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mirabelle-cerisier 金の桜 - Page 26

  • Ponyo sur la falaise

    Les enfants et les parents

    PONYO SUR LA FALAISE (2009) – Hayao Miyazaki 

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    Après l'inégal Château ambulant, Hayao Miyazaki, que l'on croyait effacé après la sortie des Contes de Terremer de son fils, revient en force avec un nouveau film incroyable, réunissant une fois de plus les ingrédients qui avaient fait le charme des précédents et réussissant à transcender une fois de plus l'écran et les ressources de l'animation.

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    Ponyo sur la falaise est une adaptation dérivée de la Petite sirène, devenue un « poisson rouge » tentant d'échapper à l'autorité de ses parents et de son foyer maritime. L'originalité du scénario, qui détourne grandement toutes les questions romantiques qui saturait le Disney, est dereposer, tout d'abord sur la réduction de la romance à l'échelle de l'enfance, et ensuite d'y apposer constamment le regard des parents, définissant plusieurs figures paternelles et maternelles auparavant moins explorées dans les autres oeuvres de Miyazaki. Enfin, l'univers maritime est prétexte à une explosion de couleurs et créatures diverses. Ce qu'installe le cinéaste japonais avec les profondeurs de la mer est similaire avec ce qu'il créait dans la forêt de Mononoke Hime ou dans le ciel de Laputa. Les films de Miyazaki ont un fondement profondément écologique, et la première partie du film, avec l'arrivée de Ponyo dans le monde des humains, permet de vérifier ce thème. 

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    Il subsiste toujours un contraste entre le monde florissant et lumineux du milieu naturel, ici la mer, et les constructions monstrueuses humaines. Dans la première partie du film, Ponyo quitte un foyer familial où les cellules se démultiplient à l'infini, où les créations affluent, où les couleurs miroitent sous les bulles, pour rejoindre les bordures saturées de déchets et agitées par les palles des bateaux de la ville de Sosuke. Par ailleurs, l'idéal du père du petit poisson est purement écologique, se concrétisant par le paradis bullaire qu'il créera pour les vieilles femmes de la maison de retraite. Miyazaki sait parfaitement utiliser toutes les ressources de son élément, allant jusqu'à transformer la ville en étang gigantesque, peuplé de créatures préhistoriques, envahie par des vagues fantastiques. La musique merveilleuse de Hisaishi est toujours aussi surprenante et délicieuse pour embaumer cet univers. De plus, une certaine gradation s'effectue, de manière maîtrisée, entre les différentes étapes du bouleversement, des quelques vagues monstres du père qui poursuivent le petit garçon jusqu'à l'explosion colorée et crépitante provoquée par Ponyo et enfin la confusion complète entre paysage humain et naturel. 

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    Cette transformation d'un paysage, déjà observée dans les autres films de Miyazaki, comme Le voyage de Chihiro (les bains semblant vestiges s'animant à la tombée de la nuit), provoquée généralement par les esprits et autres créatures mystiques, se déclenche par la revendication du petit poisson. On peut voir en la force magique de la fillette, jusqu'à écraser son père, les excroissances liées à l'adolescence. Les inquiétudes de Fujimoto ne sont-elles pas analogues à celles classiques du père face à leurs filles grandissantes ? Car derrière la naïve histoire d'amour entre les deux enfants réside toujours le regard des parents en arrière-plan, que ce soit Lisa dans la maison ou Fujimoto sur son « véhicule » marin. Le film oppose ces deux figures, l'une chaleureuse et attentive, gardant son calme face aux événements, l'autre catastrophé et maladroit. Or, Miyazaki s'attache rarement aux portraits des parents, les laissant toujours inexistants dans ces films les plus célèbres, préférant plutôt la présence des grands-parents. Dans Ponyo, la mère est bien plus courageuse et exemplaire que le père, sachant comment exprimer ses sentiments, que ce soit Lisa pétillante ou la « déesse de la mer », présence maternelle impressionnante. Néanmoins, les personnages de parents n'en restent pas moins nuancés, comme Fujimoto, intéressant car rare jusqu'à présent dans l'univers miyazakien. Cette figure de père maladroit, fatigué et inquiet change du gentil homme à lunettes de Totoro ou Kiki, la petite sorcière, s'avérant même beaucoup plus amusant et touchant.

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    Enfin, Ponyo sur la falaise réunit admirablement tous les ingrédients du vieux cinéaste. Jamais l'animation n'aura atteint un tel de gré de fluidité, jamais les décors n'auront été aussi ravissants et précis et le fantastique aussi flamboyant. De plus, le film fut réalisé de manière traditionnelle, presque entièrement à la main, ce qui rajoute une certaine pureté que l'on perdait un peu dans le précédent. Par ailleurs, le début du film est l'exact miroir de celui de Laputa, l'ascension de Ponyo vers le large s'apparentant à la chute de Shiita vers la terre. Mais Ponyo reste un ravissement pour les yeux et les oreilles, toujours aussi originale et maitrisé.

  • Tokyo Sonata

    Du Choeur de Tokyo à Tokyo Sonata

    TOKYO SONATA (2009) – Kiyoshi Kurosawa 

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    Tokyo Sonata est le premier film que je découvre de Kiyoshi Kurosawa et la découverte reste favorable par la qualité de la mise en scène et l'originalité d'un scénario qui dérape totalement sur une deuxième partie onirique, coupant avec la chronique sociale, malgré des interprétations parfois limitées. Cependant, le film reste intéressant en comparaison avec ceux du maître Yasujiro Ozu, resté pendant longtemps le cinéaste des traditions familiales japonaises. Tokyo est par ailleurs une ville-phare sur laquelle il s'intéresse dans nombreux de ses films (Choeur de Tokyo, Une auberge à Tokyo, Voyage à Tokyo...), lieu d'activité industrielle aspirant tous les rêves des jeunes cadres et les enfermant dans une routine et cadence frénétique et mécanique.

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    Avec Tokyo Sonata, le film est un moyen de vérifier le poids des traditions dans la société japonaise, notamment la famille et le travail. Le paysage s'est modernisé, les maisons se sont « occidentalisées » et les conditions de vie sont devenues plus saines mais la fracture sociale reste encore présente, dans un milieu où le licenciement est porteur de déshonneur et perte de pouvoir. Kiyoshi Kurosawa nous démontre bien la précipitation d'une famille stable à la remise en cause et l'explosion totale des rapports de domination dans la cellule familiale traditionnelle japonaise, par le biais de ce licenciement brut. 

