre d'autant de lacunes et d'un rythme bancal, ne pouvant pas fleurir totalement. 

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  • Yobi le renard à 5 queues

    YOBI, LE RENARD A CINQ QUEUES – Lee Sung-Gang

    Grand merci à Louise pour son DVD !

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    Yobi, le renard à 5 queues est le premier film d'animation coréen que je découvre. Passées les premières surprises linguistiques, mon oreille étant plus habituée à entendre des sonorités japonaises face à de l'animation, je n'étais pas au bout de mon étonnement face à ce film réalisé par Lee Sung-Gang, ayant également signé Mari Iyagi, gros succès dans les films pour enfants. En effet, Yobi reste loin de l'harmonie d'un Miyazaki, s'avérant totalement décalé, voire déjanté.

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    Lyrisme et Loufoquerie

    Tout commence par une légende : quelques inscriptions à l'écran suivie d'une succession de paysages forestiers à l'atmosphère fantastique. On songe bien évidemment à ce sens de la nature qui habite le cinéma japonais habituel (Princesse Mononoke, Origine). Et d'emblée, après cette présentation convenue, un élément inhabituel et loufoque vient habiter l'atmosphère légendaire : la brusque arrivée fantastique d'extra-terrestres, petites boules terreuses recyclant les ustensiles abandonnés pour se construire un abri improbable au cœur d'une souche d'arbre de la forêt. Ils élèvent le jeune renard, bientôt intéressé par la population humaine. Le rythme du film s'avère d'une intensité extraordinaire : les actions affluent, chaque décor regorge de détails visuels, la réalisation a eu au final l'intelligence de ne pas s'apitoyer sur les moments dramatiques et de suivre la versatilité d'un enfant. Les séquences se succèdent en des tableaux oniriques ou comiques, toujours très agréables et plaisants. On assiste par exemple aux réactions déjantées des extraterrestres face aux comportements humains. Une véritable finesse dans l'animation des visages des extraterrestres les rend terriblement attachants et sans cesse remuants. En effet, dans ce film, l'animation s'avère très agitée, mais sur les points de détails. Alors que les décors s'imposent comme vastes, lyriques et calmes (le lac mystérieux lors de la nuit de la pleine Lune, les clairières, les rues nocturnes), les mouvements humains ou des créatures fantastiques s'avèrent précis et multiples, créant sans cesse des impressions de foisonnement, incarnant un visuel plus complexe que celui des films de Miyazaki.

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    Enfance et adolescence

    A bien des égards, Yobi, le renard à 5 queues rappelle le propos de Ponyo sur la Falaise de Hayao Miyazaki. La jeune renarde – à l'instar du poisson rouge qu'est Ponyo – a des élans d'émancipation et d'indépendance, charmée par les garçons humains, amusée et curieuse de leurs coutumes. La naïveté et une formidable vitalité affleurent, tout comme les pouvoirs entretenus par Ponyo : la séquence où la renarde se transforme en humaine est ainsi incarnée visuellement par une véritable ascension dans les branches, où la germination de la nature représente la croissance physique du personnage. Là où la mer répondait aux élans de Ponyo, c'est la nature qui s'avère en harmonie avec Yobi : ouverture des feuilles d'arbres, abondance en couleurs, en lumières... Les extraterrestres se substituent aux parents et constatent le début de la puberté et de la croissance, croissance extraordinaire qui sidère les camarades de Yobi dans le pensionnat. Elle bat tous les autres enfants à la gymnastique, s'avère vive et naïve, trop franche face à certains jaloux. Mais cette extraordinaire vitalité, à l'image de Ponyo, n'est pas sans quelques risques : les quelques queues trahissent parfois la jeune fille, ou ses transformations en mère s'avèrent risquées. Le personnage est par la suite confronté à la dure réalité du moment. Certaines scènes s'avèrent très violentes malgré la cible d'un public jeune, comme l'accident de bus, et tout le final, propos sur la mort et le sens du sacrifice. La finesse des décors et le lyrisme de l'animation tendent à désengorger ces propos bien noirs, derrière lesquels se dessine tout de même un regard sur l'enfance assez pessimiste.

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    Vision de l'enfance

    Face à Yobi est en effet dépeinte une condition difficile de l'enfance, condition des orphelins que d'autres films coréens ont également interrogé (Hansel et Gretel, par exemple). Le jeune garçon qu'elle rencontre est ainsi abandonné par ses parents, et se distingue par sa marginalité vis à vis des autres. Par contraste avec sa condition de petit révolté, le garçon partage le rêve secret de devenir une idole de la télévision, rêve qui semble vain face à la misère qui l'entoure. Le pensionnat dans lequel évolue toute la myriade d'enfants est bien loin de l'idée d'un pensionnat normal : tenu par un seul adulte généreux mais volatil, le lieu insalubre semble totalement isolé du monde et sans subventions. L'ambiance y est froide et parfois malaisée, chaque enfant semblant perdu, telle le personnage très beau de la petite fille ne parvenant pas à communiquer. L'arrivée de Yobi dans ce lieu revigore par ailleurs l'atmosphère et déclenche de vives réactions parmi les humains, sa vitalité explosant les frontières et dérangeant les complexes des uns et des autres. 

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    Au final, Yobi le renard à cinq queues est une curieuse surprise. Le film se distingue des films d'animation des studios Ghibli ou Madhouse, en choisissant une esthétique et une narration bien singulières. Très dynamique, le film brasse dans une sorte de fièvre visuelle de nombreux thèmes difficiles, ou une certaine violence (le personnage inquiétant de l'ombre détective, le chasseur de renards) mais ne se débarrasse jamais de prouesses visuelles et d'un lyrisme assez impressionnant dans l'animation.

