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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 13

  • Pissenlits dansant dans la neige

    PISSENLITS DANSANT DANS LA NEIGE

    Une conférence de Yoko Tawada le 17 septembre à la Maison de la Culture du Japon

    Jeudi dernier, la MCJP accueillait en clôture d'un colloque sur Yasunari Kawabata l'auteure Yoko Tawada. C'est avec malice que Tawada apporta son regard d'écrivain, de lectrice, sur la dernière œuvre inachevée de Kawabata, « Tanpopo », Les Pissenlits, et présenta un texte traduit avec efficacité par Cécile Sakai.

    La conférence de Tawada avait un véritable atout à être ouverte à tous les publics. Avec une redoutable aisance, son écriture alliait l'analyse fine à une expérience personnelle, connectait l'anecdote à la recherche plus exigeante. L'idée du pissenlit vint ainsi rejoindre, dans une interrogation sur la fleur et sa charge symbolique, l'ornementation du passeport de l'auteure, ou le film Tampopo (Jûzû Itami, 1985) et sa vulgarité comique. Le discours évolua par évocations, comparaisons, renvois originaux et décalés – mais faisant toujours sens – vers les motifs du récit et ses circonvolutions possibles, tels la cécité / sexualité, l'impuissance, la neige, la montagne... Ces circonvolutions déjà présente dans le récit et entre les autres œuvres de Kawabata, Tawada les faisait rimer avec d'autres histoires, les siennes, celles de sa double-culture, de l'écriture et du quotidien de son pays. Elle mit ainsi en résonance, avec émotion, les restes de Fukushima avec les images du célèbre écrivain.

    En à peine une heure, la conférence de Tawada fut riche en thèmes et références, liant et déliant les figures tracées dans les Pissenlits de Kawabata. De l'hôpital à la montagne, de la fille au père, à la mère et à son mari, l'auteure a glissé un regard pertinent et très ouvert dans ses interprétations, jonglant autant avec les kanjis de son pays qu'avec les quelques objets posés devant elle, en guise d'évocations comiques. La légèreté de son ton et sa facilité à agripper ces différentes propositions n'ont étayé en rien l'exercice d'analyse et n'ont fait que redoubler l'envie de découvrir les écrits de ces Pissenlits.

    la page de l'événement : http://www.mcjp.fr/francais/conferences/pissenlits-dansant-dans-la-neige/pissenlits-dansant-dans-la-neige

    le site de Yoko Tawada : http://yokotawada.de/?page_id=24

  • Budori, l'étrange voyage

    Alice entre les saisons

    BUDORI, L'ÉTRANGE VOYAGE (GUSKÔ BUDORI NO DENKI) – Gisaburo Sugii

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    Adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa, Budori est le récit initiatique d'un jeune personnage, entrecoupé de ses étranges visions dans un univers métaphorique. Habilement, le film de Gisaburo Sugii brasse, durant son voyage, divers tons, du fantastique onirique à un réalisme assez poignant.

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    Si Gisaburo Sugii emprunte l'imaginaire animalier dans ce récit, c'est, d'une part pour prolonger un style déjà engagé sur son adaptation de Train de Nuit dans la Voie Lactée, d'autre part pour aborder avec facilité le développement rude des événements. La qualité anthropomorphique de ces chats très attachants n'est pas sans rappeler l'aisance du Royaume des Chats dans cette représentation animée de ces animaux marchant maintenant sur deux pattes, habillés en costumes du temps présent, prêts à partager le quotidien familial. Ainsi, le tableau d'ouverture installe la vie paisible des parents et de la petite sœur de Budori, mais également sa tragédie. La disparition des parents tient à un métaphorique que l'utilisation des chats permet de faciliter. Avec finesse, Budori aborde ainsi l'idée de la mort, et parvient à signaler son caractère terrifiant. L'animation passe de la douceur et convivialité à un expressionnisme troublant de la nature. La maison isolée de la famille, auparavant perçue comme un havre de paix printanier, devient peu à peu une bicoque bancale sous le poids du vent et de la neige.

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    Les saisons rythment cette odyssée. Au-delà de la tendance fantastique, le film vaut surtout le détour par son traitement de ces saisons et des cycles de la vie, un thème cher au studio Ghibli (dans Le Conte de la Princesse Kaguya ou dans Les Contes de Terremer), mais qui gagne ici une véritable importance. La première partie est, sur ce point, édifiante, où tout le récit vient s'incarner dans l'évolution de la forêt et des cultures. Plus loin encore, c'est bel et bien ce changement de saisons et son clivage progressif qui engendre le fantastique réel du film. Le dérèglement climatique, lui-même surréaliste dans son principe, provoque aussi le dérèglement de l'image et du rythme. Les campagnes ou forêts auparavant très réalistes deviennent appauvries ou foisonnantes à excès, les rizières se font polluer par du pétrole et les volcans s'éveillent. Progressivement, l'animation de Gisaburo Sugii et du studio Tezuka Production se colore, prend des chemins plus audacieux, propose des décors plus sauvages ou éclectiques, en phase avec ce décollage de la dimension surréelle.

