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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 17

  • Le Tombeau des Lucioles

    Un abri de lumière

    HOTARU NO HAKA - LE TOMBEAU DES LUCIOLES (1988) – Isao Takahata

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    Plus de 25 ans après sa sortie, Le Tombeau des Lucioles n'a pas perdu de sa force ni de son émotion. Le film de Takahata demeure une profonde expérience cinématographique, qui hisse l'animation japonaise à un véritable niveau de qualité, autant dans sa forme, subtile et novatrice, que dans sa texture narrative, intelligente et efficace.

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    Le film est une adaptation d'un roman de Akiyuki Nosaka. Comme souvent avec Takahata, la question de l'adaptation se révèle très importante, notamment parce que le cinéaste croit aux vertus d'un récit très écrit. Le scénario se révèle ainsi très équilibré, unissant deux temporalités et pris dans un rythme rendant compte de l'histoire intime autant que du portrait général du pays durant dans la guerre. Microcosme et macrocosme se lient, passé et présent se frôlent, tandis que les fantômes reviennent sur les lieux du drame. Le destin de ce frère et cette sœur témoigne ainsi de la situation de beaucoup d'orphelins, mais ne se départit jamais de la singularité qui caractérise les deux personnages, Seita et Setsuko.

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    Le film propose en effet un portrait d'une grande justesse concernant ces deux enfants. Leurs réactions, leur sensibilité tout autant que leur étonnante capacité de retrouver l'espoir, se révèlent au travers de courtes séquences où ces enfants tentent de survivre. Le doublage, d'une rare efficacité, des deux personnages participe à la force de ce portrait, tandis que l'animation, délicate et toujours d'une grande précision chez Takahata, traque chaque instant de vacillement, poursuit chaque moment de joie enfantine, et prend de la distance au moment opportun. Ainsi, une émouvante séquence de course-poursuite sur la plage, où les éclats de rire de Setsuko se mêlent aux grognements de Seita, cède le pas à une vision mélancolique de la mer, survolée par les clameurs de la guerre. En outre, le sens du détail touche également la description de la réalité quotidienne, minutieusement recomposée au travers de détails symbolisant la famine, comme le riz récupéré et économisé ou la boîte à bonbons. Celle-ci se fait en particulier l'écho troublant de l'enfance peu à peu broyée, de Setsuko progressivement amenée au bord de la folie, comme un corps usé et abandonné au bord d'un chemin.

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    Une véritable délicatesse se développe dans l'écriture et dans l'animation de ce film. Ces derniers y deviennent le moyen d'éveiller les peurs et les espoirs des personnages. La faim et la mort apparaissent de manière crue, comme ce terrifiant cadavre de la mère, substitué par cette image solaire du jeune homme exécutant des acrobaties pour distraire sa petite sœur et ne pas lui avouer la réalité. Ensuite, l'une des plus emblématiques séquences du film, illustrant bien cette animation délicate, reste cet abri éclairé poétiquement par les lucioles. L'espace s'y transforme, incarnant le rêve de Seita, cette forme de gloire brillante du passé qui illumine pendant quelques instants les parois rugueuses de l'abri.

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    Enfin, Le Tombeau des Lucioles parvient, sur sa dernière partie, à créer un véritable mémorial animé, d'une véritable émotion. La finesse de la réalisation et la force des images créent un espace dédié aux derniers souvenirs, à la réminiscence, à la poésie de quelques éclats de rire, de quelques pas maladroits sur l'herbe, du reflet d'une petite fille courant sous un drap blanc.

  • Patlabor le film

    Cages à oiseaux

    PATLABOR (1989) – Mamoru Oshii

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    Aussi étonnant que cela puisse paraître, Patlabor annonce en filigrane le très moderne Ghost in the shell, et c'est là son principal intérêt. Bien qu'inspiré de la série du même nom – et les adaptations de séries se révèlent malheureusement souvent le prolongement sans réelle innovation de leur base originale, à quelques exceptions près (l'étonnant Full Metal Alchemist Conqueror of Shamballa ou le travail de Rintaro avec l'adaptation de de Clamp) – le film présente un certain dynamisme et des choix de réalisation bien singuliers. Oshii a su imposer sa patte sur cette production, d'où se dégage peu à peu un style qui parvient par moments à s'échapper du genre mecha.

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    Le charme de Patlabor vient d'une opposition entre deux directions différentes données à cette intrigue. D'une part les protagonistes et les actions prolongent le style de la série et s'avèrent, plus de vingt ans après, très vieillis, tandis que d'autre part le film propose des choix de réalisation déroutants sur certains sujets comme celui de l'informatique. Patlabor cerne en effet les dérapages des labors (robots de grande taille utilisés par la police) devenant incontrôlables suite à l'installation d'un nouveau système d'exploitation. Dès lors, échanges sur l'informatique et séquences de piratage et de virus amorcent quelques éléments de Ghost in the shell, tout en fournissant à l'animation des idées originales. En témoigne une séquence surprenante où le héros trouve la disquette du système et déclenche une forme d'aliénation de tous les écrans, où s'inscrivent des messages étranges. L'animation y devient le moyen efficace de faire partager un moment de dépassement et d'incontrôlable, ce qui se vérifiera dans Ghost in the shell ou encore Perfect Blue (Satoshi Kon).

