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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 18

  • Colorful

    Le Tableau

    COLORFUL (2010) – Keiichi Hara

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    (Merci à Louise !)

    Après Un Été avec Coo, déjà une agréable surprise, Keiichi Hara nous a proposé Colorful il y a deux ans, un film déjà plus largement distribué que son premier long-métrage. Cependant, en dépit des apparences (et d'une campagne de promotion encore une fois mal conçue en France, visant le jeune public et ne présentant le film que dans le secteur animation jeunesse de la plupart des magasins), Colorfuln’est en rien un film destiné à des enfants. Les thèmes abordés, et plus que tout les dialogues et scènes développés se révèlent d'une complexité humaine très particulière, mettant en avant les rapports de cruauté qui peuvent apparaître au sein d'une famille ou d'un environnement scolaire. Même si le protagoniste principal est un enfant de 15 ans, le film débute par la réincarnation de l'âme d'une personne morte dans son corps, se réveillant à l'hôpital et apprenant que le garçon dont il vient juste de récupérer l'identité a tenté de se suicider. Le film mêle à la fois l'enquête menée pour tenter de comprendre les raisons du suicide du collégien Makoto Kobayashi, et la tentative d'insertion de l'âme à qui l'on a confié cette « 2ème chance », instance narratrice du film, et peu prête à commencer une nouvelle vie dans un corps et un contexte qu'elle ne connaît pas. L'âme est accompagnée en outre d'un petit gardien, Puru-Puru, vêtu et coloré tout de gris et invisible du reste des humains.

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    Le résumé du film, encore plus que les images et le tracé régulier, simple et léger de Keiichi Hara, ne présagent pas la profondeur des thèmes abordés. C'est peut-être là le secret de l'alchimie chez Hara, un cinéaste qui prouve avec ce second long-métrage une bien plus belle sensibilité, plus affinée que celle de Mamoru Hosoda (La traversée du temps, Summer Wars, Ame et Yuki). Colorful, encore plus qu'Un été avec Coo, allie avec grâce le paisible et la cruauté, la violence psychologique au lyrisme, le désespoir à l'espoir. Son scénario déploie, sur une durée de deux heures, un long cheminement vers l'acceptation, ne se réfugiant pas dans la facilité, préférant nous faire ressentir la peine et la difficulté de la réincarnation. Alors que tous les ingrédients sont là pour basculer dans le fantastique ou les effets spéciaux, Hara prend le contrepied avec un traitement réaliste et très humain de son scénario, tout comme il l'avait fait avec le récit de l'affolement médiatique autour du kappa Coo dans son précédent film.

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    Au final, la seule scène fantastique et irréelle du film reste la séquence d'ouverture. Mais même celle-ci reçoit un traitement particulier, très personnel de par son minimalisme. La réalisation nous fait partager, en vue subjective, les premières visions du passage à l'au-delà, et les interrogations intérieures sont transcrites par des cartons insérés, comme un film muet. L'image est volontairement floue, baignant dans des superpositions de silhouettes et de lumières faibles, d'où émergent seulement une figure nette, celle de Puru-Puru. Autant dire que la représentation de l'au-delà se révèle quasi inexistante et d'une grande sobriété dans le film. L'animation est, réaffirmant par ailleurs une tradition partagée par une grade part des films d'animation japonais, bien plus une confrontation à la réalité et à sa complexité, dans tout ce qu'elle a d'éphémère et d'inattendu. Hara confirme dans ce choix son rapport très personnel avec le cinéma d'animation, se forgeant un style avant tout marqué par l'intimité et la délicatesse.

