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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 19

  • Festival du Film Coréen 2012

    3 Films au FFCP

    7ème édition du Festival du Film Coréen à Paris.

     

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    Pour sa 7ème édition à la programmation bien riche et équilibrée – entre films indépendants, comédies, documentaires, courts-métrages, et blockbusters de bonne facture – le FFCP se déroule, paradoxalement, dans le tout petit cinéma St André des Arts, près du Boulevard St-Michel. Ce contraste fait qu'il subsiste de nombreux problèmes techniques liés à la précarité de la mise en place de ce festival, mais qu'il y règne également une ambiance conviviale, bon enfant, et fort sympathique. Si l'image souvent floue issue des projecteurs numériques mal réglés ou les sous-titres parfois peu visibles gâchent le plaisir de la séance, les sourires adressés à la sortie par la petite équipe de bénévoles sauvent ces maladresses techniques.

    STATELESS THINGS - Kim Kyung-mook

     

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    Stateless Things est le premier long-métrage de l'invité d'honneur du festival de cette année, Kim Kyung-mook. Contrairement aux éloges que beaucoup adressent à ce jeune cinéaste, son film m'a paru plutôt malsain. Le film s'attaque, entre autres, au quotidien miséreux des jeunes immigrés venus des pays environnants, débouchant à Séoul pour survivre de petits boulots, ou se retrouvant dans la prostitution. Kim Kyung-mook a choisi une narration éclatée (grand effet à la mode dans les petits films indépendants...) visant à embrouiller le spectateur (pour l'amener à des réflexions pseudo-psychologiques sur le dédoublement de personnalité...), entre temps de contemplation (et presque dérisoirement touristique sur une séquence de promenade dans les quartiers de la ville), temps de violence (les fameuses bagarres du cinéma sud-coréen, filmées à l'épaule, vibrants auprès des corps, de la terre, et de la crasse), et temps pour choquer le spectateur (inserts faciles et sans intérêt de vidéos amateures quasi-pornographiques...). Comme beaucoup de premiers films, on peut ainsi trouver que le réalisateur a voulu en mettre « trop », créant la confusion par l'afflux d'esthétiques différentes, de pistes non résolues, de choix divergents. Tantôt la prostitution est montrée sous un visage cru et impitoyable, dans une volonté de choquer le public, tantôt elle cède le pas à des scènes d'amour homosexuelles filmées avec une lenteur d'une rare beauté (l'impressionnant premier rapport amoureux entre le jeune prostitué et son protecteur plus âgé l'ayant enfermé dans une prison de luxe). Un tel décalage provoque au final le malaise et n'aide en aucun cas à définir les intentions, ou plutôt la ligne qu'a voulu apporter le cinéaste à ce sujet, trouble qui laisse assez désarmé et qui agace quelque peu. A force de trop abuser de l'irrésolu, Stateless Thingslaisse toutes les grandes questions en suspens et ne prend pas de risques avec ses sujets pourtant courageux à la base.

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    WAR OF THE ARROWS – Han-min Kim

     

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    Trois gros films et succès en Corée étaient au rendez-vous du festival. Je n'ai malheureusement pas pu voir les films d'ouverture et clôture, dont j'entendis d'élogieuse critiques, Masquerade, avec le fabuleux Lee Byung-hun dans un double-rôle, et The Thieves, film d'action inspiré d'Ocean's Eleven. Le troisième blockbuster était War of the Arrows, fiction se déroulant durant les invasions mandchoues et suivant le protagoniste, archer prodigue, bien évidemment, bataillant avec acharnement pour retrouver sa petite sœur. Le gros souci du film réside dans la représentation de ce héros, extrêmement naïf et sans grande profondeur, totalement aveuglé, de bout en bout du film, par son devoir de protection envers sa sœur. Un héros aussi peu évolutif provoque parfois l'ennui et la lassitude, et c'est le virtuose des séquences d'action qui contrebalance cette faiblesse. En effet, un vrai travail graphique et de mise en scène transforment chaque tir de flèche en une impressionnante bataille réflexive, la mise en scène se trouvant sur ce point dans les séquences d'action à mi-chemin entre Tsui Hark et Zhang Yimou. Mais le scénario reste malheureusement un lourd poids traînant derrière cette virtuosité de l'action, l'aspect politique restant assez pâle et les seconds personnages (bien plus intéressants) plutôt sacrifiés, et servant de prétexte pour desservir chaque affrontement.

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    TALKING ARCHITECT – Jae-eun Jeong

     

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    Le dernier film que j'ai été découvrir, un peu par hasard, était un documentaire sur un architecte atteint d'un cancer mais ayant réussi à s'accrocher pour suivre la mise en place d'une exposition consacrée à son travail. La réalisatrice, la productrice, et le fils plutôt ému de l'architecte en question étaient présents. Très agréable et touchant, le film est porté par la présence lumineuse de ce vieil architecte diminué par la maladie mais gardant un moral incroyable et une véritable sincérité. La grande qualité du documentaire est de ne pas s'être du tout allé au sentimentalisme vis à vis de la présence de la maladie, et d'être resté dans un portrait très fidèle, captant à la fois les réflexions, l'émotion, l'humour, et l'entêtement du personnage. La vivacité de la réalisation modeste capte les commentaires de Chung Guyon qui se scandalise face à la politique des panneaux solaires, ruinant le paysage selon lui, ou se disputant gaiement avec la directrice de l'exposition, aussi têtue que lui. On sourit, on rit, on se laisse porter par le dynamisme revigorant de cet architecte au caractère bien trempé mais d'une forte humanité, considérant l'architecture comme un moyen avant tout de réunir les gens dans le plaisir. La séquence finale est très touchante, où de vieilles personnes viennent remercier Chung Guyon d'avoir construit des bains publics à proximité de chez eux, pouvant leur permettre de se réunir pour se baigner et se rencontrer. De plus, le film pose, esquisse, un regard sur l'architecture en Corée, avec des interviews croisées d'experts en architectures sur les œuvres de Chung Guyon ou sur leur conception du métier. Un joli documentaire d'une belle sincérité et ouverture d'esprit. 

