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Nokcheon

Nokcheon et un Eclat dans le Ciel

Deux nouvelles de Lee Chang-dong (éditions Seuil)

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Nokcheon... Joonsik songeait qu'il empruntait cette station depuis une semaine : depuis qu'il avait emménagé dans le quartier. Il s'était tout de suite demandé comment il se pouvait qu'un tel endroit porte un nom aussi noble, aussi poétique, et la réponse ne lui était pas encore venue.

Nokcheon

 

Avant de passer à la réalisation, Lee Chang-dong, dont la carrière et le travail restent hélas encore trop peu diffusés en France, pratiquait l'activité de romancier. Il existe à ce jour que deux textes traduits en français aux éditions Seuil, qui permettent de découvrir une autre facette de ce cinéaste coréen fascinant et humain.

Nokcheon et Un Eclat dans le Ciel se complètent bien dans ce recueil : tous deux condensent ce qu'il y a de plus cru et de plus lyrique dans l'oeuvre de Lee Chang-dong, tirant au désespoir dans Nokcheon et à une forme de renaissance et de nouveau départ dans Un Eclat dans le Ciel, et chacun s'attache à une figure masculine ou féminine. Autant Nokcheon se rapproche de l'âpreté de Peppermint Candy, autant Un Eclat dans le Ciel fait songer au déchirement de l'héroïne de Secret Sunshine, semblant tous deux incarner deux pendants dans l'étrange œuvre de cet homme. Mais il ne faut pas catégoriquement rattacher ces deux nouvelles à certains aspect cinématographiques, mais plutôt les considérer comme des prolongements.

Prolongements en effet, car la plume de Lee Chang-dong s'avère bien plus aiguisée que sa caméra. Comme si les mots lui permettait d'aller plus loin dans ses dénonciations politiques ou dans le comportement torturé de ses personnages. Les deux nouvelles sont très dures et intenses, traitant de thèmes noirs et approchant des psychologies dérangeantes. 

Nokcheon suit la brusque remise en cause d'un homme face à la venue de son frère dans la famille. A peine entré dans une vie familiale et professionnelle stable, Joonsik réalise toute la platitude de ses choix, guidés par la normalité et les apparences plutôt que par sa véritable personnalité. De même, la jeune Shinhye du second récit constatera que ses actions avaient été jusque là menées par l'admiration qu'elle vouait à d'autres. Lee Chang-dong jette toujours ses personnages dans des situations exceptionnelles – retrouvailles avec un frère après des années de disparition pour l'un ; interrogatoire brutale et inattendue avec la police pour l'autre – tirant leurs forces et leurs faiblesses de ce contexte, allant au-delà de l'ordinaire pour dévoiler l'extraordinaire des comportements de l'être humain.

Par Joonsik, l'auteur dévoile le problème de la « normalité », où un homme s'aperçoit de la vacuité convenue de sa vie, fondée sur les apparences et les habitudes. Travail d'enseignant discret et effacé, soumis aux ordres de la hiérarchie, famille ordinaire, vie de couple classique et récent déménagement dans un habitat à la mode. Pourtant, dans ce lieu si enchanteur qu'est Nokcheon, à l'instar du village où arrive l'héroïne de Secret Sunshine, résident le spires insanités humaines qui soient. Un contraste entre la poésie et la saleté, la poésie et la trivialité que Lee Chang-dong explore dans toute son œuvre. De même, c'est par une soirée magnifiquement enneigée que Shinhye se fait arrêter et torturer. Un rare moment de calme avant la violence est partagée autour d'une chanson avec un inspecteur ambigu, dans la voiture à l'arrêt. Les flocons tourbillonnent avec grâce, les propos de l'inspecteur sont presque tendres et pourtant, la suite du récit mène à une torture, autant psychologique que physique, extrêmement éprouvante.

Les mots de Lee Chang-dong sont francs, directs, réalistes et crus. Les rares dialogues expriment la frustration et la violence. Et parmi tout ce réalisme dur et terrifiant se glissent parfois de courtes phrases poétiques, des comparaisons fiévreuses qui hissent l'humain détestable à un niveau de reconnaissance tendrement fragile.

 

« Envole-toi. Abandonne tout et envole-toi ! » J'ai voulu savoir ce que cela signifiait. Elle m'a répondu avec un mystérieux sourire : C'est exactement ce qui est écrit. Je veux être un oiseau...

Je l'appréciais. Elle me fascinait quand je voyais ses longs doigts minces tenir la cigarette. J'ai même eu la tentation de me mettre à fumer...

Un Eclat dans le Ciel

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