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    Le plus intriguant dans ce récit reste le personnage fantôme du constructeur du système, n'apparaissant qu'au début du film avant qu'il ne se suicide. Tout l'élément perturbateur doit sa source à ce personnage inconnu, presque surréel, et autour duquel s'agence une série de séquences où deux inspecteurs enquêtent. Ces passages sont presque, si l'on excepte le final efficace, les plus aboutis du film, où le style atmosphérique d'Oshii fait surface. Les deux inspecteurs y traquent les traces de ce fantôme, parcourant les ruines laissées dans le sillage de la construction du projet Babylone. Ces séquences, où les personnages découvrent des appartements désertés et jonchés de cages à oiseaux, restituent l'esthétique des cités de Metropolis ou des Tokyos futuristes d'Akira, oscillantes entre le progrès et la destruction. La musique de Kenji Kawai soutient quant à elle cette atmosphère surréelle, notamment avec l'utilisation d'un karimba mêlé à des sons très aigus de violons, la partition annonçant elle-même les mélanges expérimentaux opérés dans la bande-son de Ghost in the shell. Peu à peu, cette étrangeté rejoint l'intrigue, qui avance la théorie du complot et de personnages emprisonnés dans leur propre société, comme des oiseaux dans leur cage.

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    Au final, Patlabor se révèle garder un bon rythme tout au long du déploiement de cette intrigue. Les séquences les moins dynamiques se révèlent celles de l'animation des labors, notamment parce que le graphisme, et l'animation de l'action, ont perdu de leur force et rejoignent l'esthétique de machines classiques. En revanche, les protagonistes, les scènes de discussion et de réflexion, gardent une certaine épaisseur psychologique, partagées entre des héros attachants et une figure fantôme étrange.

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  • Opus

    OPUS

    Un manga de Satoshi Kon

    Editions Imho 

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    Plus personnel que Kaikisen, Opus est un des mangas écrits par Satoshi Kon, avant qu'il ne commence sa carrière dans l'animation. Il s'agit du premier tome d'un récit fantastique qui amorcé déjà le goût des traversées et des univers parallèles qu'on peut trouver dans les films de Kon. Le graphisme très souple et agréable à lire nous attache tout de suite très facilement à l'histoire et aux protagonistes.

    Le défaut majeur de ce manga repose sur la vacuité de son personnage principal, Chikara Nagai, un artiste mangaka populaire qui se retrouve propulsé dans l'univers de ses dessins, lorsqu'un de ses personnages, refusant le tracé de sa mort, vole la précieuse planche sensée clôturer un chapitre important. D'emblée, la fiction rejoint la réalité de manière habile et efficace, mais, pour ce premier volume, le protagoniste du mangaka précipité n'apporte pas grand-chose à ce basculement fantastique. Ses réactions s'avèrent d'abord amusante, puis deviennent ennuyeuses, plutôt lourdes et classiques, ce qui ne permet pas à la dimension fantastique de s'étoffer plus.

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    En revanche, le protagoniste placé en face du mangaka, l'héroïne Satoko qu'il a créé de toutes pièces dans son manga intitulé « Resonance » avant de la rencontrer, se révèle plus écrite, semblable aux personnages féminins des films de Kon. Elle oppose une certaine méfiance et résistance face à l'écrivain, le retranchent dans ses choix et le faisant réfléchir sur sa propre création. Le même processus s'installer peu à peu au travers du « Masque », le grand opposant de Satoko, qui se remet brutalement en question lorsqu'il apprend que tous ses plans de conquête de pouvoirs ne sont que le fruit de l'imagination d'un autre. Au final, le basculement se révèle intéressant au niveau de l'évolution des protagonistes de ce manga imaginaire, passant au début comme pour un shonen – manga d'action pour garçons - classique, qui se dirige peu à peu vers un manga plus psychologique, approchant le seinen – manga pour adultes.

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    Enfin, la belle surprise de cette œuvre de jeunesse reste la formidable élasticité du trait, prouvant que Kon possède un véritable sens du cadre et de la profondeur. Dans Kaikisen, certaines pages présentaient déjà une belle harmonie, notamment dans la représentation de l'eau ou de phénomènes fantastiques. Ici, la souplesse du tracé de Kon donne lieu à des expérimentations autour de l'idée de traversée, de passage d'un espace à un autre : portes, fenêtres, pages, cadres de toutes tailles deviennent des ouvertures que le futur cinéaste s'amuse à représenter de diverses façons, un simple livre devenant par exemple un immense escalier en mouvement. Plus intéressant se révèle les quelques tentatives d'introspection dans l'esprit des personnages. Un très beau chapitre fait ainsi s'entrechoquer entre les pages les souvenirs imaginés de Satoko, prémisse aux kaléidoscopes des univers de Mima, Chiyoko, ou Paprika.