     

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    le site du festival

  • La Servante

    L'Animalerie

    LA SERVANTE (1960) – Kim Ki-Young

     

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    La Servante est un film sud-coréen de 1960, considéré comme une référence pour les réalisateurs sud-coréens actuels. Bong Joon-ho a même déclaré à son propos qu'il s'agissait du « Citizen Kane coréen », phrase qui servit de promotion pour l’affiche du film. La Servante a inspiré un remake (non vu pour ma part) par Im Sang-soo, The Housemaid, avec l'actrice principale de Secret Sunshine, Jeon Do-Yeon, qui reprend le rôle autrefois incarné par Lee Eun-chim. Autant le dire d'emblée, La Servante est un film qui ne ménage pas son spectateur, tant par son scénario que par le caractère malsain de ses protagonistes se moquant et démantelant toute forme de moralité ou de raison. Les rebondissements sont nombreux et soutiennent une machiavélique machine à folie, que la mise en scène, magistrale, rend autant plus forte et symbolique.

    Le film est restauré par la World Cinema Foundation (dirigée par Martin Scorsese) et le film aurait longtemps été incomplet si une bobine n'avait pas été retrouvée par hasard. Il y manque à ce jour encore quelques scènes ou quelques images. La première partie du film est d'une qualité sidérante, grâce à cette restauration : presque aucun parasite, une image lisse et propre, et un son tout aussi agréable. La seconde partie du film, probablement la bobine retrouvée, a malheureusement reçu beaucoup plus de dégâts et de dégradation.

     

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    La Servante subjugue par ses qualités techniques et son sens scrupuleux de la mise en scène. En ce sens, la rigueur presque mathématique avec laquelle l'image de la cruauté est illustrée, symbolisée par une mise en scène presque clinique, cernant chaque ambiguïté, m'a rappelé le travail tout aussi minutieux de We need to talk about Kevin (Lynne Ramsay), aussi un film sur la manipulation dans une famille bourgeoise. Avec La Servante, le récit se transforme rapidement en un huis-clos terrifiant, où le personnage de la servante finit par envahir les espaces d'intimité familiale et à s'affranchir de sa place à la cuisine, notamment par le biais de tout un jeu fascinant de voyeurisme à travers les fenêtres, et de mouvements de caméra proprement époustouflants pour l'époque, d'une violence stylisée assez extraordinaire. La musique, lourde machine à dramatiser, intervient malheureusement, bien trop souvent pour souligner chaque nouvelle tension entre la famille et la servante, tendant à vite agacer.

    De plus, ce qui déroute, plus que les accès de violence, c'est la victimisation systématique de l’unique protagoniste masculin, le mari professeur de piano, vu comme oppressé par chacune des deux femmes, la servante et sa femme, l'une l'enlisant dans l'infidélité et l'autre soutenant cette luxure dans le seul but de garder leur bonne réputation et de cacher ces événements. Dès lors, les personnages de femme célibataires sont considérablement présentés comme plus machiavéliques et oppressants, portés par le fantasme (il n'y a qu'à voir le protagoniste trouble de la jeune chanteuse à qui le professeur délivre des leçons de piano, qui choisit de lui recommander une soubrette un peu animale, et de le pousser au désir).

     

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    En ce sens, le très fort symbolisme des animaux assimile les protagonistes à l'idée de bestialité, où chacun lutte pour sa survie ou son intérêt, mais donne aussi un autre éclairage sur l'ambiguïté régnante. La servante arrive ainsi pour s'occuper des rats qui sont assimilés à des présences étrangères, intrusives, capables de se faufiler n'importe où pour instaurer la maladie ou la saleté. Le fait même de demander à la servante de s'en occuper prouve combien la famille la considère comme une étrangère de classe inférieure, méritant juste de rester dans la cuisine avec ces rats. Or, le plaisir sadique que développe la servante à empoisonner ces rats inverse la situation : le personnage considère à son tour que c'est la famille elle-même qui s'assimile à des rats lui empoisonnant l'existence par sa dévalorisation (le comportement de rejet du plus petit des enfants, en particulier). Par la suite, comme en réponse à ce comportement, le professeur ramène un oiseau enfermé dans une cage, l'offrant à sa fille, elle aussi une figure opprimée. Quel oiseau est donc emprisonné ? Est-ce la servante, devant vivre aux dépens de la famille pour gagner sa vie ? La petite fille, devant attendre la guérison de ses jambes, tandis que gambade son frère moqueur ? La famille elle-même, au final prise au piège et sous la menace de la servante ? Cette ambiguïté animale, alliée au fort travail sur l'espace, impressionnent grandement par le trouble qu'ils proposent. Malheureusement, la réalisation de La Servante a souvent tendance à se complaire dans des volontés de provocation, autant par sa fin déroutante que par l'abus de propos crus et de violence caractérisant ce personnage de la servante, qui s'avère parfois proche de la caricature grotesque.

