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Cinéma japonais - Page 5

  • Le Petit Garçon de Nagisa Oshima

    Le regard-caméra du petit frère...

     

    LE PETIT GARCON (SHONEN, 1969) – Nagisa Oshima

    La force du Petit Garçon de Nagisa Oshima réside dans un petit détail de mise en scène. Le contexte social dépeint, la démonstration de l'éclatement de la cellule familiale, ou la mise en scène hybride d'Oshima s'incarnent entièrement dans un personnage secondaire de son film, qui cristallise toute la singularité frappante de ce cinéma.

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  • Sea Fog / La Revanche des Dragons Verts / Les Chevaliers du Zodiaque

    Trois films issus d'entre les mailles de ces derniers mois, chacun d'une origine asiatique différente, portant une déception bien singulière selon les réalisations.

    SEA FOG, LES CLANDESTINS (HAEMOO) – Shim Sung Bo

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    Du film il ne faut retenir qu'une scène, puissante de vérité et de violence. Au bout de trente minutes flirtant avec le documentaire, démontrant la vérité d'acteurs entraînés à manier les cordages et la pêche comme une habitude de tous les jours, entre réprimandes, bavardages, taquineries, discussions conjugales, surgit l'action d'embarquement d'immigrés clandestins. La force de cette scène essentielle à la tournure du scénario réside dans le vertige de son image et la puissance de suggestion de la panique. Les bateaux tanguent l'un près de l'autre, dans une nappe noire éclairée de quelques tâches de lumière violente. Y surgissent brusquement la foule des immigrés, véritables apparitions dans la nuit, portés par les cris désemparés des pêcheurs et les vagues qui s'entrechoquent. La séquence marque les immigrés comme des indices étrangers dans une réalisation jusque là réaliste et bascule l'esthétique dans un terrifiant fantastique.

    Cependant, ce basculement fort intéressant et prenant n'est là que pour porter le sentiment de panique et le chaos engendré par la décision du capitaine ; et surtout pour signaler le tourbillon de violence prêt à envahir les protagonistes.

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    En cela, les lourdeurs du scénario et des dialogues de Sea Fog le rapprochent grandement de Antartic Journal (Yim Pil-Sung, 2005), un film motivé par la même ambition du voyage maudit éprouvant – et éprouvé à l'écran – mais incapable de construire une réelle immersion dans son sujet et ses personnages. Ainsi, les longues course-poursuites et la folie environnante surgissent sans réelle finesse, sans regard ni mise en scène personnels. Les acteurs se débattent dans les explosions et les dérapages hurlants, les haches, les couteaux, les revolvers et les objets contondants circulent dans la grande tradition du film de vengeance sud-coréen, où seule une architecture sournoise du bateau se retournant contre les protagonistes prête à sourire. Pris dans cette noyade littérale de sa démonstration des affrontements et d'une bien trop fréquente utilisation d'une agressivité réaliste, Sea Fog en finit par éviter totalement la page de l'histoire et du thème de l'immigration qu'il prétendait aborder.

     

    LA REVANCHE DES DRAGONS VERTS (REVENGE OF THE GREENS DRAGONS) – Andrew Loo et Andrew Lau Wai-Keung

    Cette production américaine co-réalisé par l'un des créateurs de la trilogie hongkongaise Infernal Affairs ne démérite pas d'ambition : suivre l'évolution de deux immigrés dans la banlieue de New York dans les années 1980, parmi les affrontements de gangs chinois et les efforts de la police locale pour démanteler le réseau asiatique. L'intérêt de La Revanche des dragons verts se limite cependant à ce tracé historique, relativement pâle et incarné brièvement par le protagoniste joué par Ray Liotta.

