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Cinéma japonais - Page 6

  • Chien enragé

    La Traque

    NORA INU - CHIEN ENRAGÉ (1949) – Akira Kurosawa

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    S'il est un auteur que Kurosawa n'a pas adapté, mais qu'il aurait aisément pu porter à l'écran, c'est bien Seicho Matsumoto, maître du roman noir dans la littérature japonaise. Les deux auteurs partagent en effet une même noirceur dans la description d'une société ou de personnages en proie à la tourmente et aux questionnements psychologiques. Chien enragé, l'un des premiers films de Kurosawa semble ainsi imprégné de la patte de Matsumoto, s'y retrouvant le goût pour les enquêtes dans un milieu rural, le parcours parmi les différentes strates de la société, ou encore la culpabilité de l'inspecteur. C'est cependant l'un des assistants réalisateurs de Kurosawa, Yoshitaro Nomura, qui adaptera nombre de romans de Matsumoto (Le Vase de sable, L'Eté du démon...)

    Au-delà de ses magistrales films-fresques ou films historiques, Akira Kurosawa a également réalisé de magnifiques films noirs. Partageant quelques similitudes avec l'émouvant Ange Ivre (Yoidore Tenshi, 1948), auquel il succède, Chien enragé en est comme le miroir, l'opposé tout autant que le prolongement.

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    Après le monde des voyous, nous voici du côté du monde policier. Et pourtant, le portrait se révèle tout aussi désespéré, du moins tout autant torturé et complexe. Le récit s'attache en effet à un jeune policier se faisant bêtement dérober son arme de service dans un tramway bondé. Abattu par la honte du débutant, le jeune homme tente de retrouver son arme, angoissé à l'idée qu'elle ait pu servir à un braquage. Le postulat, simple de base, et éminemment réemprunté chez quelques grands admirateurs du cinéaste – le même principe est présent dans le Police Tactical Unit (2003) de Johnnie To – devient peu à peu celui d'une quête absurde. Très rapidement, les premières séquences impose le tableau, brosse à grands traits l'idée du vol de larme à feu dans le tramway. La disparition de l'arme, en elle-même absurde dans son événement, conduit vite à une quête désespérée, où la détresse du jeune policier débutant vient vite contaminer sa perception de l'environnement et de fait une réalisation sensible à ce changement d'état. Chien enragé capte très vite une réalité âpre, au plus près de la population des bas-fonds, du grouillement des villes et des quartiers. La captation de la réalité chez Kurosawa s'accompagne toujours d'une progressive décontamination : peu à peu les espaces se vident, se dépeuplent, les rues cèdent le pas aux paysages ou à la désolation. La perception d'un environnement riche devient progressivement un repli intérieur, d'où surgit un certain onirisme.

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    Chien enragé confirme cette capacité chez Kurosawa à obtenir un « jusqu'au boutisme » du drame, approfondissant l'enjeu pour le transformer en un sentiment fort et douloureux venant à déteindre sur le rythme, la composition, l'esthétique du film. Par exemple, la première séquence forte dans le scénario concerne celle d'une longue recherche de trafiquants d'armes dans les quartiers populaires. Pendant près de dix minutes, le son se débarrasse de tout dialogue pour capter, accompagné par une musique dramatique, les sons de la ville, là où le montage, enchaînant les fondus enchaînés, aligne les errances du policier. S'appuyant sur la répétition, cette séquence, plutôt audacieuse par son traitement de la durée, se laisse peu à peu empreindre du désespoir et de l'harassement du policier. Le rythme vacille, les repères se brouillent. Le film de Kurosawa se fait l'écho du mental meurtri de son protagoniste. La séquence finale – par ailleurs reprise en vibrant hommage par Satoshi Kon dans Paprika (2006) – s'inscrira elle-même comme un règlement de compte, non seulement avec le voleur, mais encore plus avec le policier lui-même, opposé face à son alter ego du même âge, et partageant une similaire rage. La traque urbaine du début reçoit son reflet, en guise de conclusion, par une longue course-poursuite dans une forêt, allant vers ce dépeuplement onirique, cette ouverture vers un espace décharné dans lequel s'inscrivent ces corps harassés.

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    L'intelligence de Chien enragé est qu'il joue sur l'ambiguïté de ce point de vue clivé, partagé entre la description noire du Japon d'après-guerre, société prise dans le désarroi, et le trouble désillusionné de son jeune héros. Jusqu'au bout le personnage tente, malgré la violence qu'il dégage, de conserver la frontière institutionnelle, entre le policier et le voyou. Il passera les menottes avant de s'effondrer à côté de celui qui lui ressemble tant, porté par la même rage, la même violence intérieure. Le policier désespéré interprété par Toshiro Mifune se confronte à celui, plus installé, car appartenant à une autre génération, joué par Takashi Shimura, un tandem bien souvent proposé chez Kurosawa, confrontant les différences dans le jeu, l'âge, le caractère et le physique. Le jeu de Mifune agit dans ce film comme le revers de son personnage, certes tout aussi noir, mais néanmoins plus romantique, de voyou dans l'Ange Ivre. Sa subtilité d'interprétation lui permet de gagner une intensité, là où Shimura propose un personnage plus sage, plus attachant, mais néanmoins conscient des indécisions de l'époque traversée. Plus qu'une traque haletante, Chien enragé est également le portrait d'une époque, le troublant point de vue sur une période sombre et divisée, un film qui, malgré son minimalisme, continue d'impressionner.