  • People Mountain People Sea

    Des montagnes aux enfers

    PEOPLE MOUNTAIN PEOPLE SEA – Cai Shangjun

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    Certains critiques y voyaient un western chinois, mais il s'agit plus d'un film noir dans les montagnes chinoises, teinté par l'esprit de Zola – dont le réalisateur affirme s'être inspiré. D'une carrière immense et d'une blancheur extrême aux profondeurs noires d'une mine illégale, le personnage de Lao Tie effectue une progressive descente aux enfers, traversant les bas-fonds et les couches exploitées de la société, à la recherche de l'assassin de son frère. Le film de Cai Shangjun refuse le pathos et le sentimentalisme et s'ancre dans une âpre observation des faits, préférant la précision de la mise en scène et la richesse des sons d'ambiance aux scènes de dialogue ou d'explication.

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    Dans sa réalisation, Cai Shangjun succèderait presque à Jia Zhanke. La photographie du film, et son sens de la mise en scène, rejoignent dignement la latence des films de Zhanke, et chaque mouvement de caméra déploie un sens de la mise en scène et de la narration absolument sidérant. Rien que la première séquence, celle de l'assassinat, propose une esthétique hors du commun : le cadre et les choix de position des personnages déploient une intensité dramatique surprenante, car alliés à une forme de simplicité et de dépouillement provenant des lignes du décor, des collines désertes et inondées de soleil. Par la suite, le protagoniste du frère apparaîtra au beau milieu d'une carrière impressionnante, d'où jaillissent des effluves de poussière blanche et de roches friables. Les textures et l'éclairage ont une importance très forte dans le cadre de cette mise en scène, étant là pour rendre compte d'une atmosphère particulière, souvent angoissante. De bout en bout de son enquête, le frère va ainsi peu à peu passer des montagnes escarpées à l'ambiance bouillonnante et miséreuse de la ville, aux campagnes peuplées de moutons, jusqu'à ce final sidérant au sein d'une mine illégale, où ne règnent que la sueur luisant sur les peaux noircies des travailleurs clandestins.

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    Le personnage de Lao Tie recherche au final plus l'assassin pour se donner une quête et une raison d'agir. Sa mort paraît si absurde et si naturellement acceptée – étant elle-même filmée au début comme un événement naturel – que toute action de vengeance paraît vaine. Sa quête se révèle plus une déconstruction progressive, où Lao Tie observe, se fait humilier, essaie de reprendre le pouvoir par la force, se rend dans les lieux sans réelle conviction, plus dans l'attente que dans la réalisation. Le film nous place autant en position d'observateurs des actions de Lao Tie que de ce qu'il découvre, à savoir une succession de portraits des couches les plus miséreuses de la société, des bas-fonds de la ville aux conditions inhumaines du travail dans les mines. Dans cette peinture noire et âpre, les rares séquences du quotidien de Lao Tie apparaissent comme des temps de suspension paisibles, le temps de déguster un repas ou de promener les moutons, comme si la seule échappatoire possible était de rester fidèle à la vie des montagnes.

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    La sécheresse des scènes et de l'écriture, qui confine au dépouillement le plus complet, prêtent par fois à confusion. Le montage alterne en effet des scènes de contemplation, souvent des plans-séquences à la belle latence, avec de courtes et explosives bulles de violence. Ces choix provoquent soit une émotion brutale, soit une rupture de rythme assez désagréable pour la suite du récit. Hormis ces quelques moments de confusion, l'ensemble laisse une impression forte, film désespéré sur la vengeance ou la condition d'un homme progressivement précipité des montagnes aux enfers de la terre.

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  • Shokuzai

    Dichotomies

    SHOKUZAI – Kiyoshi Kurosawa

    CELLES QUI VOULAIENT SE SOUVENIR

    CELLES QUI VOULAIENT OUBLIER

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    Après le drame familial de son précédent film, Shokuzai semble renouer avec l'horrifique, tout en continuant le prolongement de la critique sociale amorcé avec Tokyo Sonata. Diptyque réunissant 5 épisodes, ce nouveau film se révèle moins radical qu'un Cure ou qu'un Kaïro, plus dans le psychologique et frôlant le fantastique par moments. On songe à du Yoko Ogawa sous sa forme la plus crue, à certains mangas d'horreur ou encore aux figures féminines de Satoshi Kon. Mais malgré toutes ses références, le travail photographique et narratif du film se révèle unique en son genre, très surprenant par son audace et son efficacité.

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    En effet, Kurosawa prend à contrepied l'idée de la réminiscence. Il refuse, avec son scénario, la recherche de tout souvenir, et, au montage, se méfie des flash-backs. C'est bien plus la couleur du présent, propre à chacune des jeunes filles ayant vécu se drame et ayant été dans l'incapacité d'aider à se rappeler du meurtrier de leur camarade, qui intéresse le cinéaste. Comment ont-elles évolué ? Comment ont-elles vécues avec ce traumatisme ? Le film décline ainsi une esthétique du présent tout à fait étonnante : teinte froide, rendant les visages très pâles et la lumière éblouissante, comme désaturant tout sur son passage. Là où le passé apparaît bien souvent, dans la plupart des films mêlant plusieurs temporalités, comme peuplé d'images évanescentes, aux couleurs légères et aux contours estompés, le film de Kurosawa effectue le mouvement inverse. Son passé qui ouvre le film sur le drame vécu par les enfants est d'une esthétique classique, aux teintes marquées, tandis que le présent apparaît comme déjà « passé », vieilli, par sa photographie. Cette dernière trouve des accents définitivement surréels dans le premier ou le cinquième épisode, avec par exemple la transformation d'une chambre à coucher en terrifiante vitrine pour poupée. Ce choix entièrement assumé transforme d'emblée chaque récit en une lecture inquiétante, où l'atmosphère paraît sans cesse vaciller, prête à basculer dans le fantastique ou dans la subjectivité troublée de chaque personnage.