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    En effet, le film nous fait partager les difficultés relationnelles de Makoto avec sa « nouvelle » famille et ses « nouveaux » camarades de classe. Les scènes familiales se révèlent très fréquentes, notamment celles des repas, perpétrant une filiation avec le cinéma d'Ozu ou plus récemment celui de Kore-eda (Nobody Knows ; Still Walking) et chacune d'entre elle montre subtilement les tensions, la pudeur ou l'incompréhension. Par exemple, Makoto, ne supportant pas la présence de sa mère, ne vient aux repas que parce qu'il s'y trouve la compagnie de son père et de son frère. Mais un soir, sa mère, gênée, lui explique qu'ils resteront seuls pour le repas. La tension se fait ressentir alors dans des choix très fins de réalisation, tant sur le dialogue que sur le rythme du montage qui laisse présager une inévitable dispute. Le graphisme soigné et harmonieux du film se plie admirablement à ce genre de scènes.

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    Face à ce réalisme psychologique, le choix d'un lyrisme prudent prend toute sa grâce, par contraste. Les tableaux peints par Makoto avant son suicide, en particulier, reflètent une dimension onirique, souvent cachés ou incrustés dans le cadre. Dans la chambre, espace étouffant où Makoto s'ennuie ou se terre la journée, les peintures disséminées sont autant d'espaces ouverts sur le ciel, paradoxalement poétiques pour un collégien s'étant suicidé, et annonçant la progressive réconciliation avec la vie du jeune garçon. A l'école, un tableau trône dans la salle du Club de dessin, tableau qui reviendra fréquemment hanter le film par les questions soulevées sur sa représentation : un cheval, pris dans un monochrome bleuté, semble s'ériger vers une sortie lumineuse, dans un espace aquatique ou céleste ? L'ambiguïté soulevée par la représentation du tableau incarne aussi l'un des moments de lyrisme du film, son in-animation en faisant justement la force.

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    Car, cette idée figurant déjà chez Satoshi Kon et ses nombreuses figures fixes et obsessionnelles, le choix d'éléments figés dans un film d'animation prennent une ampleur et une place considérable dans les intrigues, souvent un point fixe cristallisant une émotion. Ici, ce tableau se substitue à l'angoisse de Makoto, celle de ne pas pouvoir atteindre une identité et de trouver sa place, pris dans un mouvement d'hésitation entre le refus – et donc, la montée vers l'au-delà – et l'acceptation de la vie sur terre. Une autre très belle séquence, elle aussi jalonnée d'éléments fixes dans son montage, se révèle emblématique d'un changement dans la perception chez Makoto. Il s'agit de ce très beau passage, presque une pause documentaire, où Makoto rencontre son premier ami, un collégien passionné par l'histoire qui lui fait suivre le parcours d'un ancien tramway le long des rues. L'insertion de photographies en noir et blanc vient figurer cette histoire, créant une nouvelle topographie des lieux et des couleurs, brusque pause qui vient apaiser le rythme et nouer tendrement la rencontre entre les deux collégiens. A partir de là, l'espace et l'animation semblent s'ouvrir, revenant à la force tranquille de la nature qui figurait déjà dans un Été avec Coo, nature vue comme réconciliatrice et intemporelle. 

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  • Psycho Pass

    PSYCHO PASS (2012)

    Studio Production I.G. 

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    Il existe d'excellentes séries qui auraient déjà dû avoir leur article sur ce blog. Faute de temps, certains excellents ensembles – tels Durarara !! ou Tiger et Bunny – n'ont pas eu de mises en avant, malheureusement. Ici, cet article pour Psycho Pass, toute récente série dont la diffusion vient de se terminer au Japon et dont on peut espérer une sortie DVD en France, a pour but d'attirer l'attention sur l'extrême qualité de ce travail s'acheminant sur 22 épisodes.

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    Le scénario rejoint celui de ces grandes sagas futuristes où sont placés les éléments biotechnologiques du contrôle de l'être humain : ici un système baptisée Sybil capable de mesurer les coefficients de criminalité des habitants et d'en détecter ceux à risque. Dès lors, une brigade composée d'Inspecteurs et d'Exécuteurs (ces derniers anciens criminels se "rachetant" en participant aux enquêtes) se mettent à la poursuite des potentiels criminels. Entre leurs mains, le Dominator, une arme capable de décider du jugement final selon le taux mesuré, de la simple paralysie à l'exécution totale. Autant dire que ce postulat balance tout de suite Psycho Pass du côté de lourdes questions morales et éthiques. Pourtant, l'intelligence du scénario est de nous obliger à accepter le système durant les premiers épisodes, à nous habituer cruellement pour mieux déstabiliser par la suite. A partir du 4ème épisode, Psycho Pass se dirige en effet vers un brillant thriller empli de tension et de bouleversements psychologiques.

