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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 20

  • Kairo

    Kaïro (2001) - Kiyoshi Kurosawa 

    Une critique de Big-Cow

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    Je suis tombé par hasard sur Kaïro, hier, sur Arte ; le film était curieusement diffusé après Citizen Kane, et je me suis un temps demandé comment Arte organisait sa programmation, avant de me rendre compte qu'il s'agissait d'un Kurosawa et que ce réalisateur faisait défaut dans ma culture cinématographique. On parle du Kurosawa de Jellyfish, ici, et je tiens à préciser que je suis également assez peu familier des codes de l'horreur à l'asiatique, les rares films que j'ai vu de ce côté tapant davantage du côté du slasher ; je ne connais des films d'horreur japonais guère que les influences qu'ils ont en Occident sur des jeux vidéo tels que F.E.A.R., par exemple, et ce même si j'ai eu l'occasion de lire quelques mangas horrifiques (Minetaro Mochizuki, Junji Ito).

     

    Rien toutefois de très déstabilisant, de très surprenant dans Kaïro. Le rythme du film est très lent, et Kurosawa joue beaucoup sur une ambiance pesante, aride, malsaine, ça et là rythmée par quelques apparitions, mais jamais rien de soudain. Le travail sur le son, sur les arrière-plans et les premiers plans, est très intéressant, donne lieu à quelques grands moments assez tendus. Mais de là à dire que Kaïro est effrayant ? Non, le film est de facture trop classique, son intrigue trop décousue, pour qu'on arrive vraiment à se passionner pour le sort de ses personnages (par ailleurs quelque peu transparents). Le travail esthétique, lugubre à souhait, attire davantage l'attention du spectateur que l'histoire ici racontée.

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    De quoi ça parle d'ailleurs ? D'apparitions de fantômes, de suicides, de disparitions, de bâtiments abandonnés. Avec un vecteur : Internet. On est en 2001, en plein grand boom des terreurs urbaines liées à Internet, et un programme se lance sur de nombreux ordinateurs, faisant défiler aux yeux des utilisateurs des images, parfois passées en boucle, de personnages immobiles, dans l'ombre, dans leurs appartements ; peut-être des fantômes, peut-être des vivants, en tout cas filmés dans une qualité exécrable, crasse, malsaine. On a une sorte d'effroi rampant, latent, qui se répand d'écran en écran, d'utilisateur en utilisateur, au fur et à mesure que ceux-ci essayent de comprendre ce qu'ils voient, essayent pour certains d'aller plus loin dans le visionnage de vidéos, pour d'autres d'y mettre fin. Dix ans après, Kaïro a indéniablement vieilli : comme beaucoup, si j'ai conscience de l'existence sur la toile de recoins obscurs et terrifiants où naissent slashers et histoires de fantôme (Luka Rocco Magnotta nous l'a récemment rappelé), je vois Internet davantage comme l'immense royaume du LOL et de la culture. Avoir peur d'Internet, en 2012 ? Bitch, please ! Les dialogues ("Internet Explorer ? Attends, je n'y connais rien en informatique, de quoi tu parles ?"), le bruitage permanent du modem, les artifices horrifiques aujourd'hui vus et revus (appel à l'aide par un fantôme au téléphone, connection au site Internet se faisant sans que personne ne touche à l'ordinateur), sonnent déjà faux. Reste la mise en scène de Kurosawa, encore susceptible d'éveiller l'angoisse, ainsi qu'un certain intérêt sociologique et historique pour un film d'horreur un peu dépassé mais qui reflète les peurs liées aux grands débuts de l'Internet grand public. Je tiens à préciser que je ne parle pas ici de la dernière demie-heure du film, assez singulière et que je trouve personnellement assez réussi, mais qui change quelques peu les codes du film et qui m'amènerait à de lourds spoils.

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    Regarder Kaïro m'a toutefois amené à réfléchir sur les lieux où se passait le film (et il y aura de légers spoils dans la suite, mais légers, hein : toujours rien sur la fin du film). La très grande majorité de Kaïro, en tout cas la très grande majorité des scènes horrifiques, se déroulent dans des appartements. Essayant de brasser mes références en matière d'horreur, il est vrai que j'ai eu quelques difficultés à retrouver des oeuvres reprenant ce type de lieu comme base de l'horreur. Dans le domaine du jeu vidéo, à part peut-être si l'on regarde du côté du jeu vidéo indépendant, un espace de la taille d'un appartement n'offrirait pas un espace suffisant au jeu pour qu'il s'y déroule vraiment quelque chose. Au cinéma, j'ai songé à La Horde de Yannick Dahan, à Attack the Block de Joe Cornish (un poulain du génialissime Edgar Wright), ou au remarquable Candyman de Bernard Rose, qui exploitent les espaces offerts par des appartements de banlieue : toutefois, le choix du lieu est ici principalement motivé par les réflexions sociales plus ou moins développées par les films en question (c'est particulièrement net pour Candyman, qui tient pour beaucoup d'un film sur la ségrégation spatiale). L'appartement japonais (ou asiatique de manière générale) est composé d'une ou deux pièces, étriqué, mal éclairé, étroit, glauque, les protagonistes y vivent seuls, isolés. Le lieu se prête a priori mal à la matière filmique : pas de possibilité de déplacer les personnages, unité de lieu. Toutefois, le personnage de Harué, en évoquant l'isolement que les personnages connaissent dans ces appartements, met le doigt sur ce qui fait des appartements des lieux terrifiants pour les protagonistes : on y est seul, on y vit seul. Ce n'est pas un lieu où on rencontre d'autres êtres humains, où on peut évoquer ses peurs avec quelqu'un, non, c'est un lieu où l'on est supposé se reposer, se ressourcer avant de repartir au travail. C'est un lieu où l'on est vulnérable.

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    Il est intéressant, ce changement de perspective, de l'appartement comme lieu de vie et de repos, à l'appartement comme lieu menaçant, terrifiant ; intéressant, mais pas inhabituel dans l'horreur asiatique. C'est dans le fonds le moteur de l'horreur : un lieu banal où quelque chose se casse, quelque chose change, et tout devient imprévisible, inconnu, terrifiant. Qu'est-ce qui casse alors ? Techniquement, rien : le problème ne vient jamais de son propre appartement, toujours de celui du voisin. Dans La dame de la chambre close, fable horrifique de Minetaro Mochizuki, éditée en France en un volume, c'est parce qu'il habite à côté de l'appartement de Yamamoto, jeune homme récemment disparu, que Hiroshi sera harcelé par une femme qui le cherche. Dans La ville sans rue de Jinjo Ito, la folie se répand dans les quartiers de la ville de manière progressive, d'appartement en appartement, comme par un phénomène de contamination. On retrouve la comparaison avec l'épidémie, avec la maladie qui progresse de lieu en lieu, dans Kaïro : lorsque des fantômes apparaissent dans une demeure, les personnages en ferment la porte, et l'encadrent de scotch rouge : au delà de l'intérêt esthétique pour Kurosawa, la pratique renvoie directement au signalement des maisons contaminées, qu'on peut constater lors des épidémies. Une manière de discriminer l'appartement infecté, dont les voisins vont éviter de s'approcher, qu'ils vont éviter d'ouvrir. Le scotch fait à ce titre également office de sceau, de preuve que la contamination ne se répand pas - ou, justement, qu'elle se répand si le ruban rouge est retiré.