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    En outre, Kurosawa développe une figure fantôme nouvelle, non plus incarnée au travers d'un personnage ou d'un thème ou élément comme auparavant (le suicide dans Kaïro, l'amnésique démoniaque dans Cure, l'arbre dans Charisma), mais apportée par un lieu, autrement dit ce fameux gymnase, lieu du crime où s'est déroulé le drame. Les personnages se révèlent tous hantés par une image du corps de la petite Emili, alliée à une atmosphère du lieu, désert et plongé dans la pénombre. Le geste de la mère qui est de s'allonger par terre à l'emplacement exact du corps témoigne de cette hantise qui traverse tout le film et qui constitue la texture même de la réalisation de Kurosawa. Dès lors, des effets de réminiscence de cette atmosphère traversent chaque histoire, les liant entre elles par échos et créant un sentiment permanent de tension et de mystère, donnant à chacun des récits leur dimension tragique et angoissante. Le film réussit à transmettre une partie de la complexité psychologique décrite à travers cette histoire dans cette forme hybride et nouvelle.

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    Car Shokuzai embrasse avec ambition plusieurs thématiques liées à la société japonaise, en particulier le rapport au corps, à la sexualité, à l'affirmation de soi parmi les autres. C'est à ce niveau que le scénario de chacune des histoires, sauf à la rigueur celle du dernier volet qui renoue plus avec le style des années 90 de Kurosawa, rejoint les meilleurs écrivains japonais dans leur capacité subtile à saisir le malaise, et à balader les protagonistes entre cruauté, radicalité et pudeur, épure. Le film passe ainsi d'un registre à un autre – du drame du premier épisode aux accents vaudevillesques du quatrième – et touche par la finesse de description qu'il confère à ces femmes. Chacune est capturé, dans une scrupuleuse mise en scène des faits, dans son assimilation du traumatisme. Mais les récits ne les condamnent pas ou ne s'en limitent pas à leur unique mode de vie, faisant interagir une série de circonstances et de protagonistes parallèles étant là pour révéler cette assimilation. Le premier épisode fait rencontrer ainsi la timidité maladive d'une des jeunes filles avec la maniaquerie d'un schizophrène, tandis que le deuxième dresse un portrait cinglant des rapports de pouvoir au sein du système scolaire. Le troisième épisode, plus tendre et étonnant, mêle l'imaginaire d'une fille « ours », repliée sur elle-même, à une sombre histoire d'abus sur enfants, où des suggestions inquiétantes viennent frôler l'univers ludique de la jeune adulte. Le dernier épisode, conclusion du film, se révèle moins audacieux, approchant plus l'esthétique des films sud-coréens de vengeance, et rejoignant certaines figures de Kurosawa (les narrations parallèles, la rencontre inattendue avec le tueur, la course dans les bois, ou encore le regard extérieur des enquêteurs).

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    Par le film se révèle enfin une nouvelle facette de Kurosawa, celle de sa qualité à diriger des acteurs n'étant plus uniquement présents dans une dimension plastique ou corporelle. Il y eut certes l'inoubliable acteur fétiche du réalisateur dans Cure, Charisma, Doppelgänger, Koji Yakusho, mais jusqu'à présent – si on excepte Tokyo Sonata – la plupart des acteurs incarnaient des figures bien souvent aliénées, victimes et perdues dans la folie. Ici, dans Shokuzai, une vraie prégnance psychologique est attribuée aux protagonistes féminins, toutes interprétées excellemment dans chacun des volets. Enfin, la plus belle part est accordée au couple de Tokyo Sonata, qui se retrouvent ici dans des rôles aux antipodes de ce précédent film. Kyoko Koizumi incarne une veuve noire impressionnante, tandis que Teriyuki Kagawa – qui jouait également l'hikikomori dans Tokyo ! - propose une métamorphose radicale et une capacité de jeu et de maîtrise du corps impressionnante.

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    L'efficacité de Shokuzai est dans sa dichotomie : allier une photographie proche du noir et blanc à ce qui relève du présent tandis que les flash-backs demeurent dans des couleurs vives, dresser des caractères à la fois autant à la recherche du pardon que de la punition, brasser des actions antagonistes dans une réalisation élégante. Le nouveau film de Kurosawa se révèle tout en finesse, confirmant la maturité d'un cinéaste investissant de plus en plus sur de nouveaux terrains et matières de création.

  • The Grandmaster

    THE GRANDMASTER – Wong Kar-wai

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    Autant le nouveau film de Wong Kar-wai m'a séduite par son esthétique dont je me méfie habituellement, autant son scénario ne m'a pas convaincue. Alors que la forme visuelle et le travail photographique et sonore du cinéaste hongkongais trouve une nouvelle ampleur avec l'histoire d'Yip Man et du kung-fu, les choix de récit et de montage se révèlent confus, peu à peu lassants et creux.