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    L'univers fantastique que développe parallèlement le film au voyage de son personnage parmi les campagnes s'affiche définitivement comme le monde merveilleux d'Alice. S'y retrouvent l'absurdité de Lewis Carroll, le déguisement derrière la loufoquerie des angoisses du jeune garçon, comme le travail forcé et à la chaîne, la monstruosité, la condamnation à mort... Paradoxalement, ces plongées dans l'univers sombre qui travaille l'esprit de Budori ont droit à un traitement particulièrement flamboyant. L'apparition du chat capé s'introduit de manière sublime dans le film, par des envolées lyriques et de fulgurants éclairs bleutés. Les scènes dans cet univers parallèle sont d'une telle beauté effrayante que se regrette vite leur disparition progressive au cours du film. Mais, comme pour Alice, elles ne sont que des songes éphémères, jamais capables d'accéder à un niveau de réalité supérieur.

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    Si le titre français a axé sa traduction sur le rapport à Alice (« l'étrange voyage »...), le titre original concentre bel et bien son action sur l'existence du personnage. En cela, l'atonie et la mollesse du jeune chat déconcerte un petit peu. Bien souvent, il se laisse guidé, mené par les événements sans véritablement y imposer son caractère ou sa présence. Les personnages secondaires pétillent de drôlerie tandis que le jeune Budori paraît, injustement et de manière décevante, constant dans ses actions, porté par la même naïveté nonchalante qui le laisse bien souvent pantois et figé face aux décors qui se déploient face à lui. Cette passivité demeure quelque peu frustrante au vu de l'évolution que prend le film et sa dimension humaine, où Budori arrive à la capitale, commence à travailler et à partager avec ses professeurs et collègues. Mais elle n'empêche pas l'émotion de jaillir sur ce qui se conclue par une belle leçon de vie.

  • La Maison dans l'arbre

    LA MAISON DANS L'ARBRE

    Un roman de Mitsuyo Kakuta

    Editions Actes Sud, 2013

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    Ce roman de Mitsuyo Kakuta s'empare d'un large destin familial, des premiers pas d'une femme exilée en Mandchourie jusqu'au balbutiements de son dernier petit-fils dans le Japon d'aujourd'hui. Petit à petit, l'écriture et la structure éclatée de l'auteure nous entraîne dans le tourbillon temporel qui s'agence et qui grandit en couples, enfants, petit-enfants...

    À chaque nouveau personnage introduit, de part et d'autre des deux époques, se pose bien souvent la question de son évolution. Comment en est-il arrivé là ? Qu'a-t-il pu se passer pour qu'un tel personnage évolue ? Les transitions et les dichotomies entre les comportements soulèvent un véritable suspense psychologique et humain, progressivement prenant. L'ouverture, trompeuse, laisse croire à l'importance de Yoshitsugu, le dernier de la famille, qui décide après le décès de son grand-père, responsable du grand restaurant familial, d'emmener sa grand-mère en Mandchourie. Mais, l'entrée de cette dernière sur le pays où elle a rencontré son mari fait recommencer l'histoire familiale. Progressivement, tous les personnages précédemment vus à travers le regard de Yoshitsugu, notamment son frivole oncle Taijiro qui les accompagne pour le voyage, retrouvent leur place et se révèlent. La grand-mère devient le pivot de cette transition temporelle, entraînant dans le passé de deux immigrés japonais et ouvrant sur un rapport singulier à l'Histoire.

    Avec finesse, le roman de Mitsuyo Kakuta embrasse toute la seconde moitié du siècle jusqu'au nouveau millénaire, et propose dans un mouvement romanesque ambitieux un regard sur les grandes évolutions de son pays. Le projet d'unification des peuples d'Asie, la Seconde Guerre Mondiale et la défaite, la reconstruction du Japon, l'arrivée de la télévision, les rébellions des années 1970 sont autant d'événements qui jalonnent le roman. L'écriture de Mitsuyo Kakuta et son aisance condense brillamment ces évolutions, les faisant filtrer au travers des personnages. Mais au-delà de la peinture historique et sociale, c'est la progression humaine qui touche dans ce récit. En parallèle des mouvements du pays, la famille se construit, affirme ses valeurs propres tut en s'effritant dans son évolution. Là réside la paradoxe de ce destin déchirant : plus la famille s'étend, plus elle assure sa pérennité, plus ses membres sont voués à disparaître, à s'effacer, à s'individualiser. « N'avons-nous pas honte d'avoir fui ? » s'interroge constamment la grand-mère, divulguant inconsciemment ce comportement de fuite dans l'héritage familial, où chacun s'éloigne, revient sur ses pas, tente de vivre par lui-même, puis redevient dépendant... Autant de trajets et de retours qui, bien qu'intensifiés, nous rappellent à notre propre famille.