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    Chez Ozu, l'intérieur est le lieu de toutes les tromperies, politesses et caprices familiaux, huis-clos d'une apparence paisible mais qui révèle les failles entre membres d'une même famille. Filmé à hauteur des personnages, le film rase les tatamis et est écrasé par un plafond étouffant. Dans le Japon actuel, l'architecture s'est « occidentalisée », structurée par les escaliers brillants, les colonnes, les meubles (dont la table de la salle à manger) polis et d'un design à la mode. Tapis, cadres de verre et longs rideaux flottants décorent les murs et les shoji (panneaux coulissants) ont disparu au profit de larges portes-fenêtres. Mais Kurosawa capte toujours de la même manière la vie de la famille par une caméra située à leur hauteur, gravissant les escaliers ou séparant par les colonnes ou meubles.

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    De plus, les réunions familiales, en cercle, si fréquentes chez Ozu, se raréfient dans le Tokyo Sonata, témoignage contemporain de la perte de l'importance du rituel familiale. Une unique scène, par ailleurs éphémère et tendue, réunit les quatre membres de la famille ; seule la mère est encore présente pour soumettre la présence à table de tous mais le mari préfère s'isoler, le premier fils déserter ou s'enfermer et le dernier errer dans les rues. Dans une première partie, Kurosawa décrit avec pertinence ces flottements des personnages, tendant plus à s'éloigner l'un de l'autre, à s'isoler dans le cadre, à s'égarer totalement. Seule la mère continue à tenir son rôle au foyer, posant un regard lucide et attentif sur ses enfants et sa famille, préparant le repas et aménageant la maison. Elle est le protagoniste le plus attachant et sympathique, la seule finalement à ne pas perdre ses repères, mais restera la plus apte à briser ce quotidien sans hésitation.

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    Le film décrit ainsi subtilement, avec une progression calculée et maîtrisée la plongée progressive de ses quatre personnages dans une errance désespérée. Le père est le plus touché car il doit déjà tenir et respecter un statut, contrairement aux enfants qui sont en passe de le définir, qu'il sent peu à peu se détruire. La honte et la peur procurés par le chômage auquel il est brusquement confronté ont un impact sur sa condition de père devant gérer le foyer, sentant qu'il perd de son autorité (notamment face aux désirs divergents de ses fils), expliquant ses accès de colère. Les deux fils, quant à deux, veulent tout simplement s'échapper du parcours planifié par leur père, et même du foyer qu'ils fuient. Ce principe de la fuite d'un milieu clos et intime était déjà présent dans les films d'Ozu, notamment pour les rôles de jeunes filles refusant le mariage arrangé. 

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    Cette fuite est poussée à l'extrême chez Kurosawa. Le premier départ, celui du fils aîné pour rejoindre l'armée américaine, engrange les autres. Chacun, au même moment, poussé par les mêmes événements impromptus, va s'évader de sa situation, de sa condition familiale et sociale. La mère, par sa relation avec le cambrioleur inattendu, va au plus loin de cette fuite, s'échouant dans une bicoque délabrée au bord d'une plage déserte. Envolée quasi-fantastique des personnages qui est malheureusement la partie la moins bien traitée du film. Le cambrioleur maladroit reste peu convaincant et cet éclatement est attendu tout du long. Eclatement des frontières, par le trajet hors du trajet quotidien et de la demeure familiale, éclatement du statut de la mère par cette liaison adultère, éclatement de l'innocence du jeune fils et éclatement de l'autorité du père. Désintégration de tous les principes pour en faire renaître, un matin faiblement éclairé, un sentiment familial sincère et simple. Réunion qui se confirmera avec la beauté d'une ultime scène puissante, celle, déjà si commentée, du Clair de lune au piano.

  • 24 City

    Re / Dé construction

    24 CITY (2008) – Jia Zhangke 

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    Après le sublime Still Life, un nouveau film de Jia Zhangke, figure incontournable du cinéma chinois à présent, arrive enfin. Oeuvre moins impressionnante que le précédent, 24 City reste néanmoins une réflexion sur l'architecture et la condition particulière de la société chinoise.

    Mêlant fiction (certains personnages sont joués par des acteurs) et réalité (retour sur les lieux et interviews d'ouvriers), 24 City est tout d'abord une réflexion sur le genre même du documentaire. Autour d'un même lieu, le film croise les témoignages des ouvriers, entrecoupés de quelques plans servant d'illustrations, passant de l'un à l'autre en soulignant les différentes vies qu'ils ont emprunté et en montrant en arrière-plan la destruction progressive des usines. L'utilisation d'actrices pour certains personnages peut surprendre : parmi les visages d'anciens ouvriers burinés par le temps et les souvenirs, trois femmes se distinguent par leur visage bouleversé et bouleversant et surtout par la composition scrupuleuse de leur récit poignant. On distingue, par la longueur de leur témoignage et leur phrasé, la composition fine mais irréelle, d'actrices. Zhangke mêle habilement ces interprétations, quasi des offres aux actrices, aux regards et présences graves et fantomatiques des vrais ouvriers. A la fiction dramatique, le film crée un curieux contraste avec le réalisme du documentaire et du visage réel. 24 City joue avec le contexte réel pour recréer des histoires poignantes. Dans Still Life, le réalisateur s'entraînait déjà au même principe : lors du chantier du barrage monumental des Trois-Gorges, deux personnages parcouraient la ville à la recherche de leur passé. 

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    La dure réalité des ouvriers, de cette présence tendue et arquée, regards droits et justes sur la caméra, reste cependant le plus touchant dans ce film. Zhangke sait filmer ces figures ayant vécu, vu et maintenant délaissés face à la construction de cet ensemble urbain, positionnant la caméra de la manière la plus frontale, captant ces regards et expressions exceptionnelles. Le film comporte une émotion forte et subtile, passant par les confessions des personnages et la manière de capter leurs gestes, tout en restant très respectueux de leurs comportements. Que ce soit ces deux vieillards, l'apprenti et son ancien maître qui se joignent les mains, ou cette jeune fillette de l'immeuble qui poursuit sa trajectoire circulaire sur un toit le soir. 