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    Qu'a voulu faire Wong Kar-wai avec The Grandmaster ? Raconter la vie du grand maître ? Montrer sa gloire, puis sa déconstruction face à l'invasion de l'armée japonaise ? Donner une histoire plus générale des différents types d'arts martiaux ? S'attacher à la figure de la fille du grand maître, attirée par la modestie de Ip Man ? Etre dans la fresque ou dans l'intime ? Autant d'intrigues et de choix d'écritures qui ne cessent de se frôler tout du long de The Grandmaster, uniquement unifiés par la forme, exquise, du film.

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    Si Wong Kar-wai a voulu dresser le portrait de la diversité des arts martiaux et se frotter à tout style de combat, cette intention trouve son apogée durant la séquence dans la maison close, autant un lieu de plaisir qu'un espace dédié aux rencontres entre les grandes écoles. Superbement filmé, la séquence fait gravir, au sens propre, les échelons d'un art martial à un autre, mêlant la démonstration à l'épique. Dans cette scène, les intentions de Kar-wai apparaissent et cette alchimie fonctionne admirablement. Or, par la suite, en particulier sur la période de l'invasion japonaise, les rares indications historique délivrées ne suffisent pas à appréhender le reste de l'histoire et à comprendre sa direction. En résulte une succession de séquences tout aussi bouleversantes dans la forme qu'incompréhensibles dans le fond. Le protagoniste mystérieux de La Lame, joué par Chang Chen, donne ainsi lieu à une troublante séquence de rencontre dans un train et à un combat épique dans la rue, mais ne se trouve qu'effleuré dans le récit, jouant plus un rôle en toile de fond.

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    Si le choix de Tony Leung devient presque un classique chez Wong Kar-wai, sa sobriété marquée et son charisme naturel étant les deux ressorts clés de ses personnages, et en l'occurrence parfaits pour incarner Yip Man, le choix de Zhang Ziyi, pourtant un personnage secondaire, se révèle bien plus audacieux et étonnant. Le fait est que l'écriture de la fille du Maître Gong présente bien plus d'ambivalence que l'intègre Yip. Zhang Ziyi incarne ainsi un personnage aux antipodes de ceux – bien plus niais et sans réelle profondeur – de ses précédents films, et réunit plusieurs questionnements sur l'héritage et la vengeance. La beauté de l'actrice est traitée dans la tonalité d'une grande froideur qui atteindra sa force avec la séquence dans la neige près d'une voie de chemin de fer. Cette froideur et cette épure concernant la mise en scène du personnage transmettent une forme de dignité chez Kar-wai, et déclenchent bien plus d'émotion que pour le malheur vécu par Yip Man, dont le destin familial est totalement éclipsé du film.

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    Plus intéressant, enfin, se révèle le choix esthétique apporté aux séquences de confrontation. Kar-wai y semble fusionner deux styles auparavant distingués dans le cinéma d'action chinois, réunissant à la fois Bruce Lee et Tsui Hark. En effet, si le film met en scène le maître du wing chun, l'art martial qui a fait la renommée de Yip Man et de son élève Bruce Lee à Hollywood, les combats au corps au corps sont filmés comme des séquences de wu xia pian, d'affrontement au sabre. L'esthétique développée autour du mouvement, de la virevolte et du prolongement des membres du corps atteint presque une dimension surnaturelle et fantastique. Ce renversement se révèle impressionnant et aurait pu atteindre une véritable ampleur si l'écriture globale du film s'était révélée plus cohérente.

  • Zatoïchi

    Coups de sabres et numéros de claquettes

    ZATOICHI (2003) – Takeshi Kitano

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    Le film s’inspire d'une célèbre série des années 1970. Kitano en retire l'atmosphère de la période Edo où se situe l'action, et son caractère mêlé de corruption, de débauche, de misère. Et il y apporte deux actions : celle de son sens du drame et de l'artistique ; et celle de l'appropriation du rôle de Zatoïchi dans son registre habituel.

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    Zatoïchi est l'occasion de réaffirmer l'efficacité qu'accorde Kitano au thème de la violence au cinéma. S'approprier une telle reconstitution, qui plus est traversée d'un contexte de bataille bien particulier, a pu être souvent agaçant dans certains films, aussi bien américains qu'asiatiques. Mais ici, Kitano parvient à s'inscrire dans l'héritage d'un Kurosawa, dans un même sens de l'épique et du monumental, tout en y apportant sa touche particulière. Chez Kitano, la violence surgit, longuement contenue au détour d'une partie de dés ou au coin d'une rue, jaillissant du corps tranquille de la masse Kitano aux cheveux blonds. Dans Zatoïchi, il se développe ainsi une esthétique des sabres qui giflent l'air, fait gicler le sang et voltiger les décors. Il est épatant de constater que les effets spéciaux n'ont pas du tout vieilli, et les séquences d'action impressionnent toujours autant, en dépit des dix années de différence. Kitano évite en effet au maximum la surcharge de ralentis et de mouvements de caméra sur ces scènes pour privilégier une violence sèche, renforcée par son sens de la composition graphique et des lignes de fuite. Enfin, la teinte du film, dans une atmosphère jaunie et pâle, comme une vieille photographie, contribue de donner le caractère très réaliste à ces scènes et à la reconstitution en général. Kitano s'amuse même de cette esthétique développée avec de nombreux gags où le sabre surgit là où on ne l'attend pas.

