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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 16

  • Le coeur de Thomas

    THOMAS NO SHINZOU – LE COEUR DE THOMAS (1974) – Moto Hagio

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    Dans les rayons mangas se trouve actuellement une très belle anthologie consacrée à Moto Hagio, auteure emblématique de ce mouvement constitué par des femmes mangaka qui ont enfreint les codes du manga dans les années 1970, en y apportant notamment des thèmes nouveaux autant qu'une texture graphique et psychologique différente. Moto Hagio, au même titre que Keiko Takemiya, a notamment offert de nombreux récits de science-fiction touchant à la question du clonage ou du trouble de l'identité sexuelle, mais a surtout ouvert la porte au shounen-ai (littéralement « l'amour entre garçons »), une constante qui marque une partie de son œuvre et qui a permis l'ouverture au thème de l'homosexualité dans le manga. Thomas no shinzou, œuvre emblématique sur ce dernier point, se révèle un récit bouleversant, condensant le meilleur du style de Moto Hagio.

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    Très inspiré du romantisme allemand, Thomas no shinzou ressemble à un récit graphique d'Hermann Hesse, nous faisant basculer dans l'atmosphère d'un pensionnat pour garçons en Allemagne. Forêts décharnées et petits villages viennent border ce lieu où se nouent et dénouent plusieurs intrigues et relations complexes, tous provenant d'un point de départ, qui ouvre le récit, à savoir le suicide énigmatique du jeune Thomas, pourtant le favori de la classe. Ce qui intéresse Moto Hagio dans ce cadre, c'est bien plus la répercussion de cet acte sur les autres membres de ce pensionnat, rouvrant la porte aux psychoses les plus enfouies, aux désirs cachés et aux traumatismes du passé. Le fantôme de Thomas hante en permanence ses protagonistes, en particulier les deux principaux, Juli, qui se sent coupable du suicide, et Eric, qui partage une ressemblance troublante avec le jeune défunt. Néanmoins, et c'est là la première force de ce manga, le scénario ne tombe jamais dans la facilité ou dans des raccourcis d'interprétation psychologique face à ce sujet lourd, parvenant à donner un vraie épaisseur aux protagonistes. Certes, il ne faut pas chercher une totale crédibilité chez ces jeunes adolescents dont les pensées se rapprochent plus de la maturité adulte, mais le travail graphique, propre à Hagio et qui préfigure tout un mouvement romantique dans le manga, aide à accepter la complexité des sentiments.

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    La grande faculté de Moto Hagio réside en effet dans la transposition du sentiment intérieur dans un travail précis de découpage et de graphisme. Les micro-histoires qui se succèdent dans ce pensionnats pour garçons sont d'abord dépeintes sur un mode quotidien, débutant par des pages aérées et à la composition régulière, pour aller, petit à petit, en parallèle avec l'entrée dans le psychologique, vers un bouleversement des cadres et des éléments, déracinant brutalement les personnages de l'environnement scolaire. D'une page à l'autre, le découpage se transforme et propulse le lecteur dans une intériorité métaphorique, créant des pages d'une réelle intensité émotionnelle.

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    Ensuite, les récits de l'auteure s'emparent de sentiments passionnés mais également, et largement, de la souffrance personnelle. Peu de pages sont consacrés au bonheur ou à l'apaisement – et, lorsque ces dernières existent, elles respirent l'harmonie et la légèreté, misant sur l'esquisse plutôt que sur le découpage et la précision – alors que le rapport au déchirement, au trouble intérieur, au traumatisme ou au mal-être ne cesse d'hanter les protagonistes, et de nombreuses pages dans ce manga. Le texte, très beau, confère ainsi aux personnages une texture psychologique bien souvent torturée, allant jusqu'au-boutisme parfois, les poussant au bord de la crise, et n'hésitant pas à leur faire traverser toutes phases psychologiques. C'est cette capacité d'exploration des sentiments que Mot Hagio n'hésite pas à développer et à assumer qui constitue l'émotion et la profonde sensibilité de Thomas no shinzou. Le manga se conclut enfin par un très bel essai graphique à l'aquarelle, sorte d'épilogue laissant la porte ouverte à la nostalgie des premières amours.

  • Tokyo Godfathers

    Le Bébé miracle

    TOKYO GODFATHERS (2003) – Satoshi Kon

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    Tokyo Godfathers se révèle souvent écarté dans la filmographie de Kon, placé au second plan derrière les histoires complexes et imbriquée de Millenium Actress ou de Paprika. Pourtant, le troisième long-métrage de Satoshi Kon, jamais sorti sur les écrans français, permet d'offrir une nouvelle facette à l'oeuvre de ce cinéaste, tout en s'inscrivant dans sa sensibilité propre.