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    Depuis Infernal Affairs, le réalisateur Andrew Lau avait proposé l'insipide Confession of Pain, une enquête mentale aux conclusions maladroites. La Revanche des dragons verts comporte les mêmes défauts compulsifs à ces précédentes réalisations : un montage nerveux, une narration volontiers dynamique, remplie d'ellipses, afin de créer la confusion, l'alternance entre des affrontements très serrés et très découpés et des plans de contemplation des silhouettes face au paysage urbain... Si ce style convenait à la nervosité de la confrontation entre les deux infiltrés d'Infernal Affairs, il ne fait qu'alourdir le récit de Confession of Pain et celui de la Revanche des Dragons verts. Dans ce dernier, les protagonistes sont taillés à coups de pioche stéréotypée, les relations limitées à l'usuelle fraternité d'enfance éclatée, la violence grossièrement montrée à l'écran. Avec une facilité agaçante, le film multiplie les scènes de décapitation, d'humiliation ou de viol, faisant piailler ses acteurs dans tous les sens.

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    La démonstration appauvrit un portrait déjà très limité des immigrés et des gangs asiatiques de cette époque, se débarrassant de toutes nuances et ne cherchant même pas à faire jaillir l'ambiguïté, la véritable folie ou rage absurde de ces organisations mafieuses. La frustration est d'autant plus que surgissent forcément en comparaison les films de Martin Scorsese, producteur exécutif du film, parvenant justement à atteindre ces qualités-là.

     

    LES CHEVALIERS DU ZODIAQUE, LA LEGENDE DU SANCTUAIRE (SAINT SEIYA : LEGEND OF SANCTUARY) – Keiichi Sato

     

    La vision des Chevaliers du Zodiaque ne fut ni une épreuve, ni un plaisir, ni un haut-le-coeur... Elle fut un néant total. Si l'exercice de la critique négative demeure rarement aisée, elle n'est guère facilitée face à ces films, presque des objets rares parce qu'ils débordent de vacuité et d'inintérêt. Après Albator, corsaire de l'espace (Shinji Arakami, 2013), la Toei poursuit, tel un Marvel japonais, son chemin dans la réadaptation de ses célèbres séries. Le succès de Masami Kurumada succède à celui de Leiji Matsumoto dans cette reprise « moderne » de sa narration et de son esthétique.

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    L'échec du film tient d'abord à son pari, plutôt absurde que risqué, d'adapter 73 épisodes de la série pour les soumettre à la durée conventionnelle d'un film. Cette concentration est justement impossible, tant la série se construit justement sur l'enchaînement de ses épisodes et sa durée prolongée. Dès lors, le scénario accumule les raccourcis abusifs et s'autorise des ellipses invraisemblables. Les combats, généralement points forts de la transposition de ces séries sur grand écran – des adaptations comme Naruto, Bleach ou Full Metal Alchemist, même parfois creuses dans leur contenu, avaient au moins cette qualité de se surpasser en terme de mise en scène des affrontements – sont ici limités à quelques poings rageurs et des effets si véloces qu'ils précipitent tout le film dans une ribambelle illisible d'effets spéciaux. Certes, le style de Masami Kurumada, ainsi que l'adaptation des années 1980, s'appuyaient sur une explosion de couleurs et de détails quasi baroques, par exemple dans le design des armures. Celle-ci accompagnait cependant le rythme aventurier, cosmopolite, feuilletonesque des nombreux épisodes. Dans le contexte du film de Keiichi Sato, le passage au numérique de cet éclatement devient saturation dans l'image. Les attaques fantastiques et rituelles des Chevaliers, ainsi que le domaine des Divinités dorées, sont restitués grossièrement, à peine explorés dans leurs possibilités. Comble de ce gâchis esthétique, la plupart des combats sont éliminés au montage, remplacés par des remémorations inutiles de l'enfance des héros.