     

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  • Hirokazu Kore-eda

    RETOUR SUR HIROKAZU KORE-EDA

     

    A l'heure où sort cette semaine son nouveau film en France – I wish, nos vœux secrets, malheureusement absent des cinémas lorrains – peut-être est-il temps de revenir faire le point sur les trois derniers films de Hirokazu Kore-eda, un des cinéastes héritiers du réalisme et du traditionnalisme d'Ozu. Nobody Knows, Still Walking et Air Doll marquent la carrière aujourd'hui épanouie de Kore-eda, trois films aux sujets et personnages très différents.

     

    Marginalité et Normalité

    Tous les protagonistes des films de Kore-eda s'attachent à une certaine marginalité dans la société japonaise, celle-ci régie par le sens de la norme, des conventions et des mœurs tirés de la tradition. En cela, Kore-eda s'avère le digne successeur de Yasujiro Ozu, cinéaste japonais qui a sans cesse tenté, à travers ses films, de révéler les failles de ses protagonistes à travers stillfamille.jpgleurs habitudes en apparence paisibles et répétitives.Le rapport à la famille, ou au groupe en général, est le prisme de ces révélation, chacun devant se confronter à la masse. Dans Still Walking, récit classique d'un repas de famille où se soulèvent peu à peu les regrets et les questions, le deuxième fils, vivant dans l'ombre du souvenir de son frère décédé à la suite d'un acte de bravoure, ne cesse de se confronter aux exigences de « normalité » que lui renvoient sa sœur ou ses parents. Normalité d'avoir des enfants, même avec la jeune veuve avec laquelle il s'est remarié, normalité d'avoir un travail bien payé (le fils cache ainsi son chômage), normalité d'avoir une voiture pour sa sœur. Au bout d'heure et demie de film, le personnage finit par s'exclamer « Mais qu'est-ce que vous avez tous à vouloir être normal ? ». Le fils cadet se confronte ainsi, durant tout le film, à cette exigence d'idéal que lui confèrent ses proches. Lui-même ennuyé par cette exigence, par la frustration de son père qui n'a pas eu de successeur pour son cabinet de médecin, ou par la tristesse de sa mère ayant connu la mort de son frère aîné, le protagoniste ne cesse, par son comportement, d'exacerber ce poids de la normalité. La mise en scène, et plus précisément le travail sur l'espace et le rapport à l'architecture des maisons japonaises, renforce en permanence cette obsession de la « normalité », car les murs qui encadrent les protagonistes caractérisent de fait l'encadrement exigé dans la société.

    A l'inverse, les enfants de Nobody Knows se distinguent par la marginalité qui les caractérisentnobodymere.jpg dans la société : marginalité car ils n'existent pas, car ils doivent rester cachés, silencieux et enfermés, loin des autres activités que peuvent effectuer les enfants de leur âge. La réalisation de Kore-eda s'avère plus tendue dans ce film, les prises de caméra à l'épaule étant plus fréquentes et l'ensemble traité de manière réaliste, presque documentaire. Par ce choix, Kore-eda fait capter toute une tension autour de ce mystère et de cette peur de se faire découvrir, peur dictée par la consigne de la mère et la séparation induite par les placements en foyer sociaux. De plus, la marginalité apparaît dans ce film par le surprenant contraste entre l'âge des protagonistes et les missions adultes qu'ils s'auto-assignent. Le jeune Akira doit porter toute la responsabilité de l'état de ses frères et sœurs, tente d'agir comme un adulte, tente d'imiter une image d'adulte parfait, tandis que les parents alentours s'avèrent de véritables enfants. Les personnages s'obligent ainsi à se plier à une « normalité » et à des apparences paisibles impossibles à atteindre. Au début du film, la mère d'Akira se présente ainsi comme calme et sérieuse, alors qu'elle se révèle rapidement adolescente dans sa manière de penser.

    aircosplay.jpgL'héroïne d'Air Doll, poupée sexuelle amenée miraculeusement à la vie, tente elle aussi de se plier à la normalité. En découvrant le monde alentour, elle connaît de nombreuses désillusions et tente de s'intégrer à la vie humaine, bien souvent en suivant les publicités et les préjugés. Ses tenues vestimentaires en témoignent, sortes de cosplays hérités des mangas pour jeunes filles, avec petites jupes à volants, tabliers de serveuse, uniformes d'écolières... Elle se fait engager dans une boîte de location de vidéo, les comédies musicales contribuant à surenchérir ses espoirs et sa volonté d'intégration. L'expérience d'Air Doll s'avère aussi une lutte contre la standardisation, cette poupée, par ce phénomène fantastique de vivre, cherchant à échapper à sa fonction primaire, qui est de combler les manques sexuels des hommes. Elle lutte contre le fait d'être un simple produit ou jouet passif et tente de prouver le contraire, fait difficile car de nombreux hommes abusent d'elle par la suite.

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    Secrets et Libérations

    nobody.jpgNobody Knows, le titre de son film le plus plébiscité et, avouons-le, le plus impressionnant, pourrait s'appliquer au cinéma tout entier de Kore-eda. Les personnages souvent enfermés entre quatre murs – les enfants dans l'appartement, la famille réunie dans la maison familiale, la poupée dans la chambre de son propriétaire – symbolisent et rappellent sans cesse le rapport au secret, à l'enfermement des désirs et des envies : la poupée d'Air Doll désirant découvrir le véritable amour par elle-même, en-dehors de la sexualité frustrée qu'elle est censée combler ; la jeune fille voulant aller à l'école dans Nobody Knows, impuissante face à sa mère infantilisante ; et enfin tous les protagonistes de Still Walking, gardant leurs frustrations et leurs colères derrière une façade paisible. Dans ce dernier, le portrait familial s'avère extrêmement fort et d'une justesse remarquable, chacun à la fois incarnant un personnage clé dans la cellule familiale attendue, tout en révélant une certaine cruauté ou un comportement inattendu. Par exemple, la grand-mère aux petits soins pour ses enfants n'hésite pas à torturer psychologiquement le jeune homme ayant été sauvé par son fils décédé, le rappelant à venir se prosterner chaque année.