    Avec douceur, dans un surprenant et lent assouplissement du rythme, le roman de Mitsuyo Kakuta soulève le bouleversement. Les pièces se mettent en place, les enfants naissent et grandissent, le travail évolue, les souvenirs se connectent à la réalité présente. Dans cette fabuleuse saga s'agite sur ses dernières pages la vérité sur les réactions des uns et des autres, et se révèlent les failles de chacun. Se met ainsi en place la genèse de ce titre poétique, cette « maison dans l'arbre » qui est un improbable refuge loin de la lourde quotidienneté des sentiments familiaux, loin de l'inévitable glissement du destin. Se comprend ainsi, dans l'attachement de la grand-mère et de l'oncle au jeune Yoshitsugu - qu'ils surnomment tous deux « mon petit Yoshi » - leur reconnaissance fugace et spectrale d'un des enfants disparus dans cette histoire. Se dessine, dans les dernières pages du retour au pays, le sentiment d'avoir plongé au cœur des dissensions et des passions familiales, et d'en ressortir la tête pleine d'idées émues et tendres.

  • Detective Dee 2 : La Légende du dragon des mers

    Un Fantastique démesuré

    DETECTIVE DEE 2 : LA LEGENDE DU DRAGON DES MERS (DI RENJIE : SHEN DU LONG WANG) – Tsui Hark

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    Ce prequel à l'excellent Detective Dee : le Mystère de la flamme fantôme s'impose plus comme une fantaisie de la part de Tsui Hark plutôt qu'un véritable second volet. Detective Dee 2 diffère ainsi radicalement du premier, que ce soit dans son esthétique ou dans ses choix narratifs.

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    Le premier volet proposait brillamment une enquête prenante, révélant la complexité d'une époque, du pouvoir de l'Impératrice, tout en composant un Dee désabusé et torturé. Ainsi, à la flamboyante réalisation s'alliaient une certaine finesse de regard et des personnages aux convictions très différentes. Detective Dee 2, lui, prend la direction d'un divertissement beaucoup plus fantaisiste. La proposition d'un Dee plus jeune confère à l'enquête du film un dynamisme revigorant et un malin penchant vers l'absurdité. Les scènes d'action gagnent en spectaculaire, en ampleur, et en effets spéciaux, et le rythme soutient la surenchère de l'entreprise.

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    La Légende du Dragon des mers ancre définitivement le propos dans le fantastique, ou du moins dans une atmosphère abracadabrantesque au possible, étonnamment riche en références. À la texture sombre et tortueuse du premier volet répond une abondance de tons et de décors divers dans le second, plongeant dans les rues agitées de la capitale jusqu'aux rivages d'une île exotique et lugubre, s'engloutissant dans des palais ou des mares de nénuphars, et offrant parfois de somptueux dégradés de couleurs (lors de la séquence dans la teinturerie en particulier). Dans ce film dégouline véritablement ce plaisir de Tsui Hark à filmer ses jeunes héros, tous des acteurs ou chanteurs populaires de Hong Kong, et à les confronter aux situations absurdes. L'esthétique du film assimile, dans ce même plaisir, les références les plus diverses, reprenant la virtuosité du wu xia pian, la rivalité camarade du film de kung-fu, mais également l'artifice du film de monstres. Les créatures du film dégagent une excentricité proche des films fantastiques américains des années 1950, et le film assume entièrement l'aspect artificiel des effets spéciaux. Ce n'est donc plus la révélation de l'artifice et sa dé-construction par les explications scientifiques d'Andy Lau dans le premier volet, mais bien plus le choc de la raison du détective contre un fantastique démesuré et sublimé.

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    En ce sens, le film n'est pas dénué d'humour et offre des séquences d'action absolument jouissives, car elles osent à l'étalage des idées les plus tortueuses. Le plan de Luoyang, cloué au mur dans le Temple Suprême, se transforme donc aisément sous le regard scrupuleux de Dee, devenant cartographie animée et reconstituée. Lorsqu'elle est convoquée, l'intelligence du personnage est sans cesse le moyen de propulser les retouches numériques ou les incrustations, faisant sentir et agir la logique des événements. Une telle émulation du visuel et du son au service du travail mental n'est pas sans rappeler les visions de Sherlock Holmes dans les deux films de Guy Ritchie. L'aspect scientifique abonde ainsi en trouvailles décapantes, tels le repoussant antidote contre un thé empoisonné (doublé d'un gag en cours de générique), les rejets exorcisants de parasites sur les corps des nobles ou encore les batailles contre d'une créature marine gigantesque. En outre, Tsui Hark offre à son personnage une nouveauté, celle d'une faiblesse. Dee ne sachant pas nager, ce manque est comblée par une spectaculaire séquence maritime de course-poursuite... à cheval.