  • Fin d'automne

    Solitude finale

    FIN D'AUTOMNE (AKI BIYORI - 1960) – Yasujiro Ozu

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    Film en couleurs d'Ozu, cette très belle Fin d'Automne confirme la sensibilité et subtilité de ce grand cinéaste japonais, à tel point que l'on regrette de ne plus trouver cette force de finesse dans une majeure partie de la production actuelle. Pour raconter l'histoire d'une rupture familiale et de la cruauté des complots menés par une poignée de pères de famille pour marier de force une jeune fille, Ozu ose un mélange d'humour et d'amour à la fois, dépeignant autant d'échanges cocasses que de douleurs sentimentales.

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    Fin d'Automne propose en effet une nouvelle variation familiale, plus portée par un certain humour noir. La mesquinerie des trois hommes souhaitant, suite au décès d'un de leurs amis, de régler la vie familiale de sa veuve et fille, en devient absurde tant sa cruauté dépasse les limites de l'éthique. Le scénario d'Ozu joue ainsi d'un contraste constant entre le prétendu respect des mœurs défendu par les pères de famille et leur désintéressement total vis à vis de l'opinion de celles qu'ils cherchent à tout prix à marier. Si cette structure et ce principe scénaristique révèlent les stigmates d'une société prise dans un filet de conventions, la réalisation d'Ozu s'emploie cependant toujours à suivre et traquer l'évolution indicible de ses personnages, comportant néanmoins tous des nuances. L'un des membres du trio de comploteurs présente ainsi sa réticence, et les dialogues révèlent bien vite que la mise en place de ces plans de mariage sont plus là pour agiter une vie quotidienne monotone que pour véritablement causer du tort aux femmes concernées. La subtilité de l'écriture fait jaillir des points d'humour, d'absurde mas également de mélancolie, notamment à travers de mémorables séquences de discussions dans les bars.

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    Des protagonistes les plus troublants, la mère et la fille, Akiko (Setsuko Hara) et Ayako (Yoko Tsukasa), viennent composer un tandem d'une certaine beauté. Les deux, à la fois très ressemblantes et dissemblantes dans leurs caractères, apparaissent déjà comme une famille moderne, car décomposée, mais tirant paradoxalement leur bonheur, leur harmonie d'entente, par leur structure déséquilibrée. L'absence du père ne fait que renforcer les liens et garantir une affection consciente chez l'une tout autant que l'autre. Le film révèle peu à peu cette affection, partant d'abord de la vision extérieure, celle des trois hommes ou des proches du défunt, pour aller progressivement au plus proche du ressenti de ces femmes, comme un démantèlement des apparences. Setsuko Hara, en particulier, grande actrice chez Ozu ou Naruse, propose un personnage d'une nuance admirable, magnifique de contradictions. Son malaise final laisse pointer sa joie de voir sa fille mariée tout autant que son attachement maternel et la douleur de la séparation.

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    La dualité vient elle-même s'incarner dans la forme, tout aussi dynamique que la ritournelle musicale venant accompagner les changements de séquences. Les structures se répondent, et les plans, si composés chez Ozu, pliant les personnages dans des espaces emblématiques (le travail, le foyer, le restaurant...), viennent à se décliner. Ce n'est pas tant l'appui d'une fatalité qui s'y diffuse, que la différence, dans le temps, des événements qui s'y inscrivent. Le tragique aboutissement des complots des trois pères de famille est là, mais Fin d'Automne saisit également, en compensation, les instants de faiblesse ou de force de ses personnages féminins, où, du'n plan à l'autre, viennent se manifester des signes du changement. Ici, une pointe de jalousie de Ayako, agitant vainement la main pour le mariage de son amie, là, l'insistance tendre pour payer le repas de sa mère dans un restaurant. La précaution des plans d'Ozu, sa structure finement agencée, pointant ces légers décalages tenant de l'évolution humaine, viennent contrecarrer la fatalité et la cruauté du récit. Car malgré la réussite du mariage de Ayako, c'est bel et bien la solitude de sa mère Akiko qui résiste à la fin, révélant délicatement une fragilité intime qui ne peut qu'émouvoir.

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  • Tel Père tel fils

    Une attention du regard

    SOSHITE CHICHI NI NARU - TEL PÈRE TEL FILS – Hirokazu Kore-eda

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    Après I Wish, Kore-eda reporte son attention sur les parents, renouant avec le ton léger – du moins en apparence – de son bouleversant Still Walking. Il y confronte, à travers un échange de nourrissons à la naissance, deux familles aux conditions sociales différentes, et propose surtout un regard sur la paternité.