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    La force visuelle provient également de la qualité du réalisateur à filmer l'architecture chinoise. Paysage marqué par le temps, constellé de ruines d'anciennes industries, mais également en proie aux technologies modernes. Il s'opère une dé / re-construction permanente dans le cadre, qui touchait déjà le barrage des Trois-Gorges dans Still Life. L'usine 420 et la cité ouvrière, insalubre et en ruines, se détruisent sur des images sidérantes (comme l'effondrement d'un des bâtiments, provoquant un souffle de poussière qui envahit progressivement le cadre), tandis que se met en place le complexe luxueux de « 24 City », planifié, visité et expliqué. Deux types d'architecture et de paysages s'opposent, l'un industriel et usé, l'autre urbain et neuf. Pas de musique, pas d'ajout superficiel sur ces constructions mises à nues. 24 City cadre des salles vides aux ampoules électriques abandonnées, vacillant dans l'air, les appartements aux couleurs pâles et aux murs effrités ou les éclairages agressifs des constructions modernes.

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    Réflexion sur la Chine et ses transformations, filmé toujours avec brio et subtilité, 24 City, le nouveau film de Jia Zhang ke est une belle réussite.

  • Le Bon, la Brute et le Cinglé

     LE BON, LA BRUTE ET LE CINGLE (2008) – Kim Jee-Woon 

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    Non, ce n'est pas un vulgaire remake coréen du film de Sergio Leone mais plutôt un joyeux dérivé, s'inspirant juste de la trame pour le détourner habilement. Le bon, la brute et le cinglé s'ancre dans une ambiance décalée, composée de devantures coréennes aux inscriptions et couleurs flamboyantes, traînant dans la poussière blanche, les copeaux de bois et le sang séché. 

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    Dès les premières images, le film nous plonge dans un univers totalement asiatique et avec une pointe de fantaisie. Les accessoires sont nombreux, précis, à la fois précieux et factices. Les trucages sont peu cachés, loin de là. Chaque action étonne par la précision de son mécanisme et son absurdité. C'est du cinéma au sens propre, l'illusion composant tout. Cependant, même si ce but reste simple et banal, le film comporte cette ambiance si originale et un dynamisme toujours actif, le transformant en un joyeux cocktail explosif, où l'œil se délecte des multiples points de vue, idées, rebondissements, parfois même un peu trop. La présence de la modernité se manifeste par le bombardement de scènes d'action, durant parfois jusqu'à vingt minutes d'explosions, mouvements saccadés, multipliant les points de vue, chaque plan se succédant avec une frénésie parfois fatigante.

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    Certes drôle par l'absurdité de sa mécanique ou la richesse des idées et réactions, l'action reste dominante et souvent peu justifiée. Sa présence cherche juste à distraire, évidemment. Sur ce point, le film reste banal et juste un moyen de plaisir. Ce qui s'avère intéressant, c'est l'univers particulier qui s'impose au spectateur, mêlant l'histoire de la guerre pour l'indépendance de la Corée à d'énormes anachronismes marquant la présence ironique des technologies modernes (salle de cinéma, jumelles extra-sensibles...). L'intrigue est quant à elle délaissée au profit de l'action et du travail des décors, se basant sur une classique chasse au trésor, qui vire rapidement à l'absurde, finissant sur la révélation grinçante d'un Eldorado non plus constituée de pièces d'or mais d'or noir. Là aussi règne l'humour ironique d'une société en pleine modernisation, tandis que nos trois héros restent tournés vers un passé révolu, celui de la vraie aventure. 

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    Le bon, le brute et le cinglé mérite le plus d'attention dans la construction de ses trois personnages principaux, qui divergent largement des personnages originels. Seul le bon (interprété par Jung Woo-sung) reste similaire : sans coeur, silencieux, attentif et excellent à la carabine, son seul but est la prime et le succès. L'interprète du bon semble ainsi le moins bon, justement, prouvant peu ses capacités face aux deux autres acteurs, nettement plus originaux et personnels. Cependant, si Kim Jee-Woon a modifié le scénario, il a aussi rajouté des histoires personnelles à ses personnages, leur inventant un passé trouble et sensible. Le personnage du bon est justement le seul qui ne bénéficie pas ou peu de l'explication de ses origines, restant obscur, moins compréhensible et attachant. Par ailleurs, le cinglé (Kang-ho Song), tandis qu'il l'accompagne, tente de subtilement en savoir plus sur lui, en vain. Kang-ho Song a, quant à lui, continué d'utiliser son physique débonnaire pour interpréter le cinglé. Excellent premier rôle dans de superbes films coréens tels que Memories of murder (Bong Joon-ho) ou Secret Sunshine (Lee Chang-Dong), Kang-ho Song est amusant, énergique, toujours à composer son jeu de grimaces et répliques insolentes, le rendant finalement très attachant. 

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    Mais la différence la plus surprenante réside dans le personnage de la brute (Lee Byung-hun). Véritable cœur de glace dans le film de Sergio Leone, il est ici rajeuni, plus sensible et très émotionnel. Choix surprenant et, il faut bien le dire, intéressant, le quotidien de ce jeune homme charismatique mais capricieux est suivi, découvrant un caractère immature, avide de pouvoir et d'une jalousie sans pareil, telle celle d'un enfant voulant posséder tous les jouets du monde. Kim Jee-Woon a sûrement écrit le film pour ce rôle important de la brute, afin qu'il échoue à l'acteur Lee Byung-hun, véritable star dans on pays et qui avait déjà joué un rôle dramatique dans A Bittersweet Life. L'acteur se débrouille, animé par les rictus de jalousie et les poses inspirées. La brute cherche toujours à rattraper les deux autres, le bon et le cinglé, autant au sens propre (course-poursuite pour le trésor) qu'au figuré (ils sont tous deux meilleurs tireurs que lui et ont déjà une réputation bien remplie). Par sa jeunesse, il incarne même physiquement ce retard, le plaçant comme un personnage central plus faible, qui cherche en permanence à rattraper les autres, à les surpasser, à empiéter sur leur réputation d'aînés (ce que prouvera, sur la fin du film, la révélation sur le passé mystérieux du cinglé). 