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    La véritable frustration provient de la disparition totale d'une once de vivacité chez les protagonistes. Sans être aficionado de la série originale, on ne pouvait lui reprocher le sacrifice des personnages au profit de la forme : chacun des Chevaliers concentrait sa part développée de passé, de charge personnelle et d'ambiguïté caractérielle. Dans La Légende du sanctuaire, les figures se succèdent sans se distinguer, uniquement définies par leurs signes caractéristiques visuels, et existent de manière pauvre à l'écran. Cette adaptation pointe justement les limites du numérique et de sa voracité dans sa reprise d'anime à succès : les effets spéciaux affublent les visages, les corps et les mouvements, dans une volonté d'éblouir, de dynamiser, mais en oublient la recherche d'une qualité de rythme singulier, ou de protagonistes propres.

  • Jellyfish

    La méduse et le jeune

     

    JELLYFISH (AKARUI MIRAI, 2002) – Kiyoshi Kurosawa

    Film projeté au Forum des Images dans le cadre du cycle Contamination

    Dans ses quelques défauts tout autant que dans ses audaces, Jellyfish est un film surprenant. Il annonce, malgré sa discrétion, le virement opéré par Kiyoshi Kurosawa d'un cinéma horrifique détournant les questions de genre à celui détournant les questions sociales de son époque.

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  • Au Revoir l'été

    Rohmer or not Rohmer...

    AU REVOIR L'ETE (HOTORI NO SAKUKO) – Koji Fukada

    J'espère avoir le temps – et le courage – de m'en justifier dans mes blogs, je n'apprécie guère le cinéma d'Eric Rohmer. Plus que de l'indifférence, ce cinéma a plus soulevé chez moi de l'exaspération ou de l'agacement. Autrement dit, partir découvrir Au revoir l'été – un film dont la campagne médiatique en France vantait sa proximité avec Rohmer – suscitait ma méfiance. L'expérience avait été malheureuse chez son successeur coréen, Hong Sang-ho, dont les quelques films s'étaient révélés à mes yeux pétris par ce que je reprochais au cinéaste français.

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  • Seventh Code

    Une Fantaisie à la Pierrot

    SEVENTH CODE – Kiyoshi Kurosawa

    Film projeté dans le cadre du festival du Film Japonais Contemporain à la Maison de la Culture du Japon, Seventh Code est un petit ovni glissé dans la filmographie de Kurosawa, entre le romantique Real et son prochain film de fantômes à venir, Journey to the shore, déjà sorti au Japon.

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  • Un Cinéma après Fukushima

    LE CINÉMA APRÈS FUKUSHIMA :

    UN CINÉMA DE PRISE DE CONSCIENCE ?

     

    Table ronde animée par Damien Paccellieri, écrivain, éditeur et auteur de Le cinéma japonais contemporain.

     

    Avec

    Terutarô Osanaï : directeur artistique de Gateway for Directors Japan

    Katsuya Tomita : réalisateur de Saudade (2011)

    Kôji Fukada, réalisateur d'Au revoir l'été (Hotori no sakuko, 2013)

    Jean-François Sabouret, sociologue spécialiste du Japon, auteur de Besoin de Japonet Japon, peuple et civilisation.

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    Saudade (Katsuya Tomita, 2011)

    La table ronde proposée par le Forum des Images à l'occasion du festival Un Etat du monde, réunissait des personnalités très différentes. La diversité des présences a construit non pas une réflexion d'ensemble sur le pays mais une pluralité de regards, et surtout d'expériences personnelles, permettant d'apprécier de sincères et très lucides déclarations sur la catastrophe de Fukushima, et son impact sur le Japon.

    Plutôt qu'une prise de conscience proposée dans le titre, ce sont plutôt des questionnements et des pistes d'interrogations ébauchant les tentatives de compréhension qui ont nourri les échanges. Terutaro Osanai a ainsi pointé dans son portrait du cinéma japonais que très peu de films saisissaient pour l'instant le sujet de Fukushima. Kôji Fukada développa cette idée avec l'exemple de sa première réalisation, Hospitality (2010), qui traitait de Tchernobyl. Une catastrophe nucléaire qui, tel un Fukushima européen des années 1980, a été suivi d'un mutisme similaire. Une telle timidité pourrait provenir de ce que Katsuya Tomita a évoqué à travers son regard sur le film Campaign 2 (Senkyo 2, Kazuhiro Sôda, 2013, aussi projeté dans le cadre du festival), à savoir le tabou que constitue l'accident dans la société actuelle. Le réalisateur a révélé combien le sentiment de déni s'est installé malgré les mouvements anti-nucléaires comme Sayonara Genpatsu.