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    Loin d'écraser le spectateur avec l'opposition évidente entre les deux familles, le film fait en effet intelligemment le choix de son concentrer sur le personnage le plus antipathique de prime abord, celui de ce père exigeant, archétype de l'homme d'affaires moderne japonais. La présence de Masaharu Fukuyama, chanteur star au Japon, apporte une fraîcheur inattendue. Il n'est certes pas la première figure médiatique avec lequel travaille Kore-eda – la mère de Nobody Knows était joué par une chanteuse J-Pop, You, et la poupée de Air Doll par une célèbre actrice coréenne, Bae Donna, qu'on pouvait voir dans The Host (Bong Joon-ho) – mais c'est la première fois qu'il confie un rôle aussi important à une figure célèbre, confirmant l'habitude étonnante qu'a ce cinéaste à intégrer des personnalités célèbres dans un récit intimiste. Ici, le visage très accessible et avenant de Fukuyama s'oppose à la rigidité de son rôle, à l'extrême sévérité qui le porte. Le choix du casting induit ainsi d'emblée, et très astucieusement, une ambiguïté qui ne cessera de bercer l'écriture et l'évolution de ce protagoniste, à la fois attachant, d'abord agaçant dans son refus de l'autre famille, puis apparaissant peu à peu naïf, dérouté, attendri.

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    Le film esquisse également le rapport aux mères, et par-là la place de la femme dans la famille traditionnelle. Kore-eda parvient à leur conférer une véritable présence dramatique et psychologique, en dépit de leur maigre présence. Cependant, le portrait se révèle moins audacieux que dans Still Walking, où pointait de manière plus cruelle et plus fine le conditionnement de la femme au foyer. Ici, la vision critique apparaît limpide, claire, évidente, certes abordée de manière douce mais se réfugiant près de lieux communs attendus. La description de la famille de Ryota paraît ainsi conventionnelle, n'apportant pas grand-chose au récit, si ce n'est pour démontrer combien le personnage s'inscrit presque dans les pas de son père, brossé comme une autorité traditionnelle. Il manque parfois à Tel père tel fils la finesse de regard et l'ambiguïté qui traversaient les grands-parents de Still Walking, paisibles en apparence, mais criblés de failles et de défauts. Le ton se révèle plus naïf, notamment dans la conclusion du récit, à la fois très prudente mais également emplie de froideur.

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    Le dernier film de Kore-eda souffre également de quelques problèmes de rythme, alternant entre des séquences à l'émotion très forte – la photographie près du lac – et d'autres banales, inutiles, parois creuses – toutes les séquences relatives au travail de Ryota, par exemple, trop démonstratives pour mettre en avant l'obsession de la réussite chez le père. Ce défaut s'explique en partie par le déséquilibre dans la cartographie et l'établissement des lieux. Jusqu'à présent, les meilleurs films du cinéaste s'appuyaient sur des unités de lieux bien précis (un appartement, un parc de jeu, une maison familiale, une plage...), faisant naviguer ses personnages dans ses espaces selon une chorégraphie évoluant au fil de la progression dramatique et en fonction des relations. Ici, le récit se déplace constamment, envahissant des lieux très différents, disséminant de fait l'évolution de l'action en de nombreuses micro-séquences à l'impact plus ou moins efficace. L'émotion de ce film jaillit ainsi de manière plus discrète qu'auparavant, certes dans l'épure mais également dans une distance parfois décevante.

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    Dans les images posées de Kore-eda se dessine toujours un jeu dans les directions de regards. Ceux-ci s'évitent et se croisent rarement dans Nobody Knows, ou bien s'affrontent avec amertume et pudeur à la fois dans Still Walking. Dans Tel Père tel fils, le regard n'apporte ni la confrontation ni le rejet : il exprime bien plus une attention, une curiosité d'où surgit parfois de la tendresse. La réalisation s'empare de ces moments discrets de latence, par le biais d'un cadrage très maîtrisé mais également d'une direction d'acteurs remarquable, surtout en ce qui concerne les enfants. Tel père tel fils parvient ainsi miraculeusement à saisir ces regards de parents, posés sur leurs enfants, souvent sans les comprendre, et c'est de là que provient sa principale qualité.

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    A lire également : un article sur le cinéma de Hirokazu Kore-eda.

     

  • Regards croisés sur Ozu

    REGARDS CROISES SUR OZU

    Le 16 novembre 2013 à la Maison de la Culture du Japon (Paris)

    Intervenants présents : Fabrice Arduini, Diane Arnaud, Frédérique Berthet, Mathieu Capel, Basile Doganis, Antony Fiant, Rémi Fontanel, Mathias Lavin, Benjamin Thomas, Clélia Zernik

    Le 16 novembre dernier, le petit auditorium de la MCJP accueillit une bonne centaine de personnes pour assister à la table ronde organisée autour de la sortie de l'ouvrage collectif Ozu à présent, rassemblant une diversité de textes s'interrogeant sur la place de Yasujiro Ozu dans le cinéma contemporain. La table ronde rendait à la fois compte des collaborations ayant construit cet ouvrage mais portait surtout un regard juste et pertinent sur cet emblématique cinéaste japonais, plus controversé et paradoxal qu'il n'y paraît.