    Voir aussi le billet très intéressant d'Edouard sur Nightswimming.

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  • Un été avec Coo

    KAPPA NO KUU TO NATSU YASUMI - UN ETE AVEC COO (2007)

    Keiichi Hara

    Encore un grand merci à Louise pour le DVD.

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    Un Eté avec Coo est le premier film de Keiichi Hara. Son second film, Colorful, est sorti en salles et en DVD cette année. Un Eté avec Coo s'attache à décrire l'extraordinaire été que va vivre un petit garçon d'une dizaine d'années, Koichi Uehara, et sa famille, en recueillant un kappa(génie des eaux) enfermé dans une pierre pendant plusieurs millions d'années. Le film, s'il peut sembler naïf à la lecture de ce synopsis, et se destiner à un public d'enfants, s'avère néanmoins d'une certaine noirceur, abordant les thèmes de la différence, de la cruauté, ou même de la médiatisation à travers sa seconde partie, riche en rebondissements. Cependant, le premier long-métrage de Keiichi Hara garde tout du long un esprit de légèreté et de fraîcheur.

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    Un Eté avec Coo se distingue tout d'abord par son extrême simplicité, qui tend à laisser à l'animation ce qu'elle de plus pur, de plus fluide et de plus universel. Pas de gigantisme des décors comme chez Miyazaki, pas de fantaisie comme chez Mamoru Hosoda mais plutôt une modestie dans l'animation et les personnages, plus proche en ce sens de Piano Forest (Masayuki Kojima) ou de la veine paisible d'une poignée de films Ghibli (Souvenirs goutte à goutte ou Whisper of the Heart). Le film s'attache tout d'abord à une famille moyenne, vivant dans une banlieue grisâtre, loin de dépenser des actes héroïques et se laissant plutôt porter par les événements. Par ailleurs, la première réaction de la mère face au kappa est de le considérer comme un animal répugnant devant être vite dégagé de la maison familiale. L'esprit reste de fait très universel et convivial. Peu à peu, les membres de la famille (à l’exception de la petite sœur, capricieuse et jalouse) s'intéressent à Coo, effectuent des recherches, le nourrissent et l'intègrent comme une nouvelle partie intégrante de leur quotidien modeste. Très vite, de nombreuses séquences d'une délicate émotion font sourire, complicité autour des repas, taquineries autour de la petite sœur naïve et pleurnicharde, échanges avec le chien, partage du bain ou du rafraîchissante bouteille versée sur la tête, et même baptême alcoolique à travers une étonnante séquence où le père verse sur la coupelle servant de tête au kappa une gorgée de bière, rendant de fait la créature ivre et joyeusement hilare.

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    Cette simplicité gagne de fait l'animation du film et des personnages : leurs traits sont réguliers et sans grande distinction, leurs silhouettes fluettes, leurs gestes simples et quotidiens. En revanche, par contraste, lyrisme et soin sont apportés aux décors, comme si Keiichi Hara présentait la nature comme le véritable aboutissement et achèvement de l'homme. Force en est une bouleversante et émouvante séquence servant de charnière dans l'intrigue du film, où Coo retrouve un ruisseau paisible et partage un moment de nage extatique avec Koichi. Dans cette scène, l'animation de l'eau est bien l'une des plus belles et réussie dans le cinéma d'animation en général, arrivant à retranscrire le miroitement délicat du mouvement de cet élément presque insaisissable. De fait, le film s'avère une re-découverte, d'abord pour Koichi, puis pour sa famille, de la beauté simple de la nature, comme un retour aux sources : la grisaille boueuse du quartier où vivent ces humains se voit supplantée par les décors paisibles et ensoleillés des coins ruraux des alentours.

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    Par la suite, le point de vue de cette histoire s'aiguise et devient plus intéressant à partir de la deuxième partie, celle où l'existence de la petite créature se retrouve dévoilée aux yeux du grand public. De fait, le film décrit très bien la cruauté de la rumeur et des préjugés à travers le regard du personnage de Koichi : peu à peu, ses amis deviennent jaloux, méfiants, distants, et assimilent sa personne à celle, étrangère et bizarre, du kappa. De même, les habitants du quartier regardent ceux qu'ils considéraient comme leurs voisins comme des attractions touristiques, et la modeste maison familiale attire les foules et les caméras, à travers d'absurdes scènes de rassemblement populaire, où les journalistes se battent pour obtenir une bribe d'information sur la créature. Sans jugement porté sur ces pratiques (les journalistes ou les curieux ne sont en rien traités sur le mode péjoratif), le film montre intelligemment cette obsession, souvent médiatique, que porte le monde extérieur à tout ce qui peut ressortir de l'étrange, de la bizarrerie, du non-humain. Le climax du film tend à jouer sur cette fascination totalement malsaine, Coo étant finalement amené dans une émission populaire, face aux caméras, et, malgré les premiers efforts d'humanisation des experts, sera par la suite re-considéré comme un monstre, notamment à travers une parabole avec King Kong. Le kappa grimpe en haut d'une tour surplombant la ville pour échapper aux foules, non pour terroriser cette fois-ci, mais pour exprimer son angoisse face aux rejets des humains. La fin du film, émouvante, n'écarte pas ce constat de la difficulté de communiquer et de se lier avec les autres et de faire accepter sa différence par tous, mais porte en avant, comme un dépassement, une touchante ouverture sur les vertus de l'amitié.