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    Le bon, le brute et le cinglé est donc un remake léger, utilisant le film originel comme prétexte pour mieux détourner l'intrigue et les personnages, l'adaptant à l'ambiance « sauce soja », s'amusant follement et fourmillant d'idées. C'est du cinéma au sens propre du terme, sans réflexion, mais juste de l'action, du plaisir, et ça ne se refuse pas.

  • Sparrow

     Sortons nos parapluies

    SPARROW (2008) – Johnny To

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    Après le sublime Exilé (2007), Johnny To nous livre un nouveau film toujours aussi enthousiaste et distrayant. Il est à préciser que Sparrow n’est pas un thriller noir et stylé, mais un film oscillant entre la comédie romantique, musicale et l’action. Johnny To s’en donne à cœur joie dans un Hong-Kong coloré et bondé, jouant sur le côté labyrinthique des lieux. Tel Vincente Minelli avec Un Américain à Paris (cf critique), To s’immisce dans Hong-Kong tel un touriste enthousiaste, observant les gratte-ciels, se frayant un chemin dans le trafic de voitures ou prenant en photo les jolies femmes pressées.

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    L’acteur Simon Yam (qui jouait un boss mafieux insupportable dans Exilé) est le représentant du réalisateur, scrutant avec son visage rond et jovial les curiosités de la ville. Chef d’une minable bande de pickpockets, il prend plaisir à orchestrer ses sorties, à mettre en place toute une chorégraphie de l’art de dérober. A l’instar des fusillades stylisées d’Exilé, la caméra saisit ce prétexte du vol à la tire pour se délecter de travellings audacieux, de ralentis embellis sur une bande sonore éblouissante ou de jeux de mains à plusieurs. Une scène sidérante par son rythme et sa précision représenta au mieux cette chorégraphie, faisant le clin d’œil à Gene Kelly : le duel sous les parapluies noirs de Hong-Kong est d’une beauté sidérante, où chaque geste prend son importance, à l’effet éblouissant. Sparrow se définit d’abord comme un plaisir cinématographique, ponctué de rebondissements efficaces, scandé d’énergie (mis à part un premier quart d’heure un peu errant), de personnages truculents et d’un humour facile, sans pour autant être désagréable.

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    Le film repose essentiellement sur les superbes prises de vue, et la photographie magnifique, se prêtant aux multiples jeux de cache-cache des personnages dans les rues de Hong-Kong ; et sur la bande musicale, propice à une comédie musicale asiatique, insistant sur les petits refrains au piano et les violons entraînants. Simon Yam bondit, marche, tourne avec vivacité dans les rues, dérobant au passage quelques billets, donnant des ordres, envoyant des coups d’œil ironiques. Sous ses ordres, trois acteurs un peu déconcertés par sa joie de tourner, et légèrement décevants, n’insufflant pas la même énergie au film, mais suivant Simon Yam dans son numéro avec motivation.

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    Quant au personnage de Kelly Lin, il est symbolisé ce moineau qui s’immisce entre les murs (part ailleurs, je vous conseille le film du même titre, qui fera l’objet d’une très longue critique) de Simon Yam au début du film. Car cet oiseau au charme fier et discret va amener bien des ennuis à nos quatre pickpockets. De plus, le titre, Sparrow, est un mot anglais comportant deux significations : moineau et pickpocket. Car le film représente essentiellement une rencontre entre deux classes sociales (la luxueuse femme d’un mafieux et des pickpockets ridicules). Chacun n’hésite pas à jouer l’autodérision de son personnage, Kelly Lin jouant sur sa beauté à talons aiguilles, telle une égérie de Wong Kar-Wai, exaspérant dans son rôle de séductrice ; tandis que les quatre pickpockets redoublent de naïveté et de bonhomie, cherchant à jouer les professionnels, en vain. Ce quatuor peut rappeler celui des quatre tueurs à gages d’Exilé, composé de même manière : un chef réservé et se voulant impartial ; un jeune généralement troublé par les événements et deux acolytes un peu maladroits et redoublant d’originalité pour duper leurs adversaires.

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    Ainsi, Sparrow joue essentiellement sur la métaphore d’un moineau tapageur, séduisant par sa vivacité et sa précision. Moins impressionnant et complexe qu’Exilé, il n’en reste pas moins agréable et amusant.

  • Souvenir

    Une voix dans la montagne

    SOUVENIR (2008) – Im Kwon-Taek

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    Il était temps que je découvre le cinéma coréen avec le centième film réalisé par le maître en la matière, Im Kwon-Taek, réputé pour son Ivre de femmes et de peinture, notamment. Souvenir est un film qui ne manque pas de charme ou de romanesque. Nous entrons dès les premières scènes dans un cinéma volontiers lyrique et époustouflant, soignant la reconstitution historique, les costumes et les maquillages et explorant des thèmes ressassés et encore flamboyants.

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    Le personnage principal, héros au visage sympathique et au caractère maladroit, recherche en permanence sa « sœur », douée d’une voix miraculeuse et atteinte de cécité, et avec laquelle il arpentait les contrées durant son enfance, tous deux menés par leur maître saltimbanque. Etrangement, le récit, pourtant un long flash-back raconté à un villageois amoureux lui aussi de la sœur, brouille volontairement l’esprit chronologique de l’ensemble. Chaque séquence se définit essentiellement sur une rencontre entre certains personnages, un retour ou un départ, entrecoupés d’ellipses. Ces courts événements démontrés avec précision contribuent à symboliser le thème de la recherche de l’autre, ou de soi-même, pour chaque protagoniste, thème extrêmement classique mais adapté au carctère grandiose du film. De même, lors des retrouvailles, chacun demande à l’autre « Comment as-tu fait pour me retrouver ? », transformant son retour en une véritable apparition magique. Par ailleurs, Dong-ho s’imagine apercevoir sa sœur sur le chemin, alors qu’il ne s’agit que d’une illusion.

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    L’histoire d’amour platonique s’exécutant entre les deux héros répond justement à ce mot, l’illusion. Dong-ho, par ses balades idylliques et ses regards perdus dans l’horizon, n’est-il pas un héros romantique, tandis qu’autour de lui les autres Coréens boivent, font la fête ou l’insultent, et que le pays se transforme, gagné par l’industrialisation et la mondialisation ? Peu à peu apparaissent la radio, la télévision, l’industrie du pétrole au Moyen-Orient, fond de toile contrastant avec les désirs des personnages. De même, Song-hwa, la sœur, s’obstinant dans sa condition de chanteuse aveugle en exil, ne chante que des chansons d’amour et de désir. Son errance et sa discrétion contribue à faire croître la chape de mystère qui l’entoure, signifiant qu’elle reste précieuse mais inaccessible. La puissance de sa voix et du style de chant pratiqué permet au film d’atteindre une force magistrale.