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    Tokyo Monogatari - Voyage à Tokyo (1953)

    La journée était découpée en deux temps, construisant d'une part une définition contemporaine du cinéaste japonais, puis saisissant la répercussion de son travail sur d'autres réalisateurs, tels Wim Wenders, Pedro Costa, Claire Denis, Jia Zhangke... La diversité des intervenants, la plupart enseignants-chercheurs, mais comprenant aussi des plasticiens, a témoigné, tout au long de la journée, d'une pluralité de regards sur l'oeuvre d'Ozu. Loin de s'en limiter à une définition simple - telle celle, erronée et hâtive, de le qualifier de « réalisateur zen » - cette table ronde a permis une circulation de nuances, construisant ainsi un regard éminemment juste sur sa filmographie. On y a ainsi vu Ozu comme oscillant entre plusieurs contraires, à la fois le plus et le moins japonais des cinéastes, à la fois traditionnel et capable de faire preuve de modernité, ou bien pris entre la tranquillité paisible et une certaine cruauté. Des études très fines de certaines figures de son style – l'emploi réguliers des mêmes acteurs, le fameux regard-caméra dans les séquences de dialogues, le rapport à l'architecture japonaise – ont ensuite montré qu'Ozu effectue une utilisation habile et précise des codes et des pratiques de sa société, bien souvent pour en dévoiler les failles. La figure paternelle devient ainsi, dans les films d'Ozu, d'abord la preuve d'une autorité qui est parfois bousculée, démantelée, par une succession de micro-événements et de scènes. La seconde partie éclairait quant à elle le rapport de certains cinéastes étrangers à Ozu, montrant que ce cinéma bien particulier continuait d'exercer et de fasciner, de manière parfois spectrale et surprenante, bien souvent dans l'hommage. Les éléments du système d'Ozu peuvent se manifester dans des cinémas éminemment différents, notamment parce qu'ils présentent à la fois une certaine souplesse mais appellent à un vrai travail d'intégration et de construction. Un spécialiste de Claire Denis a ainsi attiré l'attention sur le double-langage chez le cinéaste japonais, double-langage et capacité d'agir à plusieurs niveaux dans un dialogue que Denis tente d'incorporer à ses récits.

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    Le plus intéressant se révélait l'importance accordée à la modernité d'Ozu, détruisant cette idée reçue du traditionalisme ou du conservatisme qui constitue bien trop souvent l'étiquette du cinéaste japonais. Par des comparaisons avec Nagisa Oshima ou Shinji Fukazaku, les intervenants ont tour à tour démontré que les histoires d'Ozu se révélaient au final très contemporaines, très complexes dans leur structure, mais également d'une grande rigueur. Ozu s'est ainsi construit un système dont les motifs et intrigues se révèlent intégrés dans un premier temps pour être mieux détournés, dévoilés, ou encore pris dans des effets de rupture. « Cinéaste de la déraison » est ainsi une expression qui s'est plus imposée à cette table que celle du « plus japonais des cinéastes » (cette dernière étant la phrase très célèbre de Donald Richie).

    Peut-être aurait-il été possible de plus définir la place d'Ozu dans le cinéma japonais actuel : Kiyoshi Kurosawa a été évoqué, mais certains cinéastes comme Hirokazu Kore-eda, Isao Takahata dans le domaine de l'animation, ou même Jiro Taniguchi dans le manga, sont des figures qui auraient pu surgir dans le débat. Ces « regards croisés sur Ozu » ont néanmoins poussé à revoir l'oeuvre de ce grand cinéaste japonais avec un nouvel éclairage plus nuancé et d'une meilleure justesse.

    la page de l'événement : http://www.mcjp.fr/francais/cinema/regards-croises-sur-ozu-820/regards-croises-sur-ozu

  • The Taste of tea

    Chroniques extraordinaires

    CHA NO AJI - THE TASTE OF TEA (2003) – Katsuhito Ishii

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    Singulier et original, The Taste of tea se savoure tantôt comme un cocktail explosif tantôt comme un thé paisible. Le film de Katsuhito Ishii présente une diversité de tons et d'idées tout à fait étonnants et singuliers, réveillant çà et là des échos de plusieurs imaginaires.

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    The Taste of tea convoque en effet plusieurs influences, les brodant au travers de courtes histoires quotidiennes, en lien avec chaque membre de la famille décalée que le réalisateur nous propose de suivre. Le double géant qui accompagne ainsi la petite fille rappelle, par ses apparitions, cet alter ego fantaisiste que s'imagine Mei dans Tonari no Totoro (Hayao Miyazaki) ; alors que les histoires d'amour cruelles et poétiques que vit le jeune fils se rapprochent de la prose de Haruki Murakami. En outre, les multiples intrigues qui se nouent et se dénouent autour de cette famille évoquent tantôt le cinéma de Takeshi Kitano – avec un double-clin d'oeil, car le personnage du yakuza fantôme est joué par un des acteurs fétiches du réalisateur de Hana-Bi, Susumu Terajima - tantôt l'univers de la littérature ou bien des mangas japonais. Le personnage du grand-père nous rapproche ainsi d'un burlesque décalé et tendre, et celui de la mère, dessinatrice, nous entraîne directement dans une séquence éblouissante et délirante d'animation.