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    A venir : La Servante, Ame et Yuki, les Enfants-Loups

  • Entre le ciel et l'enfer

    TENGOKU NO JIGOKU - ENTRE LE CIEL ET L'ENFER (1963)

    Akira Kurosawa 

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    Entre le Ciel et l'Enfer fait parti d'une collection de Wild Side consacrée à trois films noirs de Kurosawa et visant à faire redécouvrir leur édition restaurée. Entre le Ciel et l'Enfer en est le dernier volet, après Chien enragé et les Salauds dorment en paix. Au-delà du film, un mot sur cette édition qui, malgré son apparence misant sur la redécouverte et la richesse du propos, s'avère décevante, les bonus proposant au final plus des documents assez généraux sur le cinéma japonais, plutôt que sur Kurosawa lui-même.

     

    Gondo, un riche entrepreneur dans l’industrie de la chaussure, reçoit un soir un coup de téléphone annonçant le kidnapping de son fils, et une rançon s'élevant à toute la fortune de la famille. Peu de temps après, il se révèle que le kidnappeur s'est trompé de cible, enlevant le fils du chauffeur personnel de Gondo, mais la demande de rançon est maintenue. Dès, tandis que la police tente de traquer l'origine des appels téléphoniques, l'entrepreneur fait face à un dilemme, celui de conserver sa fortune ou de tout perdre pour l'enfant d'un autre. 

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    Le film, aussi puissant que son titre, peut se diviser en deux parties, la première se présentant plus psychologique que la seconde, qui elle rejoint les codes du polar en suivant l'enquête menée par l'équipe des policiers pour percer à jour le coupable de cet enlèvement. La première partie est riche en émotions, tandis que la seconde riche en actions et en rebondissements, tous deux liés par cette charnière centrale qu'est la livraison de la rançon et le sauvetage de l'enfant. Le personnage de Gondo, magistralement interprété par un Toshiro Mifune d'un trouble extraordinaire, est ainsi mis en lumière au début du film, abandonné pour laisser place à une traque hautement intéressante, pour enfin réapparaître à la fin du film. Le spectateur ne saura jamais les sentiments exacts de Gondo à la fin du film, mais le film de Kurosawa interprète brillamment les tensions entre les classes sociales et le chaos dans lequel vit une partie de la société, chaos auquel doit faire face Gondo.

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    La première partie est fascinante dans sa mise en scène. L'attente autour des coups de téléphone du kidnappeur transforme le grand salon en un espace théâtral, où chaque position des personnages signifie tour à tour leur incompréhension, leur détresse, leur distance, en particulier au niveau du couple. Liés au début, collés l'un à l'autre lors des premiers coups de téléphone, Gondo et sa femme se séparent peu à peu dans l'espace lorsque le vrai fils est retrouvé et que Gondo hésite à payer la fameuse rançon. Le personnage de la femme, seule présence féminine dans l'ensemble, représente la catharsis des sentiments masculins qui l'entourent, que ce soit celui de son mari, du chauffeur, ou encore des policiers témoins du déchirement : elle s'effondre, crie, insiste, tandis que les hommes gênés, contenus dans leur apparence, la regardent avec distance ou préfèrent tourner le dos. 

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    Akira Kurosawa était en outre un grand admirateur du fameux écrivain Georges Simenon . Pour avoir longtemps été passionnée par l'auteur belge et dévoré tous ses Maigret et ses romans, je peux affirmer qu'Entre le Ciel et l'Enfer est peut-être l'une des œuvres de Kurosawa les plus empreintes de l'influence de Simenon. Tout d'abord, la seconde partie autour de la traque et du travail de patience des policiers, à l'époque sans technologie, misant sur des suppositions de déplacements et d'actions,fait écho à la fameuse latence dont fait preuve Maigret son équipe dans son équipe. On songe également au « Simenon japonais », pour prolonger l'influence, le grand écrivain Seicho Matsumoto qui, avec le Vase de Sable (adapté au cinéma en 1974 par Yoshitaro Nomura, un des assistants réalisateurs de Kurosawa), décrit les lentes recherches de son héros inspecteur dans les petits villages. Les policiers, dans le film, trouve ainsi la maison des kidnappeurs en faisant écouter le son d'un train en arrière-plan d'un des enregistrements d'appel à un vieux paysan reconnaissant son son mécanique et situant la ligne de chemin de fer. Ensuite, les deux protagonistes principaux, Gondo et le kidnappeur ressemblent aux portraits que fait Simenon des plus riches faisant face à des dilemmes, ou alors des criminels les plus désespérés, presque schizophréniques, agissant sur le coup de la lâcheté. Sur la dernière séquence, poignante et désespérée (la dernière image est un rideau de fer brusquement abaissé tandis que retentissent les cris du prisonnier condamné à mort), la lente perte de contrôle du kidnappeur rappelle le protagoniste traqué par le commissaire Maigret dans Maigret et le tueur, personnage se voulant froid et calculateur mais perdant tous ses moyens face à l'approche de la mort.