    Le sentiment de frustration, né de l'étouffement de ces désirs, s'avère extrêmement bien cernénobodyext2.jpg chez Kore-eda. Le fameux jeu sur l'architecture, les pans de portes ou de murs encadrant les personnages dans de nombreuses séquences, désignent aussi cet étouffement. Chez Nobody Knows, ou chez Air Doll, les séquences en extérieur s'avèrent ainsi bien souvent, et par contraste, le symbole de la libération et de la liberté des corps et des esprits : courses à pied et jeux enfantins pour les jeunes de Nobody Knows ; découverte sensible et sensorielle de la naïve héroïne d'Air Doll. Dans ces séquences, les plus fortes dans ces films, la parole n'agit pas ou s'exerce par de simples exclamations spontanées, et le corps prend le dessus, connaît la libération pour un temps, ne se soucie pas des apparences. Dans Still airext.jpgWalking, les moments d'extérieur font souvent place à la sérénité et au repos, notamment lorsque les protagonistes retournent sur les lieux du drame de l'accident et de la mort du fils aîné, car ils sortent du cocon familial et de la fameuse maison pleine de souvenirs et d'exigences quotidiennes. Cependant, sans cette accroche à l'habitat, les personnages ne pourraient survivre. Paradoxalement, l'appartement de Nobody Knows recèle de dangers, mais s'avère plus d'une fois un refuge. Et la poupée d'Air Doll finit sa vie à l'état de déchet, abandonnée dans la rue, se sentant totalement rejetée de tout habitat ou lieu d'intégration.

    Les films d'Hirokazu Kore-eda témoigne ainsi d'une lutte permanente, d'un paradoxe constant et symbolique, entre le souci des apparences et la marginalité, le conflit des apparences avec les désirs intérieurs, le conformisme à la fois étouffant et rassurant de la famille, l'encadrement, l'intégration avec la folle liberté. 

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  • Apart Together

    La Résignation

     

    APART TOGETHER – Wang Quan'an

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    Après La Tisseuse, Wang Quan'an nous présente son nouveau film, passé assez inaperçu dans les salles. Apart Together s'attache de nouveau à un personnage de femme, cependant bien plus âgé que les héroïnes du Mariage de Tuya ou de La Tisseuse. Bien moins puissant que ce dernier, le film de Wang Quan'an fait partager les notions de résignation, de regret et de vieillesse à travers un événement historique. En 1949, Liu, jeune soldat comme beaucoup d'autres, part se réfugier à Taïwan devant l'avancée des troupes communistes. Derrière lui, sa femme Qiao enceinte attend son retour puis finit par se remarier pour avoir une bonne condition de vie. 50 ans plus tard, l'exilé revient de Taïwan et réapparaît, décidé à emmener son amour de jeunesse.

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    Le film de Wang Quan'an peut être vu comme l'exact opposé de La Tisseuse. Là où l'un commençait par un récit réaliste dur (une jeune tisseuse mère de famille apprenant qu'elle est condamnée à mourir) et se finissait sur une note d'espoir et d'onirisme, l'autre, Apart Together semble débuter sur un retour bienheureux (les retrouvailles avec l'amour de jeunesse, reçu triomphalement dans la famille) mais entraîne peu à peu sur les chemins de la résignation et de la désillusion. Le vieil homme, revenu de Taïwan après la mort de sa seconde femme, est reçut en héros en Chine, où les victuailles peuplent la table et la fanfare des jeunes enfants interprète des airs maladroits. Le nouvel époux de Qiao accueille l'ancien amour de sa femme avec une réelle convivialité. Pas de drame distancié, par d'explosion de larmes ou de sentiments chez Wang Quan'an, l'accueil s'effectuant sous les apparences rassurantes des traditions et de la chaleur culinaire et surtout alcoolique. Le film décrit bien plus une tension permanente, fragile du fait de cette conservation des apparences. Qiao n'ose exprimer, en tant que bonne mère de famille, ses véritables regrets et son désir de repartir avec Liu. Certains séquences, terribles, décrivent ainsi les réactions égoïstes de ses proches, telles ses filles l'accusant de trahison, son mari, tombant dans une sorte d'aphasie, ou son fils, négligeant son père revenu.

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    Le plus intéressant reste le personnage du mari. Wang Quan'an s'y attarde avec une relation triangulaire trouvant son apogée dans une scène de repas arrosé et nostalgique autour de la table entre les trois protagonistes âgés. Ce personnage, d'une réelle justesse et excellemment interprété par Cai Gen-Xu, oscille à la fois entre un sincère respect de sa femme et de son ancien amant, et une réelle frustration de la voir partir. Lors de la fameuse scène filmée en plan-séquence au niveau de la table, la mise en scène met bien avant le déchirement de Qiao, entre son mari fidèle et malade et son amour de jeunesse romantique, entre la tradition et la possibilité du renouveau. De cette séquence, il se dégage également une profonde nostalgie, incarnée à travers les chants entonnés par les trois personnages, seul moment où, à travers l'évocation des souvenirs, ils se rejoignent. Au final, l'espoir de Qiao, magnifiquement interprétée par la célèbre actrice Lisa Luo, se flétrira dans une émouvante scène de séparation. Par contraste, ou par rééquilibre, sa petite-fille viendra lui annoncer qu'elle pourra se marier avec celui qu'elle aime.

