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Colloque Full or Limited ?

COLLOQUE FULL OR LIMITED ?

LA QUALITÉ DE L'ANIMATION À LA TÉLÉVISION,

ENTRE ÉCONOMIE ET ESTHÉTIQUE

 

Colloque international du 6 au 7 novembre 2014

www.animtv.fr

En novembre dernier eut lieu un colloque inédit sur la question de l'animation limitée. Ce colloque de deux jours interrogea non seulement le travail esthétique de l'animation à travers cette notion de « limite », mais il fut aussi marqué par un caractère international. Les interventions ont porté sur des productions d'origines diverses, comme du Japon et de la France, auxquels deux après-midis furent consacrés, ainsi que sur le cartoon ou le stop-motion américains, l'animation allemande, britannique et autrichienne.

Le terme de « limited » a été régulièrement remanié au cours de ces deux jours de conférence. L'historien Amid Amidi (« Stylized Animation : A Link Between Full and Limited Animation ») a ainsi pris comme ressource principale une documentation riche des différents processus utilisés en animation, qu'il questionna par un examen plus que nécessaire des termes. Il démontra que l'expression de « limited » a connu une évolution sensible, de 1960 à aujourd'hui, passant par d'autres substantifs comme « planned animation », « reduced animation », « controlled animation »... Plutôt que de distinguer l'animation limitée de la « pleine (full) » (celle capable d'atteindre le niveau de la prise de vue réelle), Amid Amidi dévoila plutôt que les techniques et les principes de l'une et de l'autre s'imbriquaient et se confondaient régulièrement. L'animation limitée emprunte à sa rivale une même volonté d'illusion du réel, et correspondrait ainsi plus à une animation « stylisée », expression nouvelle et hybride que le théoricien proposait à juste titre pour ouvrir le colloque.

La dimension négative contenue dans le terme d'animation limitée fut également approchée. Les études sur l'évolution de la perception de l'anime japonais ou du cartoon américain ont cherché à démanteler cette vision péjorative  - ce fut le cas avec les propositions d'Ariane Beldi ou de Jonathan Gray. L'exposé de Oliver Kuehne (« The Qualitative Decline of Television Animation : A Plea Against the Term « Limited ») fut quant à lui très revendicateur sur le sujet. S'appuyant sur les écrits de Azuma Hiroki ou de Uno Tsunehiro, le théoricien a remis en cause la mauvaise vision associée au « limited » et l'idée associée d'une stagnation dans la création des cultures populaires au Japon. Kuehne a de fait démontré combien l'anime japonais se révélait créatif et, pour le coup, infiniment « illimité » dans son intégration de techniques fort différentes. Ses quelques exemples, comme le récent Knights of Sidonia, révélèrent les combinaisons subtiles de designs issus du manga, du jeu vidéo ou de la technique en prise de vue réelle.

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Knights Of Sidonia (2014) – Kôbun Shizuno / Polygon Pictures

Cette mixité dans le cadre de l'animation japonaise a été prolongée, sur un plan plus industriel et médiatique, avec la présentation de Marc Steinberg (« Limited Animation as a Platform for Participation : On Niconico Douga and The Kagerou Project »). Se basant sur le travail du site Internet Niconico, Steinberg a proposé ces notions, fort justes et révélatrices de l'état animé contemporain au Japon, de « media mix of mass media ». La plateforme prise en exemple est en effet un lieu générateur de contenus partageables auxquels le spectateur japonais peut participer virtuellement. Le cas de Kagerou Days se révélait fascinant : la chanson, puis l'animation, sont élaborées à la fois à partir de données pré-existantes, préparées en amont, et par les commentaires textuels des internautes, directement intégrés à la video. L'exposé fort pertinent de Steinberg avait ensuite une visée plus économique, puisqu'il décrivait les stratégies de l'anime d'aujourd'hui et la dissémination de son contenu sur de nouveaux supports (CDs, jeux vidéo, mangas, light novels...).

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Kagerou Days (2014). Shinbo Akiyuki / Studio Shaft

Prenant pour appui une dense compilation d'exemples, cette fois-ci autant japonais que français ou américains, Frédéric Nagorny (Gobelins, « Full animation, Limited animation : comment les définir ? ») a quant à lui subdivisé la pratique du « limited » en une série de possibilités. De « full » à « limited », les possibilités de compréhension et d'application sont vastes et variées, selon la prise en compte de critères comme les échelles des personnages, la cadence du nombre de dessins, de clefs d'animation, d'images fixes utilisées... L'étude de Nagorny avait le mérite d'être très technique dans sa comparaison des différents types d'animations, cet effort de classification étant soutenu par des exemples clairs.

