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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 18

  • Goshu le violoncelliste

    GOSHU LE VIOLONCELLISTE (1981) – Isao Takahata

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    Bien avant la création du studio Ghibli avec Hayao Miyazaki et le producteur Toshio Suzuki, Isao Takahata avait réalisé Goshu le violoncelliste, un petit film d'une heure initiant à la musique à travers le personnage de Goshu, jeune mélomane engagé dans un petit orchestre. A la veille d'une représentation, le musicien se fait sérieusement disputer par son chef d'orchestre, qui critique son jeu beaucoup trop lent et le décourage de toute interprétation.

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    Tout comme Piano Forest bien des années plus tard, l'animation est le moyen de transfigurer la vibration musicale et de laisser libre cours à l’expérimentation. Dès la scène d'ouverture, l'espace rural se transforme, en proie à une tempête dont la progression et la violence sont rythmées par le morceau répété par l'orchestre dans lequel joue Goshu. Par la suite, chaque intervalle musical, porté par un animal – le chat, le coucou, le tanuki et les souris – sera accompagné d'une vibration dans l'animation : de la dissonance expérimentale pour le chat à l'harmonie sensuelle pour les souris, chacun permet d'explorer, dans un minimalisme constant, une nouvelle facette de la musique. L'ensemble se prête presque à un film muet : les dialogues sont au final peu utiles, servant surtout à rétablir l'honneur du violoncelliste et à lui redonner confiance en lui, car c'est la précision de l'animation, des mimiques prêtées ou des gestes imprimés, qui en disent bien plus sur la psychologie et le ressenti de chacun. Nul doute que cette ambition passe à travers une séquence hommage où les villageois viennent assister à la projection d'un cartoon, tandis que joue l'orchestre, dans le petit cinéma de province.

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    On retrouve dans ce film le sens du quotidien propre à Takahata. En filigrane de l'évolution de Goshu se dessine un quotidien, paisible, au rythme bien plus latent et doux que ce que vit pendant plusieurs nuits le violoncelliste. Les paysans travaillent leurs champs, les charrettes se trimballent nonchalamment sur les routes de campagne, les enfants s'amusent au cinéma où sont projetés des dessins animés, et les animaux continuent d'aller et de venir sous le parquet de la demeure de Goshu. Au-delà de la réconciliation du personnage avec sa musique et son instrument, c'est peut-être aussi la modeste satisfaction de pouvoir vivre ce quotidien, de pouvoir y trouver sa place comme le démontre la séquence finale du film, qui importent le plus.

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  • Takeshi's

    Figures du clown

    TAKESHI'S (2005) – Takeshi Kitano

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    Dans Dolls (2002), les personnages, vides d'émotion et lassés de leur existence, traversaient des magasins emplis de masques de théâtre No ou de moulins à vent colorés. Le contraste est inversé dans Takeshi's : les nombreux protagonistes du film se baladent dans des décors typiques ou banals, mais sont affublés de costumes aux couleurs pétantes, maquillés à outrance, ou agissent volontiers dans le grotesque.

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    Kitano s'amuse à renverser, dédoubler, contraster les figures diverses et variées : deux Kitano dans le cadre, l'un narcissique et odieux, l'autre pathétique et timide, se font face, comme deux Tweedle Dee et Tweedle Dum, eux mêmes incarnés à travers deux jumeaux obèses croisés plusieurs fois dans le film. Les personnages trouvent leur sosie, les apparences se déchirent, et les plus humiliés se rebellent jusqu’à arriver à un final à la fois anarchique et plastique, le genre de final qui aurait pu conclure Achille et la Tortue. Kitano renoue avec la folie débridée présente dans certaines de ses réalisations potaches, donnant lieu à certaines scènes d'une poétique absurde. Lors d'une virée nocturne à bord d'un taxi, le Kitano humilié rencontre une série de protagonistes fardés et costumés, qu'il trimballe au beau milieu d'un champ de bataille de zombies, tournant à dérision le genre et créant une étrange séquence burlesque de déambulation parmi des cadavres étendus le long de la route.