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  • L'ange ivre

    L'ANGE IVRE (1948) – Akira Kurosawa

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    Sorti en DVD dans la belle collection Les Introuvables de Wild Side Video (qui avait déjà édité Le Vase de Sable de Yoshitaro Nomura, assistant réalisateur de Kurosawa), L'Ange Ivre est un chef d'oeuvre d'humanité. Huis-clos centré dans les banlieues de Tokyo, le film s'attache à décrire la relation improbable entre un médecin colérique dévoué à ses patients et un jeune chef yakuza atteint de la tuberculose. On retrouve la force expressive des personnages de Kurosawa, traversés par des sentiments épiques, et pourtant sans cesse ramenés à une condition misérable et un environnement détestable.

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    D'emblée, le générique s'ouvre sur des vues d'une sorte de mare boueuse autour de laquelle va se jouer tout le drame. Les habitants versent leurs déchets dans cette mare, causant une pollution et rendant l'environnement insalubre, où de nombreux habitants tombent gravement malades. Au bord de cette immonde mare bataille le médecin Sanada pour soigner ses patients, atteints de la tuberculose. Colérique et alcoolique, ce personnage de médecin porte tout le film par ses comportements antithétiques s'assimilant au titre du film. On songe au Docteur Akagi de Shohei Imamura (1997) qui a du s'inspirer de ce film de Kurosawa : même protagoniste de médecin campagnard et vivant dans la misère, se dévouant corps et âme envers ses patients mais possédant un caractère farouche et bougon. Le personnage, profondément attachant, est incarné par le génial Takashi Shimura, incarne cette ambiguité propre aux protagonistes de Kurosawa : à la fois agaçant et tendre, il exprime son profond dégoût de la nature humaine, miné par des sentiments de frustration quant à la misérable carrière qu'il connait, mais contredit ses paroles par ses actes généreux. Comme il le dit lui-même dans une des répliques, il est un « ange », malgré les apparences.

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    Sa générosité va ainsi se verser dans son approche du jeune yakuza, qu'il tente d'aider. Les rares rencontres entre les deux, temps forts pendant une bonne partie du récit, se finissent cependant toujours de la même manière, le yakuza explosant de violence face au médecin railleur et ce dernier lui balançant la moitié de son matériel médical à la figure. Les relations s'avèrent toujours tumultueuses chez Kurosawa, sorte d'amour-haine féroce dynamisé par un jeu très expressif, une gestuelle explosive des corps dans l'espace étroit du cabinet du médecin. La présence du célèbre acteur Toshiro Mifune dans le rôle du yakuza tient pour beaucoup dans cette agressivité constante, l'acteur traînant une silhouette élégante et nonchalante d'où percent parfois des accents de rage et de violence pulsionnelle. Le film dépeint cette relation avec une véritable finesse et une ambiguité constante.

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    La mise en scène précise cerne l'avancée du drame et du récit. Tout d'abord, la maladie du yakuza s'imprime à l'écran par le rappel constant des plans de la mare boueuse s'étendant devant le cabinet du médecin, symbolisant la tumeur qui s'étend dans les poumons du jeune homme, polluant son corps. Ensuite, la déchéance sociale du yakuza dans son quartier passe par le jeu de l'acteur et l'inscription de plus en plus marginalisée dans le cadre : il traîne avec peine sa silhouette malade parmi la foule, devenu inconnu ; il se déhanche fiévreusement sur la piste de danse ; il s'appuie contre les poteaux les plus penchés, prêt à se renverser par terre. Kurosawa capte les moments de déchéance derrière les airs vaniteux de l'homme de pouvoir, notion reprise par Takeshi Kitano par la suite. Seuls le médecin et sa douce assistante restent au chevet de l'homme dépossédé, gueule d'ange auquel le titre pourrait aussi se référer. La déchéance trouvera son coup d'éclat dans une impressionnante scène de lutte au couteau dans un couloir envahi de peinture, véritable ivresse violente filmée. L'Ange Ivrereste ainsi une œuvre forte chez Kurosawa, malheureusement non reconnue lors de sa sortie, mais qui n'a rien perdu de sa profonde humanité.

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  • La danseuse de Mao

    LA DANSEUSE DE MAO – Qiu Xiaolong

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    L'épais volume avec sa photographie d'une jeune femme assise dans un bar et fumant une cigarette avec provocation avait capté mon attention. Je ne connaissais Qiu Xiaolong que de réputation dans le domaine du polar. La Danseuse de Mao s'avère une belle surprise, autant dans la qualité de l'écriture et du récit que dans l'aspect historique, politique et culturel. Comme pour beaucoup de polars, l'enquête menée par l'inspecteur Chen et son adjoint Yu est un prétexte à analyser les héritages communistes et les troubles politiques après la chute de Mao. Qiu Xiaolong, qui s'est exilé aux Etats-Unis pour écrire, a lui-même connu les répressions de la Révolution Culturelle, son père ayant été poursuivi par les révolutionnaires et beaucoup d'éléments autobiographiques transparaissent à travers le personnage de Chen, sorte de double de l'auteur.

    Peut-être la culture américaine fait de la Danseuse de Mao un polar conventionnel mais efficace dans son déroulement, alternant moments d'action et de découvertes, recherches vaines, pauses explicatives et résolution finale un peu hâtée. Le livre captive cependant par le regard pertinent qu'il offre de la Chine, et ce, à travers une série de protagonistes et d'intrigues qui montrent les différentes conséquences de la chute de Mao. Le pays apparaît creusé par le fossé entre de grands pontes riches et entrepreneurs, profitant de l'offre capitaliste, et une majeure partie de la population dans la pauvreté, certains regrettant même le temps de Mao.