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    De plus, le rapport qu'entretiennent ces individus torturés à la société rappelle également Simenon, et se retrouve bien plus renforcé à travers le regard de Kurosawa sur la société japonaise. C’est toute une lutte entre les classes qui se cristallise à travers cette histoire. Hubert Niogret écrit par ailleurs à propos de ce film dans son ouvrage Kurosawa (éd. Rivages/Cinéma) qu'il « repose sur cette opposition (celle des classes) transcrite topographiquement. La spacieuse villa moderne de Gondo est isolée sur une colline au nord de Yokohama. La ville basse entoure la colline avec ses bidonvilles, ses ruelles sombres et sales, l'enfer avec cent pour cent d'inconfort. ». Le film décrit ainsi cette opposition, ce fossé entre les classes, et ce, sans parti pris ni manichéisme. Le personnage de l'entrepreneur est par exemple aussi victime de ses concurrents, ou de son assistant, qui profitent de sa ruine pour lui faire perdre sa position, mais désire au début sacrifier sans scrupules la vie de l'enfant de son chauffeur. Le coupable, quant à lui, invoque l'arrogance de la demeure de Gondo, surplombant un petit village peinant à survivre, demeure qui lui donne une image unique et simple de la richesse, tendant à standardiser tous les propriétaires riches. A plusieurs reprises, Gondo se demande « Pourquoi moi ? », pourquoi l'avoir choisi comme représentant de toute la classe supérieure pour assouvir une vengeance et une jalousie ? A travers son film, Kurosawa pointe l'incompréhension entre les différentes classes, où la vision limitée du peuple et ligotée par les apparences peut conduire à des excès. La séquence de la traque du criminel dans les rues révèle aussi ce fossé : les policiers passent d'une enivrante fête musicale dans un bar au silence de mort d'une maison de passe dans les bas-fonds de la ville, où se morfondent des malades et des drogués vendant leurs corps.

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    Entre le Ciel et l'Enfer, en dépit de ses presque cinquante années d'écart avec notre siècle, reste d'une force et d'une pertinence impressionnantes, témoignage du chaos de l'après-guerre au Japon, mais ayant encore une répercussion sur le portrait qu'il fait de ces tensions entre les classes sociales. 

  • A family

    A FAMILY (2004)

    Lee Jung-Chul

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    Avant de voir ce film, une amie m'avait parlé de ces films français assez mauvais qui sortent au cinéma parfois, mais qui seraient passés pour d'excellents téléfilms à la télévision. L'exemple pourrait très bien s'appliquer à ce film sud-coréen, qui se veut une sorte de mélodramatique histoire prenant pour thèmes la mafia et les relations familiales. Mais, n'est pas Park Chan-wook ou Kim Jee-woon qui veut, pour reprendre une expression facile, et si A Family se veut sincère et correct, les dénouements classiques du scénario, ainsi que sa réalisation sans personnalité, en font un film décevant et véritablement passable.

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    A Family se veut de fait ressasser de grands thèmes fétiches au cinéma sud-coréen, jouant sur la corde d'une violence absurde et injustifiée, tout en se basant sur un drame en toile de fond. Ce qui fait que le spectateur peut plutôt être gêné par les efforts déployés pour se vouloir illustrer la violence, souvent de manière maladroite et confuse. De nombreux raccords au montage passent très mal, où, après une unique gifle au visage, les personnages se retrouvent brusquement recouverts de sang. Ces nombreuses incohérences peinent à faire croire au récit, qui accumule de fait les poncifs. Par exemple, le rôle de mafieux tyrannique joué par Park Hee-sun (le pervers machiavélique d'Hansel et Gretel) s'avère excessif et grotesque, pâle copie de la Brute incarnée par Lee Byung-hun. Dans le film de Kim Jee-woon, la fantaisie du ton et le contraste entre le physique d'ange de l'acteur et sa brutalité sans raison se prêtaient très bien au jeu explosif de ses duels avec les personnages du Bon et du Cinglé. Mais, dans A Family, la violence gratuite que dégage le mafieux envers la jeune héroïne et sa famille semblent infondée et incompréhensible, tirant le film dans un certain manichéisme.

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    Il aurait peut-être mieux valu que le film se concentre sur les relations familiales et reste modeste dans son ambition. Malheureusement, mis à part quelques jolies séquences de complicité entre le frère et la sœur (notamment celle, trop courte, de la patinoire), l'intrigue et le scénario tirent les malheurs des personnages et s'enfoncent dans une psychologie insipide. Le personnage du père, pourtant incarné par Ju Hyeon, un acteur au faciès et à la prestance assez imposantes, s'avère très facilement réhabilité, classique image du bourru qui se révèle avoir un cœur d'or. L'actrice principale, Su Ae, reste convenable, la nonchalance affichée au début étant plutôt fausse. Quelques pistes auraient pu être explorées, comme le rapport étrange aux objets tranchants comme les ciseaux, qu'utilise la jeune femme dans son désir de coiffeuse, alors qu'elle a rendu son père borgne par accident lorsqu'elle était petite.

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    A Family, derrière des apparences prétendument de drame familial aux grands sentiments et à la forte action, s'avère être un film insipide et sans originalité.