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    Le début de la série s'appuie sur un protagoniste féminin débutant en tant qu'inspectrice et facilitant à l'identification. Pourtant, même si le personnage de Akane fait preuve de plus d'humanité que son équipe, par un comportement naïf et aimable, elle est l'élément qui nous force à accepter l'univers si dérangeant de ce système Sybil. Malgré la violence qui la choque dans un premier temps, elle vit tout d'abord dans l'acceptation et montre combien le système est inscrit dans la quotidienneté. Evidemment, la force de la série est de nous montrer l'évolution de ce protagoniste, de ses relations avec les autres membres de l'équipe, de son rapport au système, mais aussi celle de tous les autres personnages. Là est un second point intelligent de Psycho Pass, c'est d'avoir réussi à dresser des portraits d'une grande complexité et d'une grande finesse. Face à Akane se dressent par exemple les deux personnages antagonistes se traquant tout au long de la série, l'Exécuteur Kôgami et le criminel Makishima, tous deux aux personnalités très marquées et dont les situations évoluent remarquablement au cours des épisodes, inversant les rôles. Le criminel Makishima incarne un personnage antagoniste d'un charisme et d'une complexité nouvelle.

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    Enfin, Psycho Pass se révèle une série très visionnaire et en rapport avec les évolutions de son temps. Au travers d'un scénario enquête hautement haletant et bien rythmé sont esquissées les grandes problématiques liées aux avancées technologiques : le désir et le danger de la maîtrise totale des esprits (dont les dérapages ne sont pas sans rappeler les films de Satoshi Kon, de sa série Paranoïa Agent à Paprika ; ou encore un univers à la Ghost in The Shell), l'incapacité à faire face à des cas extrêmes qui ne se plient pas au système, le dilemme face à une société lissée et abondante en failles et sacrifices. La finesse de l'écriture, alliée au graphisme et à l'animation très soignée et élégante, sont là pour donner une véritable épaisseur dramatique à ses thèmes, en manquant pas de soulever de nombreuses questions et d'ébranler le spectateur par une violence assumée. 

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  • Goshu le violoncelliste

    GOSHU LE VIOLONCELLISTE (1981) – Isao Takahata

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    Bien avant la création du studio Ghibli avec Hayao Miyazaki et le producteur Toshio Suzuki, Isao Takahata avait réalisé Goshu le violoncelliste, un petit film d'une heure initiant à la musique à travers le personnage de Goshu, jeune mélomane engagé dans un petit orchestre. A la veille d'une représentation, le musicien se fait sérieusement disputer par son chef d'orchestre, qui critique son jeu beaucoup trop lent et le décourage de toute interprétation.

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    Tout comme Piano Forest bien des années plus tard, l'animation est le moyen de transfigurer la vibration musicale et de laisser libre cours à l’expérimentation. Dès la scène d'ouverture, l'espace rural se transforme, en proie à une tempête dont la progression et la violence sont rythmées par le morceau répété par l'orchestre dans lequel joue Goshu. Par la suite, chaque intervalle musical, porté par un animal – le chat, le coucou, le tanuki et les souris – sera accompagné d'une vibration dans l'animation : de la dissonance expérimentale pour le chat à l'harmonie sensuelle pour les souris, chacun permet d'explorer, dans un minimalisme constant, une nouvelle facette de la musique. L'ensemble se prête presque à un film muet : les dialogues sont au final peu utiles, servant surtout à rétablir l'honneur du violoncelliste et à lui redonner confiance en lui, car c'est la précision de l'animation, des mimiques prêtées ou des gestes imprimés, qui en disent bien plus sur la psychologie et le ressenti de chacun. Nul doute que cette ambition passe à travers une séquence hommage où les villageois viennent assister à la projection d'un cartoon, tandis que joue l'orchestre, dans le petit cinéma de province.