    Dans ce contexte, l'inspecteur Chen mène l'enquête, miné par des soucis d'ordre amoureux (aucun héros de polar n'échappe à cette règle) et profitant de ses nombreuses relations pour soutirer toutes informations. Dans cette Chine, il doit avancer avec prudence, usant de métaphores, proverbes ou citations. Notre inspecteur est un homme cultivé, poète amateur à ses heures et nous découvrons à travers lui la culture poétique chinoise. Des poèmes de Mao sont notamment analysés pour leurs significations intimes, jalonnant toute l'avancée de l'enquête. La Danseuse de Mao est ainsi une enquête efficace et très intéressante sur le plan historique et culturel.

  • Song Kang-ho


    Song Kang-ho

    Pour quiconque s'intéresse à l'actualité du cinéma coréen, Song Kang-ho s'avère incontournable. Il est partout, il a tourné sous la direction des plus talentueux cinéastes du moment, s'illustre aussi dans des comédies populaires que dans des films d'une insoutenable violence. Il est, avec l'acteur Lee Byung-hun, l'une des figures les plus populaires au niveau international, sa notoriété ayant franchi le cap de la frontière sans pour autant tourner dans des films d'une nationalité différente que la sienne (contrairement à Lee Byung-hun qui fit plusieurs apparitions dans de grosses productions aux côtés d'acteurs américains).

    Song Kang-ho est tout d'abord le seul à avoir tourné sous la direction des trois grands cinéastes représentatifs du cinéma de violence qui nous parvient de la Corée du Sud : Park Chan-wook, évidemment, cinéaste avec lequel il a le plus collaboré, avec JSA, Sympathy for Mister Vengeance, Lady Vengeance et Thirst; Bong Joon-ho avec deux films populaires, Memories of Murder et The Host ; et enfin Kim Jee-woon, également avec deux collaborations, The Foul King et Le Bon, la Brute et le Cinglé, fort succès coréen à sa sortie en 2008.

    Au-delà de ces interprétations et collaborations inévitables et mémorables, car toutes encadrées par une réalisation forte et originale, Song Kang-ho s'est toujours affirmé en Corée du Sud dans des rôles populaires, beaucoup dans la comédie (The Secret Reunion, The Show must go on) ou encore le drame historique (The President's Barber, Antartic Journal). Il a également tourné une fois sous la direction du précieux cinéaste Lee Chang-dong, avec Secret Sunshine, où il interprète le garagiste amoureux de l'héroïne. Ses rôles les plus célèbres montrent bien l'atout de cet acteur : sa formidable propension à pouvoir interpréter des rôles aussi bien comiques que tragiques, surprenant soit par son travail facial et gestuel proche du burlesque, soit par la sobriété de sa composition. Revenons un peu sur les interprétations les plus marquantes de cet acteur talentueux...

     

    Affirmation du père et du prêtre

    Songkangho.jpgL'un des rôles les plus sidérants de Song Kang-ho reste inévitablement celui du père dans Sympathy for Mr Vengeance qui débute la fameuse trilogie de la vengeance de Park Chan-wook. Ce film marque la deuxième collaboration de l'acteur avec le cinéaste, après JSA. Song Kang-ho venait alors de se faire remarquer du grand public, car JSA, ainsi que The Foul King, étaient les plus grands succès publics et critiques du moment en Corée du Sud. Kim Jee-woon décrit par ailleurs très bien cette période dans un entretien consacré au Positif de l'été dernier. Avec Sympathy for Mr Vengeance, Song Kang-ho dessine une figure ambiguë qu'il réexploitera dans son rôle de prêtre pour Thirst : à savoir l'homme intègre, adulte et responsable, brutalement remis en question dans ses convictions. Un drameSympathy for mr Vengeance song.jpg viendra le bouleverser, la mort de sa petite fille pour l'un, la transformation en vampire pour l'autre, qui le poussera contre ses convictions, l'amènera à franchir, et ce avec répulsion, les limites du vice et de la pulsion. Dans Sympathy for Mr Vengeance, il s'excuse auprès de celui qu'il assassinera sauvagement, s'imposera à observer des cadavres décortiqués à la morgue, mais évitera de regarder ceux qu'il torture. Il cache le visage d'un des kidnappeurs qu'il torture sous un drap, puis tranche les tendons de l'autre dans l'eau de la rivière. La composition de Song Kang-ho est glaciale, à thirst_262977.jpgaucun moment son personnage ne semble ressentir de jouissance à torturer les meurtriers de sa fille, pourtant l'absence de pitié et d'humanité suinte à travers sa silhouette et son visage. Même sobriété chez le prêtre de Thirst, qui apparaît cependant bien plus comme une victime de la tentation. Le jeu de Song Kang-ho, élégant et volontiers sensuel dans sa soutane noire, s'oppose sans cesse au comportement exhibitionniste de sa partenaire interprétéeJSA.jpg par Kim Ok-vin. Ces personnages, à la fois autoritaires et troubles, constituent la part sobre et juste dans le jeu de Song Kang-ho, part qui s'esquissait déjà dans le rôle du colonel de JSA. Dans ce dernier, une figure de « père » se dessine déjà. Plus âgé que les autres soldats, Song Kang-ho s'impose, charismatique et cynique, s'amusant tendrement avec le jeune soldat sud-coréen incarné par Lee Byung-hun. Une figure de père que l'on retrouve enfin dans The Host. Là, ce film de Bong Joon-ho inverse la tendance : le père, à la base un loser négligé et puéril, devient, face au drame de la disparition de sa fille, le plus courageux et le plus vaillant, perdant ses habitudes nonchalantes pour retrouver un gain d'énergie et une vraie responsabilité parentale. Là où l'un verse dans le désespoir et la déshumanisation, l'autre retrouve un éclat héroïque.