  • Les courants fourbes du lac Tai

    LES COURANTS FOURBES DU LAC TAI (2010)

    Qiu Xiaolong

    Ed. Liana Levi

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    Les Courants fourbes du lac Tai est l'avant-dernière enquête de l'inspecteur Chen parue actuellement aux éditions Liana Levi, Cyber China venant tout juste de paraître en ce début septembre. Il s'agit de la troisième enquête du si charismatique inspecteur Chen que je découvre, après La Danseuse de Mao et Encres de Chine (ce dernier n'ayant pas eu de critique, mais s'étant néanmoins révélé très intéressant). Le récit fait toujours la part belle à une fine analyse de certains thèmes polémiques en Chine, et, dans le cadre de cette enquête, encore plus au niveau international. En effet, et c’est ce qui fait tout d'abord le grand intérêt de ce roman, Les Courants fourbes du lac Tai s'attaque au phénomène de pollution engendré par les grandes entreprises venues s'implanter dans des villages pour profiter des ressources naturelles et dégrader l'atmosphère, ceci au profit d'une productivité toujours croissante. L'inspecteur Chen est alors en « vacances » dans la contrée touristique de Wuxi, aux bords du lac Tai, privilégié par une de ses relations « Gros-sous » qui lui a offert son séjour dans une des grandes demeures réservées aux grands cadres du Parti. Cette situation démontre encore une fois de plus les nombreux privilèges qu'une partie de la population chinoise (en grande partie masculine) reçoit tandis que de nombreuses familles vivent dans la pauvreté (telle la famille du premier adjoint de Chen, l'inspecteur Yu, qui vit dans un tout petit appartement). Jouant toujours les paradoxes, Qiu Xiaolong installe son héros pourtant modeste et solitaire dans cette situation profitable, lui faisant ressentir une certaine gêne, d'autant plus qu'il ne peut refuser l'offre, risquant de briser son rapport à une relation qui lui permet d'obtenir des informations ou des libertés dans le cadre de certaines enquêtes difficiles.

    Au-delà de la critique, l'enquête en elle-même présente peu d'intérêt. Chen suit tous les événements à distance et son dynamique inspecteur adjoint Yu ne fait qu'une brève apparition. Voilà pourquoi, au niveau de l'action et du sens du suspense, Les Courants fourbes du lac Tai déçoit quelque peu, loin du mystère de la Danseuse de Mao, ou encore des nombreuses péripéties de Encres de Chine. La résolution de l'enquête elle-même déçoit, assez classique, comme nonchalamment délivrée par un vacancier. En revanche, se révèle plus intéressante les émois que connaît l'inspecteur à l'égard de Shan-Shan, une jeune chercheuse dénonçant le danger de la pollution dans la rivière. Shan-Shan, beau personnage féminin, donne à la fois des éléments pertinents et engagés sur le rapport à la pollution, car, étant une chercheuse, elle sert d'intermédiaire à de réalistes études sur la pollution en Chine, et permet de construire le personnage de Chen, devenu plus vulnérable, plus hésitant dans ses sentiments. C’est à son propos que Chen écrira tout au long du récit un poème entier, poème d'une grande force, entre la mélancolie et le constat amer de la corruption au détriment d'une nature envoûtante. 

  • Rentrée 2012

    RENTREE SEPTEMBRE

    Mirabelle-Cerisier a déjà fêté son premier anniversaire, le 3 juillet 2011, et continue d'attirer plus de monde, passant de ses quelques 200 discrètes premières visites de juillet 2011 à 1087 visiteurs en août 2012. Un grand merci donc à ceux qui continuent de lire les critiques et analyses consacrées à cette riche culture asiatique qui me passionne toujours autant.

    Pour cette rentrée septembre, je ne peux qu'annoncer de nouveaux articles, sur différents domaines, littérature, cinéma, animation, mais aussi musique, rubrique que je vais tenter de remplir plus fréquemment.

    Pour cette nouvelle année qui s'annonce pour le blog, les films d'animation seront toujours autant mis à l'honneur. Critique prochaine d'Ame et Yuki, le dernier-né de Mamoru Hosoda des studios Madhouse ; mais aussi du nouveau film de Masayuki Kojima (Piano Forest), Le Chien du Tibet, bientôt en salles. Egalement des chroniques sur plusieurs animes, et d'autres découvertes, comme Mari Iyagi (Lee Sun-gang), Un Eté avec Coo et Colorful (Keiichi Hara) ou Le Voyage vers Agharta (Makoto Shinkai), ces deux derniers venant de sortir en DVD.

    Côté films, une grande part sera consacrée à Akira Kurosawa, réalisateur japonais emblématique auquel il n'est pas négligeable de donner un hommage, tant ses films reflètent le désarroi de la société japonaise après la seconde Guerre Mondiale, à travers des comportements chaotiques et troublants. Arès l'Ange Ivre, un autre film assez méconnu viendra débuter le panorama, Entre le Ciel et l'Enfer. Autre vision de la violence et d'une société en proie aux pulsions, il s'agit de la critique de La Servante, film de 1960 de Kim Ki-Young ressorti en salles. Enfin, côté des sorties, le Lion d'Or à Venise, Pieta de Kim Ki-duk, ainsi que 2/Duo de Nobuhiro Suwa seront mis à l'honneur.

    Enfin, d'autres articles divers seront présents, comme sur les autres polars de Qiu Xiaolong, les autres parutions de Yoko Ogawa, mais aussi Hiromi Kawakami...

    Très belle rentrée à tous !

  • Hommage à Satoshi Kon

    A Bout de Souffle

    Hommage à Satoshi Kon, deux ans après son décès le 24  août 2010

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    Regarder un film de Satoshi Kon, ce n'est pas "regarder" un film : c'est entrer littéralement dans un univers différent, parallèle, déluré, flamboyant, sans cesse surprenant, constamment surréel et pourtant terriblement familier. Malgré la complexité des scénarios ou de la forme visuelle, il y a toujours une place pour le spectateur : l'entrée dans le film est immédiate, naturelle, irrésistible, un basculement nouveau, la première à la dernière image étant attractive et intense. Les films de Satoshi Kon ne sont jamais ennuyeux (tout comme les films de Miyazaki, autre grand maître de l'animation japonaise), toujours percutants, toujours en perpétuel renouvellement, mouvement, bouillonnement d'idées et d'images, magiquement agencés par une cohérence infaillible. Pas un seul plan, pas une seule phrase ne peuvent être écartés dans ses films : chaque élément a son importance et constitue une clé dans la poursuite du récit ou la réflexion psychologique qui se tisse progressivement, le tout formant un véritable puzzle onirique et animé.