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    On retrouve dans ce film le sens du quotidien propre à Takahata. En filigrane de l'évolution de Goshu se dessine un quotidien, paisible, au rythme bien plus latent et doux que ce que vit pendant plusieurs nuits le violoncelliste. Les paysans travaillent leurs champs, les charrettes se trimballent nonchalamment sur les routes de campagne, les enfants s'amusent au cinéma où sont projetés des dessins animés, et les animaux continuent d'aller et de venir sous le parquet de la demeure de Goshu. Au-delà de la réconciliation du personnage avec sa musique et son instrument, c'est peut-être aussi la modeste satisfaction de pouvoir vivre ce quotidien, de pouvoir y trouver sa place comme le démontre la séquence finale du film, qui importent le plus.

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  • Takeshi's

    Figures du clown

    TAKESHI'S (2005) – Takeshi Kitano

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    Dans Dolls (2002), les personnages, vides d'émotion et lassés de leur existence, traversaient des magasins emplis de masques de théâtre No ou de moulins à vent colorés. Le contraste est inversé dans Takeshi's : les nombreux protagonistes du film se baladent dans des décors typiques ou banals, mais sont affublés de costumes aux couleurs pétantes, maquillés à outrance, ou agissent volontiers dans le grotesque.

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    Kitano s'amuse à renverser, dédoubler, contraster les figures diverses et variées : deux Kitano dans le cadre, l'un narcissique et odieux, l'autre pathétique et timide, se font face, comme deux Tweedle Dee et Tweedle Dum, eux mêmes incarnés à travers deux jumeaux obèses croisés plusieurs fois dans le film. Les personnages trouvent leur sosie, les apparences se déchirent, et les plus humiliés se rebellent jusqu’à arriver à un final à la fois anarchique et plastique, le genre de final qui aurait pu conclure Achille et la Tortue. Kitano renoue avec la folie débridée présente dans certaines de ses réalisations potaches, donnant lieu à certaines scènes d'une poétique absurde. Lors d'une virée nocturne à bord d'un taxi, le Kitano humilié rencontre une série de protagonistes fardés et costumés, qu'il trimballe au beau milieu d'un champ de bataille de zombies, tournant à dérision le genre et créant une étrange séquence burlesque de déambulation parmi des cadavres étendus le long de la route.

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    Dans cet amusant jeu de dédoublement et de renversement, créant à la fois la surprise et un absurde délicieux, intervient la partie la moins intéressante du film, à savoir le jeu de l'auto-citation. Kitano parodie ses propres films, et aligne les clins d'oeil à ce qui a fait sa renommée, exercice un peu inutile tant son œuvre et ses scénarios témoignent d'emblée d'une sensibilité tapissée de thèmes uniques. Seul élément efficace parmi la flopée d'allusions, c'est ce formidable début de double mise en abîme, où le film commence par une parodie diffusée dans un téléviseur face à des yakuzas jouant au mah-jong. On retrouve dans ce court segment la quintessence du cinéma kitanien dans ce qu'il de meilleur en quelques minutes : lunettes noires et cheveux blonds, rigidité des actants, mise en scène millimétrée, action chorégraphique, explosion de fureur après le calme, et final sous une musique élégiaque et une solitude désabusée.

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    Takeshi'speut être vu comme une pitrerie, un acte de déclinaison des éléments de l'oeuvre de Kitano, du plus fascinant au moins amusant, parfois inégal, parfois trop riche en idées, mais témoignant de ce sens de la dérision constante que peu de cinéastes partagent. 