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    Senkyo 2 (Kazuhiro Sôda, 2013)

     

    L'intervention historique et sociologique de Jean-François Sabouret, éclairante et pertinente, a repensé la catastrophe dans le cadre de la mythologie ancienne du Japon. Porté par des images de vécu sur le dos d'un gros poisson instable, le peuple japonais a toujours connu la précarité de son territoire et l'obsession constante de sa possible disparition. Sabouret a raconté cependant que Fukushima avait introduit un élément nouveau, une forme de fracture et une souffrance autres qui sont pour l'instant occultés par les politiques et les médias. À cet égard, le terrifiant et impressionnant film d'animation projeté sur le sujet, 663114, saisissait cette rupture par l'image de l'insecte bouleversé dans sa mutation, mais conduisant innocemment son quotidien malgré les changements. Ce thème de la rupture a en outre été développé sur la question des femmes, très actives dans les mouvements anti-nucléaire, ou sur la bulle économique des années 1980.

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    663114 (Isamu Hirabayashi, 2011)

    La conférence révélait combien les interrogations sur le pays après Fukushima apparaissaient avant tout dans le cinéma indépendant ou dans une production marginale. Terutaro Osanai a ainsi expliqué le contexte du cinéma indépendant au Japon, totalement en rupture, à la fois structurelle, financière ou de fond, avec la production industrielle. S'il s'appuie certes sur un réseau de salles art et essai comme en France, ce réseau est fragilisé depuis quelques années, et peine à franchir les frontières. L'exposé de Terutarô Osanai a par ailleurs révélé beaucoup de ressemblances entre le cinéma japonais et le cinéma français : même réseau d'art et essai pour les films indépendants, même dépendance au financement des grandes chaînes de télévision pour les films à grand budget, même persistance d'un cinéma national sur les écrans face au cinéma américain... Cependant, le cinéma japonais ne connaît pas un système d'aides et de financement aussi complexe et dense que celui du CNC.

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    Au revoir l'été (Kôji Fukada, 2013)

     

    Les témoignages de Katsuya Tomita et de Kôji Fukada se sont révélés extrêmement éclairants sur le même sujet, et les deux cinéastes ont fait part d'une vraie générosité à raconter la construction de leurs films, leur travail pour en réunir le budget ou les équipes. Ils ont de plus évoqué leur propre confrontation à Fukushima et les réactions diverses observées. Katsuya Tomita raconta ainsi s'est rendu directement sur les lieux après la catastrophe, prêt à prendre des images mais ayant finalement abandonné sa caméra face au choc.

    La fin de la rencontre témoignait d'un véritable engagement de la part des intervenants présents. Non seulement elle souleva de lourdes questions sur l'exploitation des travailleurs sur les lieux de la catastrophe, ou sur l'isolement des familles touchées par le drame, mais se lia à nos propres problématiques nationales, voire internationales.

     

    Lien vers le site de l'événement

    http://forumdesimages.fr/les-rencontres/toutes-les-rencontres/table-ronde-le-japon-apres-fukushima

     

    Lien vers le site de Isamu Hirabayashi, réalisateur du film 663114

    http://www.hirabayashiisamu.com/shortfilm/663114.html

    http://c-a-r-t-e-blanche.com/films/

  • Le Grondement de la montagne

    Un Visage d'enfant

    LE GRONDEMENT DE LA MONTAGNE (YAMA NO OTO – 1954) – Mikio Naruse

    Programmé à la Maison de la Culture du Japon dans le cadre de son semestre dédié à Yasunari Kawabata, Le Grondement de la montagne, adapté du roman du célèbre écrivain, est, dans sa simplicité, le condensé d'une multitude de conditions troublantes sur le couple ou le fonctionnement familial.