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    Dans ses derniers mots, poignants, et que l'on peut découvrir sur le site Animeka, Satoshi Kon, qui se savait atteint par un cancer incurable ne lui laissant que quelques mois à vivre, remercie successivement toutes les personnes qui se sont occupées de lui, et qui ont accepté de le soutenir dans son travail, que lui-même juge très particulier. Satoshi Kon semble lui-même dépassé par ses propres idées et son univers, totalement différents de ce qui se produit dans l'animation japonaise. Ses réalisations s'avèrent plus grinçantes, portées par une certaine violence ou de l'humour noir, influencés par le cinéma américain, que Satoshi Kon admirait, mais gardent toujours, paradoxalement, une certaine dose d'humanité et de sentiments. Tokyo Godfathers, par exemple, est un véritable conte de Noël à échelle des plus démunis, marginaux et délaissés de la société japonaise, les trois mendiants insupportables du film se révélant à travers leur recherche de la mère d'un enfant abandonné la veille de Noël à Tokyo. Et même si la plupart de ses films paraissent désespérés, effrayants car ils s'attaquant aux parts les plus noires de la psychologie humaine, leurs derniers plans retentiront toujours comme l'annonce d'une nouveau départ, portant une véritable douceur optimiste. Le dernier plan de Perfect Blue est celui d'une voiture partant vers un nouvel horizon, celui de Millenium Actress d'une fusée s'élevant dans le ciel, et celui de Paprika, surtout, de l'entrée dans un cinéma.

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    Aucun étonnement à ce que le dernier film inachevé de Satoshi Kon, Yume Miru Kikai (Dreaming Machine ou The Dream Machine pour sa traduction en anglais), porte le mot « Yume » ou « Rêve » dans son titre, film que Satoshi Kon regrette d'avoir dû laisser en suspens suite à l'aggravation de sa maladie. Le réalisateur avait en effet cette conception tout à fait honorable de considérer l'animation comme un véritable moyen de s'immiscer dans l'onirisme d'un ou de plusieurs personnages. Le rêve est en effet le chemin à la fois de la personnalité, de l'intimité, mais aussi de tous les possibles. Déformations, déstructurations, reconstitutions et réalisations sont les mots-clés des univers intérieurs que le cinéaste nous offre à voir, que ce soit chez Mima (Perfect Blue), Chiyoko (Millenium Actress), les trois mendiants de Tokyo Godfathers, mais aussi Tsukiko (Paranoïa Agent), la cantatrice de Memories, ou la jeune fille d'Ohayo (court-métrage réalisé dans le cadre du projet Ani-kuri 15). Mais c'est définitivement Paprika qui conclut le mieux le fruit de sa réflexion, film bien plus abouti et riche qu'Inceptionde Christopher Nolan. La dernière réalisation du cinéaste embarque son spectateur dans une succession de troubles oniriques et dans une fantaisie délirante mais jamais hasardeuse, nous faisant courir, sauter, immerger dans une série d'univers, à bout de souffle.

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    les derniers mots publics de Satoshi Kon : http://www.animeka.com/articles/lettre-de-satoshi-kon.html

    le site de Mad House : http://www.madhouse.co.jp/

    le site de The Dream Machine : http://yume-robo.com/

  • Une vie entre les marges

    UNE VIE DANS LES MARGES Tome 1 (2010) – Yoshihiro Tatsumi

    Editions Cornélius

     

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    Le manga Une Vie dans les Marges, qui a donné lieu à une adaptation au cinéma avec l'inégal Tatsumi (Eric Khoo), s'avère surprenant. Une Vie dans les Marges est le récit passionnant de l'évolution du manga à travers les pérégrinations du jeune auteur qu'était Tatsumi. Mais le manga est de plus un formidable aperçu sur le Japon d'après-guerre.

    C'est en 1994 que Mitsuhiro Asakawa, éditeur, demanda à Yoshihiro Tatsumi de raconter son histoire et l'émergence du Gekiga, un genre dont le mangaka permit l'existence dans les années 1960. Le Gekiga signifie « dessins dramatiques » et marque l’ascension du manga vers un public plus adulte, mettant l'accent non plus sur le divertissement des récits, mais bien plus sur la dramatisation de l'action et le développement des psychologies. Contrairement aux idées reçues, le grand Osamu Tezuka s'avère un des précurseurs dans le domaine, transformant par ses œuvres longues la vision du manga, auparavant cantonné à un public jeune ou à un genre uniquement humoristique. Dans le premier tome d'Une vie entre les Marges,Hiroshi, jeune collégien reflet de Yoshihiro Tatsumi, se jette rapidement dans le monde du manga, dévorant les publications dans les journaux et les magazines, passion déclenchée en partie par l’enthousiaste de son frère aîné qui commence à dessiner avant lui. Osamu Tezuka a un impact tout à fait essentiel dans le développement de sa passion puisque c'est peu de temps après la fin de la Seconde Guerre Mondiale que Hiroshi découvre sa première œuvre de jeunesse et s'enthousiasme d'emblée pour le futur grand auteur. Cette première partie décrit de plus la formidable vitalité que déploient les jeunes auteurs de mange de l'époque, participant à de multiples concours de mangas en 4 cases, puis partant, avec des planches plus longues et détaillées, à la recherche d'un éditeur. Une Vie dans les Marges donne ainsi et de manière très précise, un très bel aperçu sur la multiplication des maisons d'édition, la parution de nouveaux magazines, et sur le succès croissant du manga dans la société japonaise, manga bien souvent divertissant pour rehausser le désespoir de l'après-guerre.