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    Loin de son divertissement, Detective Dee 2 ne présente cependant pas la richesse émotionnelle présente dans le premier film. Le raffiné Andy Lau confrontait d'excellents ennemis. Mark Chao est un second détective très convaincant, mais ceux qu'il rencontre n'atteignent pas la même force que dans le précédent volet, et desservent bien plus les ressorts scénaristiques auxquels ils sont rattachés. Le protagoniste de Zhenjin (William Feng) offre certes un rival charismatique et dont le sérieux contraste avec l'humour désabusé de Dee, mais sa relation entreprise avec le détective reste en surface celle de batailles partagées. Angelababy, jouant la courtisane, et Lin Gengxi dans celui de Shatuo endossent des habits déjà usés, loin de la grâce de Li BingBing ou de Carina Lau. À ce film de Tsui Hark manque de véritables affrontements, non pas visuels, mais psychologiques.

  • Le Cimetière de la morale

    Caïd enragé

    LE CIMETIERE DE LA MORALE (JINGI NO HABAKA – 1975) – Kinji Fukasaku

    Merci à Phl pour le prêt !

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    Première découverte de Kinji Fukasaku, qui vient de bénéficier d'une ample rétrospective à la Cinémathèque, Le Cimetière de la Morale suit le parcours chaotique du yakuza Ishikawa (Tetsuya Watari), du sortir de la Seconde Guerre Mondiale jusqu'à sa fin tragique.

    Le Cimetière de la Morale transcrit la violence explosive du protagoniste dans cette réalisation enragée propre à Fukasaku. Mouvements constants des protagonistes dans les plans d'ensemble, rapidité du découpage lors des scènes de course-poursuite, zooms combinés aux déambulations des gangs dans les rues... Les rares moments de calme concernent les tactiques des chefs de clans pour tenter de contenir la violence de ce yakuza provoquant sans cesse des conflits par ses attaques incessantes. Plutôt que de montrer les actions et les instaurations des clans, Fukasaku en montre plutôt les dérives et l'impossibilité pour chacun d'en contenir la dignité. Les mots d'« honneur », de « sacrifice », de « yakuza » ou de « caïd » deviennent vite des enveloppes dans son film : des conteneurs, des concepts fumeux lancés à tout va pour justifier les actions mais qui ne trouvent jamais leur concrétisation dans les actions des personnages. Lorsqu'Ishikawa est réprimandé par ses supérieurs, il répond d'une voix buté : «  je voulais devenir un vrai caïd, montrer que c'était notre territoire. N'est-ce pas ce qu'un gang de yakuzas est sensé faire ? ». Derrière la tragédie de cet anti-héros souffle en permanence l'illusion du groupe écrasant les autres, le rêve enfantin de jouer les durs.

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    Mais le récit de Ishikawa trahit aussi une rage incontrôlé, un sentiment de fureur inexpliqué. Le film n'identifie pas clairement l'origine de la violence de son personnage. Si la forme du film hésite volontairement entre le commentaire et le montage photographique documentant le trajet d'Ishikawa, et une réalisation très emportée, c'est pour mieux souligner la fatalité des événements. Respectant les codes du documentaire à moitié, le montage bondit d'une époque à une autre sans prévention, et fait succéder des actions dont la précipitation affirme le destin implacable et l'impossibilité de toute échappatoire. Cette incompréhension cristallise comme un malaise de l'époque. Peut-être se situe là le plus grand grief du film de Fukasaku, à savoir son pessimisme fermé, d'où ne jaillit que des disputes partant de la banalité et du quotidien.

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    Car la violence du protagonistes vient à rejaillir partout, et à littéralement bombarder le cadre. Chaque plan contient les explosions des corps qui se disputent, comme dans la prison où deux clans se déchirent, ne tenant pas compte des barreaux qui les séparent pour s'empoigner ; ou encore des regards qui se mitraillent ; voire même des mots, des cris, et surtout des rumeurs venant à provoquer les discordes. Paradoxalement, l'explosion du film tend à l'implosion lorsqu'elle se concentre sur Ishikawa, en particulier sur sa dernière partie. L'acteur Tetsuo Watari arbore de larges lunettes noires et une expression affectée, à la fois inaccessible et outrageusement exhibé lors de explosions de violence, non très loin du Kitano de Aniki mon frère, sans aucun doute inspiré par le bouillonnement de Fukasaku. Le Cimetière de la morale trouve ainsi sur ses dernières séquences son tragique le plus impressionnant, donnant à la violence d'Ishikawa sa démarche la plus claudiquante et la plus désespérée. 

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  • MacBeth de Mansai Nomura

    MACBETH

    Mise en scène de Mansai Nomura

    Le vendredi 13 juin à la Maison de la Culture du Japon

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    Cette nouvelle adaptation de MacBeth par le comédien et dramaturge Mansai Nomura ne manque pas de dynamisme ni d'originalité. Mansai Nomura, figure montante du théâtre contemporain à Tokyo, présentait en juin dernier et pour la première fois en France cette reprise en japonais de la pièce de Shakespeare, après d'autres mises en scène comme celle d'Hamlet ou de Richard III il y a quelques années. Étant passé par la Royal Company Shakespeare, le metteur en scène japonais parvient à concentrer la richesse du style shakespearien tout en proposant des partis pris audacieux.