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    Jugulée, l'épidémie ? Pas pour autant, car la contamination a également lieu par le regard. Le voyeurisme est un thème fréquent dans le genre horrifique, et il suffit de voir l'obsession de Jinjo Ito pour la question pour s'en rendre compte (la meilleure illustration en étant La ville sans rue, l'un de ses meilleurs récits). Dans Appartement du coréen Kang Full, c'est en jettant un oeil aux appartements de l'immeuble d'en face que Koh-hyuk surprend d'étranges phénomènes, et c'est en faisant de régulières observations que, par la suite, il décide d'y intervenir. Le regard contamine, observer l'appartement d'en face conduit à participer aux histoires horrifiques qui s'y déroulent. Et Kaïro en est ici le parfait exemple. Internet y est considéré comme un réel outil de voyeurisme, une manière pour les personnages de regarder les appartements des autres, et la contamination a lieu par ce biais : fascination pour les fantômes, terreur, suicide, disparition, nouveaux fantômes. Lieu d'isolement par excellence, ouvert en même temps à toutes les menaces extérieures, l'appartement devient un piège, un espace terrifiant, où le locataire est vulnérable, seul, condamné, face à des manifestations qu'il ne comprend pas, et qui le poussent dans ses derniers retranchements. L'espace horrifique parfait, en somme.

     

    Big-Cow

     

    Pour une autre critique de Kaïro : Ici

  • Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants

    ARRACHEZ LES BOURGEONS, TIREZ SUR LES ENFANTS (1958) - Kenzaburo Ôé

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    Le livre du Prix Nobel de Littérature s'avère, tout comme son titre, d'une véritable violence psychologique et physique. L'écriture fine et précise de Kenzaburo Ôé nous plonge dans un univers quasi-déshumanisé, d'une sensibilité à fleur de peau, et totalement engagée.

    Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants suit les quelques jours d'une poignée d'enfants délinquants exilés sur les routes durant la 2ème Guerre Mondiale au Japon. Kenzaburo Ôé fait ainsi d'emblée partager le destin de protagonistes souvent oubliés dans l'horreur de la guerre, à savoir ces enfants vivant en centre pour jeunes délinquants, considérés comme une honte à la société, au statut bien plus bas que celui des paysans vivant dans la misère. Contraints de fuir sur les routes, ces enfants tentent de trouver un refuge auprès des villages, qui les rejette cependant comme s'ils n'étaient que de la vermine. Le récit dresse ainsi un portrait très cruel de ces populations prises dans la guerre et la misère, et qui ne font que se déchirer entre elles, et se rejeter mutuellement, les enfants devenant souvent les bêtes noires du village et s'avérant traités comme des animaux. L'un d'entre eux narre le récit d'une poignée de jours où le groupe se retrouve enfermé dans le village où s’est déclarée une épidémie. De fait, le film décrit très bien le danger et la cruauté des effets de foule, notamment dans les situations de crise : les villageois, eux-mêmes opprimés par les armées extérieures, choisissent de reporter leurs angoisses sur les populations étrangères (illustrée à travers le personnage de Lee, un jeune Coréen), les déserteurs, ou encore ces enfants, qui se retrouvent humiliés et injustement accusés au moindre prétexte.

    L'action devient rapidement un huis-clos oppressant, où les enfants se retrouvent enfermés et condamnées dans le village, faisant face à l'abandon et à la peur d'une épidémie qui ne sera jamais officiellement déclarée. En une poignée de jours, c'est en véritable autarcie que les jeunes personnages vont tenter de survivre, s'organisant comme de véritables adultes sur cet enfer misérable et minimalisé. Ceci est l'occasion pur l'auteur d'aborder plusieurs thèmes essentiels, en filigrane et de manière métaphorique, tels l'amitié, l'amour et la sexualité, le sens du pouvoir et de la gouverne, la découverte de la mort et de la violence. Le désespoir finit par gagner ce qui incarne généralement l'essence de la pureté et de la naïveté, à savoir la population enfantine, qui doit au contraire affronter, se battre, surmonter, la dure réalité et la cruauté environnante.

    Dans cette histoire bouleversante, le style de Kenzaburo Oé est sec, précis, oscillant entre un lyrisme poétique et un réalisme cru. La bestialité s'avère souvent présente dans les comportements, que ce soit dans une agressivité rageuse, une sexualité pauvre, ou l'effet de meute, les enfants se blottissant par exemple souvent les uns contre les autres pour survivre ou se réchauffer, partageant tout et détruisant toute forme d'intimité. Cependant, de nombreuses métaphores imagées colorent la narration à la première personne et décrivent, avec poésie, lyrisme, les rares instants de bonheur que collecte précieusement les personnages. Les joies pures de l'enfance, la sensation de liberté retrouvée lors d'un matin de neige, la maladresse du premier amour, la délicatesse développée autour des découvertes diverses, nourriture, faisan attrapé, fleurs... Mais la fin, tout comme l'ensemble de ce roman, montre la fuite en avant d'une poignée de personnages qui se déchirent et tentent de survivre, et, au-delà, d'une société prise dans l'horreur de la guerre.


  • Le secret des poignards volants

    LE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS (2003) – Zhang Yimou

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    Le Secret des Poignards Volants est un film très populaire, grosse production hongkongaise qui connut un vif succès aussi bien en Chine qu'en Europe. Ce style de cinéma, entre mélodrame, arts martiaux, et reconstitution historique, n'est pas forcément celui que je connais le mieux de Chine, ni celui que j'apprécie le plus. Après Hero et la Cité Interdite, c’est le troisième film de Zhang Yimou que je découvre, et je dois avouer que la déception fut aussi présente.

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    Le Secret des Poignards Volants, tout comme Hero, s'ancre dans un contexte historique bien précis, en l'an 859. La dynastie Tang est sur le déclin et doit faire face à l'émergence de mouvements rebelles, dont celui de la Maison des Poignards Volants, que deux capitaines sont chargés de débusquer sous les ordres de l'Empereur. Ce choix permet à Zhang Yimou d'ancrer son propos dans le genre de l'épique et de se surpasser dans les séquences de cascades. Volontiers mystique et fantastique, la période exploitée appelle à l'esprit des légendes, à l'immensité des décors, à un visuel flamboyant et foisonnant, et aux protagonistes charismatiques. Ainsi, dans un premier temps, le film respecte et suit cette intention, délivrant des séquences de combat éblouissantes. Curieusement, c'est bien la première scène du genre qui m'impressionna le plus dans le film, à savoir l'altercation entre le soldat Jin et la danseuse Mei, qui deviennent peu de temps après les personnages poursuivis par les divers guerriers de l'Empereur. Cette scène allie le plus fortement la chorégraphie à l'action, et s'avère très symbolique dans les choix de couleurs ou de cadrage. Une autre séquence impressionnante, il s'agit de celle de l'attaque dans la forêt de bambou, utilisant allègrement le bambou et sa consistance comme des armes terrifiantes et fulgurantes, pouvant s'incarner sous tous types de forme : lance, projectile, épée, barreaux de prison... Ces bambous fonctionnent bien entendu comme une annonce des fameux poignards volants, armes mystérieuses de bout en bout, correspondant à une forme de magie. Par ailleurs, le scénario fait le choix de ne jamais véritablement dévoiler le véritable choix et but de l'organisation secrète, une piste qui aurait malheureusement pu être creusée pour un scénario qui aligne certains poncifs et se complaît dans le genre du mélodrame. 