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    Si le récit reste en effet construit sur une certaine linéarité, se centrant sur trois protagonistes aux personnalités beaucoup moins divisées et éclatées que les héroïnes de ses autres films, le film est peut-être l'un des plus personnels du cinéaste japonais. N'opérant plus à l'intérieur même des cosmos psychiques de ses personnages, la réalisation propose ainsi une regard plus extérieur, plus cynique, mais également plus romanesque sur la société japonaise. Tokyo Godfathers nous projette en effet dans l'univers des sans-abris de Tokyo, n'hésitant pas à se saisir des situations les plus contestables et révoltantes de la ville, l'enrobant d'un regard juste, évitant tout effet moralisateur ou complaisant. Au travers des péripéties de nos « Pieds Nickelés » très attachants, le scénario n'évite pas l'humour, tournant autant en dérision les réactions courroucées des citoyens face aux mendiants, que celle parfois survoltées des sans-abris ; mais dresse aussi un portrait noir et sinistre de la société japonaise sous son angle le plus cruel. Si Tokyo Godfathers ne cherche certes pas le même degré de malaise que Paranoïa Agent, ou encore Perfect Blue, le film reste néanmoins une œuvre très mature et pertinente, révélant à travers de nombreuses scènes le fossé social, mais également la violence d'une certaine jeunesse. Une séquence en particulier nous montre un groupe de jeunes gens décidant de se « distraire » en brutalisant un vieil homme sans-abri, séquence animée à la fois avec une grande sobriété et une pointe d'humour noire - les jeunes essayant d'imiter les postures de leurs héros de combat favoris, rappelant ce phénomène d'un passage à l'illusion fictionnelle dès qu'il s'agit de la violence, et qui est à l'oeuvre dans Paranoïa Agent. En outre, le film touche par son récit d'une poignée de jours, à toutes les strates de la société, constituant en ces personnages sans refuge un moyen de passe-partout, rencontrant un patron yakuza ou des immigrés d'Amérique Latine, passant d'un moyen de transport à un autre, offrant un panorama sur ce Tokyo lumineux, bardé d'images et de cultures.

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    Les personnages eux-mêmes représentent une certaine face de la société. Gin, le plus terre-à-terre et probablement le moins intriguant des trois, permet de faire des rappels à la réalité du moment, et constitue surtout un contrepied admirable et humoristique aux réactions bien souvent impulsives d'Hana ou de Miyuki. Cette dernière présente une véritable profondeur, touche aux jeunes générations, étant une adolescente dont le mal-être reste admirablement dépeint, ne tombant jamais dans la caricature. Quant à Hana, il se révèle le personnage le plus saisissant de l'ensemble, apporte une nouvelle facette aux psychologies généralement dressées chez le cinéaste. Il se révèle en effet son seul et unique personnage homosexuel ayant une vraie place dans la dramaturgie – quelques références à l'homosexualité étant glissées dans d'autres de ses films, mais à travers des protagonistes mineurs, tels le directeur de l'entreprise ou Osanai dans Paprika – mais est loin d'être uniquement un prétexte à porterun regard sur ce tabou. Au contraire, le scénario lui confère une véritable présence et un caractère bien trempé. Hana est en effet un personnage à la fois attachant et infernal, condense à la fois tous les tics stéréotypés du travesti tout en révélant une singularité, notamment à travers le court récit de son passé. C'est l'une des plus grandes réussites de Satoshi Kon, sur le plan de la construction psychologique, parvenant à concilier – pour s'en amuser – le cliché avec l'originalité. L'animation du personnage rend compte de cela, puisque la plastique du visage d'Hana traverse toutes les phases d'animation possibles, évoquant autant le cartoon que le seinen, pris entre postures féminines et viriles. Le film restitue admirablement les jeux de relations à l'intérieur de son trio, créant toutes les situations possibles pour aboutir à un panel de réactions, isolant parfois les personnages pour les reprendre en duo, avant de rétablir l'équilibre final, celle de former un groupe à trois, et presque une famille recomposée.