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    Par le biais de ces multiples tonalités, ce film fait ainsi état d'une famille et en dresse délicatement les chroniques extraordinaires, à moitié prises entre l'absurde et le quotidien traditionnel japonais. Mais en outre, beaucoup de tendresse et d'émotion enveloppent ces récits. Le double que s'imagine la petite incarne par exemple avec finesse l'angoisse inexplicable d'une enfant. Ensuite, le personnage plus « magique » dans cet ensemble, et le plus emblématique de l'émotion qui s'en dégage, reste celui du grand-père, véritable présence étrange, comme un mélange de différents acteurs burlesques et de comédie musicale à la fois, enchantant la maison par des comportements hors de la quotidienneté. Au final, dans The Taste of tea, la quotidienneté ne se révèle qu'une apparence : les quelques plans-portraits de la famille ne sont là que pour installer quelques repères paisibles, que les récits décalés viennent briser avec douceur, révélant par cela la véritable singularité de cette famille.

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    De plus, le film se fait en même temps l'écho d'une certaine société bigarrée et bardée de signes étranges, semblant s'amuser avec les bizarreries exotiques qui ont toujours constitué l'imaginaire et le fantasme autour du continent japonais. Katsuhito Ishii joue ainsi avec l'étrangeté même de son pays, allant jusqu'à la satire - la chanson « Yama O » (« ÔMontagne »), parodie des shows télévisés, le yakuza enterré qui parvient à sortir de la terre, la dispute de deux promoteurs du cosplay... - mais également jusqu'à une absurdité éblouissante. Les jeux d'incrustations durant l'enregistrement de la chanson de l'oncle dérivent ainsi du kitsch de cet effet spécial démodé à un effet cosmique sidérant, élément qui se retrouvera également incarné dans l'explosif grossissement d'un tournesol, dans une autre séquence.

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    Plein de poésie et d'humour, The Taste of tea est un véritable plaisir des yeux et des oreilles, ne perdant rien de sa sincérité dans la représentation de ces chroniques extraordinaires.

  • Le Fils unique

    Les rêves d'une génération

    HITORI MUSUKO - LE FILS UNIQUE (1936) – Yasujiro Ozu

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    Sortie en copie restaurée – globalement de bonne qualité, à l'exception d'une grossière erreur de montage entre deux plans de conversation – ce film de Yasujiro Ozu n'a pas perdu de sa force ni de son émotion. Cernant sur plusieurs années l'évolution du rapport entre une mère ouvrière, Otsuke – incarnée par Choko Iida - et son fils Ryosuke rêvant de continuer ses études dans la grande capitale.

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    Le Fils unique émeut par son minimalisme et sa justesse dans le portrait des relations humaines. Il décrit, par petites touches, la lente amertume qui atteint la mère face aux efforts et aux déceptions de son fils unique, pour lequel elle a sacrifié ses économies pour lui permettre de recevoir une bonne éducation à Tokyo. Des années plus tard, alors qu'elle lui rend visite, elle s'aperçoit que son enfant se révèle déçu de sa condition, et gêné de la recevoir dans cet état. La justesse psychologique n'a pas perdu de sa force, le film misant en effet sur les non-dits et l'incompréhension régnant entre les personnages. Une réalisation douce suit de près ces jeux de distance et de rapprochement entre mère et fils, au travers de la visite de Tokyo ou de ses environs, comme une version minimaliste de Voyage à Tokyo.

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    Un personnage secondaire au récit offre un parallèle à cette situation, celui du professeur de Ryosuke, interprété par le fidèle Shisou Ryo. Il incarne un jeune professeur au début du film, qui part à Tokyo en partageant les mêmes espoirs que son élève. Plus tard, la mère le rencontre, s'apercevant que le brillant jeune homme, désormais marqué par la vieillesse, a dû se reconvertir en potier, en petit artisan peinant à survivre pour nourrir sa famille, mais semblant tout de même heureux. Le film est percé d'ambiguïté face aux carrières déçues de ces protagonistes, nourries d'une certaine réalité : les personnages balancent entre leur bonheur, modeste et paisible, et leur regrets de n'avoir pas pu réaliser ce qu'ils espéraient.

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    La réalisation d'Ozu embrasse ce sentiment de déception avec toute la patience requise, offrant au regard une douceur percée de cruauté. Que ce soit par le retour du soir dans un quartier délabré, loin de l'image bouillonnante et populaire de Tokyo, ou par la promenade en apparence paisible mais marquée par la distance au milieu des champs, le Fils uniquen'a pas perdu de sa force mélancolique. 