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  • Trio Miyazaki

    TRIO MIYAZAKI

    Formé par la joueuse de kôto Mieko Miyazaki, l'accordéoniste Bruno Maurice et le violoniste Manuel Solans, le Trio Miyazaki donnait en concert ses créations ou ses reprises à la Maison de la Culture du Japon samedi 9 février. Un public attentif salua la performance des trois musiciens qui ont su allier, au travers de reprises ou de créations, les sonorités et les rythmes de leurs instruments si différents.

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  • Charisma

    Racines de l'esprit 

    CHARISMA (1999) – Kiyoshi Kurosawa

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    Charisma est loin d'être l'un des films les plus terrifiants de Kurosawa, si l'on doit prendre en compte le critère d'épouvante dans l'analyse de son cinéma. Charisma est bien plus une peinture sociale, psychologique, d'un groupe d'individus tombant peu à peu dans le chaos face à la vision obsessionnelle d'un arbre luttant pour survivre dans une forêt qui meurt. Essayer de trouver une quelconque instance écologique dans le film de Kurosawa serait vain et naïf, car, au-delà des luttes entre un groupe d'activistes des forêts, un jeune fanatique, ou une professeur en biologie étudiant la forêt, se joue bien plus la déroute d'individus. Car, dans cette forêt perdue se retrouvent des individus désaxés et en proie à la solitude et au délaissement uniquement. L'officier Yabuike, incarné par l'acteur-fétiche de Kurosawa, le ténébreux Kôji Yakusho, se retrouve en effet mis de force en congé par ses supérieurs et part dans une dérive totale.

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    Si le scénario accumule des maladresses, ou beaucoup d'incompréhensions, la force de mise en scène de Kurosawa dans cet espace prend une véritable ampleur dans son aspect mystique et étrange. Le décor est éclairé de manière quasi expressionniste, jouant sur les brouillages de formes, l'agression des courbes et l'enchevêtrement des branches d'arbre, créant une réelle confusion dans l'interprétation de ce qui se passe dans le champ. Cette même confusion, ce chaos à l'image du doute intérieur propre au personnage de l'officier - qui fait face à un dilemme – finit par même s'infiltrer dans certains intérieurs, par habiter proprement tout l'espace et toute la scénographie. Une entreprise de contamination fortement fascinante qui s'infiltre même dans les esprits, cela étant sans cesse suggéré, notamment par un étrange plan partageant la subjectivité de Yabuike, où l'officier tourne la tête vers le ciel et aperçoit une immense masse sombre s'assimilant à une explosion apocalyptique. Comme si les racines de cet arbre vénéré venaient autant polluer le sol que l'esprit.

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    Cependant, au-delà de son esthétique chaotique, le film pêche par son manque de cohérence et de clarté. A trop vouloir brouiller l'intrigue autant que son image, Charisma s’enlise dans une succession de séquences elliptiques et par trop herméneutiques, laissant juste émerger la folie sans trop lui donner de direction ou un regard plus pertinent.

  • X 1999

    X THE MOVIE (1999) – Rintaro

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    Produite par Madhouse, l'adaptation du célèbre manga éponyme de Clamp par Rintaro s'avère surprenante. Le film se débarrasse de toutes instances narratives ou des nombreuses histoires parallèles présentes dans le manga pour privilégier uniquement une lecture onirique et expressionniste des thèmes abordés dans l'histoire fantastique. Le tragique y occupe une place primordiale, puisque Rintaro choisit une des fins les plus désespérés

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    Le postulat de X peut se révéler simple, notamment parce qu'il découle de la tragédie grecque et de l'Apocalypse de St-Jean : deux amis, pour sauver la femme qu'ils aiment, s'entredéchirent au sein des gratte-ciels de Tokyo, la mort de l'un ou de l'autre pouvant décider de l'avenir de la Terre. Le scénario du film choisit de respecter l'ambiguïté de son héros, Kamui, sorte de victime sombre qui ne se soucie en aucun cas du cas de Tokyo mais se retrouve propulsé face à son destin inévitable. En revanche, il évacue toute caractérisation des autres personnages pour se concentrer sur le ressenti de Kamui uniquement. Ces choix font que X 1999, pour toute personne ne connaissant pas un minimum les ficelles du récit et le rôle des protagonistes, peut sembler très confus, voire chaotique. Car Rintaro privilégie l'expressivité du tragique et du sentiment de la catastrophe aux explications.