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    Allié à cette richesse dans la création des personnages, le récit lui-même se montre tout aussi passionnant et dynamique. A travers son troisième long-métrage, Satoshi Kon nous montre qu'il sait être autant un bon conteur qu'un bon cinéaste d'animation, multipliant les intrigues et les tons. La virtuosité de ce film se révèle plus implicite, moins extravertie que dans ses autres films, opérant par détails, glissements, retournements de situations, mélange des tons. Une étonnante séquence, au départ absurde et burlesque, conte ainsi l'invitation impromptue des trois mendiants à un mariage dans le milieu mafieux. Les personnages se retrouvent parmi le gratin du milieu des yakuzas, détonnant dans le décor de cette réception luxueuse. Au beau milieu de cette séquence pleine de drôlerie, l'atmosphère, en quelques plans, dérape soudain vers la tension et un bouleversement inattendu. L'animation, très belle et toute en précision, se révèle dans ces changements de tons d'une véritable efficacité, le trait et le mouvement des corps et des visages nous faisant passer successivement du grotesque au sobre, de la course-poursuite à la méditation, précipitant les choses pour mieux les freiner ensemble. Ce travail graphique impeccable joue admirablement sur ces diversités de glissements.

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    Le plus étonnant se révèle ce rapport au miracle qu'entretient tout le réseau d'images et d'actions du film. Dans le reste de la carrière du cinéaste, il y a peu ou pas d'allusion à la religion, ou du moins à une forme de mysticisme, étant bien plus plongé dans un turbulent univers psychique ou fantastique marqué par la noirceur, la fantaisie, ou la féérie. Ici, dès le début du film, la connotation religieuse est présente, tout d'abord avec la période de Noël, l'ouverture sur une messe donnée par l'Eglise Catholique pour la charité, et enfin cette pancarte symbolique d'Ange aux Larmes qui introduit le personnage de Miyuki. Le film se base sur des références au catholicisme, choix étonnant car cette religion se révèle minoritaire dans un pays surtout porté sur le bouddhisme, mais qui représente bien cette vision très scientifique qui englobe le film, à savoir la construction d'un univers animé proche de la réalité, sans pour autant tomber dans des effets poussés de mimétisme. Tokyo Godfathers se révèle ainsi la plus réaliste des œuvres du cinéaste, la plus précise dans la peinture sociale et dans la représentation d'une société portée par le médiatique. Cependant, si la distance et l'ironie se révèlent en contradiction avec les explorations intérieures de ses autres films, Tokyo Godfatherspartage la même humanité et la même sincérité d'émotion, l'arrivée de ce bébé miracle permettant de réconcilier les personnages avec eux-mêmes et de révéler leur sensibilité.

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  • Master Class Jia Zhangke

    MASTER CLASS JIA ZHANGKE

    Animée par Pascal Mérigeau, au Forum des Images le 10 novembre 2013

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    Jia Zhankge a beau être de petite taille, il se révèle être un grand homme, à la fois généreux et modeste dans l'approche de son cinéma. Lorsque le parrain du festival « Un Etat du monde et du Cinéma » qui a eu lieu sur ce mois de novembre de Forum des Images s'approche timidement dans le grand auditorium, pour s'asseoir en face du grand Pascal Mérigeau, les spectateurs sont à la fois amusés par le contraste de taille et touchés par sa discrétion.

    L'auditorium faisait ainsi salle comble pour accueillir le cinéaste chinois qui se livra d'emblée sur son parcours, qui ne s'est pas tout de suite porté sur le cinéma, mais d'abord dans la peinture et les Beaux-arts, une influence qui se manifeste constamment dans son oeuvre. Zhangke fit aussi part, dans son récit, de son fort attachement à sa ville natale, Fenyang, où il tourna notamment certains de ses films, tel Xiao Wu (1999) ou Platform (2001), et de la difficulté à y tourner des films en Chine. Sans s'apitoyer sur la violence de la censure exercée dans son pays, le cinéaste préféra nous parler de sa fascination pour tous les moyens possibles de résistance et de détournement de cette censure. Il raconta ainsi plusieurs anecdotes sur l'univers des DVDs piratés, totalement différent de celui de la France, où les vendeurs clandestins deviennent de vrais historiens du cinéma, fournissant des grands classiques ou des films indépendants. De même, l'apparition et le développement d'Internet ayant fourni un nouveau moyen d'expression pour beaucoup, le film The World, dont Zhangke nous commenta un extrait choisi par Pascal Mérigeau, incarne ces nouveaux moyens de communication.