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    Dans cet amusant jeu de dédoublement et de renversement, créant à la fois la surprise et un absurde délicieux, intervient la partie la moins intéressante du film, à savoir le jeu de l'auto-citation. Kitano parodie ses propres films, et aligne les clins d'oeil à ce qui a fait sa renommée, exercice un peu inutile tant son œuvre et ses scénarios témoignent d'emblée d'une sensibilité tapissée de thèmes uniques. Seul élément efficace parmi la flopée d'allusions, c'est ce formidable début de double mise en abîme, où le film commence par une parodie diffusée dans un téléviseur face à des yakuzas jouant au mah-jong. On retrouve dans ce court segment la quintessence du cinéma kitanien dans ce qu'il de meilleur en quelques minutes : lunettes noires et cheveux blonds, rigidité des actants, mise en scène millimétrée, action chorégraphique, explosion de fureur après le calme, et final sous une musique élégiaque et une solitude désabusée.

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    Takeshi'speut être vu comme une pitrerie, un acte de déclinaison des éléments de l'oeuvre de Kitano, du plus fascinant au moins amusant, parfois inégal, parfois trop riche en idées, mais témoignant de ce sens de la dérision constante que peu de cinéastes partagent. 

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  • Trio Miyazaki

    TRIO MIYAZAKI

    Formé par la joueuse de kôto Mieko Miyazaki, l'accordéoniste Bruno Maurice et le violoniste Manuel Solans, le Trio Miyazaki donnait en concert ses créations ou ses reprises à la Maison de la Culture du Japon samedi 9 février. Un public attentif salua la performance des trois musiciens qui ont su allier, au travers de reprises ou de créations, les sonorités et les rythmes de leurs instruments si différents.

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  • Charisma

    Racines de l'esprit 

    CHARISMA (1999) – Kiyoshi Kurosawa

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    Charisma est loin d'être l'un des films les plus terrifiants de Kurosawa, si l'on doit prendre en compte le critère d'épouvante dans l'analyse de son cinéma. Charisma est bien plus une peinture sociale, psychologique, d'un groupe d'individus tombant peu à peu dans le chaos face à la vision obsessionnelle d'un arbre luttant pour survivre dans une forêt qui meurt. Essayer de trouver une quelconque instance écologique dans le film de Kurosawa serait vain et naïf, car, au-delà des luttes entre un groupe d'activistes des forêts, un jeune fanatique, ou une professeur en biologie étudiant la forêt, se joue bien plus la déroute d'individus. Car, dans cette forêt perdue se retrouvent des individus désaxés et en proie à la solitude et au délaissement uniquement. L'officier Yabuike, incarné par l'acteur-fétiche de Kurosawa, le ténébreux Kôji Yakusho, se retrouve en effet mis de force en congé par ses supérieurs et part dans une dérive totale.

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    Si le scénario accumule des maladresses, ou beaucoup d'incompréhensions, la force de mise en scène de Kurosawa dans cet espace prend une véritable ampleur dans son aspect mystique et étrange. Le décor est éclairé de manière quasi expressionniste, jouant sur les brouillages de formes, l'agression des courbes et l'enchevêtrement des branches d'arbre, créant une réelle confusion dans l'interprétation de ce qui se passe dans le champ. Cette même confusion, ce chaos à l'image du doute intérieur propre au personnage de l'officier - qui fait face à un dilemme – finit par même s'infiltrer dans certains intérieurs, par habiter proprement tout l'espace et toute la scénographie. Une entreprise de contamination fortement fascinante qui s'infiltre même dans les esprits, cela étant sans cesse suggéré, notamment par un étrange plan partageant la subjectivité de Yabuike, où l'officier tourne la tête vers le ciel et aperçoit une immense masse sombre s'assimilant à une explosion apocalyptique. Comme si les racines de cet arbre vénéré venaient autant polluer le sol que l'esprit.

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    Cependant, au-delà de son esthétique chaotique, le film pêche par son manque de cohérence et de clarté. A trop vouloir brouiller l'intrigue autant que son image, Charisma s’enlise dans une succession de séquences elliptiques et par trop herméneutiques, laissant juste émerger la folie sans trop lui donner de direction ou un regard plus pertinent.