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  • Shokuzai

    Dichotomies

    SHOKUZAI – Kiyoshi Kurosawa

    CELLES QUI VOULAIENT SE SOUVENIR

    CELLES QUI VOULAIENT OUBLIER

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    Après le drame familial de son précédent film, Shokuzai semble renouer avec l'horrifique, tout en continuant le prolongement de la critique sociale amorcé avec Tokyo Sonata. Diptyque réunissant 5 épisodes, ce nouveau film se révèle moins radical qu'un Cure ou qu'un Kaïro, plus dans le psychologique et frôlant le fantastique par moments. On songe à du Yoko Ogawa sous sa forme la plus crue, à certains mangas d'horreur ou encore aux figures féminines de Satoshi Kon. Mais malgré toutes ses références, le travail photographique et narratif du film se révèle unique en son genre, très surprenant par son audace et son efficacité.

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    En effet, Kurosawa prend à contrepied l'idée de la réminiscence. Il refuse, avec son scénario, la recherche de tout souvenir, et, au montage, se méfie des flash-backs. C'est bien plus la couleur du présent, propre à chacune des jeunes filles ayant vécu se drame et ayant été dans l'incapacité d'aider à se rappeler du meurtrier de leur camarade, qui intéresse le cinéaste. Comment ont-elles évolué ? Comment ont-elles vécues avec ce traumatisme ? Le film décline ainsi une esthétique du présent tout à fait étonnante : teinte froide, rendant les visages très pâles et la lumière éblouissante, comme désaturant tout sur son passage. Là où le passé apparaît bien souvent, dans la plupart des films mêlant plusieurs temporalités, comme peuplé d'images évanescentes, aux couleurs légères et aux contours estompés, le film de Kurosawa effectue le mouvement inverse. Son passé qui ouvre le film sur le drame vécu par les enfants est d'une esthétique classique, aux teintes marquées, tandis que le présent apparaît comme déjà « passé », vieilli, par sa photographie. Cette dernière trouve des accents définitivement surréels dans le premier ou le cinquième épisode, avec par exemple la transformation d'une chambre à coucher en terrifiante vitrine pour poupée. Ce choix entièrement assumé transforme d'emblée chaque récit en une lecture inquiétante, où l'atmosphère paraît sans cesse vaciller, prête à basculer dans le fantastique ou dans la subjectivité troublée de chaque personnage.

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    En outre, Kurosawa développe une figure fantôme nouvelle, non plus incarnée au travers d'un personnage ou d'un thème ou élément comme auparavant (le suicide dans Kaïro, l'amnésique démoniaque dans Cure, l'arbre dans Charisma), mais apportée par un lieu, autrement dit ce fameux gymnase, lieu du crime où s'est déroulé le drame. Les personnages se révèlent tous hantés par une image du corps de la petite Emili, alliée à une atmosphère du lieu, désert et plongé dans la pénombre. Le geste de la mère qui est de s'allonger par terre à l'emplacement exact du corps témoigne de cette hantise qui traverse tout le film et qui constitue la texture même de la réalisation de Kurosawa. Dès lors, des effets de réminiscence de cette atmosphère traversent chaque histoire, les liant entre elles par échos et créant un sentiment permanent de tension et de mystère, donnant à chacun des récits leur dimension tragique et angoissante. Le film réussit à transmettre une partie de la complexité psychologique décrite à travers cette histoire dans cette forme hybride et nouvelle.

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    Car Shokuzai embrasse avec ambition plusieurs thématiques liées à la société japonaise, en particulier le rapport au corps, à la sexualité, à l'affirmation de soi parmi les autres. C'est à ce niveau que le scénario de chacune des histoires, sauf à la rigueur celle du dernier volet qui renoue plus avec le style des années 90 de Kurosawa, rejoint les meilleurs écrivains japonais dans leur capacité subtile à saisir le malaise, et à balader les protagonistes entre cruauté, radicalité et pudeur, épure. Le film passe ainsi d'un registre à un autre – du drame du premier épisode aux accents vaudevillesques du quatrième – et touche par la finesse de description qu'il confère à ces femmes. Chacune est capturé, dans une scrupuleuse mise en scène des faits, dans son assimilation du traumatisme. Mais les récits ne les condamnent pas ou ne s'en limitent pas à leur unique mode de vie, faisant interagir une série de circonstances et de protagonistes parallèles étant là pour révéler cette assimilation. Le premier épisode fait rencontrer ainsi la timidité maladive d'une des jeunes filles avec la maniaquerie d'un schizophrène, tandis que le deuxième dresse un portrait cinglant des rapports de pouvoir au sein du système scolaire. Le troisième épisode, plus tendre et étonnant, mêle l'imaginaire d'une fille « ours », repliée sur elle-même, à une sombre histoire d'abus sur enfants, où des suggestions inquiétantes viennent frôler l'univers ludique de la jeune adulte. Le dernier épisode, conclusion du film, se révèle moins audacieux, approchant plus l'esthétique des films sud-coréens de vengeance, et rejoignant certaines figures de Kurosawa (les narrations parallèles, la rencontre inattendue avec le tueur, la course dans les bois, ou encore le regard extérieur des enquêteurs).