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  • Bonjour

    Les Voisins

    BONJOUR (OHAYO – 1959) – Yasujiro Ozu

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    Beaucoup des films en couleur d'Ozu ont à voir avec le musical. C'était déjà le cas avec Fin d'Automne qui scandait le rythme des arrangements familiaux, des décès et des mariages. Dans Bonjour, la ritournelle est plus « matinale », teintée de la naïveté familiale, des caprices d'enfants et des rumeurs du voisinage. Le film répète et prolonge les gags et les dialogues, dans une délicieuse peinture de ce mouvement de quartier.

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    Quartier, en effet, qui devient le cadre et le fil directeur de la mise en scène d'Ozu. Presque un dramaturge, le cinéaste n'a jamais autant joué de l'architecture comme d'une merveilleuse scénographie accompagnant les allers et venues, soutenant les échanges et les actions. Le cadre fourmille d'encoches, de cadres, de coins cachés, de couloirs à l'écoute des conversations d'adultes ou d'enfants. Là où les détails et la profondeur deviennent graves et sobres dans ses films les plus durs, ils sont ici ludique, délicieusement enfantins.

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    La couleur, pétillante – d'autant plus belle depuis la restauration des films par Carlotta – vient rehausser ces détails qui agissent maintenant comme gags, ou comme annonciateurs des bouleversements de quartier, à la fois amers et risibles. La célèbre bouilloire sifflante, recueillant en creux les confidences ou les soupirs des solitaires, devient ici un éclat cuivré assistant sagement aux échanges des voisins. Le plus amusant demeure dans la ressemblance de ces nombreux appartements : le cinéaste japonais retrouve son obsessionnel sens de la cadence et redondance dans cette structure où les chambres se répondent en miroir. Les cadres offrent à chacun des personnages leur habituelle et usuelle place pour se disputer, bouder, manger ou tout simplement se souhaiter des salutations. Certains gestes deviennent cristallisés dans ce cadre, tel celui, muet, de l'irrésistible cadet refusant de parler aux adultes. La rigidité de la structure construit l'habitude tout comme elle en intègre la résistance.

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    Car, au sein de ce microcosme kaléidoscopique, fondé sur les mêmes couleurs, sur les mêmes motifs tourbillonnants d'une scène à l'autre, s'insinue peu à peu le changement d'époque. Ohayo est un discours sur le changement, mais ce changement invisible, insidieux, celui-là qui se glisse innocemment et progressivement dans nos habitudes. Peu à peu, les relations de voisinage se modifient, les suspicions se déplacent et les hiérarchies se disloquent. Peu à peu, les enfants se font entendre et les télévisions encombrent les couloirs. Peu à peu, les mêmes gags se répètent, mais évoluent, un tout petit peu, et là, le cadre si rigide d'Ozu tremble dans une délicate douceur.

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  • Le Cimetière de la morale

    Caïd enragé

    LE CIMETIERE DE LA MORALE (JINGI NO HABAKA – 1975) – Kinji Fukasaku

    Merci à Phl pour le prêt !

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    Première découverte de Kinji Fukasaku, qui vient de bénéficier d'une ample rétrospective à la Cinémathèque, Le Cimetière de la Morale suit le parcours chaotique du yakuza Ishikawa (Tetsuya Watari), du sortir de la Seconde Guerre Mondiale jusqu'à sa fin tragique.