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    The World (2004)

     

    Ce regard que porte Jia Zhangke sur son pays se révèle tout à fait singulier et d'une admirable distance. Le cinéaste a fait part, durant cette Master Class, de cette approche, pertinente et fine, vis à vis de l'importance du changement et des mutations en Chine, que son cinéma essaie très justement de capter, pour en révéler les limites, les failles, et pour surtout soutenir la mémoire de ceux qui se retrouvent mis à l'écart de cette société mouvante.

     

    Le lien vers la captation réalisée par Arte : http://www.arte.tv/fr/master-class-jia-zhangke/7690810.html

    Liens vers les critiques des films de Jia Zhangke : Still Life (2006) ; 24City (2008) ; I wish I knew (2010).

  • A Tree of Palme

    La poupée sans mère

    A TREE OF PALME (PARUMU NO KI - 2002) – Takashi Nakamura

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    Cette réadaptation de Pinocchio se révèle très inégale, mais témoigne néanmoins de la création d'un très bel univers, création portée par le travail aguerri de Takashi Nakamura. Directeur d'animation chez Katsuhiro Otomo (Akira), mais aussi Miyazaki (Nausicaa de la vallée du vent), ce réalisateur a tiré de ce parcours un goût pour les décors majestueux, à la fois terrifiants et envoûtants, et une partition à la fois naturaliste et apocalyptique.

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    A Tree of Palme conquiert tout d'abord par sa force graphique. Tour à tour sous l'influence des décors d'Otomo, avec quelques détails dans l'animation des vapeurs, fumées, atmosphères diverses proches de ceux de Steamboy, mais également sous celle de Miyazaki, avec la prédominance d'un monde naturel et aliénant, l'univers développé par Nakamura envoûte facilement, créant une forme d'étrangeté qui accompagnera tout le récit. Ensuite, ce monde révèle au fur et à mesure une véritable richesse, dans la tradition du registre de la fantasy, brassant une diversité de tons atmosphériques et de graphismes, et construisant une véritable poésie dans l'image. La séquence où Palme et Popo, dérivant sur une barque la nuit, atterrissent dans une clairière emplies de bourgeons fluorescents et d'étoiles se révèle d'une pure beauté.

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    Le mythe de Pinocchio dont il est tiré ne se révèle qu'un prétexte dans l'histoire : bien d'autres thématiques viennent porter le récit, notamment au travers des personnages secondaires, comme celui de Xian, mais également ceux de Shatta ou Popo. Entre Palme et ces deux derniers se tisse par ailleurs un similaire rapport conflictuel avec l'image de la mère : le premier la recherche en vain, hanté par une image romantique de la femme qui l'a élevé ; le second, Shatta – l'un des protagonistes les plus intéressants du film – tente de sauver sa mère qui est devenue une meurtrière ; tandis que la dernière est confrontée aux accès de violence et à la jalousie de sa parente. Ces thèmes se révèlent autrement plus fascinants que celui de la tentative de devenir humain, ou encore celui du conflit entre les peuples imaginaires dans ce monde fantastique. Le récit peine quelque peu à définir les priorités de toutes ces intrigues, se révélant parfois chaotique, confus, incertain.

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    Dans A Tree of Palme, le plus saisissant reste la caractérisation et la construction du personnage de Palme, intriguant sur une bonne partie du film. Hormis sur un final convenu, Palme est, sur toute la durée du récit, une figure très angoissante, baignée de zones d'ombre et d'une véritable neutralité en faisant un élément insaisissable. L'ouverture, magistrale et puissante, du film l'impose dès le début comme un curieux personnage hybride, une poupée au comportement à la fois animal et robotisé, aux réactions inquiétantes et incontrôlées. Son créateur constate par ailleurs sa nouvelle tentative de fugue avec lassitude. Avec Palme, nous sommes loin du registre féérique de Walt Disney, étant bien plus dans une noirceur de ton et une incompréhension. Une grande partie du film saisit ainsi cet état d'animation partielle et morcelée, où Palme est sans cesse pris dans une immobilité longue et des accents de fureur. En outre, les quelques éléments d'humanité qui existent dans la poupée (ses souvenirs nostalgiques de sa « mère », la femme de son créateur, décédée suite à une maladie) sont représentés avec une certaine mélancolie poignante, constituant un réseau d'images lyriques dans cet ensemble inégal.

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  • The Taste of tea

    Chroniques extraordinaires

    CHA NO AJI - THE TASTE OF TEA (2003) – Katsuhito Ishii

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    Singulier et original, The Taste of tea se savoure tantôt comme un cocktail explosif tantôt comme un thé paisible. Le film de Katsuhito Ishii présente une diversité de tons et d'idées tout à fait étonnants et singuliers, réveillant çà et là des échos de plusieurs imaginaires.