Pour d'autres intervenants comme Nagorny, le colloque fut ainsi le moyen d'apporter des explications sur les techniques utilisées pour cette animation limitée, afin d'en pointer les caractéristiques, les règles et les évolutions. La partie consacrée à l'animation japonaise fut à ce niveau éclairée par de fines analyses esthétiques sur des animes de diverses époques. Sheuo Hui Gan (« The Poetics of Selective Animation : From the Spell of Tezuka and Astro Boy to the Appeal of the Tatami Galaxy ») s'appuya sur les premiers pas de Tezuka Ozamu dans l'animation pour expliquer les effets de manipulation sur les fonds, la représentation des objets, les types de contrastes... Son intervention, très précise et claire dans l'analyse esthétique, dressa également un portrait du parcours de Tezuka dans l'animation, de ses premières propositions expérimentales (Tales of the Street Corner en 1961) avec la fondation du studio Mushi jusqu'à la perte de sa reconnaissance et ses soucis financiers dans les années 1970. Puis, Stevie Suan (« Anime Rhythm : Audio-Visual Flow, Tempo, and Pacing in Anime Narratives ») s'est basé sur des exemples précis, venus de la série Evangelion, afin de soumettre une terminologie et un vocabulaire spécifiques. Son approche portait cependant autant sur un travail de l'animation au niveau du plan que sur une approche structurelle globale de la série. Plus précisément, Stevie Suan proposa le concept du « push and pull » pour l'animation limitée, d'une combinaison entre des moments d'intensité et de retrait.

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Astro le petit robot (1963) – Tezuka Osamu / Mushi Productions

Dans une perspective autre qu'asiatique, Cyril Lepot (« Aardman Animations et Beast Animation, deux conceptions du Stop motion : laquelle est « limitée » et en quoi ? ») a analysé les créations du studio Aardman (Wallace et Gromit, Les Pirates !) en les comparant avec celles du studio Beast (Panique au Village), tous deux dans une pratique du stop-motion. En s'inspirant des théories d'Eisenstein sur la plasmaticité, théories surtout relatives au cinéma de Walt Disney, il opposa le travail plus conventionnel du premier à celui, infiniment plus plastique, du second. Critique, cette proposition tendait à démanteler les stéréotypes et le regard usuellement porté sur le stop-motion. Elle valorisait le travail du studio Beast qui, refusant la manipulation scrupuleuse et les décors reconstitués comme c'est le cas dans les films Aardman, retrouvait la véritable plasticité des matériaux utilisés.

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Panique au Village (2009) - Stéphane Aubier et Vincent Patar

Beast productions, La Parti Productions.

 

Le colloque fut aussi une belle occasion pour découvrir des films méconnus en France. Ainsi, le travail de certains théoriciens comme Marie Pruvost-Delaspre ou Sébastien Denis, a permis de réhabiliter des créations ou des techniques oubliées. Le travail de la première (« Animer ou mettre en scène, les deux voies de l'animation limitée à la Toei ») s'est attaché aux premiers pas dans la série télévisée du célèbre studio japonais de la Toei. Les exemples choisis par Pruvost-Delaspre, Ken l'enfant loup et Hustle Punch, oeuvres des années 1960, étaient des séries libératrices pour la plupart des animateurs du studio, alors moins soumis aux injonctions imposées sur les longs-métrages. Cette recherche fut l'occasion, rare, de connaître les réactions de l'époque face aux possibilités de l'animation limitée employée pour la télévision : certains y virent la fin de la création, d'autre le moyen de s'émanciper du long-métrage et d'expérimenter formellement. Le même type de conflit entre ennemis et croyants de l'animation limitée se retrouve autour de la fabrication de l'animographe en 1961 par Jean Dejoux. La présentation de Sébastien Denis (« L'animographe à l'ORTF, entre rentabilité et animation d'auteur ») dirigea l'attention sur cette étonnante machine à fabriquer des dessins animés, utilisée pour les célèbres Shadoks. Plus étonnant encore fut le succès méconnu du concept, qui intéressea à l'époque des personnalités comme Saul Steinberg, Frédéric Back ou Alexandre Alexeieff. Nouvelle source de dissension comme à la Toei, la machine d'animation limitée fut malheureusement détruite par d'autres animateurs de l'ORTF.