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    Sous des apparences de tragédie, le film ne donne en effet aucune profondeur aux personnages, les considérant uniquement de simples rouages dans le mécanisme du désespoir. Dans un premier temps, la traque à l'extérieur laisse présager une belle ambiguïté, les personnages miroitant l'un autour de l'autre, entre Mei (Zhang Ziyi), l'aveugle farouche et sensible ; Jin (Takeshi Kaneshiro), le soldat intrépide ; et le supérieur Leo (Andy Lau), d'une impressionnante sobriété et rigidité. Cette partie s'avère bien rythmée, efficace, dépeignant une relation triangulaire assez ambiguë et dépassant le simple stade de la romance. Le silence de Mei incarne un élément mystérieux et charismatique qui donne au film une certaine couleur, et le soldat Jin est quant à lui parcouru d'hésitations entre la loyauté envers Leo (plus qu'envers l'Empereur par ailleurs) et l'attirance envers la jeune danseuse. Les paysages flamboyants, filmés dans les teintes chinoises bien connues (couleur or, pourpre, bleu roy et vert sombre) se prêtent enfin aisément à des séquences de combat virtuoses.

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    Mais bien vite, ces personnages tombent dans une forme d'hypersensibilité et de fragilité extrême agaçantes. Le contexte historique s'efface définitivement derrière la romance, assez improbable et facile. Difficile de voir par exemple le véritable engagement des protagonistes, que ce soit Leo ou Mei, qui n'affichent que superficiellement leurs opinions politiques et n'incarnent au final que des figures de la romance et de la tragédie amoureuse. Le personnage de Leo, en particulier, devient une cruelle déception au fur et à mesure du récit : derrière la sobriété de Andy Lau, pourtant un très bon acteur dans ce style de rôle (par exemple avec Infernal Affairs), intervient brusquement une caricature de l'éperdu amoureux, dont le surgissement paraît complètement absurde, maladroitement amené dans le récit. De plus, outre les trois acteurs phares du film, grandes stars du cinéma chinois, apparaît aussi trop furtivement une grande actrice, Carina Lau, dont le rôle aurait pu, une fois de plus, être bien plus étoffé et développé à la place de l'intrigue amoureuse, désespérément classique. Comme de guise, la tragédie trouvera son apogée parmi la neige tourbillonnante, lourd symbole de la pureté de Mei, vue comme une victime là où la fin ouverte ne laisse que la présence de la mort. Le Secret des Poignards Volantss'enfonce ainsi dans le mélodrame poussif, lourdement symbolique par ses choix visuels ou son montage (l'agaçant parallélisme entre les plans d'ensemble des deux amants isolés), s'éloignant de pistes politiques ou psychologiques avec facilité. 

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  • Judo

    YAU DOH LUNG FU BONG - JUDO - THROW DOWN (2004) – Johnnie To

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    Dédié à Akira Kurosawa, ce film de Johnnie To, quelque peu oublié et occulté par d'autres grands succès plus explosifs, ne manque pourtant ni d'originalité, ni de charisme. A travers cette intrigue uniquement centrée sur l'art et la pratique du judo, Johnnie To fait partager les aventures d'un trio de personnages attachant, s'ancrant plus dans sa veine comique et lyrique, comme il l'a démontré avec des films tel que Sparrow.

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    Judo s'avère en effet porté par un véritable dynamisme. Contrairement à son dernier film en salles, la Vie sans Principe, plus audacieux et réfléchi mais pêchant par un scénario tortueux, Judo choisit une véritable clarté, les séquences se suivant dans une logique agréable, l'intrigue judofemme2.jpgétant ponctuée par de belles pauses lyriques, comme une folle course-poursuite avec des billets de banque dans les bras ou une longue tentative pour décrocher un ballon de baudruche abandonné dans des branchages. Ces très belles séquences, bien souvent portées par l'unique personnage féminin détonnant du film, donnent un véritable sentiment de liberté. Car l'intrigue s'axe en effet sur la recherche de la liberté pour les différents personnages. La femme, Mona, sorte de vagabonde de luxe se rêvant chanteuse à Hong Kong, puis au Japon, l'incarnejudotony.jpg amplement, totalement libérée et sans attaches, assoiffée d'aventures. D'autre part, le second protagoniste, Tony, est un jeune homme intrépide et surdoué en judo, s'étant mis en tête de combattre les plus grands noms, lui aussi porté par une forme d'indépendance et de liberté. Tous deux, ils se heurtent à l'indifférence de Sze-to, ancien champion de judo ayant sombré dans l'alcool. Sze-to, un personnage dramatique par sa condition, devient cependant très drôle sous la mise en scène de Johnnie To, ou l'interprétation de son acteur, l'excellent Louis Koo (la redoutable tête montante d'Election 1 et 2), l'ancien champion de judo devenant un être indifférent au monde qui l'entoure et d'une mollesse terrifiante jusqu'à en être comique. Ainsi, l'une des séquences du film présente l'union de ces trois protagonistes à travers une excellente séquence de vol à la tire dans une salle de jeux d'arcade. La futilité de cet acte infantile rappelle les pickpockets casse-cou de Sparrow, organisés comme une mini-mafia à l'échelle d'un jeu d'enfants.

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    Le film tire, comme Exilé, beaucoup d'inspirations du western. Afin de rendre la tension sur les séquences de combat de judo, qui sont loin d'avoir comme avantage la violence des balles, la réalisation use de nombreux procédés pour capter l'attention d'un spectateur lambda, et créer une atmosphère captivante. Les corps volent dans la poussière, les prises s'enchaînent comme des fusillades à répétition, chaque chute au sol semblant s'assimiler à une balle tirée, ce n’est plus le calibre qui en impose, mais bien plus la silhouette, la précision du geste. Les échanges de répliques sonnent toujours avec menace et charisme, comme toujours avec Johnnie To, notamment parce que la cinématographie de Judo privilégie l'obscurité des bars et l'asphalte des rues nocturnes. En effet, rares sont les séquences de tatamis, ceux-ci étant reclus à un imaginaire nostalgique : Sze-To vient s'allonger dans la salle d'entraînement de son ancien maître décédé, effleurant les tatamis, se souvenant du contact avec ce sol adapté au sport de combat. Autrement, dans une première partie, les séquences de combat s'agencent comme typiques du western ou du film noir, les corps baignés dans une semi-clarté, l'éclairage étant toujours extrêmement symbolique, assimilant la déchéance de Sze-To et sa propension à l'alcool à un rapport au gouffre et à la chute, au sens propre du terme, contre un sol noir et lourd. Dans la seconde partie, pas forcément la plus intéressante du film, celle où Sze-to se « réveille » en quelque sorte, l'espace devient cependant plus éclairé, les scènes de combat plus extatiques et moins portées à la stylisation impressionnante de la première heure.