    En effet, loin de la gravité habituelle du personnage, Nomura choisit de traiter le récit tragique de MacBeth par le biais de la comédie, et fait ainsi appel à des codes du théâtre populaire kyogen. Sa représentation des sorcières, toutes interprétées par des acteurs hommes – par ailleurs excellents – prennent ainsi la dimension de coquines et complices figures les événements à grands renforts de grimaces, danses, ou commentaires ironiques. De même, l'interprétation du personnage de MacBeth par Nomura est chargée d'une auto-dérision parfois déconcertante, proche du jeu des acteurs britanniques dans les pièces comiques de Shakespeare. Nomura prend plaisir à changer très rapidement de tons, et prend le contrepied de la violence de MacBeth en accentuant plus son côté couard et vaniteux. Si son jeu touche parfois grotesque, l'interprétation de Lady MacBeth par Natsuko Akiyama en face se révèle remarquable par sa contenance et sa précision.

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    L'épure de la scénographie apporte ici une admirable compréhension aux tenants et aboutissants du récit de MacBeth. Par l'utilisation d'un demi-cercle en bois pivotant sur lui-même, presque comme un castelet concentrant les abus du pouvoir et son évolution, le spectacle gagne en dynamisme et en efficacité. En outre, la simplicité de cette scénographie permet de faire jaillir une multiplicité de détails dans cette structure : des ombres y apparaissent, des têtes en ressortent, des voiles en jaillissent... Même le final, contenant pourtant une bataille rendue à la schématisation, parvient à impressionner par les nombreux agencements

    Les choix de Mansai Nomura sont enfin à double-facette. Derrière la façade de l'amusement et les rituels comiques surgissent parfois de somptueuses pointes tragiques rappelant à la noirceur de cette histoire. Ainsi, l'assassinat de Duncan vient amener cette image sublime où le comédien surgit du décor, entraînant sur son passage de longs fils rouges s'éparpillant sur la scène. Certains choix de direction dans ce renforcement de la tragédie rappelle cette fois-ci non pas le ludisme britannique, mais bien plus la gravité ténébreuse du cinéma japonais, en particulier chez Akira Kurosawa. Et lorsque le personnage pénètre les Enfers, le spectacle de Mansai Nomura offre sa plus curieuse expérimentation. Les corps des sorcières s'y transforment en masses électriques, la scénographie gagne une puissance presque cinématographique où les lumières et les éclairs donnent à cette plongée infernale la puissance d'un spectacle terrifiant.

  • Le Conte de la princesse Kaguya

    Briser la croissance

    LE CONTE DE LA PRINCESSE KAGUYA (KAGUYA-HIME NO MONOGATARI) – Isao Takahata

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    Au milieu du film, la jeune princesse Kaguya, tandis que résonne les tambours de la fête en son honneurs, mais à laquelle elle n'est pas conviée, entend les éclats d'une conversation à son sujet. En quelques phrases surgissent la moquerie et l'insistance sauvage d'une poignée d'hommes. D'emblée, le cadre se transforme, l'animation bascule dans un état de folie, de rage et de désespoir foudroyant : la princesse fuit, ses larmes coulant à la cadence de ses cheveux fouettant le vent. La cruauté de son destin s'imprime en traits rageurs et puissants sur la pellicule, et cette soudaine expérimentation graphique compose en quelques plans l'une des plus vibrantes scènes de course dans l'animation.

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    Tout le film de Takahata tire sa force dans ce simple exemple : de scènes en scènes, d'événements en événements, au fil de la croissance fantastique de la jeune fille cueillie au creux d'un bambou, se bâtit une esthétique de l'épure et de l'estampe, brisée par de fulgurants bouleversements graphiques. De même, le récit, bien plus lisible et limpide dans son déroulement, subit des bouleversements par à-coups, de brefs virages d'un ton à l'autre, de délicieux moments de dérive... Ce sont ces actions de déséquilibres et d'expérimentations momentanées dans un univers très construit qui composent peu à peu l'émotion de Kaguya-Hime.

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    Takahata cristallise tout son génie du détail et de sa sensibilité du quotidien pour embrasser ce conte célèbre. La précision du récit de cette jeune Princesse et sa maturation par étapes dans le monde des vivants contiennent les tendances expérimentales de Takahata tout en lui offrant ses plus belles opportunités poétiques et fantaisistes. Jamais la croissance exceptionnelle du bébé Kaguya n'a été aussi émouvante, prise dans des rondeurs évolutives ou des gonflements du trait et des membres, jamais le surgissement des étoffes depuis le bambou n'a paru aussi magique dans son chatoiement des couleurs, jamais les envolées furieuses de la Princesse n'ont paru aussi bouleversantes. Mais Takahata n'oublie jamais, dans ce récit improbable, ce qui lui tient à cœur, c'est à dire la mélodie du quotidien, la sensibilité d'une vie paisible et reposée.

