Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Apart Together
La Résignation
APART TOGETHER – Wang Quan'an
Après La Tisseuse, Wang Quan'an nous présente son nouveau film, passé assez inaperçu dans les salles. Apart Together s'attache de nouveau à un personnage de femme, cependant bien plus âgé que les héroïnes du Mariage de Tuya ou de La Tisseuse. Bien moins puissant que ce dernier, le film de Wang Quan'an fait partager les notions de résignation, de regret et de vieillesse à travers un événement historique. En 1949, Liu, jeune soldat comme beaucoup d'autres, part se réfugier à Taïwan devant l'avancée des troupes communistes. Derrière lui, sa femme Qiao enceinte attend son retour puis finit par se remarier pour avoir une bonne condition de vie. 50 ans plus tard, l'exilé revient de Taïwan et réapparaît, décidé à emmener son amour de jeunesse.
Le film de Wang Quan'an peut être vu comme l'exact opposé de La Tisseuse. Là où l'un commençait par un récit réaliste dur (une jeune tisseuse mère de famille apprenant qu'elle est condamnée à mourir) et se finissait sur une note d'espoir et d'onirisme, l'autre, Apart Together semble débuter sur un retour bienheureux (les retrouvailles avec l'amour de jeunesse, reçu triomphalement dans la famille) mais entraîne peu à peu sur les chemins de la résignation et de la désillusion. Le vieil homme, revenu de Taïwan après la mort de sa seconde femme, est reçut en héros en Chine, où les victuailles peuplent la table et la fanfare des jeunes enfants interprète des airs maladroits. Le nouvel époux de Qiao accueille l'ancien amour de sa femme avec une réelle convivialité. Pas de drame distancié, par d'explosion de larmes ou de sentiments chez Wang Quan'an, l'accueil s'effectuant sous les apparences rassurantes des traditions et de la chaleur culinaire et surtout alcoolique. Le film décrit bien plus une tension permanente, fragile du fait de cette conservation des apparences. Qiao n'ose exprimer, en tant que bonne mère de famille, ses véritables regrets et son désir de repartir avec Liu. Certains séquences, terribles, décrivent ainsi les réactions égoïstes de ses proches, telles ses filles l'accusant de trahison, son mari, tombant dans une sorte d'aphasie, ou son fils, négligeant son père revenu.
Le plus intéressant reste le personnage du mari. Wang Quan'an s'y attarde avec une relation triangulaire trouvant son apogée dans une scène de repas arrosé et nostalgique autour de la table entre les trois protagonistes âgés. Ce personnage, d'une réelle justesse et excellemment interprété par Cai Gen-Xu, oscille à la fois entre un sincère respect de sa femme et de son ancien amant, et une réelle frustration de la voir partir. Lors de la fameuse scène filmée en plan-séquence au niveau de la table, la mise en scène met bien avant le déchirement de Qiao, entre son mari fidèle et malade et son amour de jeunesse romantique, entre la tradition et la possibilité du renouveau. De cette séquence, il se dégage également une profonde nostalgie, incarnée à travers les chants entonnés par les trois personnages, seul moment où, à travers l'évocation des souvenirs, ils se rejoignent. Au final, l'espoir de Qiao, magnifiquement interprétée par la célèbre actrice Lisa Luo, se flétrira dans une émouvante scène de séparation. Par contraste, ou par rééquilibre, sa petite-fille viendra lui annoncer qu'elle pourra se marier avec celui qu'elle aime.