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    Par le film se révèle enfin une nouvelle facette de Kurosawa, celle de sa qualité à diriger des acteurs n'étant plus uniquement présents dans une dimension plastique ou corporelle. Il y eut certes l'inoubliable acteur fétiche du réalisateur dans Cure, Charisma, Doppelgänger, Koji Yakusho, mais jusqu'à présent – si on excepte Tokyo Sonata – la plupart des acteurs incarnaient des figures bien souvent aliénées, victimes et perdues dans la folie. Ici, dans Shokuzai, une vraie prégnance psychologique est attribuée aux protagonistes féminins, toutes interprétées excellemment dans chacun des volets. Enfin, la plus belle part est accordée au couple de Tokyo Sonata, qui se retrouvent ici dans des rôles aux antipodes de ce précédent film. Kyoko Koizumi incarne une veuve noire impressionnante, tandis que Teriyuki Kagawa – qui jouait également l'hikikomori dans Tokyo ! - propose une métamorphose radicale et une capacité de jeu et de maîtrise du corps impressionnante.

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    L'efficacité de Shokuzai est dans sa dichotomie : allier une photographie proche du noir et blanc à ce qui relève du présent tandis que les flash-backs demeurent dans des couleurs vives, dresser des caractères à la fois autant à la recherche du pardon que de la punition, brasser des actions antagonistes dans une réalisation élégante. Le nouveau film de Kurosawa se révèle tout en finesse, confirmant la maturité d'un cinéaste investissant de plus en plus sur de nouveaux terrains et matières de création.

  • Zatoïchi

    Coups de sabres et numéros de claquettes

    ZATOICHI (2003) – Takeshi Kitano

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    Le film s’inspire d'une célèbre série des années 1970. Kitano en retire l'atmosphère de la période Edo où se situe l'action, et son caractère mêlé de corruption, de débauche, de misère. Et il y apporte deux actions : celle de son sens du drame et de l'artistique ; et celle de l'appropriation du rôle de Zatoïchi dans son registre habituel.

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    Zatoïchi est l'occasion de réaffirmer l'efficacité qu'accorde Kitano au thème de la violence au cinéma. S'approprier une telle reconstitution, qui plus est traversée d'un contexte de bataille bien particulier, a pu être souvent agaçant dans certains films, aussi bien américains qu'asiatiques. Mais ici, Kitano parvient à s'inscrire dans l'héritage d'un Kurosawa, dans un même sens de l'épique et du monumental, tout en y apportant sa touche particulière. Chez Kitano, la violence surgit, longuement contenue au détour d'une partie de dés ou au coin d'une rue, jaillissant du corps tranquille de la masse Kitano aux cheveux blonds. Dans Zatoïchi, il se développe ainsi une esthétique des sabres qui giflent l'air, fait gicler le sang et voltiger les décors. Il est épatant de constater que les effets spéciaux n'ont pas du tout vieilli, et les séquences d'action impressionnent toujours autant, en dépit des dix années de différence. Kitano évite en effet au maximum la surcharge de ralentis et de mouvements de caméra sur ces scènes pour privilégier une violence sèche, renforcée par son sens de la composition graphique et des lignes de fuite. Enfin, la teinte du film, dans une atmosphère jaunie et pâle, comme une vieille photographie, contribue de donner le caractère très réaliste à ces scènes et à la reconstitution en général. Kitano s'amuse même de cette esthétique développée avec de nombreux gags où le sabre surgit là où on ne l'attend pas.

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    Le plus surprenant dans ce film reste enfin la tournure que prennent les événements et les protagonistes mis en place. La structure alterne plusieurs histoires, proche de celle de Dolls ou de Hana-Bi, et fait varier les registres : de la passion du jeu de Shinkichi, personnage burlesque, au drame du frère et de la sœur se reconvertissant en filles de charme pour retrouver les assassins de leur famille, le film passe de la comédie au mélodrame, du gag à la violence. S'emparer d'un genre spécifique ne relève donc pas de la fidélité chez Kitano, mais consiste bien plus à immerger ce genre de son humour et de son regard acéré, détournant les éléments. Ainsi, la séquence finale est un véritable contrepied à une attendue confrontation finale au sabre. Cette dernière a quand même lieu, et Kitano s'y réserve le beau rôle, faisant part d'une nouvelle transformation dans sa performance d'acteur. Mais cette scène se retrouve confronté à un surprenant numéro de claquettes, qui, telle une célébration finale, convertit le film de sabres en comédie musicale. Au final, Zatoïchi est peut-être l'un des films témoignant le plus du parcours de Kitano : manzaï (duos comiques), travestissements, performances de danse, mouvance physique et rythmée, et numéros de claquettes jalonnent tout le film dans une brillante efficacité.