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    Les lourdeurs dans l’histoire et l’interprétation parfois exagéré de certains acteurs sont atténués par ce style de chant représenté, filmés avec virtuosité. Dès qu’un chanteur commence à s’exprimer, contant au rythme des tambours légendes ou fables coréennes, les visages gagnent en émotion, l’attention s’aiguise et les décors naturels subjuguent. La voix de la jeune femme résonne, avec cet accent si particulier de la langue coréenne, voix de gorge tressaillant de vie, de douleur et d’émotion. La représentation des coutumes (véritable désir du cinéaste pour son centième film) vise à les sublimer, à exprimer leur importance et l’impact dont il est toujours capable, souligné par les prises de vue magnifiques des paysages environnants et des costumes chatoyants.

    Cependant, le film assiste également à la disparition de cette pratique du chant : la troupe théâtrale où travaillait Dong-ho passe des salles de fêtes aux petits bars des villages, perdant de l’importance et de son respect. La chanteuse incarne un genre d’idéal de ce chant, imperturbable et éternel, comme vient le souligner la séquence finale.

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    Certes, Souvenir peut facilement être considéré comme un mélo flamboyant, avec les lourdeurs romantiques qui s’imposent mais la surprise et le plaisir d’assister à un travail de qualité sur ce visage de la Corée prime sur l’impression générale du film.

  • Wonderful Town

    L'étranger 

    Wonderful Town (2008) – Adytia Assarat

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    Ce film thaïlandais, modeste et faisant songer à Still Life (2007, Jia Zhangke), se penche sur la tranquillité d'une petite ville, Takua Pa, peu après les ravages causés sur la côte par le tsunami. Ton, jeune architecte venu surveiller les reconstructions, s'installe dans l'hôtel silencieux de la ville, tenu par une jeune femme. Le film d'Assarat est une histoired'amour ancrée dans ce cadre intemporel, où l'espace et le temps viennent souligner l'idylle vécue et à l'aboutissement tragique. Tout en douceur, Assarat se base sur la contemplation, la flânerie et les jeux de séduction. Tout comme les premières images bruissantes de la mer qui se retire et s'allonge sur la plage, Wonderful Town est ancré dans ce perpétuel déchaînement et refoulement des sensations et des sentiments, statuant la ville à un lieu figé, loin de toute médiatisation des ravages à proximité (ce qui rappelle les villages du barrage des Trois-Gorges).

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    Tout au long du film, les deux amants sont hantés par ces lieux à la fois paradisiaques et inquiétants, concrétisant leur union ou en annonçant l'aboutissement. D'abord séduit par les maisons détruites, Ton les visite, découvrant des traces de vie déjà oubliées : cintres accrochés à la penderie, jouets, accessoires de toilette... C'est d'abord l'aspect « mort », fantômatique qui l'attire avant de s'intéresser à la jeune femme. Mais celle-ci appartient elle-même à ce tableau étrange, écoutant aux portes les étrangers appartenant à la vie réelle, surprise par les chansons délivrées par Ton, autres que celles du silence et du feutrement du parquet. En sa présence, elle se souvient de son enfance, sûrement plus vive que le présent actuel de la ville.

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    Durant leur idylle, les deux jeunes gens, épanouis, s'intéressent plus à l'environnement qui les entourent. De très belles scènes lyriques viennent souligner cette paisibilité, ce « paradis » ensoleillé qui berce leur union. Lentement, la menace couve autour sans qu'ils ne s'en rendent compte, comme si ce tableau enchanteur cachait bien son jeu derrière les apparences. Avec beaucoup de poésie, la fin tragique de cette histoire d'amour, inattendue et sèche, retrouve une certaine beauté par ces lieux. Cependant, la mort survenue retourne dans la mer, symbolisant l'appartenance de Ton au qualitatif d' « étranger ». Cette « wonderful Town », tout en étant fascinante et magique, reste ancré dans un espace-temps immuable et inattaquable.

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  • Still Life

    STILL LIFE (2007) - Jia Zhangke

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    Still Life est un tableau contemplatif. Au milieu de ces incroyables paysages de la destruction, immobiles, figés dans le temps et en attente de leur apogée, se mouvoit un homme, des hommes, une femme, des femmes...C'est le principe même du cinéma, art qui mouvoie les tableaux morts, redonne vie aux natures mortes (« still life » en anglais), permet un regard, non fixe mais en mouvement, sur le passé et la décomposition par le temps, par les Hommes.

    C'est l'histoire de cette ville, Fengje, mais d'autres encore, qui vont disparaître, s'oublier, remplacées par les constructions modernes, la technologie de pointe, la création de l'Homme. Ce sont ces images, qui nous envoutent, nous captivent, nous plongent dans un décor aux multiples détails, prêts à s'effacer, à se décomposer, petit à petit, tandis que la vie lassée des habitants s'écoule dans l'indifférence.Un lieu se détruit, privé de mémoire tandis qu'un autre se reconstruit. Tel est le tableau que nous dresse Jia Zhanke, un désert sans souvenir, un regard sur le passé que l'on va oublier, mais qui reste figé dans ce film, comme si l'attente ne ferait que ralentir sa lente agonie.

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    Au milieu de cette nature morte, arrive un homme, à la recherche du passé, mais pas de celui qu'il a devant lui. Lui, il recherche quelque chose qu'il a connu, mais qui a changé. Qui a déménagé, grandi et sûrement oublié. Cet homme recherche sa femme et sa fille, et son voyage est une rencontre avec ce lieu mort et ces gens reclus dans leur autonomie habituel. Il marche au milieu des chantiers, les scrute pour y déceler un quelconque indice. Il a beau questionner, les réponses ne sont que des traces de sa nostalgie; Il finit par s'installer chez un vieil homme arnaqueur et égoïste, où il s'incorpore à cette féerie usée. Il devint lui-même un souvenir. 