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    Enfin, le film étant dédié à Akira Kurosawa, on retrouve curieusement une forme d'ostentation proche du cinéma japonais. Certaines séquences s'avèrent presque suspendues, poétiques, ou lyriques, comme la course-poursuite entre Mona, Sze-to et leurs assaillants, après le vol d'une liasse de billets dans un tripot. Les billets s'envolent, et la musique porte cette très belle séquence, différente des séquences habituelles de course-poursuite. Un même effet d’ostentation se trouve exactement au milieu du film, durant la plus importante scène d'affrontement dans la rue, où sont utilisés de nombreux ralentis surplombant les corps ou s'infiltrant entre eux, rappelant le final d'Exilé ou la scène sur le terrain vague de Vengeance. De plus, trois chants symboliques sont entonnés a capella dans le film, sortes de chants légendaires interprétés par un protagoniste témoin de toutes les scènes, en tant qu'acte de début, milieu, et fin du récit. La présence de ces chants assimile Judo à un mélodrame, tout comme Kurosawa a souvent exploré la violence des sentiments avec fougue et passion dans ses réalisations. Cependant, le film de Johnnie To est loin de prétendre à l'émotion du cinéma du grand maître japonais, son film restant délibérément dans un ton léger. Le film pose tout de même les questions d'honneur et de condition humaine, celle-ci caractérisée par les expériences accumulées d'un homme dans sa vie. De fait, le récit de Sze-to s'avère marqué par le sens du retour aux sources, vu que le protagoniste s'installe dans l'ancien dôjô de son maître, s'occupe de son fils handicapé, donc reprend et fait revivre un certain passé, mais aussi par le sens de la renaissance et donc de l'achèvement d'une quête.

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    Judo n'est pas un Johnnie To mineur. Certes plus amusant et plus libéré que la violence d'Election, d'Exilé ou même de la Vie sans Principe, il se distingue du divertissant Running out of Time par son originalité et sa réalisation soignée, symbolique, plus proche et aussi attachant que le ludique Sparrow

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  • Roujin Z

    ROUJIN Z (1991) – Hiroyuki Kitakubo 

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    Le film est scénarisé par Katsuhiro Otomo et se révèle une agréable surprise, alors que le cinéma du réalisateur d'Akira me rebute souvent par sa violence poussive et morbide et son manque de subtilité. On retrouve dans Roujin Z certains éléments propres à Otomo, tels que le développement de la science et du militarisme au détriment de l'humain, ou encore l'arrivée d'une technologie incontrôlable et finissant par tout détruire. Le postulat de base, même si le film date de 1991, ne manque pas d'actualité : face au vieillissement de la population, le Ministère de la santé au Japon, en collaboration avec une entreprise informatique, propose des machines, sortes de lit géant, programmées pour gérer l'entretien des personnes âgées impotentes ou handicapées. Très vite, évidemment, la haute technologie dérape, piraté en quelque sorte par les désirs du vieil homme utilisé comme cobaye pour le lancement du programme, ne désirant pas du tout finir ses jours dans une machine et préférant retourner auprès du souvenir de sa femme décédée. A cela se mêle son infirmière, jeune étudiante naïve prise d'affection pour le vieux.

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    Le film se détache d'Akira et Steamboy tout d'abord parce qu'il ne vise pas à tomber dans un apocalyptique fragile et terrifiant, mais plutôt à exploiter le côté amusant du scénario. De fait, le film ne tombe pas dans la morbidité malsaine qui caractérise habituellement le cinéma de Katsuhiro Otomo, mais s'empreint bien plus d'une certaine légèreté, et d'un comique burlesque, les protagonistes devant faire face à l'évolution d'une machine contrôlée par les désirs d'un vieil homme nostalgique détruisant tout sur son passage. L'humour absurde et le dynamisme des personnages font sourire, notamment celui du groupe de vieux hackers surexcités face à l'évolution de la machine et en suivant les moindres changements depuis leur lit d'hôpital. De fait, le film, même s'il date des années 90, prolonge l'obsession des films d'animation pour tout ce qui touche à l'émergence des nouvelles technologies, intégrant de nouveaux moyens de communiquer. Par le biais de la machine avec laquelle il fait corps, le vieux bonhomme impotent délivre sa rage de vivre et sa nostalgie du passé, et notamment de sa femme décédée avant lui. L'idée touchante du scénario est de réincarner le souvenir de la femme décédée à travers cette machine infernale. Cette dernière devient ainsi intelligente, reprenant au long de sa déambulation une identité auparavant disparue, fait revivre un souvenir, à l'instar de l'agrégat d'objets de l'espace dans « Magnetic Rose » (premier segment du film Memories), qui reconstitue l'univers personnel d'une cantatrice décédée.

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    Une partie du design de Roujin Z est confiée au grand Satoshi Kon dans le casting. On retrouve en effet la trace de l'immense cinéaste dans l'évolution de la machine, se développant et gagnant en croissance au fur et à mesure des actions, l'inerte devenant progressivement animé, à l'instar du cauchemar électro-ménager et urbain déambulant dans Paprika. De plus, vers la fin du film, il subsiste une séquence, courte malheureusement, où le personnage principal de l'infirmière se promène à l'intérieur de l'amas d'objets, se retrouvant propulsée dans une sorte de caverne hybride. D'emblée, cette scène rappelle les déambulations oniriques de l'héroïne de Paprika dans des espaces mentaux réincarnés, comme par exemple cette immense carcasse humaine représentant un visage dans laquelle elle se déplace tel un papillon. Dans Roujin Z, l'infirmière se retrouve dans un espace composé d'un amas d'objets incarnant des souvenirs, ou des espaces urbains détruits par la machine, comme soudainement coupée du monde et subsistant dans un lieu apocalyptique. Ce moment de poésie est cependant court et il ne pourrait pas s'intégrer plus fortement au ton du récit, délibérément léger et sans ambition.

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    Si le scénario de Roujin Z s'avère fort intéressant, il est cependant dommage que la réalisation reste très convenue, et son style totalement désuet aujourd'hui. Le graphisme et l'animation s'avèrent très vieillis et 'impressionnent peu(contrairement à un film comme Perfect Blue des mêmes années, qui, lui, a gardé une véritable force visuelle, ou encore Akira). De plus, les personnages s'avèrent creux et stéréotypés, comme celui de l'infirmière naïve.Il s'agit ainsi d'un amusant film d'animation aux thématiques intéressantes, mais restant au rang de petit film et de divertissement. 

  • La Vie sans Principe

    La Bourse ou la Vie 

    LA VIE SANS PRINCIPE – Johnnie To 

    Merci à Ketty pour m'avoir proposé ce film !

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    Ce que j'apprécie chez Johnnie To et son équipe, c'est leur formidable sens du renouvellement, porté par un certain dynamisme, embrassant tous les sujets possibles pour les convertir en un film de Johnnie To, avec ses acteurs fétiches, ses thèmes récurrents, sa recherche dans une mise en scène de la violence.