  • X 1999

    X THE MOVIE (1999) – Rintaro

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    Produite par Madhouse, l'adaptation du célèbre manga éponyme de Clamp par Rintaro s'avère surprenante. Le film se débarrasse de toutes instances narratives ou des nombreuses histoires parallèles présentes dans le manga pour privilégier uniquement une lecture onirique et expressionniste des thèmes abordés dans l'histoire fantastique. Le tragique y occupe une place primordiale, puisque Rintaro choisit une des fins les plus désespérés

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    Le postulat de X peut se révéler simple, notamment parce qu'il découle de la tragédie grecque et de l'Apocalypse de St-Jean : deux amis, pour sauver la femme qu'ils aiment, s'entredéchirent au sein des gratte-ciels de Tokyo, la mort de l'un ou de l'autre pouvant décider de l'avenir de la Terre. Le scénario du film choisit de respecter l'ambiguïté de son héros, Kamui, sorte de victime sombre qui ne se soucie en aucun cas du cas de Tokyo mais se retrouve propulsé face à son destin inévitable. En revanche, il évacue toute caractérisation des autres personnages pour se concentrer sur le ressenti de Kamui uniquement. Ces choix font que X 1999, pour toute personne ne connaissant pas un minimum les ficelles du récit et le rôle des protagonistes, peut sembler très confus, voire chaotique. Car Rintaro privilégie l'expressivité du tragique et du sentiment de la catastrophe aux explications.

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    Ce choix fait que le film balance entre deux points : d'une part, il manque singulièrement de profondeur psychologique et semble portraitiste ses personnages en traits rapides et grossiers, certains étant même totalement sacrifiés ; d'autre part, il présente un intérêt visuel et lyrique plutôt novateur pour son époque. Il est dommage que le film fasse l'impasse sur ce qui se révélait véritablement intéressant dans le manga, autrement dit l'ambiguïté relationnelle qui se mettait en place entre certains protagonistes de camps opposés, relations qui complexifiait l'intrigue et donnait une certaine variété émotionnelle. Cependant, les choix stylistiques de l'équipe de Rintaro donnent une véritable force expressive aux sentiments contradictoires du héros Kamui : tout le film se bâtit comme une longue hypnose étrange et angoissante, peuplé d'images traumatiques, où le graphisme impressionnant annonce ce qui fera la force de Metropolis. Une adaptation ainsi inégale mais loin d'être dénuée d'intérêt. 

  • 2/Duo

    Une Répétition qui implose

    2/DUO – Nobuhiro Suwa (1996)

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    2/Duo, un film datant de 1996 mais qui s'avère encore incroyablement pertinent aujourd'hui.

    2/Duo est une forte surprise. Réalisé avec de petits moyens, se limitant à l'observation d'un jeune couple implosant peu à peu, le film de Nobuhiro Suwa réussit à cerner, avec justesse et précaution, une forme de schizophrénie que beaucoup de cinéastes représentent en traits grossiers ou symbolisme forcé. Nobuhiro Suwa réussit à cerner, dans un registre plus réel et une esthétique plus documentaire, l'ambiguïté de la schizophrénie, sans tomber dans le pathétique ou la facilité. Le film réussit là où d'autres, comme Darren Aronofski avec Black Swan, ont échoué : laisser une marge de liberté à la folie de ses personnages, et ne jamais limiter leur caractérisation à une unique lecture psychologique. Le choix du plan-séquence donne, en ce sens, une véritable force et épaisseur à la névrose, et lui confère sa part obscure et incompréhensible. La mise en scène fine et le jeu, brillant, des acteurs donnent à la schizophrénie sa part d'insaisissable et d'étrangeté, semant toujours un doute progressif chez le spectateur. Le petit appartement réconfortant du début se transforme peu à peu en bulle étouffante, où implose peu à peu le couple, qui se déchire, se répète, se sépare à travers d'infimes indices ou dialogues.

