Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Bonjour
Les Voisins
BONJOUR (OHAYO – 1959) – Yasujiro Ozu
Beaucoup des films en couleur d'Ozu ont à voir avec le musical. C'était déjà le cas avec Fin d'Automne qui scandait le rythme des arrangements familiaux, des décès et des mariages. Dans Bonjour, la ritournelle est plus « matinale », teintée de la naïveté familiale, des caprices d'enfants et des rumeurs du voisinage. Le film répète et prolonge les gags et les dialogues, dans une délicieuse peinture de ce mouvement de quartier.
Quartier, en effet, qui devient le cadre et le fil directeur de la mise en scène d'Ozu. Presque un dramaturge, le cinéaste n'a jamais autant joué de l'architecture comme d'une merveilleuse scénographie accompagnant les allers et venues, soutenant les échanges et les actions. Le cadre fourmille d'encoches, de cadres, de coins cachés, de couloirs à l'écoute des conversations d'adultes ou d'enfants. Là où les détails et la profondeur deviennent graves et sobres dans ses films les plus durs, ils sont ici ludique, délicieusement enfantins.
La couleur, pétillante – d'autant plus belle depuis la restauration des films par Carlotta – vient rehausser ces détails qui agissent maintenant comme gags, ou comme annonciateurs des bouleversements de quartier, à la fois amers et risibles. La célèbre bouilloire sifflante, recueillant en creux les confidences ou les soupirs des solitaires, devient ici un éclat cuivré assistant sagement aux échanges des voisins. Le plus amusant demeure dans la ressemblance de ces nombreux appartements : le cinéaste japonais retrouve son obsessionnel sens de la cadence et redondance dans cette structure où les chambres se répondent en miroir. Les cadres offrent à chacun des personnages leur habituelle et usuelle place pour se disputer, bouder, manger ou tout simplement se souhaiter des salutations. Certains gestes deviennent cristallisés dans ce cadre, tel celui, muet, de l'irrésistible cadet refusant de parler aux adultes. La rigidité de la structure construit l'habitude tout comme elle en intègre la résistance.
Car, au sein de ce microcosme kaléidoscopique, fondé sur les mêmes couleurs, sur les mêmes motifs tourbillonnants d'une scène à l'autre, s'insinue peu à peu le changement d'époque. Ohayo est un discours sur le changement, mais ce changement invisible, insidieux, celui-là qui se glisse innocemment et progressivement dans nos habitudes. Peu à peu, les relations de voisinage se modifient, les suspicions se déplacent et les hiérarchies se disloquent. Peu à peu, les enfants se font entendre et les télévisions encombrent les couloirs. Peu à peu, les mêmes gags se répètent, mais évoluent, un tout petit peu, et là, le cadre si rigide d'Ozu tremble dans une délicate douceur.