    Le Cimetière de la Morale transcrit la violence explosive du protagoniste dans cette réalisation enragée propre à Fukasaku. Mouvements constants des protagonistes dans les plans d'ensemble, rapidité du découpage lors des scènes de course-poursuite, zooms combinés aux déambulations des gangs dans les rues... Les rares moments de calme concernent les tactiques des chefs de clans pour tenter de contenir la violence de ce yakuza provoquant sans cesse des conflits par ses attaques incessantes. Plutôt que de montrer les actions et les instaurations des clans, Fukasaku en montre plutôt les dérives et l'impossibilité pour chacun d'en contenir la dignité. Les mots d'« honneur », de « sacrifice », de « yakuza » ou de « caïd » deviennent vite des enveloppes dans son film : des conteneurs, des concepts fumeux lancés à tout va pour justifier les actions mais qui ne trouvent jamais leur concrétisation dans les actions des personnages. Lorsqu'Ishikawa est réprimandé par ses supérieurs, il répond d'une voix buté : «  je voulais devenir un vrai caïd, montrer que c'était notre territoire. N'est-ce pas ce qu'un gang de yakuzas est sensé faire ? ». Derrière la tragédie de cet anti-héros souffle en permanence l'illusion du groupe écrasant les autres, le rêve enfantin de jouer les durs.

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    Mais le récit de Ishikawa trahit aussi une rage incontrôlé, un sentiment de fureur inexpliqué. Le film n'identifie pas clairement l'origine de la violence de son personnage. Si la forme du film hésite volontairement entre le commentaire et le montage photographique documentant le trajet d'Ishikawa, et une réalisation très emportée, c'est pour mieux souligner la fatalité des événements. Respectant les codes du documentaire à moitié, le montage bondit d'une époque à une autre sans prévention, et fait succéder des actions dont la précipitation affirme le destin implacable et l'impossibilité de toute échappatoire. Cette incompréhension cristallise comme un malaise de l'époque. Peut-être se situe là le plus grand grief du film de Fukasaku, à savoir son pessimisme fermé, d'où ne jaillit que des disputes partant de la banalité et du quotidien.

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    Car la violence du protagonistes vient à rejaillir partout, et à littéralement bombarder le cadre. Chaque plan contient les explosions des corps qui se disputent, comme dans la prison où deux clans se déchirent, ne tenant pas compte des barreaux qui les séparent pour s'empoigner ; ou encore des regards qui se mitraillent ; voire même des mots, des cris, et surtout des rumeurs venant à provoquer les discordes. Paradoxalement, l'explosion du film tend à l'implosion lorsqu'elle se concentre sur Ishikawa, en particulier sur sa dernière partie. L'acteur Tetsuo Watari arbore de larges lunettes noires et une expression affectée, à la fois inaccessible et outrageusement exhibé lors de explosions de violence, non très loin du Kitano de Aniki mon frère, sans aucun doute inspiré par le bouillonnement de Fukasaku. Le Cimetière de la morale trouve ainsi sur ses dernières séquences son tragique le plus impressionnant, donnant à la violence d'Ishikawa sa démarche la plus claudiquante et la plus désespérée. 

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  • Real

    La frontière de l'invisible

    REAL – Kiyoshi Kurosawa

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    Le nouveau long-métrage du réalisateur de Shokuzai est fascinant dans le sens qu'il propose une alternative inattendue à son univers. Kiyoshi Kurosawa redevient un cinéaste du visible dans ce film, rajeunit ses personnages et redonne une clarté, bien souvent trop démonstrative, à son scénario.

