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Old Boy

OLD BOY – Park Chan-wook

 

Un grand merci à mon (ancien) camarade Wes pour le DVD !

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Old Boy. Deux mots qui sonnent comme l'annonce du succès d'un certain cinéma sud-coréen dans le paysage cinématographique en 2004, où le film de Park Chan-wook, deuxième volet de sa trilogie sur la vengeance, frôla la Palme d'Or en recevant le Grand Prix du Jury à Cannes. Old Boy, fortement acclamé par la critique, reçut un fort succès à sa sortie et ouvrit la brèche à la reconnaissance d'un certain cinéma sud-coréen, suivi de près par Memories of Murder, The Host, Mother (Bong Joon-ho) ; A Bittersweet Life, I met the Devil (Kim Jee-woon) ou encore The Chaser, The Yellow Sea (Hong-jin Na). Le film de Park Chan-wok a en effet ouvert la voie à ce cinéma empreint de violence, et où tous les moyens de la réalisation – scénario, mise en scène, montage – visent à concrétiser, incarner, faire ressentir cette violence, qu'elle soit physique ou psychologique.

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Adapté du manga éponyme de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi, le film de Park Chan-wook n'en reprend que le postulat de base (à juste titre, le manga d'origine manquant singulièrement d'intérêt, autant sur l'articulation de son scénario, que sur le graphisme), à savoir l'emprisonnement prolongé d'un homme ordinaire sur 15 années de sa vie, sans aucune raison, puis sa brusque libération dans la ville où il a été enlevé. La force du film doit tout d'abord à la construction de son récit, évidemment, qui correspond tout à fait à ce style de scénario dont il est impossible de délivrer la résolution dans une critique et qui ne peut être vu et utilisé qu'une seule fois (au même titre que d'autres scénarios au dénouement renversant et irréversible comme Fight Club ou Seven de David Fincher, par exemple). La recherche des réponses aux questions Qui, Pourquoi, Dans quel but ? donne ainsi le pouls du récit et des énigmes à résoudre, les éléments étant égrenés au fil des actions. De plus, le film développe un formidable sens sur le destin et le poids du chemin à suivre. Oh Dae-soo, bien qu'il soit guidé par l'esprit de vengeance le plus tenace, est de bout en bout guidé, manipulé par celui qui l'a enfermé. Le rapport au point de vue s'avère habile, manipulant lui aussi le spectateur. Tantôt le film nous fait partager les actions de « l'ennemi », riche milliardaire malade, identifié au bout d'une demie-heure de film, faisant sentir le poids de la manipulation sur Oh Dae-soo, tantôt la caméra épouse le regard du personnage principal, nous faisant souvent songer à tort qu'il a une longueur d'avance sur son geôlier.

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Ce jeu sur le point de vue finit par démontrer l'horrifiant engrenage de manipulation dans lequel le protagoniste et le spectateur se sont laissés entraîner. Pour Park Chan-wook, le thème de la vengeance est ainsi intiment lié à l'idée de fatalité, de spirale irréversible, les nombreux retours en arrière du film et flash-backs mentaux du personnage contribuant à renforcer la manipulation, à l'image d'un puzzle se reconstruisant. La réalisation nous présente toujours en outre Oh Dae-soo comme en marge de la vie et du quotidien ordinaire : ses comportements sont déréglés, chacune des actions effectuées lors de son retour à la ville devenant l'équivalent d'une « première fois » beaucoup plus intense et violente. Ainsi, la première confrontation avec des jeunes délinquants donne lieu à une solide explosion de violence ; le premier repas à une dégustation pléthorique d'un énorme poulpe vivant ; la première rencontre avec une femme un choc violent écrasant le protagoniste. Ce n'est pas par hasard si la première chose que constate Oh Dae-soo est une tentative de suicide qu'il ne cherchera nullement à empêcher, le plaçant d'emblée du côté du spectacle de la mort.

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En outre, le film de Park Chan-wook reflète la vision de la violence telle qu'elle est perçue dans une grande partie du cinéma nous parvenant de la Corée du Sud. Nombreux sont ceux qui ont écrit des articles sur l'efficacité de la violence, bien plus éprouvante, car repoussante, que celle d'un cinéma américain, mais qui provoque néanmoins une forme de fascination. Old Boy joue ainsi bien plus sur la part d'ambiguïté des personnages et leur propension à détruire l'autre, voire s'autodétruire. Le rapport à la chair éprouvée, torturée, mutilée, s'avère extrêmement fort, comme si le corps était intimement lié au mental, et ce rapport trouvera son point d'orgue avec le terrible acte final d'auto-mutilation. Le lien entre physique et psychologique devient ainsi très ténu dans les démonstrations de folie des personnages de Park Chan-wook, chaque défaillance mentale, ou erreur, devant se répercuter sur le corps et le détruire tout autant. Oh Dae-soo déclare ainsi au cours du film que la recherche de la vengeance est devenue une partie de lui-même. Il inscrit notamment sur sa peau le nombre d'années passées dans sa prison, tels des stigmates de sa condition d'homme enfermé et en proie à la folie. Sur ce point, la performance de Choi Min-sik, immense acteur coréen eu même titre que Song Kang-ho, ets remarquable. Là où Song Kang-ho était un masque de sobriété, s'enfonçant dans une cruauté indifférente pour Sympathy for Mr Vengeance, Choi Min-sik donne bien plus de son physique, étant agité par les tremblements de la folie, du désespoir, de la douleur, dans Old Boy. En outre, les films coréens cherchent bien souvent à étendre, par symbolisme, ou une forme de contamination, la violence dans des éléments alentours. Force en est cette célèbre scène de dégustation de poulpe vivant, croqué à pleines dents par Choi Min-sik, scène à la fois terrifiante et drôle, véritable performance d'acteur.