     

    Pitreries, grimaces et prétention

    thegoodthebadtheweird12.jpgBien loin de ces compositions dramatiques, Song Kang-ho participe à de nombreux films comiques, détruisant toute forme de sobriété ou fermeté. Dans ces films, le visage craque, le corps s'exprime dans tous les sens, corps bien souvent plus rond et bonhomme qu'auparavant. Pitreries, grimaces, éclats de rire et trognes comiques s'enchaînent. L'exemple le plus probant est le personnage du Cinglé dans Le bon, la brute et le cinglé (Kim Jee-woon) : affublé d'un bonnet péruvien et de grosses lunettes, il traverse le décor, déserts ou marchés tonitruants, à toute allure, explosant tout sur son passage, plonge la tête dans un scaphandrier pour se protéger des balles, explose d'un rire agaçant, roule en boule sur le sable... Même constatation pour The Secret Reunion (Jang Hun), pâlot film d'espionnage, où Song Kang-ho ressert le même jeu pour soutenir son faible rôle. Il abandonne18862548.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-20070907_114312.jpg le costume du début pour endosser des habits campagnards et une attitude négligée, enchainant les réactions puériles. Même comportement négligé et correspondant à l'image du « beauf » par excellence dans The Host, où le père mange en cachette les queues de la seiche servie aux clients, puis nie s'être servi. Ces personnages de pitres, de loser, d'insupportable fanfaron, s'allient bien souvent à une prétention, une fierté farouche face à tout ce qui relève du Joon-Ho-Bong-Memories-of-Murder-2.jpgsérieux ou de la rigueur. Ainsi, le commissaire de Memories of Murder (Bong Joon-ho) devient vite jaloux de l'intelligent et bel inspecteur issu de la ville, et ne cherche qu'à le ridiculiser au cours d'une soirée arrosée où il s'affiche dans un karaoké irrésistible de drôlerie. De même que le policier de The Secret Reunion, tout comme le Cinglé, nargue ses adversaires et les toise avecsecret3.jpg prétention. S’inspirant de cette suite de personnages grotesques, Lee Chang-dong confie habilement à Song Kang-ho un rôle dans la lignée de ce potentiel comique pour Secret Sunshine. L'acteur apparaît sous les traits d'un garagiste terre-à-terre, loin de la religion divine dans laquelle l'héroïne noie son chagrin.

     

    L'élégance cachée

    SecretSunshine2.jpgCes derniers rôles révèlent une autre facette de Song Kang-ho, qui se manifeste particulièrement sur Secret Sunshine ou Memories of Murder. Lee Chang-dong a parfaitement su exploiter l'ambiguité de la carrière de l'acteur, lui confiant un rôle au fort potentiel comique, celui d'un garagiste terre-à-terre et naïf, loin de tout romantisme. C'est cependant ce personnage balourd de prime abord qui va être le seul à soutenir et tenter de ramener l'héroïne de Secret Sunshine à la réalité. Song kang-ho incarne dans ce film la part « terrestre » et très réaliste du style de Lee Chang-dong, diamétralement opposé aux aspirations célestes et religieuses de la femme dont il est amoureux. Le policier vulgaire du cercle dessecret2.jpg Amis de la Poésie dans Poetry est par ailleurs le prolongement de ce personnage. Derrière sa bêtise, ce type de personnage s'avère souvent le plus sage et tendre dans ses intentions, parvenant sans le savoir à garder un semblant d'humanité. Il en est de même pour le mémorable commissaire de Memories of Murder, assurément l'une des meilleures Gwoemul.jpgcompositions de l'acteur. Song Kang-ho agace tout en amusant dans une première partie, se faisant infantiliser par les enfants qui imitent ses grimaces, campagnard frimeur sympathisant avec tout le monde. Son côté nature lui confère cependant un certain sens de la raison et une véritable tendresse paternelle, notamment envers son sérieux coéquipier issu de la ville. L'ampleur des meurtres perpétrés dans le film fera par la suite basculer le jeu de Song Kang-ho dans une grande sobriété, voire élégance, à l'instar du père de The Hostqui révélera un courage sans pareil. Le talent de l'acteur, allié aux intelligentes réalisations de ceux avec qui il travaille, réussit à signifier ces conversions sans manichéisme ni facilité. 

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  • Stanley Kwan 2

    RETROSPECTIVE STANLEY KWAN – Partie 2

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    Stanley Kwan est un réalisateur chinois s'étant fait remarquer durant les années 1990. Il tourne encore aujourd'hui quelques films, malheureusement difficilement trouvables. Stanley Kwan a notamment réalisé un film assez célèbre dans un certain cinéma indépendant de Chine, Lan Yu, histoire d'hommes à Pékin, qui fait parti de ces films fiévreux et intimiste parlant de l’homosexualité en Chine au même titre que Happy Together de Wong Kar-wai ou Nuits d'ivresse printanière de Lou Ye. Metropolitan Film Export vient tout juste de sortir un très beau coffret dédié à trois œuvres de Stanley Kwan, portées par de grands acteurs faisant leurs débuts, tels Maggie Cheung, Carina Lau, Tony Leung ou Leslie Cheung.