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    À ce niveau, la nature et la vie dans les montagnes rejoignent la simplicité fraîche de Souvenirs goutte-à-goutte. L'existence paysanne et épicurienne dont profite Kaguya sur ses premières années est un songe en écho aux récoltes du Benibana, ou encore aux balades de Goshu le petit violoncelliste. La croissance de la princesse s'égrène à la manière d'un livre d'images, parcouru de détails bucoliques, de drames quotidiens et de plaisirs épicuriens. La dégustation d'un melon sous les buissons devient anthologie, les premiers pas d'un bébé sous les branches provoque une envolée... Plus loin, le film de Takahata renoue avec son amour de l'esquisse, de l'haïkus et de la vivacité expressive : son trait et sa légèreté dans la couleur, souvent pâle et diluée, rejoignent les croquis d'Hokusai ou de Keisai. Du premier, il retient la découpe franche, la finesse du pinceau et des incrustations de détails, du second, il explore le voluptueux sens de la courbe. Ces influences jaillissent sur la seconde partie, qui laissent partager l'arrivée de la princesse à la ville, peuplé de personnages semblant issus d'estampes, qui s'animent comme des fantômes picturaux. La forme de Takahata gagne alors en grâce, en symboles comiques, en déhanchements amusants.

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    Mais Kaguya-Hime n'est enfin pas simple testament des passions et des expressions du cinéaste : il déploie son histoire, ce sentiment de désillusion tragique qui envahit peu à peu le jeune princesse. Progressivement, le film compose, par l'entremise de cette campagne paradisiaque, une émotion de la nostalgie, et fait émerger dans la fraîcheur de son personnage l'angoisse de la perte de l'enfance. À ce niveau, la séquence sous les cerisiers déploie non pas la joie de vivre de la jeunesse, mais bien plus le mince espoir retrouvé du goût du passé. D'un plan à l'autre, les cheveux – si métaphoriques dans leur retranscription du sentiment – dansent sous les pétales avant d'échouer, déçus, sur les épaules de Kaguya s'apercevant de la distance qui la sépare de ce monde végétal et paysan. Le récit de ce dernier film de Takahata devient alors celui de ce déchirement de l'enfance et d'une jeune fille à la croissance à jamais brisée.

  • Adieu ma concubine

    Survivre par l'opéra

    ADIEU MA CONCUBINE (BAWANG BIEJI - 1993) – Chen Kaige

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    Palme d'Or à Cannes en 1993, Adieu ma concubine fait parti de ces grandes fresques qui parviennent, tout en éblouissant par leur texture visuelle et sonore, à composer une véritable ambiguïté quant à ses protagonistes et surtout quant au contexte historique qu'ils dépeignent. Avec audace, le film allie merveilleusement la grâce raffinée du spectacle aux complexes enjeux politiques continuant d'agir comme un douloureux traumatisme en Chine.

    Adieu ma concubine ne cède pas à la facilité du spectacle et de la reconstitution minutieuse de l'époque dépeinte. La somptuosité des décors de l'Opéra, des costumes, et des théâtres, le luxe enveloppant les deux héros dans leur succès dans la première partie ne sont en rien des artefacts destinés à éblouir, car ils desservent bien plus l'illusion de gloire dans laquelle ces deux chanteurs d'Opéra, Dieyi et Xiaolou, se noient. Le récit de la vie de ces artistes adulés du public transcrit en filigrane une part de l'Histoire, et surtout une part d'une époque particulière, car déjà proche de l'effondrement. La passion fervente des deux jeunes gens, leur évolution, leurs difficultés et leurs peines deviennent prisme d'une période parcourue par les contradictions, balancée entre l'ambition nouvelle et la nostalgie du passé.

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    La réalisation de Chen Kaige demeure parcourue d'une nostalgie toute particulière, où la composition des plans, les lumières et les mouvements – presque chorégraphiques - des acteurs saisissent une certaine étiolement du temps. Que ce soit sur la scène où s'agitent les costumes et s'affrontent des voix haut perchées ou graves, ces tons étonnamment dissocié de toute réalité, dans les coulisses mal éclairés où se meut avec précaution le pinceau sur les visages maquillés, dans les maisons de charme aux lanternes rouges ou dans les antichambres décorées d'objets précieux, chacun vit et entretient un environnement tenant au passé, renvoyant à des pratiques traditionnelle sou ancestrales. L'éclairage, en particulier, de ces décors, tend à éveiller un imaginaire daté, une impression d'intemporalité dans les plans du film. L'entrée de Dieyi chez le riche maître Yuan est à ce niveau révélatrice : gazes et lumières tamisées transforment les pièces en espaces brumeux et indécis. Le vieil homme possessif agite avec une fascination vaine des objets de luxe appartenant à des temps anciens, et qui séduisent le chanteur refusant la réalité et le mouvement du temps. L'émotion d'Adieu ma concubine tient d'abord de cette contamination intemporelle. Sa tragédie vient de ce refus de supplanter la nostalgie des personnages par le changement d'une époque. De fait, la dernière partie laisse l'Histoire rattraper les personnages, dans une violence sidérante et bouleversante.