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    Le plus surprenant dans ce film reste enfin la tournure que prennent les événements et les protagonistes mis en place. La structure alterne plusieurs histoires, proche de celle de Dolls ou de Hana-Bi, et fait varier les registres : de la passion du jeu de Shinkichi, personnage burlesque, au drame du frère et de la sœur se reconvertissant en filles de charme pour retrouver les assassins de leur famille, le film passe de la comédie au mélodrame, du gag à la violence. S'emparer d'un genre spécifique ne relève donc pas de la fidélité chez Kitano, mais consiste bien plus à immerger ce genre de son humour et de son regard acéré, détournant les éléments. Ainsi, la séquence finale est un véritable contrepied à une attendue confrontation finale au sabre. Cette dernière a quand même lieu, et Kitano s'y réserve le beau rôle, faisant part d'une nouvelle transformation dans sa performance d'acteur. Mais cette scène se retrouve confronté à un surprenant numéro de claquettes, qui, telle une célébration finale, convertit le film de sabres en comédie musicale. Au final, Zatoïchi est peut-être l'un des films témoignant le plus du parcours de Kitano : manzaï (duos comiques), travestissements, performances de danse, mouvance physique et rythmée, et numéros de claquettes jalonnent tout le film dans une brillante efficacité.

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  • Une vie simple

    Plaisirs culinaires

    UNE VIE SIMPLE – Ann Hui

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    Une vie simpleest un film très culinaire, et ce n'est pas ce qui le dessert, bien au contraire ! La simplicité du film (et donc, de la vie de ses protagonistes) vient avant tout des échanges, plaisirs, partages de la cuisine et des plats chinois. Une simple soupe devient dans le cadre du drame de la fin de vie de Ah Tao (Deanie Ip), servante dévouée à la famille Leung et ayant presque élevée par elle-même le dernier fils, Roger (Andy Lau), devient une véritable bénédiction.

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    Dès le début du film, le scénario nous vante les mérites culinaires de la vieille servante, filmée cachée dans la cuisine ou sélectionnant avec sévérité ses ingrédients au marché, et la réalisation se plaît à en faire la démonstration, dans des scènes absolument alléchantes. Par la suite, toute la tendresse d'Une vie simple résidera avant tout dans les efforts que vont déployer Roger et le reste de la famille pour prendre soin de Ah tao, paralysée et recluse dans une piteuse maison de repos suite à un infarctus. Lui préparer et lui offrir des plats sera la principale attention apportée, donnant lieu à des déclinaisons comiques de ces simples gestes : Roger ou sa mère, connaissant l'exigence d'Ah Tao, verront leurs plats critiqués par la malade, débouchant sur des scènes comiques. Dans ce rapport entre Roger et la servante, c'est bien une histoire de filiation qui se noue, teintée de romance amoureuse. La relation est cernée au travers de séquences d'une tendre complicité, refusant le larmoiement pour se concentrer sur les petites plaisirs de la vie, ou encore les découvertes nostalgiques. En témoigne une émouvante séquence de fouille dans les cartons, où la vieille femme redécouvre, à la veille de sa mort, son tout premier salaire de servante, tandis que son protégé la regarde amoureusement s'extasier.

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    En outre, Une vie simple réussit à garder un équilibre plaisant entre le mélodrame et le comique. Le choix d'un sujet aussi lourd est non seulement traité avec une belle justesse, mais est de plus constamment enrichi de touches burlesques et humoristiques. Dans la maison de repos, le caractère assez infernal tout autant qu'attendrissant du lieu est relevé, où les personnes âgées peuvent se révéler insupportables, bornées, disputant un voisin qui peine à manger, réclamant de l'argent à tout va, ou encore se trompant de dentier. En outre, le film joe habilement de l'image de Andy Lau, un choix très habile dans le casting, puisqu'il incarne un producteur de blockbusters, pourtant habitué à vivre simplement car fidèle aux codes de vie modestes de celle qui l'a élevé. De ce contexte naissent des scènes burlesques, tournant en dérision le cinéma chinois : apparition hilarante de Tsui Hark réclamant plus de budget pour son film ; reconversion de Anthony Wong, fidèle acteur de Johnnie To, en directeur de maison de retraite à l'allure d'un mafieux...

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    La simplicité du film et de ses intentions en font une histoire forte, et éminemment touchante. Son rythme parvient à nous faire suivre, dans une troublante vérité, le sentiment de la maladie qui nous dépasse, pouvant faire passer d'un rétablissement plein d'espoir à une brusque dégradation. Les interprétations sont époustouflantes, Deanie Ip jouant de manière impressionnante ce corps malade passant par toutes les phases sans perdre de sa dignité ; et Andy Lau, dans un choix judicieux, à la fois en lien avec son image de célébrité et à contrepoint de ses rôles habituels, joue sur la carte de l'intime et sur celle de son impeccable sobriété. 

