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Tokyo Sonata

Du Choeur de Tokyo à Tokyo Sonata

TOKYO SONATA (2009) – Kiyoshi Kurosawa 

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Tokyo Sonata est le premier film que je découvre de Kiyoshi Kurosawa et la découverte reste favorable par la qualité de la mise en scène et l'originalité d'un scénario qui dérape totalement sur une deuxième partie onirique, coupant avec la chronique sociale, malgré des interprétations parfois limitées. Cependant, le film reste intéressant en comparaison avec ceux du maître Yasujiro Ozu, resté pendant longtemps le cinéaste des traditions familiales japonaises. Tokyo est par ailleurs une ville-phare sur laquelle il s'intéresse dans nombreux de ses films (Choeur de Tokyo, Une auberge à Tokyo, Voyage à Tokyo...), lieu d'activité industrielle aspirant tous les rêves des jeunes cadres et les enfermant dans une routine et cadence frénétique et mécanique.

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Avec Tokyo Sonata, le film est un moyen de vérifier le poids des traditions dans la société japonaise, notamment la famille et le travail. Le paysage s'est modernisé, les maisons se sont « occidentalisées » et les conditions de vie sont devenues plus saines mais la fracture sociale reste encore présente, dans un milieu où le licenciement est porteur de déshonneur et perte de pouvoir. Kiyoshi Kurosawa nous démontre bien la précipitation d'une famille stable à la remise en cause et l'explosion totale des rapports de domination dans la cellule familiale traditionnelle japonaise, par le biais de ce licenciement brut. 

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Chez Ozu, l'intérieur est le lieu de toutes les tromperies, politesses et caprices familiaux, huis-clos d'une apparence paisible mais qui révèle les failles entre membres d'une même famille. Filmé à hauteur des personnages, le film rase les tatamis et est écrasé par un plafond étouffant. Dans le Japon actuel, l'architecture s'est « occidentalisée », structurée par les escaliers brillants, les colonnes, les meubles (dont la table de la salle à manger) polis et d'un design à la mode. Tapis, cadres de verre et longs rideaux flottants décorent les murs et les shoji (panneaux coulissants) ont disparu au profit de larges portes-fenêtres. Mais Kurosawa capte toujours de la même manière la vie de la famille par une caméra située à leur hauteur, gravissant les escaliers ou séparant par les colonnes ou meubles.

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De plus, les réunions familiales, en cercle, si fréquentes chez Ozu, se raréfient dans le Tokyo Sonata, témoignage contemporain de la perte de l'importance du rituel familiale. Une unique scène, par ailleurs éphémère et tendue, réunit les quatre membres de la famille ; seule la mère est encore présente pour soumettre la présence à table de tous mais le mari préfère s'isoler, le premier fils déserter ou s'enfermer et le dernier errer dans les rues. Dans une première partie, Kurosawa décrit avec pertinence ces flottements des personnages, tendant plus à s'éloigner l'un de l'autre, à s'isoler dans le cadre, à s'égarer totalement. Seule la mère continue à tenir son rôle au foyer, posant un regard lucide et attentif sur ses enfants et sa famille, préparant le repas et aménageant la maison. Elle est le protagoniste le plus attachant et sympathique, la seule finalement à ne pas perdre ses repères, mais restera la plus apte à briser ce quotidien sans hésitation.

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Le film décrit ainsi subtilement, avec une progression calculée et maîtrisée la plongée progressive de ses quatre personnages dans une errance désespérée. Le père est le plus touché car il doit déjà tenir et respecter un statut, contrairement aux enfants qui sont en passe de le définir, qu'il sent peu à peu se détruire. La honte et la peur procurés par le chômage auquel il est brusquement confronté ont un impact sur sa condition de père devant gérer le foyer, sentant qu'il perd de son autorité (notamment face aux désirs divergents de ses fils), expliquant ses accès de colère. Les deux fils, quant à deux, veulent tout simplement s'échapper du parcours planifié par leur père, et même du foyer qu'ils fuient. Ce principe de la fuite d'un milieu clos et intime était déjà présent dans les films d'Ozu, notamment pour les rôles de jeunes filles refusant le mariage arrangé. 

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Cette fuite est poussée à l'extrême chez Kurosawa. Le premier départ, celui du fils aîné pour rejoindre l'armée américaine, engrange les autres. Chacun, au même moment, poussé par les mêmes événements impromptus, va s'évader de sa situation, de sa condition familiale et sociale. La mère, par sa relation avec le cambrioleur inattendu, va au plus loin de cette fuite, s'échouant dans une bicoque délabrée au bord d'une plage déserte. Envolée quasi-fantastique des personnages qui est malheureusement la partie la moins bien traitée du film. Le cambrioleur maladroit reste peu convaincant et cet éclatement est attendu tout du long. Eclatement des frontières, par le trajet hors du trajet quotidien et de la demeure familiale, éclatement du statut de la mère par cette liaison adultère, éclatement de l'innocence du jeune fils et éclatement de l'autorité du père. Désintégration de tous les principes pour en faire renaître, un matin faiblement éclairé, un sentiment familial sincère et simple. Réunion qui se confirmera avec la beauté d'une ultime scène puissante, celle, déjà si commentée, du Clair de lune au piano.

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