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    Car c'est là toute la force de 2/Duo : comment incarner, à l'écran, par la mise en scène, les choix de réalisation, cette idée si implicite de l'implosion. L'esthétique documentaire saisit les moments de doute ou de désoeuvrement des personnages, le cadre étant toujours volontairement décalé. Les personnages ne sont jamais totalement montrées, toujours cachés derrière un pan de mur, une fenêtre, une mèche de cheveux. En outre, le rapport à la répétition dans les dialogues, mais également dans les gestes, traduit un aspect névrotique fortement dérangeant. Dans l'une des séquences, le jeune homme lance rageusement le linge étendu dehors sur sa femme, jetant chaque vêtement à sa figure dans une violence progressive. Cette implosion n'est cependant pas sans lien avec le monde extérieur, qui apparaît bien souvent morcelé, presque sans identité, contribuant à cloisonner encore plus les personnages avec eux-mêmes.

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    Mais ce déchirement ne se départit pas d'une certaine poésie ou d'un certain lyrisme. Le personnage de la jeune femme (Yu Eri), en particulier, est filmé de manière à ce qu'il finit par échapper au regard du cameraman, parallèlement à celui de la société, alors qu'il semblait être le plus ordinaire et familier au départ. Yu, après sa disparition hors de la narration et du cadre, réapparaît changé, libre, insaisissable parmi les herbes folles, mais d'une réelle beauté mystérieuse.

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  • Si tu tends l'oreille...

    MIMI WO SUMASEBA –

    WHISPER OF THE HEART – SI TU TENDS L'OREILLE (1997)

    Un film de Yoshifumi Kondo

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    Il était temps de découvrir Mimi wo Sumaseba, film du studio Ghibli, réalisé par un assistant de Hayao Miyazaki, et scénarisé par ce dernier. Le film est malheureusement quasi introuvable en DVD et c'est en ligne que je pus le découvrir, en version originale. Le postulat de Mimi wo Sumaseba donnera lieu, en 2002, à la sortie du Royaume des Chats (Hiroyuki Morita), sorte de mise en abîme, puisqu'il s'agit de l'adaptation libre du roman fictif écrit par la jeune héroïne de Mimi wo Sumaseba. 

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    Le film est réalisé par Yoshifumi Kondo, un des membres actifs du studio Ghibli dans les années 1980-90, longtemps perçu comme le successeur de Hayao Miyazaki, et malheureusement brusquement décédé en 1998, peu de temps après la sortie de Princesse Mononoke.

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    Le film suit le quotidien d'une jeune collégienne, Shizuku, plus passionnée par la lecture de contes de fées et de récits de légende plutôt que par ses études, vivant dans une famille modeste louant un appartement dans un grand immeuble. C’est peut-être l'un des points qui distingue Mimi wo Sumaseba des autres films de Miyazaki, et qui donne son charme au film. Nous ne sommes plus dans un univers fantastique et enchanteur, mais dans un quotidien familier, modeste, et typique d'une jeune collégienne, rappelant la paisibilité du rythme de Omoide Poroporo (Isao Takahata). C'est en outre un des rares films Ghibli à avoir un ancrage dans le monde de l'école. Entre les après-midis à la bibliothèque et les examens de fin d'année, Shizuku croise sa mère qui a repris des études et raconte ses aventures dans la faculté, son père d'une paisible fatigue après son travail, sa sœur de retour pour prendre momentanément le rôle de « mère de famille », faisant le ménage, les repas, et les courses dans le petit appartement. Les décors fourmillent de détails quotidiens qui ramènent à notre propre intimité familiale : livres qui traînent sur le bureau de Shizuku, repas partagés parmi les bavardages et les plats entrechoqués sur la petite table, tancarvilles pleins de draps propres qui envahissent le balcon et le salon. Curieusement, alors qu'il fait parti des introuvables Ghibli en France, Mimi wo Sumaseba s'avère très réaliste et facilement accessible pour un spectateur occidental.