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    Ce choix fait que le film balance entre deux points : d'une part, il manque singulièrement de profondeur psychologique et semble portraitiste ses personnages en traits rapides et grossiers, certains étant même totalement sacrifiés ; d'autre part, il présente un intérêt visuel et lyrique plutôt novateur pour son époque. Il est dommage que le film fasse l'impasse sur ce qui se révélait véritablement intéressant dans le manga, autrement dit l'ambiguïté relationnelle qui se mettait en place entre certains protagonistes de camps opposés, relations qui complexifiait l'intrigue et donnait une certaine variété émotionnelle. Cependant, les choix stylistiques de l'équipe de Rintaro donnent une véritable force expressive aux sentiments contradictoires du héros Kamui : tout le film se bâtit comme une longue hypnose étrange et angoissante, peuplé d'images traumatiques, où le graphisme impressionnant annonce ce qui fera la force de Metropolis. Une adaptation ainsi inégale mais loin d'être dénuée d'intérêt. 

  • 2/Duo

    Une Répétition qui implose

    2/DUO – Nobuhiro Suwa (1996)

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    2/Duo, un film datant de 1996 mais qui s'avère encore incroyablement pertinent aujourd'hui.

    2/Duo est une forte surprise. Réalisé avec de petits moyens, se limitant à l'observation d'un jeune couple implosant peu à peu, le film de Nobuhiro Suwa réussit à cerner, avec justesse et précaution, une forme de schizophrénie que beaucoup de cinéastes représentent en traits grossiers ou symbolisme forcé. Nobuhiro Suwa réussit à cerner, dans un registre plus réel et une esthétique plus documentaire, l'ambiguïté de la schizophrénie, sans tomber dans le pathétique ou la facilité. Le film réussit là où d'autres, comme Darren Aronofski avec Black Swan, ont échoué : laisser une marge de liberté à la folie de ses personnages, et ne jamais limiter leur caractérisation à une unique lecture psychologique. Le choix du plan-séquence donne, en ce sens, une véritable force et épaisseur à la névrose, et lui confère sa part obscure et incompréhensible. La mise en scène fine et le jeu, brillant, des acteurs donnent à la schizophrénie sa part d'insaisissable et d'étrangeté, semant toujours un doute progressif chez le spectateur. Le petit appartement réconfortant du début se transforme peu à peu en bulle étouffante, où implose peu à peu le couple, qui se déchire, se répète, se sépare à travers d'infimes indices ou dialogues.

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    Car c'est là toute la force de 2/Duo : comment incarner, à l'écran, par la mise en scène, les choix de réalisation, cette idée si implicite de l'implosion. L'esthétique documentaire saisit les moments de doute ou de désoeuvrement des personnages, le cadre étant toujours volontairement décalé. Les personnages ne sont jamais totalement montrées, toujours cachés derrière un pan de mur, une fenêtre, une mèche de cheveux. En outre, le rapport à la répétition dans les dialogues, mais également dans les gestes, traduit un aspect névrotique fortement dérangeant. Dans l'une des séquences, le jeune homme lance rageusement le linge étendu dehors sur sa femme, jetant chaque vêtement à sa figure dans une violence progressive. Cette implosion n'est cependant pas sans lien avec le monde extérieur, qui apparaît bien souvent morcelé, presque sans identité, contribuant à cloisonner encore plus les personnages avec eux-mêmes.

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    Mais ce déchirement ne se départit pas d'une certaine poésie ou d'un certain lyrisme. Le personnage de la jeune femme (Yu Eri), en particulier, est filmé de manière à ce qu'il finit par échapper au regard du cameraman, parallèlement à celui de la société, alors qu'il semblait être le plus ordinaire et familier au départ. Yu, après sa disparition hors de la narration et du cadre, réapparaît changé, libre, insaisissable parmi les herbes folles, mais d'une réelle beauté mystérieuse.