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    Real confirme dans un premier temps l'inspiration du cinéma de Kurosawa à l'égard de la culture populaire, appréciant en emprunter des thèmes, des motifs et des idées pour les traiter sur le mode fantastique. Si certes sa première partie de carrière marquait son affiliation avec le genre de série B – horreur ou film policier – pour s'en détacher peu à peu, les nouveaux films de Kurosawa ont tendance à s'approprier un nouveau registre : celui de la littérature fantastique japonaise, du manga d'horreur, mais également d'une société plus moderne. Tokyo Sonata signalait déjà, en greffant un scénario inspiré d'Ozu, l'appropriation des nouveaux espaces japonais, ces grandes maison modernes et ces grands immeubles lisses et d'une blancheur extrême. Shokuzai, par sa structure épisodique, se nourrissait ensuite abondamment du manga d'horreur dans son atmosphère, et se liait à l'ambiguïté d'une roman d'Haruki Murakami ou de Yoko Ogawa. Real reprend également le manga d'horreur, le confirmant par le métier d'Atsumi. Plus encore, la réalisation reprend des codes du principe du manga : dans son découpage, Real fait ainsi jouer les surgissements fantastiques, et fait décoller les images angoissantes, d'un plan à un autre comme d'une page à une autre.

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    En outre, cette opération de surgissement rejoint parfois le film Paprika. L'intrigue scientifique en elle-même rejoint le dernier long-métrage de Satoshi Kon : une même machine, dans un futur proche, permet l'intrusion dans le rêve d'un autre. Real subit en outre le même débordement des choses que dans Paprika, la même prétention pléthorique, le même jaillissement des souvenirs désordonnés en masse. La photographie solaire dans le film de Kurosawa, et son montage, construisent d'abord une certaine épure dans ce bouillonnement, faisant des accents horrifiques ou bien oniriques. Les corps imbriqués issus du dessin d'Atsumi surgissent ainsi au détour d'un raccord, ou bien Koichi découvre sa bien aimée agenouillée dans une eau claire, sa longue robe pendant autour de ses jambes. Dans un premier temps, cette facilité de faire jaillir spontanément ces images et ces formes séduisent par leur fluidité d'insertion dans la narration. Kurosawa y compose un monde à la fois extrêmement familier, calme et apaisant, tout en étant percé d'anormalités qui intriguent. La résolution de ces signes et la révélation de leur signification peinent à charmer autant par la suite. La force d'installation du principe, ainsi que son immersion très esthétique – le film reprenant en ce sens la vision d'un jeu vidéo, où Koichi entre dans le rêve comme un héros virtuel – perdent peu à peu de leur intérêt.

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    Le personnage de Takeru Sato s'inscrit comme le nouveau visage des policiers portés à l'écran jusqu'alors dans les films de Kiyoshi Kurosawa, tel un Koji Yakusho rajeuni. Il présente les mêmes troubles, la même capacité d'aliénation du territoire. Mais là où se joue la rupture dans cette œuvre aux environnements mystifiés par la folie de leurs personnages, c'est dans la visibilité forte du délire présent. Auparavant, les signes étaient diffus, quasi-invisibles car cachés dans le paysage, remuant l'ombre du trouble parmi les branches des arbres, les bâches en plastique, ou les murs d'un gymnase. Dans Real, ces signes gagnent une visibilité, d'abord déroutante, peu à peu singulière, puis agaçante. Les apparitions nostalgiques que subit Koichi sur l'île chargent une certaine curiosité, mais la tournure d'un scénario manquant de consistance, ainsi que l'absence de caractérisations réelles des protagonistes, déçoivent sur la seconde partie du film. En franchissant les frontières de l'invisible pour renouer avec une visibilité tenant de l'effet visuel, de la greffe d'éléments surnaturels.

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    Cette nouveauté dans le cinéma de Kurosawa peut amuser, notamment sur la scène d'action finale, mais le problème est qu'elle ne se relie à rien de consistant. Les deux acteurs, Haruka Ayase et Takeru Sato, des stars plutôt célèbres, issues de dramas ou de films à budget imposant, deviennent ainsi plutôt des icônes dérivés de leurs univers respectifs plutôt que des vrais personnages. En dépit de sa réalisation unifiée et élégante, le film agence des éléments et influences disparates qu'il peine à converger dans le sens d'un vrai discours – au contraire de Shokuzai, merveilleux ouvrage à ce niveau car réussissant à proposer un regard sur la violence et le traumatisme au travers de cinq univers différents.

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