    Au cours de longues séquences au ralenti, Jia Zhangke nous décrit la recherche désabusé de ce héros, se faisant arnaquer dès son arrivée (du magicien sur le bateau au vieil homme hôtelier), traînant sa naïveté face aux pauvres et sa légère timidité dans des quartiers dépassés par la technologie, le pouvoir d'achat et le tourisme fleurissant. Ainsi, les paysans comportent tous un portable sur lesquels ils s'amusent à agrémenter d'une sonnerie purement patriotique, où un refrain louant les mérites des travailleurs des montagnes retentit dans la vallée détruite. Cette technologie, c'est aussi le pont multicolore que des fonctionnaires présentent lors d'une soirée. Quant au tourisme, malgré qu'il n'apparaisse qu'au second plan, sur l'écran d'un bateau mouche ou sur les affiches d'une ville, son omni-présence est envahissante.

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    Ce lieu, c'est aussi une cadence terriblement répétitive, entrecoupée de bruits de caillasses, de chantier, de roues de chars ou de motos. C'est un manège incessant, où les ouvriers, sous la chaleur du soleil, abattent l'un après l'autre leur pioche ou leur marteau, tels des automates que rien ne dérègle, pas même le passage discret d'un homme à la recherche de son ancien amour, un sac sur le dos, légèrement désorienté. Il rencontrera plusieurs personnages légèrement fantaisistes et risquera même de croiser l'autre femme à la recherche de son passé, elle aussi. De plus, il se liera d'amitié avec un jeune garçon rieur, qui le méprisait pourtant auparavant.

    
Le film est découpé en plusieurs chapitres dans la première partie qui inclut le début de la recherche de l'homme, suivie de celle de la femme qui finit son parcours rapidement. Ce système est utilisé puis délaissé pour « finir » le chemin de l'homme, peut-être pour montrer que toute notion du temps s'est perdue, qu'il s'est ancré dans la vie quotidienne de ce lieu, qu'il travaille comme tous les autres, aveuglément, passivement. Y sont inscrits, à chaque fin de chapitre, en bas de l'écran, les pictogrammes chinois de différents ingrédients quasi-indispensables à la vie quotidienne : cigarettes, thé, alcool, bonbons... Tout en enchaînant sur un fondu représentant l'objet s'appliquant aux pictogrammes.

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    Ces objets, et d'autres, ont leur importance car ce sont la représentation de quelque chose qui appartient à soi, qui ne sera pas détruit. Ainsi, chacun des paysans pauvres possèdent un portable qu'ils agrémentent de sonneries plus ou moins ludiques, jouent aux cartes (dès la première séquence, sur le bateau), fument énormément, trinquent à la santé de tout, possèdent des motos... Le jeune garçon, par ailleurs, proposera des bonbons à San Ming avant qu'ils ne se quittent. Son corps sera retrouvé plus tard, sous des gravats de chantier, grâce aux sonneries. La mort semble également quotidienne, dans ce lieu dévasté, ou du moins, elle n'est pas repoussée.

    En revanche, cette capacité à s'approprier les objets alentour est lié au fait que les « habitants » n'ont ou n'auront plus de maison. La misère est telle que le moindre objet est conservé, sacré. En permanence, des gens racontent que leur maison est rasée, qu'ils doivent partir pour trouver un nouveau logement, pour la plupart vétustes. Cette suppression de la propriété privée explique peut-être la forte surcharge des lieux publics et autres (bars, péniches, immeubles...) et cette importance de la valeur des objets : une simple théière, un paquet de cigarettes ou de bonbons, une moto, un téléphone portable, un éventail, une bouteille d'eau... La bouteille d'eau, par ailleurs, est primordiale pour le trajet de Shen Hong, la femme. Elle est sans arrêt en train de boire, de finir la dernière goutte, de remplir sa bouteille, de demander où la remplir... Cette assoiffement souligne-t-il la chaleur incessante, ou la fatigue dûe à un tel pélerinage ? Shen Hong éprouve-t-elle un grand épuisement face à ce tableau de la fin ? 

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    Tout au long de son parcours, elle rencontrera des gens plus ou moins gentils, naïfs, donnant toujours peu ou pas d'indications sur sa recherche. Elle agira plutôt en matière de spectatrice, observant des scandales de justice, des hommes qui travaillent, des bâtiments qui s'effondrent. Elle repartira d'ailleurs rapidement, le regard fixé sur ce lieu mélancolique qu'elle quitte.

    Le détail qui fait le charme délicat du filmet évite ainsi le platonique documentaire, est le fantastique, l'ambiance surréaliste qui apparaît discrétement au fil du récit, et qui provoque sûrement ces émotions si fortes. Tout d'abord le paysage, envahissant l'écran, imprégnant la salle de son gouffre impressionnant et presque totalement silencieux. La résonance sur les chantiers, des coups de pioches, se répercute de-çà de-là, ricochant sur les débris et la dévastation des maisons. Le pont perdu dans l'ombre, est allumé soudainement de mille couleurs technologiques par un homme d'affaires lors d'une soirée, depuis une terrasse. Mais le plus fort élément fantastique du fil est cette « drôle de maison » à l'architecture particulière, remplie d'enfants la journée, et qui s'envole comme une fusée une fois le soir tombée, tandis que le relent de son souffle agite le tee-shirt accroché de San Ming.

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    Still Life est un film à voir absolument sur grand écran afin de faciliter le plaisir de sa magie belle et envoûtante.

  • Exilé

    EXILE (2007) - Johnnie To

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    Avant le ludique Sparrow et l'efficace Vengeance, Johnnie To avait réalisé Exilé, moins connu que son diptyque d'Election, mais qui se révèle pourtant être l'un de ses meilleurs derniers films. Lors de sa sortie, je l'avais vu au cinéma, n'ayant pas suffisamment d'expérience à l'époque au niveau de le critique d'un film, mais ayant été éblouie, angoissée, marquée par ce film qui joue habilement avec les codes du western et du film de gangster, accompagné d'une réalisation excellente. Sparrow, moins abouti, mais agréable, était une variation sur les pickpockets et la comédie musicale. Exilé reste au contraire un pur film de genre, aux nombreuses nouvelles idées de mise en scène et de scénario, mais qui ne perd jamais de sa force et de sa violence, toujours dans la peinture d'une organisation criminelle tyrannique et corrompant tout.