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  • Si tu tends l'oreille...

    MIMI WO SUMASEBA –

    WHISPER OF THE HEART – SI TU TENDS L'OREILLE (1997)

    Un film de Yoshifumi Kondo

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    Il était temps de découvrir Mimi wo Sumaseba, film du studio Ghibli, réalisé par un assistant de Hayao Miyazaki, et scénarisé par ce dernier. Le film est malheureusement quasi introuvable en DVD et c'est en ligne que je pus le découvrir, en version originale. Le postulat de Mimi wo Sumaseba donnera lieu, en 2002, à la sortie du Royaume des Chats (Hiroyuki Morita), sorte de mise en abîme, puisqu'il s'agit de l'adaptation libre du roman fictif écrit par la jeune héroïne de Mimi wo Sumaseba. 

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    Le film est réalisé par Yoshifumi Kondo, un des membres actifs du studio Ghibli dans les années 1980-90, longtemps perçu comme le successeur de Hayao Miyazaki, et malheureusement brusquement décédé en 1998, peu de temps après la sortie de Princesse Mononoke.

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    Le film suit le quotidien d'une jeune collégienne, Shizuku, plus passionnée par la lecture de contes de fées et de récits de légende plutôt que par ses études, vivant dans une famille modeste louant un appartement dans un grand immeuble. C’est peut-être l'un des points qui distingue Mimi wo Sumaseba des autres films de Miyazaki, et qui donne son charme au film. Nous ne sommes plus dans un univers fantastique et enchanteur, mais dans un quotidien familier, modeste, et typique d'une jeune collégienne, rappelant la paisibilité du rythme de Omoide Poroporo (Isao Takahata). C'est en outre un des rares films Ghibli à avoir un ancrage dans le monde de l'école. Entre les après-midis à la bibliothèque et les examens de fin d'année, Shizuku croise sa mère qui a repris des études et raconte ses aventures dans la faculté, son père d'une paisible fatigue après son travail, sa sœur de retour pour prendre momentanément le rôle de « mère de famille », faisant le ménage, les repas, et les courses dans le petit appartement. Les décors fourmillent de détails quotidiens qui ramènent à notre propre intimité familiale : livres qui traînent sur le bureau de Shizuku, repas partagés parmi les bavardages et les plats entrechoqués sur la petite table, tancarvilles pleins de draps propres qui envahissent le balcon et le salon. Curieusement, alors qu'il fait parti des introuvables Ghibli en France, Mimi wo Sumaseba s'avère très réaliste et facilement accessible pour un spectateur occidental.

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    Dans cet univers réaliste va s'insérer de jolies touches féeriques, à travers un chemin d'indices de plus en poétiques. Tels les personnages de contes ou de récits (on songe au Petit Poucet, à Hansel et Gretel, Casse-noisette, ou Alice au pays des merveilles), Shizuku se perd dans la ville en voulant suivre un chat étrangement expressif, et atterrit dans un quartier isolé. L'atmosphère a toujours été un point fort chez Ghibli et Mimi wo Sumaseba n'échappe pas à la règle : le magasin du grand-père se révèle une merveilles d'objets trouvés et de surprises, brassant légendes romantiques et leçons philosophiques, et c'est précisément dans ce cadre détaché du quotidien très classique de Shizuku que vont se dérouler les plus belles séquences du film, telle celle du morceau de musique improvisé « en live » un soir d'été.

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    Enfin, Mimi wo Sumaseba suit et esquisse les premiers pas de l'adolescence vers laquelle affleure son héroïne. Il est certes question de premiers émois amoureux, et de désir, mais également de rapport au monde adulte et à la société. A travers le monde scolaire, on retrouve les premiers questionnements adolescents : balbutiements amoureux de la meilleure amie de Shizuku, poids des examens (sans cesse rappelés dans les dialogues) en toile de fond, préadolescence, désir de trouver au plus vite un métier et de gagner son autonomie. En cela, le film rappelle beaucoup La Colline aux coquelicots (Goro Miyazaki) où la fantaisie est certes moins présente, mais la texture psychologique et narrative très similaire au film de Kondo. Car, au final, Mimi wo Sumaseba transcrit à travers l'imaginaire et l'histoire d'amour de Shizuku l'arrivée de sa volonté d'indépendance et de liberté. 