     

    Love Unto Wastes (1986) : Critique du film ici

     

    rougeleslieanita.jpgRouge (1987) : Rouge est l'un des films les plus célèbres de Stanley Kwan. Faisant beaucoup songer au cinéma de Wong Kar-wai, et notamment par son ambiance entre romantisme et érotisme, le film s'avère cependant moins fort que Love unto Wastes, peut-être du fait de la balourdise du couple « moderne » incarné par les deux journalistes qui rencontrent le fantôme de ce personnage charismatique qu'est Fleur, une jeune femme de charme s'étant suicidée dans les années 1930 suite à un amour impossible. Dès lors, tous les passages se rapportant à l'enquête menée par le couple de journalistes pour découvrir la vérité sur cette histoire et le destin de l'amant pour lequel Fleur s'était donné la mort, s'avèrent assez creux et quelconques. Les meilleurs passages, d'une beauté extraordinaire, restent les courts tableaux scandant les étapes de la relation entre Fleur et Chan. La préciosité des décors et des costumes, la délicatesse dans la réalisation plongent le spectateur dans une ambiance fantastique et sensuelle, captant l'étrangeté des maisons de charme s'exerçant durant toute une époque. A travers l'histoire d'amour des deux personnages est dénoncé avec finesse le cloisonnement desFilmArchiveParagraph473imageja.jpgclasses sociales, le jeune homme appartenant à une famille aisée ne pouvant ni entreprendre le mariage avec Fleur, une simple femme de charme, ni s'adonner à sa passion du chant dans l'Opéra de Shanghai. Le film montre aussi la condition ambiguë de la femme à l'époque, à travers le personnage de Fleur, idolâtrée pour sa beauté et sa voix au sein de la maison et précieusement protégée par son amant, mais ne pouvant pas décider de son avenir. La séquence où elle rencontre la mère de Chan s'avère terrifiante : derrière de multiples compliments, une lente et délicate cérémonie du thé pour l'accueillir, la mère ne cesse de souligner l'impossibilité pour Fleur de s'élever au rang de leur fils, lui suggérant de devenir sa maîtresse plutôt que sa femme. Hormis les moyens acteurs interprétant le couple de journalistes, les acteurs sont excellents, en particulier Leslie Cheung, dans un rôle très sensible, et la superbe Anita Mui, l'une des plus grandes actrices du cinéma chinois. Le film se clôt avec un magnifique hommage au cinéma, où le fantôme de Fleur se balade, paradoxalement, sur le plateau de tournage d'un film fantastique tels qu'il en existait beaucoup dans les années … dans le cinéma chinois : les scènes filmées d'un fantôme flottant dans les airs à l'aide d'un câble enroulé autour de la taille font écho à l'ultime évanescence de Fleur qui quitte l'univers du film après avoir imprimé la pellicule de son envoûtante présence. 

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  • Tatsumi

    TATSUMI – Eric Khoo

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    Adaptation de Ma vie dans les marges, le manga autobiographique de Yoshihiro Tatsumi, le film raconte la vie de l'inventeur du « gekiga », ou manga pour adultes, genre qui mit longtemps à obtenir une certaine reconnaissance dans le domaine du manga. Le film alterne les moments autobiographiques du jeune Tatsumi avec l'adaptation de cinq de ses histoires en animation, comme suivant un procédé de chapitrage.

    tatsumimonkey.jpgTatsumi respecte tout d'abord très profondément le style de l'auteur, le film se basant sur une animation traditionnelle, avec un mouvement saccadé bien propre aux débuts de l'animation. Selon les histoires, chaque réalisation a son propre « grain », sa propre esthétique visuelle : « l'Enfer » le récit sur Hiroshima, qui ouvre le film, se rapproche du vieux film des années 50 en noir et blanc ; « My beloved Monkey », fable terrifiante sur la condition des ouvriers, opte pour un style dépouillé et sec ; « Juste un homme » est une amère vision sur les frustrations sexuelles ; « Occupé » oscille entre le film social et le film noir ; tandis que « Goodbye » se rapproche plus de l’esthétique des années 20. Toutes ces histoires partagent cependant la même noirceur, extrêmement crues et cruelles dans leurs conclusions, ce que Yoshihiro Tatsumi avouera à la fin du film en voix-off, constatant que ses premiers récits de « gekiga » reflétaient son propre désespoir de l'époque où il vivait, en tant que jeune dessinateur, dans la misère et l'anonymat.

    Concernant ces histoires, elles s'avèrent cependant parfois bien insupportables à suivre, letatsumil'enfer.jpg doublage n'hésitant pas à souligner les passages mélodramatiques ou l'étalage de la souffrance, de même que la réalisation appuie trop souvent sur les passages sexuels alors qu'ils sont peu présents dans les planches originelles. Le meilleur récit reste de loin le premier, stupéfiante histoire sur un fictionnel cliché pris par un jeune homme peu de temps après la catastrophe d'Hiroshima, cliché dont l'interprétation allait être faussée au niveau international. Le récit s'avère terrifiant, passant du témoignage historique au film noir, et montrant le danger du pouvoir des images.

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    Les meilleurs passages du film restent cependant ceux, colorés, où la vie du jeune Tatsumi est esquissée en quelques tableaux oniriques, entre anecdotes, désillusions, fiertés naïves de jeunesse. On songe parfois, sur ces passages, à la sincérité simple de Persépolis (Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud). Ces passages apportent par la suite beaucoup sur le plan historique, reflétant une certaine époque et s'inscrivant dans l'histoire du manga, montrant sa pratique intensive. Le jeune Tatsumi, à chaque épisode de sa vie, nous est toujours dévoilé en plein travail, dessinant fébrilement les visages et les décors de ses histoires, fidèle à sa logique de mangaka primant le fond sur la forme, pliant le dessin à l'intérêt psychologique ou social, où « une fois que l'histoire est écrite, 70% du manga est fait. Les 30% sont le plaisir du dessin »). Malgré la dureté des courtes nouvelles illustrées et la trop grand maigreur des passages autobiographiques, conférant un rythme inégal au film, Tatsumise finit sur une séquence émouvante ou le visage dessiné de Yoshihiro Tatsumi se superpose à l'auteur réel et âgé, en train de finir la planche qui ouvre le début du film. 