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    The Taste of tea convoque en effet plusieurs influences, les brodant au travers de courtes histoires quotidiennes, en lien avec chaque membre de la famille décalée que le réalisateur nous propose de suivre. Le double géant qui accompagne ainsi la petite fille rappelle, par ses apparitions, cet alter ego fantaisiste que s'imagine Mei dans Tonari no Totoro (Hayao Miyazaki) ; alors que les histoires d'amour cruelles et poétiques que vit le jeune fils se rapprochent de la prose de Haruki Murakami. En outre, les multiples intrigues qui se nouent et se dénouent autour de cette famille évoquent tantôt le cinéma de Takeshi Kitano – avec un double-clin d'oeil, car le personnage du yakuza fantôme est joué par un des acteurs fétiches du réalisateur de Hana-Bi, Susumu Terajima - tantôt l'univers de la littérature ou bien des mangas japonais. Le personnage du grand-père nous rapproche ainsi d'un burlesque décalé et tendre, et celui de la mère, dessinatrice, nous entraîne directement dans une séquence éblouissante et délirante d'animation.

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    Par le biais de ces multiples tonalités, ce film fait ainsi état d'une famille et en dresse délicatement les chroniques extraordinaires, à moitié prises entre l'absurde et le quotidien traditionnel japonais. Mais en outre, beaucoup de tendresse et d'émotion enveloppent ces récits. Le double que s'imagine la petite incarne par exemple avec finesse l'angoisse inexplicable d'une enfant. Ensuite, le personnage plus « magique » dans cet ensemble, et le plus emblématique de l'émotion qui s'en dégage, reste celui du grand-père, véritable présence étrange, comme un mélange de différents acteurs burlesques et de comédie musicale à la fois, enchantant la maison par des comportements hors de la quotidienneté. Au final, dans The Taste of tea, la quotidienneté ne se révèle qu'une apparence : les quelques plans-portraits de la famille ne sont là que pour installer quelques repères paisibles, que les récits décalés viennent briser avec douceur, révélant par cela la véritable singularité de cette famille.

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    De plus, le film se fait en même temps l'écho d'une certaine société bigarrée et bardée de signes étranges, semblant s'amuser avec les bizarreries exotiques qui ont toujours constitué l'imaginaire et le fantasme autour du continent japonais. Katsuhito Ishii joue ainsi avec l'étrangeté même de son pays, allant jusqu'à la satire - la chanson « Yama O » (« ÔMontagne »), parodie des shows télévisés, le yakuza enterré qui parvient à sortir de la terre, la dispute de deux promoteurs du cosplay... - mais également jusqu'à une absurdité éblouissante. Les jeux d'incrustations durant l'enregistrement de la chanson de l'oncle dérivent ainsi du kitsch de cet effet spécial démodé à un effet cosmique sidérant, élément qui se retrouvera également incarné dans l'explosif grossissement d'un tournesol, dans une autre séquence.

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    Plein de poésie et d'humour, The Taste of tea est un véritable plaisir des yeux et des oreilles, ne perdant rien de sa sincérité dans la représentation de ces chroniques extraordinaires.

  • Double suicide à Sonezaki - Hiroshi Sugimoto

    Grâce du Bunraku

    DOUBLE SUICIDE A SONEZAKI - Hiroshi Sugimoto

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    Au beau milieu du mois d'octobre ont eu lieu au Théâtre de la Ville ces représentations uniques en France de la reprise par Hiroshi Sugimoto d'un classique du bunraku, Double suicide à Sonezaki, une pièce tragique du 18ème siècle écrite par Chikamatsu Monzaemon, sorte de Roméo et Juliette japonais.

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    Après un prélude quelque peu décevant – avec encore une utilisation inutile d'un grand écran en fond de scène, sorte de « mode » du théâtre contemporain – l'entrée des marionnettes traditionnelles nous captivent d'emblée. Le spectacle est accompagné de récitants contant l'histoire de manière chantée, et accompagnés du shamisen. Le récitant principal présente une capacité de changements de voix impressionnante, incarnant toutes les voix aussi bien masculines que féminines. Dans ce cadre, le chant s'empare du texte japonais et en déploie les sensations, passant d'un rythme à l'autre en fonction des événements racontés. Telle accélération du phrasé simule les actions précipitées d'un combat, telle amplification d'une syllabe déroule une émotion et installe une tension, celle de la mort qui se rapproche pour les deux personnages...

