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Thirst

THIRST (2009)

Un film de Park Chan-wook

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Je n'avais pas osé voir Thirst à sa sortie, tant les critiques s'acharnaient à en décrire l'hémoglobine et le goût pour le gore du dernier né de Park Chan-wook lors de son passage à Cannes. En trouvant le DVD à la médiathèque de Strasbourg, je profitais de l'occasion, le petit écran étant moins violent que la profondeur du cinéma. Au final, tout a été tellement dit sur ce film avant sa sortie en salles que la surprise n'est plus. Loin de renouveler le genre, Park Chan-wook le respecte encore plus, rejoignant la quintessence d'un mythe vampirique à laquelle il mêle l'adaptation de Thérèse Raquin d'Emile Zola. Le tout porté par une pléiade d'excellents acteurs confirmés.

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Retour au mythe vampirique

Tout comme Kim Jee-woon avec le Bon, la Brute et le Cinglé, Park Chan-wook aime à retrouver le film de genre, le vrai, tout en y rajoutant sa touche personnelle. Le vampire devient un objet de fascination et de répulsion, incarnée par la maladie écoeurante qui atteint le corps du prêtre, soigné par un sang contaminé qui lui permet pourtant de survivre. Thirst se caractérise tout d'abord par ce travail sur le corps meurtri et sa chair avide, le titre lui-même venant rejoindre cette thématique qui traverse tout la travail du cinéaste. Les éclairages rendent les peaux blafardes, les plaies plus saignantes, l’atmosphère est volontiers gothique et froide. Park Chan-wook prolonge par ailleurs ce travail sur la froideur et le figé, travail qu'il exploitait dans Sympathy for Mr Vengeance. Eclairages faibles, visages figés et maquillés comme des poupées (à l'effigie de lTae-Joo qui pose en tant que modèle dans la vitrine de sa belle-mère), corps rigides et tendus, même lors des scènes d'amour. Pas étonnant que la figure de prêtre incarnée par Song Kang-ho trouve sa place dans ce décor et cette ambiance morbides, la soutane noire incarnant parfaitement l'élégance et la retenue du vampire, pas si loin de la droiture de Max Shreck dans Nosferatu de Murnau.

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Eros/Thanatos

La fidélité au mythe vampirique se retrouve aussi, et bien évidemment dans les pulsions de mort et de désir. Inutile de s'étendre sur les multiples fantasmes et interprétations psychanalytiques qui s'associent à la figure du vampire, qui en constituent un phénomène de mode souvent mal réapproprié. Park Chan-wook restitue très bien ces deux thématiques dans son film, Thirst étant à la fois érotique et violent, nauséeux et sensuel. Les deux acteurs sont tous d'abord extrêmement bien dirigés, permettant d'éviter le grotesque des scènes de sexe ou de meurtre. La réalisation joue sur le dévoilé et les zones d'ombre, le cadre effleurant les chairs nues tandis que l'éclairage volontiers expressionniste en souligne les formes... et en cache de nombreuses parties. La noirceur esthétique va de pair avec le propos, largement inspiré de Thérèse Raquin de Zola, où se mêle la critique social (le milieu infect et déshumanisé dans lequel vit la jeune Tae-Joo) et la fièvre du désir qui pousse à tout. L'amour et la mort se trouvent enfin présents dans le thème de la foi, le rôle du prêtre incarné par Song Kang-ho étant une véritable nouveauté par rapport au récit de Zola. Ce prêtre, porté par l'amour de Dieu, est ainsi prêt à s'offrir en cobaye pour des expériences sur une maladie incurable et cutanée, pensant sauver sa peau des défigurations atroces par la grâce de sa religion. En témoignent des scènes morbides et dérangeantes au début du film, où le prêtre inonde de sang la flûte sur laquelle il jouait un air bucolique.

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Absurde et Humour

Tout comme beaucoup de films coréens, Thirst partage le goût d'un humour très particulier, propre à la culture coréenne car donnant dans un absurde grinçant et bien souvent dérangeant (ce qui explique en partie les réactions déconcertées de certains de mes amis face à la vision de films mi-grinçants, mi-dramatiques comme The Host). La figure du prêtre, tout d'abord, détonne dans la thématique du film de vampires. Un prêtre porté par le désir mais qui tente de conserver au maximum sa dignité humaine, face aux moqueries de sa compagne aux intentions bien plus pulsionnelles. Le film joue sur le contraste entre ces deux figures, et s'amuse avec la dualité du prêtre vampire : allusion au sang du Christ bu durant la messe, dégustation du sang des poches de perfusion de l'hôpital, folie d'une hémoglobine kitsch qui envahit un espace d'un blanc moderne et luxueux.

En outre, une majeure partie de l'humour passe à travers la figure du frère, double du personnage de Camille dans Thérèse Raquin, et interprété par l'excellent Shin Ha-kyun, qui jouait le sourd-muet dans Sympathy for Mr vengeance. Le film s'amuse avec les apparitions fantomatiques du mort, qui glougloute aux portes, s'immisce entre les draps avec sa pierre et ses vêtements mouillés, infiltre la mise en scène reconstituant l'imagination du couple qui l'imagine à tous les endroits possibles dans la chambre.

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Bourreaux et Victimes

Thirst, comme tous les films de Park Chan-wook, comme beaucoup de films coréens, se fait l'écho de la violence dans la société coréenne. La figure du vampire, certes, fait preuve de cruauté, mais c'est bien plus la dualité du prêtre, déchiré entre conviction et désir, qui intéresse Park Chan-wook. La cruauté repoussante des personnages autour de lui- que ce soient sa compagne, la mère ou le frère – exacerbe ces désirs. Chacun devient à la fois bourreau et victime : la jeune Tae-Joo doit subir les humiliations quotidiennes par sa mère, mais n'hésite pas à se mutiler elle-même pour accuser son mari innocent ; le prêtre fait preuve d'une cruauté inouïe lors de l'assassinat du frère mais se sacrifie pour les malades. Le texte de Zola permet de fournir un écho aux problèmes obsessionnels d'un certain cinéma de Corée : la société est vue dans une ambiance morbide et âcre, définitivement perdue et vouée à la mort et à la souffrance (le double-suicide final). Les personnages se déchirent dans des espaces étouffants, la violence surgit à la moindre réflexion, pulsionnelle, brusque, envahissant le cadre sans préparation préalable. Ce que l'on peut reprocher à Thirst, c'est d'avoir fait passer l'argument vampirique devant les interrogations sociales. Là où Sympathy for Mr vengeance démontrait que l'effroyable spirale de la vengeance était causée par le gouffre entre les classes sociales et l'indifférence des autorités, Thirst privilégie l’esthétique noire et glacée à la véritable critique sociale que l'on trouvait chez Zola.

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