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    Dans cet univers réaliste va s'insérer de jolies touches féeriques, à travers un chemin d'indices de plus en poétiques. Tels les personnages de contes ou de récits (on songe au Petit Poucet, à Hansel et Gretel, Casse-noisette, ou Alice au pays des merveilles), Shizuku se perd dans la ville en voulant suivre un chat étrangement expressif, et atterrit dans un quartier isolé. L'atmosphère a toujours été un point fort chez Ghibli et Mimi wo Sumaseba n'échappe pas à la règle : le magasin du grand-père se révèle une merveilles d'objets trouvés et de surprises, brassant légendes romantiques et leçons philosophiques, et c'est précisément dans ce cadre détaché du quotidien très classique de Shizuku que vont se dérouler les plus belles séquences du film, telle celle du morceau de musique improvisé « en live » un soir d'été.

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    Enfin, Mimi wo Sumaseba suit et esquisse les premiers pas de l'adolescence vers laquelle affleure son héroïne. Il est certes question de premiers émois amoureux, et de désir, mais également de rapport au monde adulte et à la société. A travers le monde scolaire, on retrouve les premiers questionnements adolescents : balbutiements amoureux de la meilleure amie de Shizuku, poids des examens (sans cesse rappelés dans les dialogues) en toile de fond, préadolescence, désir de trouver au plus vite un métier et de gagner son autonomie. En cela, le film rappelle beaucoup La Colline aux coquelicots (Goro Miyazaki) où la fantaisie est certes moins présente, mais la texture psychologique et narrative très similaire au film de Kondo. Car, au final, Mimi wo Sumaseba transcrit à travers l'imaginaire et l'histoire d'amour de Shizuku l'arrivée de sa volonté d'indépendance et de liberté. 

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  • Kaikisen

    KAIKISEN – Retour vers la Mer

    Satoshi Kon

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    Avant de travailler dans le domaine de l’animation, puis de devenir le réalisateur célèbre qu'il est aujourd'hui, Satoshi Kon a débuté, comme beaucoup de ses confrères, dans le manga. Publié en 1990, Kaikisen est un des premiers mangas de Satoshi Kon, écrit peu de temps après la réalisation d'Akira (Katsuhiro Otomo). Le manga raconte, sur une bonne centaine de pages, l'histoire de Yosuke, le fils du prêtre du port d'Amidé, dont la famille a la charge de garder l' « œuf de l'Ondine », suite à un pacte légendaire. L'arrivée de promoteurs ayant le projet de transformer Amidé en station balnéaire va bouleverser son quotidien, et provoquer d'étranges phénomènes autour de cet œuf conservé et de la mer.

    Kaikisen – retour vers la mer, est le seul manga de Satoshi Kon publié à ce jour en France. L'édition française est de fort belle qualité, avec une biographie plutôt complète à la fin du récit. Outre Kaikisen, il y a une nouvelle additionnelle sur le registre du comique à la fin du manga, mais elle se révèle plutôt sans intérêt. Autrement, la qualité d'imprimerie est très bonne, ce qui est toujours appréciable pour la lecture (trop de mangas, même écrits par de grands auteurs, sont publiés dans une qualité déplorable, où certaines pages sont parfois entièrement floues et les dialogues illisibles).

    Ce qui frappe à premier vue, c'est l'extraordinaire qualité du trait de Satoshi Kon et son sens du découpage. Le dessin est clair, propre, très réaliste dans les décors, et l'influence du cinéma se fait déjà ressentir dans les choix. C’est sur ce point que l'on peut le plus déceler la marque du futur cinéaste : le découpage et l'évolution du récit partagent des codes hollywoodiens, intercalant les cases de différentes actions comme dans un montage alterné, jouant admirablement sur les différences d'échelle en fonction de l’intensité dramatique. En outre, les séquences fantastiques sont d'une réelle beauté dans le graphisme, avec un impressionnant souci du détail entièrement assumé. Certes, on ressent l'influence de Otomo dans l'esthétique des personnages, mais le travail sur l'environnement naturel et le fantastique rappellent plus le final de Roujin Z (sur lequel Kon a été Art Designer) et les mondes imaginaires de Paprika.