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    En quelques scènes d'une séquence d'ouverture inoubliable, le film esquisse les grandes lignes de l'intrigue qui va réunir ces quatre tueurs à gages dans leur exil. Sans avoir recours à des dialogues poussifs, loin de l'excitation verbale d'un Martin Scorsese, à travers une mise en scène taillée au scalpel, le spectateur saisit les rapports contradictoires qui unissent les cinq protagonistes, l'un, aussi tueur à gages de la bande, voulant se retirer du joug du terrible M. Fay. Autour de ce personnage se réunissent les quatre héros dans une séquence d'ouverture mémorable, hommage détonnant au western. Un travelling impressionnant vient tout d'abord cerner ces quatre protagonistes, faisant tout de suite saisir l'importance de leur place dans le récit. Pas de mots, juste un signe de tête et un geste d'une main tenant un cigare que vient souligner ce travelling, comme un code définissant leur union. A partir de là, ces quatre hommes ne se sépareront pas jusqu'à une mort quasi synchrone. Le travail de Johnnie To a toujours une vision de l'amitié qui se concrétise par l'action de groupe, par le rapport au nombre, donnant une égale dignité à chacun des membres tout en définissant une hiérarchie claire. Le Chat et Le Gros se révèlent dès le début les hommes de main, faisant le guet dans la rue, tandis que Tai et Blaze, les têtes pensantes du groupe, montent en haut s'occuper de Wo, le collègue voulant se retirer.

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    L'influence du western se pointe donc dès la première scène, une fusillade entre Tai, Blaze et Wo dans le petit salon désert d'un appartement de Macao, exacte réplique du célèbre triangle du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone. Mais là où le final de Leone était la réunion attendue entre ses trois protagonistes, la séquence d'ouverture de To met en périple l'amitié qui liait ces amis d'enfance. De plus, là le film de Leone se finissait dans une arène dessinée par le plateau central d'un désert, véritable scène de tragédie, Exilé préfère un lieu commun, un salon autour duquel existent la cuisine avec la marmite sur le feu, la salle de bains, la femme et l'enfant de Wo. Si Johnnie To emprunte beaucoup de codes du western, il ne l'effectue qu'au niveau de la forme, le fond étant totalement différent. Les héros de Johnny To sont par exemple de grands sentimentaux, notamment Blaze, incapable de continuer la fusillade face aux cris de l'enfant réveillé et au regard de la femme. Ils sont comme l'incarnation de certaines valeurs en perdition dans le monde criminel, que tentent d'inhiber des antagonistes sans une once d'humanité, ce qu'incarne parfaitement l'extraordinaire, car fou, M.Fay.

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    Le scénario fait habilement succéder des variations sur les lieux communs du western et du film de gangsters, troublant les frontières et créant des quiproquos à la fois malicieux et tragiques. Ce curieux mélange des registres est extrêmement visible dans Sparrow, et transparaît aussi dans Exilé. Les cinq protagonistes sont par exemple chargés d'éliminer, sur ordre d'un indicateur, un jeune homme dans un restaurant sans savoir que cette cible a précisément rendez vous avec leur grand patron M. Fay. Ou un policier chinois, lors du braquage d'un convoi de fonds dans la lande désertique du pays, se révèle incarner le comportement type du héros américain, sorte de tireur d'élite nonchalant et inattaquable, ne manquant jamais sa cible tandis qu'échouent autour de lui tous ses camarades. La prostituée, quant à elle, grande figure du genre et commune au western et au film noir, sera le témoin égoïste de tous les événements et lorsque les quatre compères, juste avant de mourir, la contemplent descendant les marches de l'escalier pour les voir, ils ne se doutent pas que son seul but est de voler l'argent tombé à leurs pieds.

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    De plus, la structure s'apparente presque à celle d'une tragédie grecque, et le film peut se découper en trois grandes parties définies par les offensives. Au début, le trio s'attaque dans le petite pièce à l'image de la célèbre scène du Bon, la Brute et le Truand de Leone, constituant le premier acte. Après certains éclaircissements sur le dilemme qui va unir le groupe, la seconde offensive dans le restaurant luxueux de Macao clôt le second acte. De nombreuses péripéties mèneront finalement au dernier acte, apogée de la violence entre le groupe et Fay. Trois lieux se distinguent aussi, tous marqués par des scènes de fusillade : l'appartement, le restaurant, et l'hôtel. A ces lieux principaux et concentrant l'action et les personnages se rattachent d'autres lieux symboliques, telle la montagne, sorte de pivot spirituel pour les quatre hommes, les rues de Macao, ou le cabinet du médecin.

    Il y a également ce ressort fondamental dans la structure de Johnnie To, qui est le personnage de la femme, souvent peu présent à l'écran mais jouant un rôle capital. Elle s'incarne ici en deux figures contradictoires, deux idéals totalement opposés et dont la rencontre entraînera finalement la perte des quatre hommes : la prostituée, obsédée par l'argent, et la femme de Wo, animée par une vengeance incertaine. Cette dernière est par ailleurs bien plus importante que la première, sorte de figure qui permettrait aux quatre brigands de se racheter une conduite. Ces deux images de femme se retrouvent par ailleurs dans le personnage de Kelly Lin dans Sparrow, mi-démon, mi-fragile.

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    Enfin, si le western marque la réalisation tout du long du film, les scènes de violence échappent et se distinguent de l'ensemble par la somptueuse composition qu'elles émettent. Par ailleurs, les derniers films de Johnnie To (et probablement ceux d'avant, bien que je n'ai pas eu encore l'occasion de les découvrir) ont largement prouvé son habileté à filmer les scènes d'action. Au-delà de l'hommage, les séquences de violence ont cette particularité de se distinguer de toute autre production d'action, pour constituer, à elles seules, des moments d'anthologie. Car tout l'esthétisme de la violence chez To s'incarne dans le travail chorégraphique qu'il opère, que ce soit dans l'image ou le son. Le ralenti a sa place majeure dans ces séquences, de même que l'espace du lieu, souvent restreint dans Exilé (alors qu'il est urbain dans Sparrow, et, par opposition, élargi dans Vengeance). Les manteaux claquent et les rideaux s'envolent, comme dans le cabinet du médecin, véritable réussite du suspense. Les tueurs virevoltent au rythme des pistolets qui se déchargent et des balles qui les transpercent ou les frôlent. La comédie musicale se retrouve même, malgré la noirceur du sujet, dans ces scènes inouïes, à la photographie exquise et aux mouvements de caméra sidérants. Ce qui constitue la force de ces scènes, c'est qu'elles allient à la fois une réalisation chorégraphique soignée et précieuse à la violence qu'elle reflète, évitant au film de tomber dans un excès esthétisant et dans la complaisance qu'accompagnent bien souvent les effets spéciaux dans les scènes d'action des films actuels, comme dans les derniers films de Martin Scorsese. Ici, le travail sur l'ombre et les corps crispés dans l'effort, l'harmonie des mouvements et l'organisation dans l'espace donnent une certaine efficacité à la scène de combat, une force dramatique et directe.