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  • la colline aux coquelicots

    KOKURIKOZAKA KARA / LA COLLINE AUX COQUELICOTS – Goro Miyazaki

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    Débarrassons-nous déjà de tout rapprochement du dernier film de Goro Miyazaki avec celui de notre Hayao bien-aimé, le fils du célèbre cinéaste souffrant sans cesse de la comparaison. Certes, il ne faut pas pour autant écarter de la Colline aux coquelicots divers héritages des studios Ghibli, de par la technique d'animation similaire, du tracé aux mêmes évocations, ou de quelques séquences en référence à de célèbres oeuvres, mais la Colline aux coquelicots reste très éloigné du cinéma de « Miya », s'attachant à une veine plus réaliste, moins fantaisiste, et peut-être plus empreinte de la personnalité de Goro. Les Contes de Terremer, maladroite première œuvre, hésitait entre la restitution d'un univers de fantasy anglais et la pâle recopie des thèmes du père. La Colline aux coquelicots impressionne moins mais se révèle plus cohérent, plus lisse dans sa construction et sincère dans ses intentions.

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    D'emblée, dès les premières images, Kokurikozaka Kara s'empreint d'une certaine nostalgie d'un cinéma japonais des années 50. Yasujiro Ozu, grand cinéaste emblématique de cette époque, semble être la principale influence de cette histoire, les cadrages soignés rappelant sans cesse ses plus grands films, tels Le Goût du Riz au thé vert ou Voyage à Tokyo. La jeune héroïne prépare soigneusement les repas du matin et du soir, encadrée par les battants de porte, le pourtour des fenêtres, chaque plan jouant habilement d'effets de « cadres dans le cadre », typiques aux intérieurs japonais de l'époque. L'hommage à Ozu se poursuit dans le traitement d'une temporalité attachée aux gestes du quotidien et à la répétition des activités. En témoignent les nombreuses séquences consacrées à la préparation culinaire, le soin attachée aux études ou à la sérigraphie des tracts, rythme latent et paisible imposé par l'activité humaine et l'importance de l'objet. Ces séquences rappellent celles de l'agriculture dans les Contes de Terremer, où l'attachement aux outils se fait sentir. Même précision du détail de la préparation culinaire dans la Colline aux Coquelicots, mais également au niveau des études et de l'activité littéraire et artistique du Quartier Latin, ainsi qu'au niveau de ces drapeaux symboliquement hissés chaque matin par l'héroïne. Enfin, la présence d'Ozu se retrouve dans le soin attaché au social et au rappel constant du travail et de l'activité des hommes : l'illustration de la zone portuaire ou des commerces de la ville signalent constamment la croissance industrielle et économique, toile de fond aux déboires amoureux des jeunes gens.

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    Tout ceci fait du film de Goro Miyazaki une œuvre très sobre et réaliste, autant au niveau du graphisme qu'au niveau du récit et de la narration. La sobriété du trait et des décors vont de pair avec la naïveté des émotions, la solidarité et l'humanité optimistes diffusées dans cette histoire de renaissance du Quartier Latin. Nous sommes certes très loin de la fantaisie de Hayao, ou de la richesse à la fois psychologique et divertissante que révèlent ses personnages, mais la Colline aux Coquelicots conserve un certain charme et une réelle modestie. Certaines séquences très jolies réussissent à atteindre une tendre émotion : le coup de foudre de l'héroïne face au plongeon du jeune homme emporté du Club de littérature ; la mobilisation féminine opérée pour la rénovation du Quartier Latin ; les scènes familiales du pensionnat... Le film défend une certaine solidarité et humanité sages, autour de l'histoire de ce bâtiment, les séquences les plus agréables étant celles de l'entraide dans la rénovation et de la bataille engagée des jeunes gens. Le décor de ce Quartier s'avère très réussi, faisant songer à l'éclectisme du Château ambulant.

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    Le point faible du film reste cependant son histoire d'amour, assez prévisible et dont l'émanation naïve contraste de manière assez maladroite avec la gravité des propos. La résolution des problèmes familiaux s'avère facile et quelque peu absurde ou précipitamment amenée afin de finir sur une note positive. Restent ces jolies métaphores animées de l'escapade amoureuse, notamment avec cette symbolique de la marche : les deux héros marchent au même pas, dévalent la pente à vélo, grimpent les escaliers en cadence comme on monte les sommets du sentiment amoureux.

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    Enfin, n'ôtons pas à la Colline aux coquelicotsson caractère historique esquissé avec légèreté, issu de l'adaptation littéraire. Les premières révoltes de la jeunesse se font sentir, dans un univers scolaire désuet et presque militaire (les chants entonnés dans la salle de conférences lors du passage du proviseur), mais aussi, et surtout, les prémisses d'une certaines indépendance féminine. A l'instar de son père, Goro Miyazaki présente un portrait de femme plus flatteur que les éléments masculins. C'est grâce à l'héroïne que le préfet acceptera de valider la conservation du Quartier Latin. Le portrait est certes moins frappant que celui d'une princesse Mononoke, ou d'une Nausicaa, mais on retrouve quelques touches féministes : le souvenir d'enfance, le réconfort dans les bras de la mère, l'autonomie dans la gestion du pensionnat, l'audace de s'imposer parmi les groupes d'étudiants masculins...

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