  • Colorful

    Le Tableau

    COLORFUL (2010) – Keiichi Hara

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    (Merci à Louise !)

    Après Un Été avec Coo, déjà une agréable surprise, Keiichi Hara nous a proposé Colorful il y a deux ans, un film déjà plus largement distribué que son premier long-métrage. Cependant, en dépit des apparences (et d'une campagne de promotion encore une fois mal conçue en France, visant le jeune public et ne présentant le film que dans le secteur animation jeunesse de la plupart des magasins), Colorfuln’est en rien un film destiné à des enfants. Les thèmes abordés, et plus que tout les dialogues et scènes développés se révèlent d'une complexité humaine très particulière, mettant en avant les rapports de cruauté qui peuvent apparaître au sein d'une famille ou d'un environnement scolaire. Même si le protagoniste principal est un enfant de 15 ans, le film débute par la réincarnation de l'âme d'une personne morte dans son corps, se réveillant à l'hôpital et apprenant que le garçon dont il vient juste de récupérer l'identité a tenté de se suicider. Le film mêle à la fois l'enquête menée pour tenter de comprendre les raisons du suicide du collégien Makoto Kobayashi, et la tentative d'insertion de l'âme à qui l'on a confié cette « 2ème chance », instance narratrice du film, et peu prête à commencer une nouvelle vie dans un corps et un contexte qu'elle ne connaît pas. L'âme est accompagnée en outre d'un petit gardien, Puru-Puru, vêtu et coloré tout de gris et invisible du reste des humains.

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    Le résumé du film, encore plus que les images et le tracé régulier, simple et léger de Keiichi Hara, ne présagent pas la profondeur des thèmes abordés. C'est peut-être là le secret de l'alchimie chez Hara, un cinéaste qui prouve avec ce second long-métrage une bien plus belle sensibilité, plus affinée que celle de Mamoru Hosoda (La traversée du temps, Summer Wars, Ame et Yuki). Colorful, encore plus qu'Un été avec Coo, allie avec grâce le paisible et la cruauté, la violence psychologique au lyrisme, le désespoir à l'espoir. Son scénario déploie, sur une durée de deux heures, un long cheminement vers l'acceptation, ne se réfugiant pas dans la facilité, préférant nous faire ressentir la peine et la difficulté de la réincarnation. Alors que tous les ingrédients sont là pour basculer dans le fantastique ou les effets spéciaux, Hara prend le contrepied avec un traitement réaliste et très humain de son scénario, tout comme il l'avait fait avec le récit de l'affolement médiatique autour du kappa Coo dans son précédent film.

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    Au final, la seule scène fantastique et irréelle du film reste la séquence d'ouverture. Mais même celle-ci reçoit un traitement particulier, très personnel de par son minimalisme. La réalisation nous fait partager, en vue subjective, les premières visions du passage à l'au-delà, et les interrogations intérieures sont transcrites par des cartons insérés, comme un film muet. L'image est volontairement floue, baignant dans des superpositions de silhouettes et de lumières faibles, d'où émergent seulement une figure nette, celle de Puru-Puru. Autant dire que la représentation de l'au-delà se révèle quasi inexistante et d'une grande sobriété dans le film. L'animation est, réaffirmant par ailleurs une tradition partagée par une grade part des films d'animation japonais, bien plus une confrontation à la réalité et à sa complexité, dans tout ce qu'elle a d'éphémère et d'inattendu. Hara confirme dans ce choix son rapport très personnel avec le cinéma d'animation, se forgeant un style avant tout marqué par l'intimité et la délicatesse.

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    En effet, le film nous fait partager les difficultés relationnelles de Makoto avec sa « nouvelle » famille et ses « nouveaux » camarades de classe. Les scènes familiales se révèlent très fréquentes, notamment celles des repas, perpétrant une filiation avec le cinéma d'Ozu ou plus récemment celui de Kore-eda (Nobody Knows ; Still Walking) et chacune d'entre elle montre subtilement les tensions, la pudeur ou l'incompréhension. Par exemple, Makoto, ne supportant pas la présence de sa mère, ne vient aux repas que parce qu'il s'y trouve la compagnie de son père et de son frère. Mais un soir, sa mère, gênée, lui explique qu'ils resteront seuls pour le repas. La tension se fait ressentir alors dans des choix très fins de réalisation, tant sur le dialogue que sur le rythme du montage qui laisse présager une inévitable dispute. Le graphisme soigné et harmonieux du film se plie admirablement à ce genre de scènes.

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    Face à ce réalisme psychologique, le choix d'un lyrisme prudent prend toute sa grâce, par contraste. Les tableaux peints par Makoto avant son suicide, en particulier, reflètent une dimension onirique, souvent cachés ou incrustés dans le cadre. Dans la chambre, espace étouffant où Makoto s'ennuie ou se terre la journée, les peintures disséminées sont autant d'espaces ouverts sur le ciel, paradoxalement poétiques pour un collégien s'étant suicidé, et annonçant la progressive réconciliation avec la vie du jeune garçon. A l'école, un tableau trône dans la salle du Club de dessin, tableau qui reviendra fréquemment hanter le film par les questions soulevées sur sa représentation : un cheval, pris dans un monochrome bleuté, semble s'ériger vers une sortie lumineuse, dans un espace aquatique ou céleste ? L'ambiguïté soulevée par la représentation du tableau incarne aussi l'un des moments de lyrisme du film, son in-animation en faisant justement la force.