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    Ici, c’est particulièrement le cas, puisque le nouveau film du réalisateur hong-kongais s'attache à une poignée de personnages précipités dans la crise financière de la décennie : l'inspecteur Cheung et sa femme cherchant un nouvel appartement ; le fringant Panther, sous-fifre dévoué aux chefs de son organisation mafieuse ; et enfin l'employée de banque Teresa, soumise à la pression de la concurrence pour gagner l'investissement des capitaux des clients qu'elle représente dans de nouvelles actions. Autour de ces protagonistes en gravitent plusieurs secondaires qui vont participer aux divers règlements de comptes ou assister aux renversements de valeurs déclenchés par l'effondrement de la bourse et des actions.

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    La Vie sans Principe s'impose ainsi comme un film choral où se lient et délient, se rencontrent ou s'affrontent, divers personnages. Commençons par le gros défaut du film, à savoir son scénario, qui peine à arriver au dénouement final, bien plus intéressant et intensif : une bonne heure du film s'étire à présenter les protagonistes, et s’embarrasse de séquences inutiles et parfois ennuyeuses. La partie sur Panther, par exemple, est une énième démonstration d'une mafia corrompue et grotesque, portrait déjà effectué dans de nombreux films de Johnnie To. Certaines séquences s'étirent en longueur, comme les cérémonies du Nouvel An, et seul le dynamisme de Lau Ching-wan, l'un des excellentissimes acteurs fétiches de Johnnie To, permet de s'accrocher au récit. De plus, l'un des protagonistes s'avère peu présent et faible par rapport à Teresa et Panther, il s'agit de l'inspecteur Cheung, assez creux et sans véritable évolution, loin d'incarner un inspecteur charismatique. En revanche, toute la partie consacrée à l'univers de Teresa, employée de banque, s'avère pertinente et porte un regard lucide et dur sur le jeu de malversation exercé par les entreprises bancaires pour attirer leurs clients sur des investissements leur rapportant des intérêts importants. Le personnage de Teresa, d'une belle sobriété grâce à l'interprétation de Denise Ho est par ailleurs d'une belle ambiguïté, à la fois soumise aux ordres et à la pression de sa chef tyrannique, dépossédée par ce qu'on lui demande, mais prête à tout pour ne pas finir perdante.

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    Heureusement, la dernière partie du film laisse place à un dénouement et une mise en scène impressionnante, fidèles au style de Johnnie To, réussissant à créer un suspense digne du thriller autour des fluctuations boursières qui défilent sur tous les écrans de la ville et des bâtiments traversés par les personnages. Evidemment, la violence et l'assassinat viennent rapidement alimenter les solutions des mafieux pour sauvegarder leurs investissements, mais les séquences d'action s'avèrent au final assez rares. On peut retenir une flamboyante et aberrante course contre la montre qu'effectue un des chefs de Panther au volant de sa voiture, transpercé au cœur par une fleur décorative, et pourtant continuant de conduire pour tenter un ultime investissement. Cependant, la réalisation du film prolonge la tension dans les séquences à la banque, de rapides travellings circulaires venant cerner Teresa ou ses clients piégés, et le montage jouant sur l'obsession de l'argent et des billets sortants, ou bien alors des chiffres de la bourse débités sur les écrans. Tout comme avec Margin Call (JC Chandor), ce sont les codes du genre du thriller qui permettent d'incarner et de rendre palpable une tension invisible, car se rapportant à des capitaux virtuels, et un effondrement psychologique bien souvent dissimulé. A cette tension magistralement représentée, le film associe une forme de distance ou d'humour, par exemple par la très belle musique composée par Yue Wei, dans la même veine que la partition de Xavier Jamaux pour Sparrow il y a quelques années, joue sur la légèreté et le lyrisme, loin de surligner les différents événements tragiques, mais imposant une forme de distance bien plus efficace.

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    Le côté très excessif et loyal des protagonistes de Johnnie To trouve dans ce film son écho dans l'absurde attachement à l'argent, au point d'y risquer leur vie. Toute l'entreprise du film est d'opposer des figures surpuissantes, obsédées par leur argent virtuel et leur placement, face à d'autres plus modestes, petites gens qui vont finalement tirer profit de la catastrophe, non sans se compromettre. Chacun finit par tirer la couverture à soi, et comme de nombreux autres films de Johnnie To, c'est un combat entre les valeurs morales, quasi-inexistantes, et ses propres désirs ou sa mégalomanie. Le film permet ainsi de traverser différentes couches sociales, différentes manières de réagir face à la société d'argent : Panther rencontre l'un de ses camarades mafieux en train de récupérer de vieux cartons pour se faire de l'argent, observe par la suite la salle d'opérations informatiques clandestine créée sous l'entreprise d'un de ses chefs ; Teresa fait face à des clients aux comportements divers, du plus méfiant à la plus naïve, celle-ci étant cruellement trompée par le langage superficiel de la banque. Au final, ce sont les plus faibles qui s'en tirent à bon compte, Teresa repartant avec son lot d'argent, glace dans la main, l'inspecteur et sa femme obtenant leur appartement à nouveau prix, et surtout Panther, tout jeune nouveau riche s'offrant le luxe de s'offrir un cigare à la « bague rouge », comme marquant ironiquement son nouveau statut obtenu à coup de hasards, à coups d'assassinats soudains, à coups de tromperies.

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  • Old Boy

    OLD BOY – Park Chan-wook

     

    Un grand merci à mon (ancien) camarade Wes pour le DVD !

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    Old Boy. Deux mots qui sonnent comme l'annonce du succès d'un certain cinéma sud-coréen dans le paysage cinématographique en 2004, où le film de Park Chan-wook, deuxième volet de sa trilogie sur la vengeance, frôla la Palme d'Or en recevant le Grand Prix du Jury à Cannes. Old Boy, fortement acclamé par la critique, reçut un fort succès à sa sortie et ouvrit la brèche à la reconnaissance d'un certain cinéma sud-coréen, suivi de près par Memories of Murder, The Host, Mother (Bong Joon-ho) ; A Bittersweet Life, I met the Devil (Kim Jee-woon) ou encore The Chaser, The Yellow Sea (Hong-jin Na). Le film de Park Chan-wok a en effet ouvert la voie à ce cinéma empreint de violence, et où tous les moyens de la réalisation – scénario, mise en scène, montage – visent à concrétiser, incarner, faire ressentir cette violence, qu'elle soit physique ou psychologique.

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    Adapté du manga éponyme de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi, le film de Park Chan-wook n'en reprend que le postulat de base (à juste titre, le manga d'origine manquant singulièrement d'intérêt, autant sur l'articulation de son scénario, que sur le graphisme), à savoir l'emprisonnement prolongé d'un homme ordinaire sur 15 années de sa vie, sans aucune raison, puis sa brusque libération dans la ville où il a été enlevé. La force du film doit tout d'abord à la construction de son récit, évidemment, qui correspond tout à fait à ce style de scénario dont il est impossible de délivrer la résolution dans une critique et qui ne peut être vu et utilisé qu'une seule fois (au même titre que d'autres scénarios au dénouement renversant et irréversible comme Fight Club ou Seven de David Fincher, par exemple). La recherche des réponses aux questions Qui, Pourquoi, Dans quel but ? donne ainsi le pouls du récit et des énigmes à résoudre, les éléments étant égrenés au fil des actions. De plus, le film développe un formidable sens sur le destin et le poids du chemin à suivre. Oh Dae-soo, bien qu'il soit guidé par l'esprit de vengeance le plus tenace, est de bout en bout guidé, manipulé par celui qui l'a enfermé. Le rapport au point de vue s'avère habile, manipulant lui aussi le spectateur. Tantôt le film nous fait partager les actions de « l'ennemi », riche milliardaire malade, identifié au bout d'une demie-heure de film, faisant sentir le poids de la manipulation sur Oh Dae-soo, tantôt la caméra épouse le regard du personnage principal, nous faisant souvent songer à tort qu'il a une longueur d'avance sur son geôlier.