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    Adieu ma concubine déploie également une intrigue amoureuse, un trio entre l'empereur et ses deux « concubines ». D'une part, la concubine factice, de théâtre, incarnée par Leslie Cheung, accrochée à l'illusion d'un amour impossible, d'autre part, l'épouse réelle, jouée par Gong Li, présente et dominatrice. Le trio amoureux gagne sa beauté et son ambiguïté à partir du moment où l'empereur s'efface, paradoxalement, et où les deux concubines se font face à face dans des situations complexes. Le personnage de Zhang Fengyi est ainsi moins fort, moins ambivalent que ceux de Gong Li et Leslie Cheung, qui eux explosent de subtilités et de contradictions.

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    Six ans auparavant, Leslie Cheung avait déjà joué un jeune seigneur souhaitant devenir chanteur d'Opéra dans le précieux film de Stanley Kwan, Rouge. Ce rôle, forme de pendant de celui de Dieyi , trouve sa consécration chez Chen Kaige. Le potentiel tragique de l'acteur explose, où sont physique, tout autant que son jeu, pris entre le sérieux traditionnel et la jalousie puérile construisent une forme d'intemporalité du personnage. Cette capacité d'intermédiaire et d'indécision se rattache à l'intemporalité de l'Opéra, et surtout à cette ambiguïté sexuelle qui compose les acteurs destinés à interpréter des rôles féminins. Sa fragilité tantôt attendrissante, tantôt violente, affronte la fierté de Gong Li, icône de femme forte et puissante. Les deux acteurs trouvent ainsi leurs plus belles compositions lorsqu'ils jouent l'un face à l'autre, dans cette dissonance des caractères.

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    L'apprentissage des deux jeunes hommes est d'abord perçue comme un moyen de survie dans le film. La mère de Dieyi l'abandonne désespérée aux mains de la troupe, afin d'éviter à son fils la pauvreté ou la mort. Cette survie de Xiaolou et Dieyi se mue en passion par leur succès, mais le développement du film ramène peu à peu cette passion à un moyen de survie. Paradoxalement, l'affirmation de la culture traditionnelle condamne les personnages tout autant qu'elle les sauve : en est témoin ces changements de trajectoires des deux complices. Autant Xiaolou ne parvient pas à maintenir son rôle, perd de sa force d'influence et de sa singularité à incarner l'empereur, autant le rôle de Dieyi demeure inattaquable, tel une image figée. Jouer la concubine permet à Dieyi de survivre, de résister face à l'agression de la Révolution Culturelle, mais entreprend d'effacer peu à peu sa personnalité, comme la diluant dans l'opium qu'il consomme abondamment.

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    Adieu ma concubine serait ainsi une histoire de survie plutôt que de résistance : loin des héros, des combattants ou des martyrs du gouvernement de Mao palpitent ceux qui clament leurs éternelles tirades dans la lumière d'un théâtre délabré, se raccrochant aux derniers chants du passé.

  • Exposition Naohisa Inoue

    NAOHISA INOUE en exposition à l'Espace Japon
    du 17 au 28 juin 2014906894_548683388488014_852889799_o.jpg Auteur illustrateur et créateur des mondes d'Iblard, un univers fantastique qui a servi de trame à un manga des années 1990, Naohisa Inoue est un très grand artiste impressionniste dont l'oeuvre a inspiré certains décors des films du studio Ghibli, tel le magnifique Whisper of the Heart. Ses peintures d'Iblard ont notamment été adaptées pour un court-métrage du Musée Ghibli, et l'homme a une amitié de longue date entretenue avec Hayao Miyazaki ou Isao Takahata.C'est cependant un peintre et un illustrateur qui s'impose avant tout en sa personne : Inoue ne fait pas de l'animation mais pratique plutôt un art du décor et de la touche. Evidemment, la correspondance avec le studio Ghibli est évidente, en particulier dans le motif du ciel, et dans son traitement impressionniste. Les nuages vaporeux et les traînées crépusculaires de l'artiste rejoignent les masses blanches et les ciels déclinants du Vent se lève ou du Voyage de Chihiro. Avec ce dernier se joue en particulier une série de clins d'oeil, allant des échoppes illuminées dans les rues nocturnes, des trains isolés en pleine campagne, au plaisir d'insérer dans le décor des animaux en tous genres (comme des cochons ou des grenouilles...) ou des étranges créatures.iblard_jikan4.jpg
    L'oeuvre d'Inoue dégage cependant des choix artistiques plus prononcés que ceux du studio Ghibli. Chaque toile propose une gamme de couleurs précises, revisitées à chaque fois, et un imaginaire bien particulier, plus mystique et fantaisiste. A coup sûr les tons crépusculaires, traversant des ciels violacés, des forêts brumeuses ou des bâtisses floues, rappellent l'unique œuvre de fantasy de chez Ghibli, Les Contes de Terremer, et ancre définitivement Inoue dans une vision fantastique, voire presque science-fictionelle par ses décors et ses personnages.P170614_18.45.jpg
    Le chaleureux petit salon d'accueil de l'Espace Japon proposait une brève exposition de ses toiles et une démonstration en live du peintre, par ailleurs extrêmement à l'écoute des visiteurs et cordial dans l'explication de ses techniques et de son univers. Une petite rencontre traduite en français était proposée, durant laquelle Inoue fit part de ses influences – en grande partie les Impressionnistes français ! – et de son travail avec le studio Ghibli. La précision du pinceau des gestes de Naohisa Inoue, plus guidés, tel qu'il le décrivait lui-même, par l'effet du hasard et de l'intuition, hypnotisaient aisément durant cette rencontre, au fur et à mesure qu'apparaissaient les contours d'une nouvelle de ses fresques.