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    Le récit s'attache aussi aux relations que Hiroshi entretient avec les autres membres de sa famille, en particulier son frère aîné, malade mais tout aussi passionné que lui, et qui va devenir jaloux, rival, puis conseiller des oeuvres de son frère, agissant comme un regard extérieur très exigeant. La famille se veut de plus le reflet de la plupart des familles modestes tentant de survivre après la guerre et la défaite japonaise. Hiroshi vit dans des conditions précaires, mais ses parents sont prêts à se sacrifier pour qu'il puisse continuer des études, comme c'était beaucoup le cas pour les enfants des années 50, perçus tels les espoirs d'une nouvelle vie plus fructueuse et réussie que leurs parents ayant beaucoup perdu durant la guerre. Le père de Hiroshi participe de fait pendant une partie de sa vie à une sorte de marché noir, venant fournir des denrées alimentaires ou des produits américains aux habitants de la ville. Cependant, les intrigues familiales restent toujours en arrière-plan, laissant la place au travail d'Hiroshi.

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    Le style est fluide, agréable, aéré dans son découpage. Yoshihiro Tatsumi a choisi la plus grande clarté dans la construction de son manga, fonctionnant par chapitres marquant à chaque fois une nouvelle année, une nouvelle époque, introduits par des images d'archive et des références à des événements politiques, culturels, sportifs... Cette fluidité fait que le récit s'offre à un lectorat large, prouvant bien sa valeur documentaire très intéressante, mais heureusement jamais exprimée de manière démonstrative. Le manga garde une vraie valeur humaine, s'attachant aux sentiments universels d'Hiroshi, afin de faciliter l'accroche et le suivi de cette passion. Un très bon récit pour ceux qui veulent découvrir le monde du manga d'après-guerre.

  • Ip Man

    IP MAN (2008) – Wilson Yip

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    Grosse production hongkongaise, Ip Man retrace la vie de Yip Kai-man, maître chinois de wing chun, un art martial chinois très célèbre et réputé. Je suis loin de connaître les films d'arts martiaux, ou encore les techniques relatives à ces disciplines, toujours est-il que je m'intéressais à Ip Man pour la raison de son succès, qui réintroduit le film d'arts martiaux dans la production cinématographique de la Chine actuelle.

    ipyip.jpgLe film dresse tout d'abord un portrait très élogieux du maître, vu tout du long comme un personnage généreux et noble (aucune allusion à son addiction à l'opium, par exemple). Dans Ip man, il est plus question de poser un dilemme que de connaître le gagnant ou le perdant dans les combats. En effet, la supériorité et la sagesse de Yip dans les arts martiaux est d'emblée acceptée et vénérée, et la plupart des combats visent à réaffirmer ses capacités et sa puissance. Au-delà des affrontements, le film est surtout l'occasion de poser ce fameux dilemme entre l'intensité d'une vie de combat et la paisibilité d'une vie de famille pacifique avec sa femme et son fils. Au final, c'est l'arrivée de la guerre et de l'occupation des Japonais qui va décider du sort de Yip, contraint à jouer les prodigues devant un commandant japonais féru de wing chun. Intrigue pour le moinsipjaponais.png classique, mais pas désagréable, donnant son pourcentage d'action habituel. La réflexion politique reste mince, avec une série de personnages plus ou moins caricaturés : du commandant assez digne et paradoxalement fasciné par Yip à son adjoint insupportable par ses grimaces et sa cruauté excessive et gratuite, en passant par le mercenaire infantile, ou le garant de la loi, chargé de la traduction et divisé entre les deux clans.

    Sur le point de vue de la réalisation, on ne peut qu'être plus que déçu, la mise en scène ne se déployant que sur les scènes d'action, afin de mettre en avant la diversité et l'habileté des techniques déployées. La caméra ne prend le risque de s'élever et de se faufiler au ras du sol ou auprès des corps et des armes que sur les combats, le reste de la réalisation se limitant presque à du théâtre filmé pour le reste, encadrant avec platitude les décors reconstitués. Ce qui fait la différence avec d'autres cinéastes hong-kongais, bien plus talentueux, tels Johnnie To ou Tsui Hark, ceux-ci sachant au contraire déployer une mise en scène personnelle à chaque plan, aussi bien dans l'action que dans les temps faibles.

     

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    L'acteur de Yip, Donnie Yip, s'avère quelconque, efficace évidemment sur les scènes de combat (pas de doublures, l'acteur étant lui-même un expert en arts martiaux), mais assez indifférent sur les séquences émotionnelles. On retrouve quelques acteurs de Johnnie To dans le casting, en particulier Simon Yam (l’extraordinaire chef mafieux d'Exilé) qui trouve ici un rôle étrangement « pacifiste » et calme, ce qui démontre une fois de plus son talent protéiforme. Sans être décevant, Ip Manest un film assez décevant sur le point de vue de la narration ou de la réalisation, et ne vaut le détour que pour ses séquences d'action, celles-ci très étudiées et impressionnantes.

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