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    Ce jeu sur le point de vue finit par démontrer l'horrifiant engrenage de manipulation dans lequel le protagoniste et le spectateur se sont laissés entraîner. Pour Park Chan-wook, le thème de la vengeance est ainsi intiment lié à l'idée de fatalité, de spirale irréversible, les nombreux retours en arrière du film et flash-backs mentaux du personnage contribuant à renforcer la manipulation, à l'image d'un puzzle se reconstruisant. La réalisation nous présente toujours en outre Oh Dae-soo comme en marge de la vie et du quotidien ordinaire : ses comportements sont déréglés, chacune des actions effectuées lors de son retour à la ville devenant l'équivalent d'une « première fois » beaucoup plus intense et violente. Ainsi, la première confrontation avec des jeunes délinquants donne lieu à une solide explosion de violence ; le premier repas à une dégustation pléthorique d'un énorme poulpe vivant ; la première rencontre avec une femme un choc violent écrasant le protagoniste. Ce n'est pas par hasard si la première chose que constate Oh Dae-soo est une tentative de suicide qu'il ne cherchera nullement à empêcher, le plaçant d'emblée du côté du spectacle de la mort.

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    En outre, le film de Park Chan-wook reflète la vision de la violence telle qu'elle est perçue dans une grande partie du cinéma nous parvenant de la Corée du Sud. Nombreux sont ceux qui ont écrit des articles sur l'efficacité de la violence, bien plus éprouvante, car repoussante, que celle d'un cinéma américain, mais qui provoque néanmoins une forme de fascination. Old Boy joue ainsi bien plus sur la part d'ambiguïté des personnages et leur propension à détruire l'autre, voire s'autodétruire. Le rapport à la chair éprouvée, torturée, mutilée, s'avère extrêmement fort, comme si le corps était intimement lié au mental, et ce rapport trouvera son point d'orgue avec le terrible acte final d'auto-mutilation. Le lien entre physique et psychologique devient ainsi très ténu dans les démonstrations de folie des personnages de Park Chan-wook, chaque défaillance mentale, ou erreur, devant se répercuter sur le corps et le détruire tout autant. Oh Dae-soo déclare ainsi au cours du film que la recherche de la vengeance est devenue une partie de lui-même. Il inscrit notamment sur sa peau le nombre d'années passées dans sa prison, tels des stigmates de sa condition d'homme enfermé et en proie à la folie. Sur ce point, la performance de Choi Min-sik, immense acteur coréen eu même titre que Song Kang-ho, ets remarquable. Là où Song Kang-ho était un masque de sobriété, s'enfonçant dans une cruauté indifférente pour Sympathy for Mr Vengeance, Choi Min-sik donne bien plus de son physique, étant agité par les tremblements de la folie, du désespoir, de la douleur, dans Old Boy. En outre, les films coréens cherchent bien souvent à étendre, par symbolisme, ou une forme de contamination, la violence dans des éléments alentours. Force en est cette célèbre scène de dégustation de poulpe vivant, croqué à pleines dents par Choi Min-sik, scène à la fois terrifiante et drôle, véritable performance d'acteur.

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    On retrouve cependant une caractéristique propre à Park Chan-wook au niveau de la violence à l'écran, caractéristique qui se retrouve un peu dans le cinéma de Bong Joon-ho. Il s'agit de ce rapport à une mise en scène quasi-fantastique par moment, et qui contribue bien souvent à rendre la réalisation du film bien plus impressionnante. Prenons l'une des premières séquences du film, à savoir l'enlèvement d'Oh Dae-soo : cet enlèvement est filmé de manière totalement fantastique. Le protagoniste téléphone depuis une cabine, avec un cadrage conventionnel et réaliste ; le protagoniste sort ensuite de la cabine, laissant la place à son frère qui reprend la conversation. A partir de ce moment, Oh Dae-soo disparaît totalement du cadre. Lorsque son frère sort de la cabine te l'appelle, le cadrage évolue soudain, comme un véritable basculement dans un autre univers, effectuant un formidable travelling arrière combiné avec un mouvement circulaire nous dévoilant la rue vide et un parapluie flottant à terre. Le postulat en lui-même, cet enfermement prolongé, apparaît lui aussi comme surréaliste, car inhumain. Le rapport à la folie provoqué par cet enfermement trouvera ainsi sa présence dans des hallucinations cauchemardesques où le protagoniste se retrouve envahi de fourmis. Park Chan-wook glisse par ailleurs sûrement un clin d'oeil aux fourmis symboliques des tableaux de Dali, voire plus encore à ce film culte du surréalisme, Un Chien Andalou, où se retrouve le même sens de l'excès et de la pulsion. Par la suite, une autre séquence s'impose comme fantastique, celle de la remémoration du souvenir, filmée de manière fantomatique, avec une très belle photographie épurée et donnant dans des tons très clairs et lumineux. Ce sens de l'onirisme, voire de la poésie dans le cinéma de Park Chan-wook est de plus lié au thème de l'hypnose, qui porte toute la résolution du film et mènera à la conclusion. Oh Dae-soo se réfugiera dans l'oubli et l'illusion pour survivre, les dernières images étant portées par la très belle musique lyrique de Jo Yeong-wook, compositeur attitré de Park Chan-wook.

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    Par rapport à son premier volet de la trilogie, Sympathy for Mr Vengeance, même si on reconnaît le sens aiguisé de la mise en scène de Park Chan-wook, et son regard sur la violence, le ton et la réalisation d'Old Boy s'avèrent cependant différents. Tout d'abord, la mise en scène de Sympathy for Mr Vengeance était très glaciale, très distante, toute en suggestions et en longs plans fixes. La violence s'installait de manière progressive à l'intérieur du cadre, la lenteur contribuant à rendre le spectacle éprouvant. Les temps de silence étaient très présents, jouant sur les possibilités de suggestion et d'imagination. Old Boy présente une réalisation bien plus nerveuse, bien plus impulsive, à l'image de l'implosion du personnage au bord de la folie après avoir été enfermé aussi longtemps sans explications. Là où Sympathy for Mr Vengeance impose ainsi le recul vis à vis des actes et des protagonistes, Old Boy cherche au contraire à faire souvent partager l'univers mental confus et ultra-perceptif de Oh Dae-soo. Dans la première partie, celle de l'enfermement sur les 15 années, le montage et l'utilisation de la voix-off parviennent ainsi à dynamiser le quotidien répétitif du personnage, notamment avec un très beau split-screen entre les archives de télévision et la percée du mur, tout en faisant ressentir le terrible poids du temps qui passe. Certaines scènes sont filmées avec nervosité, avec de brusques travellings violents ou des effets d'accélération (lors de la montée dans l'ascenseur, par exemple). L'esthétisme a de plus une part essentielle. A l'inverse des actes terrifiants entrepris, le personnage du geôlier auquel se confronte Oh Dae-soo vit dans le luxe et un univers aseptisé, se déplaçant avec des allures de mannequin et d'esthète. Cette confrontation nous mène dans un ton plus acide, donnant plus dans l'humour noir tout comme Thirst. La scène du poulpe repousse et amuse à la fois, tout comme celle du plan-séquence à la hache, qui paraît surréaliste. Le personnage de Oh Dae-soo constate sa propre plongée en enfer avec dérision, dénué de tous sentiments, confondu dans l'absurde de la situation.