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    Hiroshi Sugimoto, dans le cadre de ce genre très codé, a opté pour une mise en scène très sobre, choix qui ne peut qu'être salué car se révélant très efficace. La douceur des lumières et l'élégance de la scénographie – grandes portes coulissantes, petits escaliers polis, teintures rouges à motifs fleuris – transforment le spectacle en un ensemble très maîtrisé, d'une totale précision. Les marionnettes, accompagnées par leurs manipulateurs, glissent avec volupté sur les décors, se frôlent, esquissent des pas légers au-dessus de la scène. Ce qui trouble, ce qui émeut dans ces marionnettes, c'est cette incroyable grâce qui les enveloppe, marquée dans leur vêtements et dans leurs traits harmonieux, mais également dans les gestes des marionnettistes, tous des professionnels excellents du bunraku. Àtrois sur une marionnette, par les gestes combinés des mains, de la tête et des pieds, ils créent dans un synchronisme et une précision parfaits, les mouvements, les attitudes et les états d'âme de ces personnages.

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    Une expérience étonnante, prouvant la précision impressionnante des marionnettistes japonais, mais une nouvelle fois la force de ces acteurs de bois, ici des figures immaculées dont la fragilité bouleverse.

  • Ilo Ilo

    L'histoire d'un retour à l'équilibre

    ILO ILO – Anthony Chen

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    Ilo Ilo pourrait presque être un 400 Coups de Singapour. Rien de péjoratif dans cette comparaison car la grande réussite du film réside dans ce portrait d'un enfant à problèmes, probablement écrasé par ses parents touchés par la crise. L'arrivée de la servante Terri dans cette famille va devenir à la fois le souffre-douleur réceptif et la bouffée d'air libératrice de la tension présente dans le trio.

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    Le scénario d'Anthony Chen utilise savamment ce protagoniste de la servante, interceptant les événements, des plus anodins aux plus dramatiques. Ce personnage, Terri, occupe en effet place fondamentale dans le développement du récit et des relations, construisant un vrai lien avec le spectateur et l'ouvrant à la progressive évolution de la cellule d'une famille moyenne à Singapour. Le rapport à la crise financière se révèle ainsi abordé de manière subtile, par le personnage du père perdant son emploi, mais également celui de la mère, plus intéressant car se retrouvant en position de rédiger les lettres de licenciement pour les autres employés de son travail. Sans exagération, avec légèreté, le film dépeint cette situation petit à petit, montrant une tension du couple que la présence de Terri exacerbe. Autre point de vue que le film ne suit malheureusement pas jusqu'au bout, c'est celui de la distance entre les nationalités, entre la culture philippine de la servante et celle singapourienne des parents. Le film dresse subtilement ces différences, construisant un étrange mais juste rapport entre les deux, mêlé à la fois de respect et d'incompréhension.

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    Enfin le plus intéressant dans ces jeux d'interaction se révèle celui construit autour du personnage de l'enfant. Ce dernier présente en effet le portrait le plus poignant du film, gagnant une rare justesse de mouvement et d'action. Peu de parole, et beaucoup de gestes brusques et maladroits accompagnent ce personnage très touchant, là où tant de films affublent les enfants d'une parole bavarde et inutile. La performance extraordinaire du jeune acteur, Koh Jia Ler, sidère.

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    Plus qu'une chronique familiale ou qu'une représentation de la vie de la classe moyenne, Ilo Ilo s'impose enfin comme le récit d'un rééquilibre, d'un retour à une forme d'harmonie, de respiration. Le déséquilibre provoqué par l'arrivée de cette servante, Terri, et de cette autre culture étrangère, permet au final l'équilibre et la conciliation. Cette jolie proposition ne peut qu'émouvoir dans un contexte où tant de films s'enlisent dans une lecture pessimiste.

  • La Tour au-delà des nuages

    La frontière du coma

    KUMO NO MUKO, YAKUSOKU NO BASHO – LA TOUR AU-DELA DES NUAGES (2004) – Makoto Shinkai

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    Premier long-métrage de Makoto Shinkai, cinéaste que certains décrivent comme l'héritier de Miyazaki. Le film, bien que bancal, témoigne cependant du style personnel du cinéaste, dont l'univers autant que les choix narratifs se révèlent singuliers. L'un de ses derniers longs-métrages, très remarqué à sa sortie, Le Voyage vers Agharta présente moins de singularité, notamment parce qu'il souffre de comparaisons marquées avec les productions Ghibli (Laputa, Chihiro, Mononoke Hime).