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    Cela dit, au-delà de l'aspect graphique, le scénario est loin d'atteindre la subtilité des récits des longs-métrages du cinéaste. Bien au contraire, on retrouve des thèmes très éloignés de ceux qui jalonnent Perfect Blue, Millenium Actress ou Tokyo Godfathers. La présence de l'Ondine et le rapport à la légende peut à la limite se retrouver dans une des nombreuses incarnations de Paprika (elle se transforme en sirène dans l'une des séquences du film). Autrement, le postulat écologique et l'affrontement entre le village et les industriels s'avèrent sans grande originalité et étonnent plutôt vis-à-vis du travail de Kon. Le récit est des plus classiques, inspiré par une légende traditionnelle et portée par un sens de l'action plutôt bien mené. Mais les personnages restent assez plats et sans réelle présence. On reconnaît par ailleurs plus le style d'Otomo avant tout, style qui a probablement inspiré le jeune Satoshi Kon dans sa jeunesse avant qu'il ne trouve ses marques. Bref, bien une œuvre de jeunesse qui confirme un travail de dessinateur et de graphiste, mais pas encore de réel créateur.

  • Antarctic Journal

    NAMGEUK-ILGI / ANTARTIC JOURNAL (2005)– Yim Phil-Sung

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    Pour son dernier film (réalisé après l'inégal mais non moins intriguant Hansel et Gretel), Yim Phil-sung a su réunir un casting de rêve, confrontant d'excellents acteurs sud-coréens à une épreuve antarctique, mais emprunte très maladroitement les chemins de The Thing et du film d'épouvante. Ne le cachons pas, Antartic Journal, malgré tous les efforts de ses acteurs et le soin accordé à une réalisation plus qu'impressionnante par son ampleur, est loin d'être une réussite. La faiblesse du scénario, qui s'appuie sur un long cheminement de signes maléfiques un peu ridicules aboutissant à une explication psychologique sans finesse ne fait qu'alourdir des choix de direction et de mise en scène peu originaux. Le film donne ainsi la sensation d'assister à un immense gâchis, où toute la beauté de la réalisation et le rendu du long périple dans la neige et le froid se dégonflent progressivement pour laisser apparaître la vacuité de ce film. Le récit n'a absolument rien à dire, et les efforts de jeu et de roulades dans la neige de Song Kang-ho, Park Hee-Soon, ou Yoo Ji-tae ne suffisent pas à colmater cette absence de propos.

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  • Ame et Yuki les enfants loups

    AME ET YUKI, LES ENFANTS LOUPS (ÔKAMI KODOMO NO AME TO YUKI) – Mamoru Hosoda

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    Après La Traversée du temps, et Summer Wars, Mamoru Hosoda présente, toujours sous l'égide du studio Madhouse, son nouveau film Ame et Yuki, les Enfants-Loups. Le film s'inspire d'une légende imprégnant la région natale du réalisateur et se distingue de ses précédents films, d'une part par le virage vers un fantastique bien plus affirmé, même de merveilleux (l'élément surnaturel est en effet inhérent dès le début du film, il n'y a pas de surgissement comme dans La Traversée du temps), d'autre part par la plus grande maturité et complexité des thèmes abordés.

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    Le pari d'Ame et Yuki est de faire saisir des notions d'acceptation de la différence en plaçant directement le récit du côté de ceux qui ne sont pas humains, ou le sont à moitié. Pas de stigmatisation chez Mamoru Hosoda, qui accepte le sujet et l'étrangeté de la métamorphose aussi simplement que Hana accepte le corps hybride de celui qu'elle aime. Le première partie du film est bouleversante de pudeur et de justesse, rappelant les tableaux d'instants de vie du couple de Up !de Pixar. Avec douceur, Hosoda esquisse en courts tableaux d'une animation fragile les premiers instants de la vie de couple, la timidité, l'attente, l'émerveillement, la mort et la solitude se précipitant.

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    Disons le bien, le film d'Hosoda est tout d'abord un vibrant portrait de femme, ou en particulier de jeune mère, une étudiante très brutalement confrontée à la responsabilité adulte. Les corps des enfants-loups ne sont ainsi pas les seuls à évoluer, car c'est également celui de Hana, la mère, qui subit des évolutions, certes plus subtiles, mais néanmoins essentielles à sa personnalité. Le corps de la jeune étudiante introvertie du début du film gagne peu à peu en maturité et assurance sans pour autant perdre totalement de sa fragilité de base, ce que la séquence finale dans la forêt prouve bien. Face à l'agitation de ses enfants, Hana se prend coups et blessures de manière presque burlesque par moments et ne cesse de se remettre de ces péripéties. C'est le symbole du courage pour Hosoda, image de mère totalement nouvelle et très bénéfique à son cinéma, où La Traversée du Temps et Summer wars pêchaient par l'absence d'évolution psychologique ou leur grande naïveté. Ici, avec Ame et Yuki, le scénario confère une vraie épaisseur à ses personnages, notamment parce qu'il suit une ambitieuse évolution sur plusieurs années.