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    Old Boy se révèle un film d'une terrible efficacité. La réalisation de Park Chan-wook fait vivre le pouls de la douleur incarnée à l'écran et le chaos mental du personnage. Plus nerveux que Sympathy for Mr Vengeance, mais tout aussi précis et ciselé dans ses choix de réalisation et de scénario, le film incarne un des plus brillants portraits de la manipulation et de la cruauté à travers ses protagonistes, ayant influencé de nombreuses répliques dans d'autres films sud-coréens.

  • Manuscrit Zéro

    MANUSCRIT ZERO

    Yoko Ogawa

    éd. Actes Sud

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    Merci à ma mère pour ce beau cadeau.

    J'avais déjà fait part de mon admiration envers Yoko Ogawa, grande auteure japonaise passant souvent inaperçue derrière Haruki Murakami ou Akira Yoshimura, avec Cristallisation Secrète, publication de 2009, sur mon premier blog (bien avant que Mirabelle-cerisier n'existe). Cristallisation Secrète était bien alors le premier roman japonais que je lisais, et reste l'un des plus beaux romans découverts. 

    Manuscrit Zero s'annonce d'emblée comme un ovni littéraire. Le style de Yoko Ogawa est déjà unique à lui tout dessus, style constitué d'un vocabulaire riche, mais à la sémantique plein de mystère et d'évocations étranges, proches de l'illusion. Le frontière entre scrupuleuse observation de la réalité et le fantastique reste toujours fébrile et présente chez Yoko Ogawa. Dans ces manuscrits naissent ainsi de courts récits, de courtes descriptions de faits personnels et quotidiens où vient se glisser, imperceptiblement, le fil de la fiction et le souffle d'un imaginaire onirique.

    Visites frauduleuses dans les cérémonies sportives des écoles primaires ; révélation d'un acte particulier de plagiat de jeunesse ; remémoration de la maison de la grand-mère à travers une interview confuse ; la description du cours des grandes lignes ; journée passée dans un centre thermal... Tout s'apparente à un journal intime, où le « je » narrateur distille les moments de découvertes, d'explications, de descriptions, de souvenirs. A ceci près que l'écriture d'Ogawa rejoint progressivement un imaginaire étrange, à la fois familier et hermétique, distant et proche, effleurant les débuts de romans ou de récits fictifs. D'où le titre, Manuscrit Zéro, qui exprime bien cette idée d'ébauche, de tentatives, fructueuses ou non. Le roman se lit ainsi agréablement, chaque feuillet amenant son lot d'évocations.

    Comme toujours, l'auteure aime à faire passer les sentiments derrière l'observation scrupuleuse. Le relevé de certains détails tendres, allié à la tendresse de la plume, montre par exemple la gêne occasionnée lors d'une interview où l'auteure s'éparpille dans se souvenirs ; ou encore le désir face à l'assistant social de la mairie, joueur occasionnel de trompette ; et bien évidemment le doux regret de l'enfance, avec par exemple les discrètes visites à la mère à l’hôpital, où la narratrice lit paisiblement, trouvant ses pages « au rythme de la respiration » de la malade.

     

    Ces pages chargées de la douceur de la quotidienneté, teintée d'un discret et furtif fantastique, transmettent une certaine émotion latente.

     

    « Le matin arrive R, l'assistant social de la mairie en charge de l'amélioration de la vie. (...) En sa présence, ma voix se fait toute petite. Mes cordes vocales se recroquevillent comme effrayées à l'idée de révéler toutes sortes de choses telles que mon écriture qui n'avance pas du tout, ma dégustation des mousses, mon retard dans le paiement du gaz, ma dispute avec les voisins au sujet de la nourriture des chats errants, mon crachat vengeur sur la selle de leur bicyclette, mon entrée sans autorisation dans une école primaire, ou ma discrète récupération d'une bouilloire électrique à l'endroit où l'on dépose les objets encombrants. »

  • Anthology

    ANTHOLOGY

    Katsuhiro Otomo

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    La couverture aux teintes volontiers élégiaques et aux évocations oniriques est loin de s'allier aux courts récits de jeunesse publiés pour honorer le réalisateur Katsuhiro Otomo, surtout connu pour les très célèbres Akira et Steamboy. Je n'ai jamais tant apprécié l'oeuvre de l'un des maîtres de l'animation, considérant que les récits et le propos s'essoufflent derrière la forme, bien souvent magistrale et graphiquement inspirée. L'anthologie publiant ainsi de courtes nouvelles dessinée par Otomo pour divers magazines ou commandes, rassemble ses thèmes favoris, voire s'annonce même comme des prologues à Akira.

     

    C'est le cas de « Fireball » qui présente le monde comme une dictature militaire, aseptisée, tenant les progrès de la technologie comme l'ultime pouvoir. Deux frères, tous deux porteurs de pouvoirs paranormaux, voient ainsi leurs vies s'opposer, l'un se faisant analyser par l'intelligence supérieure du pays (un ordinateur superpuissant), l'autre utilisant ses ressources pour conspirer contre les puissances mises en place. On retrouve la perte de l'humanité, l'obsession de la technologie et l'asservissement du corps humain au pouvoir atomique et destructeur. D'autres récits proposent des variantes sur ces thèmes, tel « Flower », illustration de fin du monde en couleurs aux inspirations de Moebius ; « Memories », où des éboueurs de l'espace se retrouvent face à un satellite en forme de rose destructeur (récit constituant le prologue au segment « Magnetic Rose » du film Memories) ; « Hair », où les humains chevelus sont considérés comme des menaces envers la société (amusant détournement par ailleurs du scandale provoqué par les générations des années 70, et clin d'oeil à Ray Bradbury). Ce qui continue de pêcher chez Otomo, aussi bien dans ses réalisations que dans ces récits, c'est la maigreur des psychologies et des personnages, chacun se devant se s'effacer derrière le concept de déshumanisation, la précision du graphisme, la métaphore de la dictature et de la vanité du pouvoir. Au-delà de l'expression de l'apocalypse, héritée des traumatismes issus des Guerres Mondiales et de l'affolement des industries d'armes et de la terreur nucléaire, les récits paraissent souvent creux, morbides, effroyables.