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    Car, cette idée figurant déjà chez Satoshi Kon et ses nombreuses figures fixes et obsessionnelles, le choix d'éléments figés dans un film d'animation prennent une ampleur et une place considérable dans les intrigues, souvent un point fixe cristallisant une émotion. Ici, ce tableau se substitue à l'angoisse de Makoto, celle de ne pas pouvoir atteindre une identité et de trouver sa place, pris dans un mouvement d'hésitation entre le refus – et donc, la montée vers l'au-delà – et l'acceptation de la vie sur terre. Une autre très belle séquence, elle aussi jalonnée d'éléments fixes dans son montage, se révèle emblématique d'un changement dans la perception chez Makoto. Il s'agit de ce très beau passage, presque une pause documentaire, où Makoto rencontre son premier ami, un collégien passionné par l'histoire qui lui fait suivre le parcours d'un ancien tramway le long des rues. L'insertion de photographies en noir et blanc vient figurer cette histoire, créant une nouvelle topographie des lieux et des couleurs, brusque pause qui vient apaiser le rythme et nouer tendrement la rencontre entre les deux collégiens. A partir de là, l'espace et l'animation semblent s'ouvrir, revenant à la force tranquille de la nature qui figurait déjà dans un Été avec Coo, nature vue comme réconciliatrice et intemporelle. 

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  • Psycho Pass

    PSYCHO PASS (2012)

    Studio Production I.G. 

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    Il existe d'excellentes séries qui auraient déjà dû avoir leur article sur ce blog. Faute de temps, certains excellents ensembles – tels Durarara !! ou Tiger et Bunny – n'ont pas eu de mises en avant, malheureusement. Ici, cet article pour Psycho Pass, toute récente série dont la diffusion vient de se terminer au Japon et dont on peut espérer une sortie DVD en France, a pour but d'attirer l'attention sur l'extrême qualité de ce travail s'acheminant sur 22 épisodes.

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    Le scénario rejoint celui de ces grandes sagas futuristes où sont placés les éléments biotechnologiques du contrôle de l'être humain : ici un système baptisée Sybil capable de mesurer les coefficients de criminalité des habitants et d'en détecter ceux à risque. Dès lors, une brigade composée d'Inspecteurs et d'Exécuteurs (ces derniers anciens criminels se "rachetant" en participant aux enquêtes) se mettent à la poursuite des potentiels criminels. Entre leurs mains, le Dominator, une arme capable de décider du jugement final selon le taux mesuré, de la simple paralysie à l'exécution totale. Autant dire que ce postulat balance tout de suite Psycho Pass du côté de lourdes questions morales et éthiques. Pourtant, l'intelligence du scénario est de nous obliger à accepter le système durant les premiers épisodes, à nous habituer cruellement pour mieux déstabiliser par la suite. A partir du 4ème épisode, Psycho Pass se dirige en effet vers un brillant thriller empli de tension et de bouleversements psychologiques.

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    Le début de la série s'appuie sur un protagoniste féminin débutant en tant qu'inspectrice et facilitant à l'identification. Pourtant, même si le personnage de Akane fait preuve de plus d'humanité que son équipe, par un comportement naïf et aimable, elle est l'élément qui nous force à accepter l'univers si dérangeant de ce système Sybil. Malgré la violence qui la choque dans un premier temps, elle vit tout d'abord dans l'acceptation et montre combien le système est inscrit dans la quotidienneté. Evidemment, la force de la série est de nous montrer l'évolution de ce protagoniste, de ses relations avec les autres membres de l'équipe, de son rapport au système, mais aussi celle de tous les autres personnages. Là est un second point intelligent de Psycho Pass, c'est d'avoir réussi à dresser des portraits d'une grande complexité et d'une grande finesse. Face à Akane se dressent par exemple les deux personnages antagonistes se traquant tout au long de la série, l'Exécuteur Kôgami et le criminel Makishima, tous deux aux personnalités très marquées et dont les situations évoluent remarquablement au cours des épisodes, inversant les rôles. Le criminel Makishima incarne un personnage antagoniste d'un charisme et d'une complexité nouvelle.

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    Enfin, Psycho Pass se révèle une série très visionnaire et en rapport avec les évolutions de son temps. Au travers d'un scénario enquête hautement haletant et bien rythmé sont esquissées les grandes problématiques liées aux avancées technologiques : le désir et le danger de la maîtrise totale des esprits (dont les dérapages ne sont pas sans rappeler les films de Satoshi Kon, de sa série Paranoïa Agent à Paprika ; ou encore un univers à la Ghost in The Shell), l'incapacité à faire face à des cas extrêmes qui ne se plient pas au système, le dilemme face à une société lissée et abondante en failles et sacrifices. La finesse de l'écriture, alliée au graphisme et à l'animation très soignée et élégante, sont là pour donner une véritable épaisseur dramatique à ses thèmes, en manquant pas de soulever de nombreuses questions et d'ébranler le spectateur par une violence assumée. 

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