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    Exilé, ce titre s'accorde autant au personnage de Wo, qu'à ceux de la bande. Le sens de ce titre peut se lire autant dans le sens littéral que figuré : les quatre complices perdent leur confiance en leur chef et s'interroge quant aux décisions à prendre, et cette remise en question s'incarne dans leur errance aux alentours de Macao. Le meilleur symbole de cet exil est la fameuse pièce de monnaie, où le pile et le face finissent par déterminer chaque direction à prendre, chaque décision sur laquelle s'accorder, chaque destin auquel se vouer. Les quatre acteurs, Anthony Wong, Francis Ng Chun Yun, Suet Lam et Roy Cheung, incarnent parfaitement la complicité qui unit ces personnages, jouant toujours sur le double registre de la légèreté et du dramatique. Simon Yam, quant à lui, interprète Fay avec un dynamisme sidérant, mi-cynique, mi-sadique, toujours aussi excellent.

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    Ainsi, dans les espaces de Macao et au-delà, les cigares et les cigarettes fusent, les lunettes de soleil sont constamment glissées sur le nez, les mauvaises blagues tombent, les impers claquent et les voitures ne roulent plus. On finit par laisser tomber tout moyen de transport et à continuer le voyage à pied, comme une étrange odyssée, un exil de quatre tueurs à gages, et ce, toujours avec style.

  • Le vase de sable

    LE VASE DE SABLE (1974)

    Un film de Yoshitaro Nomura

     

    vaseaff.jpgAdapté du roman éponyme de Seicho Matsumoto, Le Vase de Sable est réalisé par un ancien assistant réalisateur d'Akira Kurosawa, Yoshitaro Nomura. Le film pourrait se scinder en deux parties, deux partis pris différents qui donnent néanmoins une cohérence au film et en font une adaptation satisfaisante, mais pouvant néanmoins être controversée.

     

    Dans un premier temps, Nomura reste fidèle au style et aux thématiques développée par le roman policier de Matsumoto. La sécheresse et l'exactitude scientifique de l'écrivain japonais se retrouve dans un rythme scandant les différentes étapes du récit, les diverses déceptions des inspecteurs ou les rebondissements de l'affaire, gravitant autour de ce mystérieux « Kaméda » prononcé avec l'accent du Nord par une victime anonyme, seul indice au départ. Chaque moment ou lieu est présenté par le biais d'un sous-titrage sec en exact écho à la rigueur de Matsumoto et de son héros l'inspecteur Imashini. Nomura respecte bien la forte importance des repères géographiques dans le film, l'inspecteur arpentant diverses contrées rurales du Japon pour retrouver la vérité, arpentant les campagnes et les vallées, rencontrant les paysans et les familles vivant dans la misère, à des lieux d'un Tokyo surpeuplé. En cela, Le Vase de Sable incarne bien tout le long cheminement dans ces paysages, tourné dans des conditions naturelles, les plans étant souvent traversés par le train, liaison entre tous les éléments (le cadavre est retrouvé près des rails, la chemise tâché du sang du meurtrier est jetée par la fenêtre d'un train). C'est bien souvent le passage d'un train dans le cadre qui permet d'aboutir aux vrais coupables, au personnage de l'inspecteur, aux témoins importants.

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    Mais, et c'est là que l'adaptation montre à la fois son intelligence mais aussi ses limites, Le Vase de Sable se détache dans une seconde partie de la sécheresse et du regard pertinent et réaliste de Seicho Matsumoto. L'ouverture musicale annonce ce brusque revirement de parti pris, qui s'effectue lors de la résolution de l'enquête : sur les premières images du générique, un enfant seul au bord de la plage construit patiemment des vases de sable creusés avec l'eau de la mer. Ces quelques plans sont oniriques, se déroulant au coucher de soleil avec l'ombre de l'enfant qui s'agite face à la mer, portés par un orchestre volontiers lyrique. Nomura fait ainsi tout d'abord le choix d'illustrer le titre (dont la signification restait mystérieuse dans le roman), s'attachant au personnage de l'enfant qui sera plus tard le double du meurtrier jeune. L'explication de l'enquête se trouve en effet dans l'enfance du coupable. Dans un montage final alternant ce passé lourd et le concert que donne le coupable, un jeune compositeur, Nomura affirme un sentimentalisme inattendu et rattrape en quelque sorte le meurtrier.

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    Les partis pris sur ce final échappent à la veine réaliste de base : le compositeur, qui fait de la musique concrète hautement controversée dans le roman, devient un jeune prodige en vogue dans la musique classique dans le film. Toute une partie déploie ensuite des tableaux musicaux trouvant ses racines dans les peintures japonaises, dans la représentation des paysages ruraux et désertés, des saisons printanières florissantes et de toute beauté ou de l'hiver rude et pâle. Le thème de l'enfant meurtri et incompris, vagabond et fuyard, y lourdement insisté. Si le montage entre le concert et le passé s'avère impressionnant et intense, il est dommage qu'il dessert un propos appuyé et versant dans le sentimental, faisant même tirer des larmes à l'inspecteur en charge de l'enquête. Une telle intention semble totalement décharger le coupable de son acte et faire oublier l'importance qu'a joué le protagoniste féminin de Rié, victime s'étant sacrifiée naïvement pour l'homme qu'elle aimait. A cette adaptation, on peut ainsi préférer le regard juste de Seicho Matsumoto qui, plutôt de mélodramatiser le meurtre, révélait les angoisses de sa société à travers son coupable. 

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    A VENIR :

    Paprika (Satoshi Kon) – The Sky Crawlers (Mamoru Oshii)

    Thirst (Park Chan-wook)