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    La lecture de ces nouvelles s'avère éprouvante, voire insupportable. Le dessin donne parfois les moyens à Otomo de s'attarder sur les divers états de décomposition du corps, ou de son rapport à la machine : viscères déchirés, intestins vidés, carcasses et dépouilles sont volontiers exposés avec un graphisme soigné, mais violent. Certains épisodes s'avèrent ainsi presque repoussants, comme « Minor Swing », où un humain, pris dans une sorte de marée noire, se solidifie, puis se liquéfie.

     

    La plupart des histoires amène ainsi toujours un constat de déshumanisation et de violence cruelle, parlant souvent trop par les images ou les métaphores que par des propos, ce qui déçoit grandement, suscite plus le dégout qu'une véritable émotion. 

  • Hana Bi

    Ruptures et libération

    HANA-BI (1997) – Takeshi Kitano

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    Le cinéma de Kitano est un cinéma fait de ruptures, et Hana-Bi en est le film le plus probant. Que deviennent les personnages une fois qu'on leur a arraché, une à une, toutes les raisons de vivre ? C'est la question qui transparaissait à travers le couple de Dolls, les « mendiants enchaînés » marchant incessamment dans les parcs. Dolls se fait lui-même l'écho d'Hana-Bi, qui joue sur la même fragmentation spatio-temporelle et le même suivi des personnages. Mais là où Dolls restait teinté d'un certain romantisme (par exemple avec l'histoire de la vieille fiancée attendant sur le banc), Hana-Bi s'avère plus sec, plus désespéré, et paradoxalement, à l'image de son titre qui signifie « feux d'artifice » plus éclatant et lyrique. Primé du Lion d'or à Venise en 1997, Hana-Bi reste à ce jour l'un des chefs d'oeuvre dans la filmographie de Kitano.

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    Le film débute sur de paisibles plans d'ensemble du paysage et de la mer, harmonieusement accompagné de la musique poignante de Joe Hisaishi (beaucoup sont d'accord pour affirmer que la bande originale d'Hana-Bi est bien l'une meilleures compositions de Joe Hisaishi). Le lyrisme de la musique et le calme des plans sont brusquement coupés, au montage, par l'arrivée du personnage interprété par Takeshi Kitano, policier sur sa fin de vie, impuissant face à la maladie de sa femme. Tout le film semble ainsi se composer sur une série de ruptures : rupture psychologique de la femme de Kitano, retournée à un état d'enfance ; rupture des jambes de son collègue, paralysé à la suite d'une intervention ayant mal tournée ; rupture dans les relations avec les gangs mafieux. Cette permanence de la rupture est à lier avec le terrible accident de moto qu'a subi Kitano et qui lui a infligé de graves séquelles physiques. Mais, au-delà de cet expérience personnel, une grande partie de l'oeuvre du cinéaste japonais se concentre sur cette question de la survie : que restent-ils aux protagonistes les plus démunis ? A l'instar de Ozu, qui dépeignait surtout les chutes et ruptures sociales et familiales de ses personnages (observations reprises par Hirokazu Kore-eda , qui prolonge aujourd'hui l'oeuvre du grand maître), Kitano se concentre sur les désoeuvrés, les mutilés, les malades, les fous, le protagoniste qu'il interprète tombant au fur et à mesure dans l'aliénation. Une première partie du film dépeint la condition de ces personnages et tend, par fragmentation, à décrire les raisons de ces différentes déchéances. Dans un second temps, le plus magistral dans Hana-bi, Kitano dépasse le contexte et suit la fin de ses protagonistes dans des chemins de croix bien souvent déchirants.

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    Le regard artistique de Kitano s'exerce alors de manière très forte dans ce film, conférant à la réalisation une puissance graphique extraordinaire. De fortes lignes parallèles sur les plans de route soulignent le rapport au chemin, au destin, chemin dont finissent par dévier les personnages. Le film privilégie les plans d'ensemble et les vues en plongée, encadrant et isolant ces différents destins dans de larges espaces. Une large et fondamentale place est cédée à la mer, endroit où s'isole le peintre handicapé, mais également les personnages de Kitano et de sa femme à la fin du film. La mer inspire un fort sentiment de lyrisme tout au long du film, ultime étape avant la fin, généralement accompagnée de la musique élégiaque et bouleversante de Joe Hisaishi. La place du graphisme et de la peinture se retrouve aussi dans les tableaux en début de générique et échelonnant tout le récit, par le biais du personnage du peintre (un des miroirs de Kitano, cependant). Ces tableaux jouent eux aussi sur un contraste entre lyrisme et violence, passant par une série de symboles : les fleurs, à l'image de la fleur de l'affiche, représentent bien souvent l'épanouissement amoureux, la plupart des personnages ayant perdu ceux qu'ils aimaient et se retrouvant isolés, sans sentiments ni sexualité ; mais également l'abondance des silhouettes, telle celles de la famille réunie, toujours symbolisant le bonheur perdu ; et enfin la présence de la mer, très nostalgique. Les choix artistiques dans ces tableaux équivalent à des vues très frontales, sans relief ni recherche de perspective, en exact opposition avec la cinématographie du film, comme si le cinéma permettait une plus grande distance avec les récits dépeints, tandis que les peintures s'affiche comme le constat creux et désespéré de la vie du peintre. Ainsi, le personnage crée cette magnifique toile désertique aux multiples touches de couleur blanche, par écho à la vanité de son existence.

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    La composition, pour reprendre ce terme propre à la peinture, s'avère s'inscrire dans le rapport à la spirale. Le montage, effectué par Kitano lui-même, s'articule selon l'idée de la fragmentation et de la réminiscence, là où le cinéma japonais affirme l'importance d'une temporalité cyclique, où le souvenir persiste. Les fragments d'images obsessionnelles, comme celles au ralenti de l'intervention violente des policiers, s'intercalent dans la narration, brisant la continuité et reconstituant les espaces mentaux des différents protagonistes. autant au niveau de la temporalité, qu'au niveau visuel ou sonore. Le film alterne avec les moments de tendresse et de violence, contrastes propres au style du cinéaste : une émouvante scène nous montre la complicité de Kitano nouée avec la femme malade autour d'un jeu pour enfants ; tandis que dans d'autres, l'ancien policier enfonce des baguettes dans le visage d'un mafieux, ou effectue un braquage de banque avec la plus grande froideur possible. La succession des événements est toujours filmé avec une certaine distance, sans jugement, et avec un sens efficace de la suggestion et des jeux de regards. Kitano, dans les séquences de violence, se cache ainsi derrière ses lunettes noirs, rendant impossible à saisir son regard donc neutralisant toutes émotions. La neutralité est par ailleurs un point essentiel, car la gravité des événements font que le personnage se retrouve presque dénué de sentiments, d'âme, d'humanité.

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    Enfin, le rapport au titre, Hana-bi (« feux d'artifice » en japonais, et le caractère « hana » signifie fleur) s'inscrit dans cette spirale de violence, où « l'explosion » des feux d'artifice se traduit dans « l'implosion » des sentiments à l'intérieur des corps en apparence neutres. Pas d'explosion physique chez Kitano, puisque cette explosion folle est libérée par le biais de la musique, des actes (notamment l'acte final), de la pression psychologique, de la beauté renversante de ce film.

     

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