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    Après le personnage de la mère, revenons aux deux enfants en pleine croissance. Le film use habilement du postulat fantastique pour incarner la métaphore de l'enfance et de l'adolescence et de ses multiples complications. Tout comme chez Miyazaki (chez qui la mère a aussi une importance prépondérante), l’animation d'Ame et Yuki est le médiateur vers toutes les possibilités corporelles, en particulier de transformation, ce qui donne lieu à de nombreuses scènes burlesques où la petite fille Ame se transforme en loup à la moindre crise de colère. Maîtriser sa transformation revient peu à peu à quitter la spontanéité de l'enfance pour Ame et Yuki. Chacun va y répondre de manière différente, se répondant en miroir : la débordante de vie et de curiosité Yuki va devenir une fille très sage, prête à tout pour ressembler à un véritable humain ; tandis que le peureux Ame finit par développer une farouche indépendance, se tournant vers l’existence animale. Le film tisse habilement ce jeu permanent de miroir au fil des saisons, alternant séquences comiques et mélancoliques, monde des humains et monde naturel. Cependant, que ce soit dans la sphère humaine ou dans la sphère naturel, le scénario pointe à chaque fois le revers de l'un ou de l'autre, et la propension de chaque sphère à pouvoir exclure les enfants, qui se trouvent sans cesse ballotés entre les deux. La dualité joue habilement sur tous les plans, et sur les niveaux, et permet d'amener beaucoup d'émotions au cours du film.

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    Le trait et l’animation d'Ame et Yuki s'avèrent plus légers que pour La Traversée du temps ou Summer Wars. Ce dernier présentait par exemple une stylisation hautement impressionnante et riche du monde du jeu video et de la virtualité, très précise et multiple. Là, Ame et Yuki base sa complexité dans les décors et l’animation de la nature, et se permet plus de souplesse dans les traits des personnages. Ceux-ci, par leur étonnante facilité d'identification, se fondent ainsi dans le paysage, s'y mélangent presque, dans de jouissives échappées naturelles et merveilleuses (la séquence des premières neiges...). Ce n'est pas par hasard si les noms se réfèrent à des éléments naturels, Ame, la pluie, Yuki, la neige, Hana, la fleur, car les personnages se retrouvent imprégnés de manière très belle dans le paysage ou le cadre naturel.

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    Mais attention, n'allons pas chercher chez Hosoda un successeur de Miyazaki, ou quoi que ce soit dans l'idée du prolongement ou de la relève. Tout d'abord parce qu'Hosoda est issu du studio MadHouse (qui coproduit le film avec le récent studio Chizu), très différent de celui de Ghibli dans sa production et dans sa manière d'aborder l’animation. Chercher l'idée de la succession de Miyazaki n'a pas de fondement. On peut y reconnaître l'influence des thèmes du grand cinéaste, en particulier le rapport à la maternité – et non pas le rapport à l'écologie qui est ancré depuis bien plus longtemps dans l'esprit japonais, et qui s'est illustré dans bien d'autres oeuvres que celles de Miyazaki – mais il ne faut pas y chercher une réincarnation de son cinéma. Car Mamoru Hosoda a bien sa patte personnelle, présente dès la Traversée du temps, à savoir un traitement plus naïf qu'épique des événements, le frottement entre l'ordinaire et l'extraordinaire, et le choix d'une plus forte expressivité dans les silhouettes par la souplesse et l'efficacité du trait. Ame et Yuki permet au cinéaste de perfectionner ces caractéristiques tout en y apportant une touche plus émouvante, se rapportant plus fortement au rapport à la famille ou au relationnel.