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On retrouve cependant une caractéristique propre à Park Chan-wook au niveau de la violence à l'écran, caractéristique qui se retrouve un peu dans le cinéma de Bong Joon-ho. Il s'agit de ce rapport à une mise en scène quasi-fantastique par moment, et qui contribue bien souvent à rendre la réalisation du film bien plus impressionnante. Prenons l'une des premières séquences du film, à savoir l'enlèvement d'Oh Dae-soo : cet enlèvement est filmé de manière totalement fantastique. Le protagoniste téléphone depuis une cabine, avec un cadrage conventionnel et réaliste ; le protagoniste sort ensuite de la cabine, laissant la place à son frère qui reprend la conversation. A partir de ce moment, Oh Dae-soo disparaît totalement du cadre. Lorsque son frère sort de la cabine te l'appelle, le cadrage évolue soudain, comme un véritable basculement dans un autre univers, effectuant un formidable travelling arrière combiné avec un mouvement circulaire nous dévoilant la rue vide et un parapluie flottant à terre. Le postulat en lui-même, cet enfermement prolongé, apparaît lui aussi comme surréaliste, car inhumain. Le rapport à la folie provoqué par cet enfermement trouvera ainsi sa présence dans des hallucinations cauchemardesques où le protagoniste se retrouve envahi de fourmis. Park Chan-wook glisse par ailleurs sûrement un clin d'oeil aux fourmis symboliques des tableaux de Dali, voire plus encore à ce film culte du surréalisme, Un Chien Andalou, où se retrouve le même sens de l'excès et de la pulsion. Par la suite, une autre séquence s'impose comme fantastique, celle de la remémoration du souvenir, filmée de manière fantomatique, avec une très belle photographie épurée et donnant dans des tons très clairs et lumineux. Ce sens de l'onirisme, voire de la poésie dans le cinéma de Park Chan-wook est de plus lié au thème de l'hypnose, qui porte toute la résolution du film et mènera à la conclusion. Oh Dae-soo se réfugiera dans l'oubli et l'illusion pour survivre, les dernières images étant portées par la très belle musique lyrique de Jo Yeong-wook, compositeur attitré de Park Chan-wook.

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Par rapport à son premier volet de la trilogie, Sympathy for Mr Vengeance, même si on reconnaît le sens aiguisé de la mise en scène de Park Chan-wook, et son regard sur la violence, le ton et la réalisation d'Old Boy s'avèrent cependant différents. Tout d'abord, la mise en scène de Sympathy for Mr Vengeance était très glaciale, très distante, toute en suggestions et en longs plans fixes. La violence s'installait de manière progressive à l'intérieur du cadre, la lenteur contribuant à rendre le spectacle éprouvant. Les temps de silence étaient très présents, jouant sur les possibilités de suggestion et d'imagination. Old Boy présente une réalisation bien plus nerveuse, bien plus impulsive, à l'image de l'implosion du personnage au bord de la folie après avoir été enfermé aussi longtemps sans explications. Là où Sympathy for Mr Vengeance impose ainsi le recul vis à vis des actes et des protagonistes, Old Boy cherche au contraire à faire souvent partager l'univers mental confus et ultra-perceptif de Oh Dae-soo. Dans la première partie, celle de l'enfermement sur les 15 années, le montage et l'utilisation de la voix-off parviennent ainsi à dynamiser le quotidien répétitif du personnage, notamment avec un très beau split-screen entre les archives de télévision et la percée du mur, tout en faisant ressentir le terrible poids du temps qui passe. Certaines scènes sont filmées avec nervosité, avec de brusques travellings violents ou des effets d'accélération (lors de la montée dans l'ascenseur, par exemple). L'esthétisme a de plus une part essentielle. A l'inverse des actes terrifiants entrepris, le personnage du geôlier auquel se confronte Oh Dae-soo vit dans le luxe et un univers aseptisé, se déplaçant avec des allures de mannequin et d'esthète. Cette confrontation nous mène dans un ton plus acide, donnant plus dans l'humour noir tout comme Thirst. La scène du poulpe repousse et amuse à la fois, tout comme celle du plan-séquence à la hache, qui paraît surréaliste. Le personnage de Oh Dae-soo constate sa propre plongée en enfer avec dérision, dénué de tous sentiments, confondu dans l'absurde de la situation.

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Old Boy se révèle un film d'une terrible efficacité. La réalisation de Park Chan-wook fait vivre le pouls de la douleur incarnée à l'écran et le chaos mental du personnage. Plus nerveux que Sympathy for Mr Vengeance, mais tout aussi précis et ciselé dans ses choix de réalisation et de scénario, le film incarne un des plus brillants portraits de la manipulation et de la cruauté à travers ses protagonistes, ayant influencé de nombreuses répliques dans d'autres films sud-coréens.

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