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    Ici, le premier long-métrage de Shinkai traduit à la fois une certaine maladresse, notamment en terme de rythme ou de montage, mais témoigne d'une formidable sensibilité, notamment au travers de sa texture graphique, d'une qualité sidérante. En effet, ce qui marque et distingue en premier Shinkai dans le paysage de l'animation, c'est sa capacité à créer des univers d'une force visuelle magnifique, et dont la précision, l'harmonie, la souplesse incarnent l'héritage de sa carrière dans le jeu vidéo. Le film se révèle notamment particulièrement novateur au niveau de la création de la lumière, et des mouvements de circulation des rayons lumineux. Les séquences dans les transports – qu'ils soient anodins comme le tramway, ou bien plus époques comme les avions – sont de vrais moments d'anthologie visuelle, où la forme vient donner au récit ou à un simple échange entre deux personnages une véritable tension.

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    Le récit de Shinkai se révèle poétique, d'une belle capacité d'association entre l'intime et le spectaculaire, faisant croiser une situation politique avec un triangle amoureux entre de jeunes adultes. Les premiers émois se retrouvent brisés par la grande histoire, qui se déroule dans un monde futuriste totalement imaginaire, mais dressant des passerelles avec la question des armes technologiques et de la guerre au Japon. Mais au final, c'est bien plus l'idée de la frontière qui va définir tout le film. L'image de la limite, le trait de la distance, va marquer les plus belles séquences, celles des rêves de Sayuri, se trouvant dans un coma étrange et angoissant, celles de ses retrouvailles momentanées au beau milieu d'une chambre d'hôpital avec son amie d'enfance, ou encore celle de cet avion construit à mains nues, s'enlisant dans la zone à risque autour de la Tour. Le film de Shinkai tisse ce motif parmi un ensemble qu'on aurait voulu moins romancé. L'abondance de la voix-off, le surplus de coupes et de séquences scientifiques sans réel intérêt empêchent Kumo no muko, yakusoku no basho, d'atteindre sa véritable texture émotionnelle. En restent les traces des séquences nostalgiques, celles de ces souvenirs de jeunesse, où trois étudiants rêvaient sous la voûte du ciel et des nuages.

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  • Le Fils unique

    Les rêves d'une génération

    HITORI MUSUKO - LE FILS UNIQUE (1936) – Yasujiro Ozu

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    Sortie en copie restaurée – globalement de bonne qualité, à l'exception d'une grossière erreur de montage entre deux plans de conversation – ce film de Yasujiro Ozu n'a pas perdu de sa force ni de son émotion. Cernant sur plusieurs années l'évolution du rapport entre une mère ouvrière, Otsuke – incarnée par Choko Iida - et son fils Ryosuke rêvant de continuer ses études dans la grande capitale.

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    Le Fils unique émeut par son minimalisme et sa justesse dans le portrait des relations humaines. Il décrit, par petites touches, la lente amertume qui atteint la mère face aux efforts et aux déceptions de son fils unique, pour lequel elle a sacrifié ses économies pour lui permettre de recevoir une bonne éducation à Tokyo. Des années plus tard, alors qu'elle lui rend visite, elle s'aperçoit que son enfant se révèle déçu de sa condition, et gêné de la recevoir dans cet état. La justesse psychologique n'a pas perdu de sa force, le film misant en effet sur les non-dits et l'incompréhension régnant entre les personnages. Une réalisation douce suit de près ces jeux de distance et de rapprochement entre mère et fils, au travers de la visite de Tokyo ou de ses environs, comme une version minimaliste de Voyage à Tokyo.

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    Un personnage secondaire au récit offre un parallèle à cette situation, celui du professeur de Ryosuke, interprété par le fidèle Shisou Ryo. Il incarne un jeune professeur au début du film, qui part à Tokyo en partageant les mêmes espoirs que son élève. Plus tard, la mère le rencontre, s'apercevant que le brillant jeune homme, désormais marqué par la vieillesse, a dû se reconvertir en potier, en petit artisan peinant à survivre pour nourrir sa famille, mais semblant tout de même heureux. Le film est percé d'ambiguïté face aux carrières déçues de ces protagonistes, nourries d'une certaine réalité : les personnages balancent entre leur bonheur, modeste et paisible, et leur regrets de n'avoir pas pu réaliser ce qu'ils espéraient.