  • Black Coal

    Là où la glace et le charbon sont de marbre...

    BLACK COAL (BAI RI YAN HUO) - Diao Yinan

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    Par sa texture, ou sa noirceur, Black Coal renvoie à People Mountain People Sea, sorti un an auparavant. Même travail autour des minerais des montagnes, même utilisation des codes de manière souple et dés-inquiété, rareté des explications, suprématie des gestes là où l'absurde immerge par touches dans un cadre très réaliste.... Le film de Cai Shangjun proposait cependant une sécheresse plus radicale, un regard bien plus acéré, car d'une véritable noirceur, proche de Zola en ce sens, que le Lion d'Or de 2014. Black Coal, à l'inverse, déçoit : son élégance et la beauté de sa réalisation ne suffisent pas à combler les lacunes d'un scénario balbutiant, et d'une enquête peinant à refléter les troubles de son personnage ou de sa société.

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    La lenteur du film et de sa mise en scène pourraient tenir, dans un premier temps, à la mélancolie de ses personnages, tous en peine après la fuite de leur propre passé. L'inspecteur reçoit de plein fouet le départ de sa femme, avec laquelle il n'échange plus que quelques bribes sauvages et sexuelles. La veuve s'inscrit dès l'assassinat de son mari dans un effacement total, son visage étant noyé sous ses mains à sa première apparition. Cependant, le film offre peu d'ouverture sur le désarroi de ses protagonistes : il fait céder le potentiel dramatique et psychologique sous un travail atmosphère lancinant, pour ne pas dire nonchalant. Petit à petit, les séquences installent, sans pour autant les développer, des décors esthétisants, dont l'apparente composition soignée cachent la vanité d'une intrigue qui s'essouffle, et surtout d'une matière psychologique peu pétrie.

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    Les néons glacials de la petite ville où se déroule la seconde enquête fournissent en effet dans un premier temps une atmosphère certes envoûtante, obscure et mystérieuse. Mais ces strates de lumières et d'air nocturne perdent de leur énergie, et surtout demeurent un arrière-plan constant aux évolutions – déjà peu palpitantes – de l'enquête. Par contraste, la saleté des champs de Memories of Murder (2003) constituaient aussi un visuel fort à l'enquête du film de Bong Joon-ho : peu à peu ces champs gagnaient en puissance dramatique, car devenaient le refuge et l'abri du tueur en cavale, le moyen d'échapper aux forces de l'ordre et de disparaître rapidement. Cette dimension n'apparaît point dans Black Coal, où la glace et le charbon fournissent au final un contexte quelconque. De même, et en guise de contrepoint, le charbon ou els carrières de People Mountain People Sea incarnaient, voire sublimaient, en particulier sur son final, la progressive descente aux enfers de son personnage principal. Dans le film de Diao Yinan, le charbon et la glace demeurent de marbre, indifférents aux destins des protagonistes.

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    L'indifférence de Black Coal provient probablement de cette mélancolie dont il affuble ses personnages – remarquablement interprétés par Liao Fan et Lunmei Kwai. Le scénario développe tout d'abord autour de l'inspecteur et de la femme de la victime des troubles dépressifs et une forme de désespoir commun, que la réalisation imprime violemment. En quelque sorte, la mélancolie suinte et dépouille le film de tout son potentiel divertissant, de toute possibilité de suspense ou d'écriture, imposant un manteau de néons vacillant, de ciels sans nuages ni percées, de vapeurs métalliques et de déambulations sans but. L'esthétique confine à la répétition, et à la réutilisation presque glaciale des mêmes motifs, des mêmes mécaniques : deux méthodes d'assassinat identiques à plusieurs années de distance, deux tunnels et deux fusillades... Dans cette ténébreuse vision du monde, les feux d'artifice donnant leur titre original au film paraissent incongrus et maladroits, effort vain de poétique céleste parmi cette nonchalance noire et désespérée. Au moins Black Coal confirme une tendance plus torturée s'amorçant dans la nouvelle génération des cinéastes chinois. Après Cai Shangjun et Jia Zhangke avec A Touch of Sin, le film de Diao Yinan prolonge l'ère de la nostalgie noire.