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Les Shadoks (1968) – Jacques Rouxel / production aaa

De même, trois interventions ont ciblé des productions européennes méconnues. La conférence de Franziska Bruckner (« The Graphic Films of Germany, Trends and Tendencies in the West German Animated Films of the 1960s ») ouvrit le colloque aux films expérimentaux de l'animation allemande durant le contexte de la Guerre Froide. Les nombreux exemples projetés ont montré la réactivité politique de films très graphiques et nourris par la technique du collage. Parallèlement, la proposition d'Holger Lang (« Unlimited in Austria – An Overview of Limitations Within a Small Production Environment ») a dessiné les contours d'un même réflexe critique et politique dans l'animation pour l'Autriche. Dans ce cadre, l'animation limitée est comme une animation expérimentale regroupant des techniques diverses, collage, dessins, pixilation. Holger Lang a attiré l'attention sur une figure-phare du cinéma autrichien, Maria Lassnig, étonnante revendicatrice ne manquant pas d'humour. Enfin, la présentation de Christophe Lenoir (« Thomas, le petit train de l'animation, de l'animation-temps à l'animation-mouvement ») a décrit la singularité d'une série au succès mondial, Thomas le petit train. Au départ création familiale d'un écrivain britannique, cette série pour enfants a connu une expansion et un renouvellement constants, adaptée pour les publics canadiens ou japonais. Loin des films expérimentaux d'Allemagne ou d'Australie, cet exemple à visée plus commerciale permit à Christophe Lenoir de cerner les variations esthétiques d'une adaptation à une autre et la mutation des réflexes de l'animation limitée dans ce cadre.

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Exemple d'un autoportrait expérimental par Maria Lassnig

Des études sur la réception ont complété les approches esthétiques. L'intervention d'Ariane Beldi (« Des dessins animés japonais moches et débilitants aux animes à collectionner en DVD : évolution des pratiques de réception et du statut des séries télévisées ») faisait le portrait du marché du DVD d'anime et de ses changements de stratégie. La jeune chercheuse débuta son étude par l'apparition des séries japonaises sur les écrans français dans les années 1980, afin de montrer comment la stratégie de vente évolua, depuis le francisation (doublage français, changements des noms japonais) vers un certain purisme revendiqué des versions d'origine. Les DVDs redonnent, par la restauration et l'absence de censure, ce que la spécialisation des chaînes avait privé aux générations nostalgiques des années 1980. Cette étude proposa un contrepoint fort attrayant aux défenses esthétiques de l'animation limitée japonaise et il aurait été intéressant de connaître l'évolution de la réception de l'anime dans d'autres pays. Barbara Laborde et Lucie Mérijeau (« Full ou Limited ? L'animation à la télévision française scolaire française dans les années 1980-90 ») ont également analysé la réception en France, prolongeant l'étude sur la même période que celle choisie par Ariane Beldi. Leur panorama sur la télévision scolaire française démontra combien les efforts sur l'éducation du gouvernement de l'époque influençaient et envahissaient le média. Par les exemples des Badaboks et des Crobs, productions franco-françaises cherchant à contrecarrer le succès de l'anime japonais sur les années 1980, les deux chercheuses ont pointé les défauts de ces réalisations éducatives. Bien que produites dans un but pédagogique, ces séries n'apportaient rien d'autre qu'un discours très limité pour l'époque.

 S'il s'intéressa à l'impact de la production télévisuelle aux Etats-Unis, Jonathan Gray (« Cheap, Quick, Crude, and Important : Limited Animation, Satire and Kids ») en fit plus la défense, notamment pour des cartoons usuellement attaqués pour leur vulgarité. Avec South Park, The Simpsons, The Boondocks and Lil'Bush, l'auteur révéla la pertinence de ces productions dans leur efficacité, leur sens de la rapidité ou de la cruauté. Si ces cartoons malmènent autant la perception, c'est bel et bien parce qu'ils s'attaquent aux figures de l'enfance, et osent incarner le dysfonctionnement du cadre rassurant de la famille ou de l'école.

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Le cartoon Lil'Bush (2007) – Donick Cary

Une dernière singularité de ce colloque passionnant fut de céder la parole aux praticiens. L'occasion, trop rare, de confronter les études aux pratiques. Marie Paccou (« Rotoscopie, se passer de l'animation ? ») montra son amusant travail sur Nosferatu (F.W. Murnau, 1921), où, par l'animation de formes colorées sur le film muet, l'ambiance horrifique du film s'évanouissait sous l'effet comique suscité. Alors que Marie Paccou valorisait l'importance de la couleur, Bernard Chieux (« Mise en scène et animation du long-métrage Tante Hilda ! Comment concilier dessin et cinéma ? ») insista sur le trait pour sa dernière création. Avec l'exemple de Tante Hilda ! (co-réalisé avec Jacques-Rémy Girerd, 2013), le réalisateur prouva combien l'animation se devait de réfléchir à la couleur, la ligne, le mouvement et la mise en scène, pour y choisir ce qui l'intéressait. Enfin, d'autres praticiens sont revenus sur le cas de la 2D ou de la 3D (par exemple pour Minuscule, Hélène Giraud, Thomas Szabon, 2013), et l'un des créateurs des Kassos nous partagea le résultat des expérimentations offertes par le champ de la websérie.

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Tante Hilda ! (2013) – Jacques-Rémy Girerd et Bernard Chieux

Folimage ; Mélusine Productions

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