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    La réalisation d'Ozu embrasse ce sentiment de déception avec toute la patience requise, offrant au regard une douceur percée de cruauté. Que ce soit par le retour du soir dans un quartier délabré, loin de l'image bouillonnante et populaire de Tokyo, ou par la promenade en apparence paisible mais marquée par la distance au milieu des champs, le Fils uniquen'a pas perdu de sa force mélancolique. 

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  • Lettre à Momo

    Momo et les monstres

    MOMO E NO TEGAMI - LETTRE A MOMO (2012) – Hiroyuki Okiura

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    Production du studio d'animation I.G. , avec lequel collabore Mamoru Oshii, mais qui a aussi apporté d'excellentes série tels que Kuroko no Basket, Psycho-Pass ou encore Attack on Titan – le dernier chouchou des passionnés de l'animation – Lettre à Momo arrive enfin sur nos écrans français, plus d'un an après sa sortie au Japon, mais uniquement sur une poignée d'écrans parisiens.

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    Lettre à Momo s'inspire de deux veines : d'une part, l'imaginaire relatif aux yokais, ces créatures à la fois Dieux, gardiens et esprits maléfiques, qui hantent les maisons anciennes et les livres de légende ; d'autre part, cet esprit paisible des campagnes japonaises qui constituent le fond pittoresque de bon nombre de films d'animation. L'arrivée de la jeune Momo dans sa nouvelle maison rappelle ainsi le prélude de Tonari no Totoro (Hayao Miyazaki) ou certaines scènes d'Ame et Yuki les Enfants-loups (Mamoru Hosoda), mais se révèle plus proche, sur la suite du récit, de l'atmosphère de la très belle série Natsume Yuuchinjou (Le Pacte des Yokais pour sa traduction française). Dans cette dernière, le jeune Natsume devient l'héritier du Livre des Yokais et se voit contraint de faire face et de supporter la présence bien souvent envahissante et tonitruante d'esprits que lui seul peut voir. La série suit ses aventures dans une forme de nonchalance paisible, accordant beaucoup d'espace à la nature, mais également aux phénomènes d'apparition des monstres. Il en est de même pour Momo e no Tegami, où la réalisation laisse le temps aux trois yokais d'apparaître devant Momo, notamment avec un jeu progressif dans l'animation. Les formes d'abord inconstantes qu'aperçoit Momo, de même que les voix dont elle reçoit des échos, s'affinent peu à peu, au fil de ses tentatives d'échappées, jusqu'à se concrétiser dans une étonnante scène sous les éclairs d'un orage. Cette approche progressive donne au film son condensé d'humour, d'autant plus que la jeune Momo, renfrognée et distante au début, se transforme vite en une fillette à l'hystérie aussi vive que les traits marqués des monstres auxquels elle est confrontée.

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    Natsume Yuuchinjou

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    Lettre à Momo

    Cependant, cette progression participe au grand défaut du film, à savoir son rythme ronronnante, nonchalant. Dans le cadre d'une série comme Natsume Yuuchinjou, cette lenteur de rythme fonctionnait car elle donnait son atmosphère mystique et étrange à l'ensemble. Mais, dans le film de Hiroyuki Okiura, elle paraît parfois agaçante, empêchant le film de véritablement décoller et devenir plus fantaisiste, loin des effets flamboyants de parades observés dans Le Voyage de Chihiro ou encore Paprika. Hormis le final efficace du film, avec une course sous un typhon évoquant Ponyo, les autres séquences d'action déçoivent, certes dynamiques dans leur animation, mais néanmoins classiques ou sans grande originalité. La séquence avec les sangliers, par exemple, se révèle ainsi amusante, mais sans grand intérêt dans ce qu'elle apporte au récit, et notamment au ressenti personnel de Momo.

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    En effet, le récit implicite aux aventures des yokais, à savoir cette fameuse « lettre à Momo » qui confère son titre au film, reste plus intéressant. L'ensemble du film aurait pu trouver plus de délicatesse et de maturité grâce à cette très jolie idée de base, cette lettre mystérieuse, inachevée, que Momo retrouve dans le bureau de son père peu de temps après son décès. Avec cette rencontre fantastique, la Momo déprimée qui ouvre le film, amorphe lorsqu'on lui parle, redevient sociable et dynamique, en réaction à ce qui lui arrive. Ce qui se révèle ainsi très beau dans le film, c'est ce progressif retour à la vie qui traverse le personnage, et qui s'effectue au travers de ces aventures. Dommage que le film reste dans un divertissant récit d'aventure plutôt que dans cette lecture.