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  • Kaikisen

    KAIKISEN – Retour vers la Mer

    Satoshi Kon

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    Avant de travailler dans le domaine de l’animation, puis de devenir le réalisateur célèbre qu'il est aujourd'hui, Satoshi Kon a débuté, comme beaucoup de ses confrères, dans le manga. Publié en 1990, Kaikisen est un des premiers mangas de Satoshi Kon, écrit peu de temps après la réalisation d'Akira (Katsuhiro Otomo). Le manga raconte, sur une bonne centaine de pages, l'histoire de Yosuke, le fils du prêtre du port d'Amidé, dont la famille a la charge de garder l' « œuf de l'Ondine », suite à un pacte légendaire. L'arrivée de promoteurs ayant le projet de transformer Amidé en station balnéaire va bouleverser son quotidien, et provoquer d'étranges phénomènes autour de cet œuf conservé et de la mer.

    Kaikisen – retour vers la mer, est le seul manga de Satoshi Kon publié à ce jour en France. L'édition française est de fort belle qualité, avec une biographie plutôt complète à la fin du récit. Outre Kaikisen, il y a une nouvelle additionnelle sur le registre du comique à la fin du manga, mais elle se révèle plutôt sans intérêt. Autrement, la qualité d'imprimerie est très bonne, ce qui est toujours appréciable pour la lecture (trop de mangas, même écrits par de grands auteurs, sont publiés dans une qualité déplorable, où certaines pages sont parfois entièrement floues et les dialogues illisibles).

    Ce qui frappe à premier vue, c'est l'extraordinaire qualité du trait de Satoshi Kon et son sens du découpage. Le dessin est clair, propre, très réaliste dans les décors, et l'influence du cinéma se fait déjà ressentir dans les choix. C’est sur ce point que l'on peut le plus déceler la marque du futur cinéaste : le découpage et l'évolution du récit partagent des codes hollywoodiens, intercalant les cases de différentes actions comme dans un montage alterné, jouant admirablement sur les différences d'échelle en fonction de l’intensité dramatique. En outre, les séquences fantastiques sont d'une réelle beauté dans le graphisme, avec un impressionnant souci du détail entièrement assumé. Certes, on ressent l'influence de Otomo dans l'esthétique des personnages, mais le travail sur l'environnement naturel et le fantastique rappellent plus le final de Roujin Z (sur lequel Kon a été Art Designer) et les mondes imaginaires de Paprika.

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    Cela dit, au-delà de l'aspect graphique, le scénario est loin d'atteindre la subtilité des récits des longs-métrages du cinéaste. Bien au contraire, on retrouve des thèmes très éloignés de ceux qui jalonnent Perfect Blue, Millenium Actress ou Tokyo Godfathers. La présence de l'Ondine et le rapport à la légende peut à la limite se retrouver dans une des nombreuses incarnations de Paprika (elle se transforme en sirène dans l'une des séquences du film). Autrement, le postulat écologique et l'affrontement entre le village et les industriels s'avèrent sans grande originalité et étonnent plutôt vis-à-vis du travail de Kon. Le récit est des plus classiques, inspiré par une légende traditionnelle et portée par un sens de l'action plutôt bien mené. Mais les personnages restent assez plats et sans réelle présence. On reconnaît par ailleurs plus le style d'Otomo avant tout, style qui a probablement inspiré le jeune Satoshi Kon dans sa jeunesse avant qu'il ne trouve ses marques. Bref, bien une œuvre de jeunesse qui confirme un travail de dessinateur et de graphiste, mais pas encore de réel créateur.