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  • Takeshi's

    Figures du clown

    TAKESHI'S (2005) – Takeshi Kitano

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    Dans Dolls (2002), les personnages, vides d'émotion et lassés de leur existence, traversaient des magasins emplis de masques de théâtre No ou de moulins à vent colorés. Le contraste est inversé dans Takeshi's : les nombreux protagonistes du film se baladent dans des décors typiques ou banals, mais sont affublés de costumes aux couleurs pétantes, maquillés à outrance, ou agissent volontiers dans le grotesque.

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    Kitano s'amuse à renverser, dédoubler, contraster les figures diverses et variées : deux Kitano dans le cadre, l'un narcissique et odieux, l'autre pathétique et timide, se font face, comme deux Tweedle Dee et Tweedle Dum, eux mêmes incarnés à travers deux jumeaux obèses croisés plusieurs fois dans le film. Les personnages trouvent leur sosie, les apparences se déchirent, et les plus humiliés se rebellent jusqu’à arriver à un final à la fois anarchique et plastique, le genre de final qui aurait pu conclure Achille et la Tortue. Kitano renoue avec la folie débridée présente dans certaines de ses réalisations potaches, donnant lieu à certaines scènes d'une poétique absurde. Lors d'une virée nocturne à bord d'un taxi, le Kitano humilié rencontre une série de protagonistes fardés et costumés, qu'il trimballe au beau milieu d'un champ de bataille de zombies, tournant à dérision le genre et créant une étrange séquence burlesque de déambulation parmi des cadavres étendus le long de la route.

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    Dans cet amusant jeu de dédoublement et de renversement, créant à la fois la surprise et un absurde délicieux, intervient la partie la moins intéressante du film, à savoir le jeu de l'auto-citation. Kitano parodie ses propres films, et aligne les clins d'oeil à ce qui a fait sa renommée, exercice un peu inutile tant son œuvre et ses scénarios témoignent d'emblée d'une sensibilité tapissée de thèmes uniques. Seul élément efficace parmi la flopée d'allusions, c'est ce formidable début de double mise en abîme, où le film commence par une parodie diffusée dans un téléviseur face à des yakuzas jouant au mah-jong. On retrouve dans ce court segment la quintessence du cinéma kitanien dans ce qu'il de meilleur en quelques minutes : lunettes noires et cheveux blonds, rigidité des actants, mise en scène millimétrée, action chorégraphique, explosion de fureur après le calme, et final sous une musique élégiaque et une solitude désabusée.

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    Takeshi'speut être vu comme une pitrerie, un acte de déclinaison des éléments de l'oeuvre de Kitano, du plus fascinant au moins amusant, parfois inégal, parfois trop riche en idées, mais témoignant de ce sens de la dérision constante que peu de cinéastes partagent. 

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  • Charisma

    Racines de l'esprit 

    CHARISMA (1999) – Kiyoshi Kurosawa

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    Charisma est loin d'être l'un des films les plus terrifiants de Kurosawa, si l'on doit prendre en compte le critère d'épouvante dans l'analyse de son cinéma. Charisma est bien plus une peinture sociale, psychologique, d'un groupe d'individus tombant peu à peu dans le chaos face à la vision obsessionnelle d'un arbre luttant pour survivre dans une forêt qui meurt. Essayer de trouver une quelconque instance écologique dans le film de Kurosawa serait vain et naïf, car, au-delà des luttes entre un groupe d'activistes des forêts, un jeune fanatique, ou une professeur en biologie étudiant la forêt, se joue bien plus la déroute d'individus. Car, dans cette forêt perdue se retrouvent des individus désaxés et en proie à la solitude et au délaissement uniquement. L'officier Yabuike, incarné par l'acteur-fétiche de Kurosawa, le ténébreux Kôji Yakusho, se retrouve en effet mis de force en congé par ses supérieurs et part dans une dérive totale.

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    Si le scénario accumule des maladresses, ou beaucoup d'incompréhensions, la force de mise en scène de Kurosawa dans cet espace prend une véritable ampleur dans son aspect mystique et étrange. Le décor est éclairé de manière quasi expressionniste, jouant sur les brouillages de formes, l'agression des courbes et l'enchevêtrement des branches d'arbre, créant une réelle confusion dans l'interprétation de ce qui se passe dans le champ. Cette même confusion, ce chaos à l'image du doute intérieur propre au personnage de l'officier - qui fait face à un dilemme – finit par même s'infiltrer dans certains intérieurs, par habiter proprement tout l'espace et toute la scénographie. Une entreprise de contamination fortement fascinante qui s'infiltre même dans les esprits, cela étant sans cesse suggéré, notamment par un étrange plan partageant la subjectivité de Yabuike, où l'officier tourne la tête vers le ciel et aperçoit une immense masse sombre s'assimilant à une explosion apocalyptique. Comme si les racines de cet arbre vénéré venaient autant polluer le sol que l'esprit.

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    Cependant, au-delà de son esthétique chaotique, le film pêche par son manque de cohérence et de clarté. A trop vouloir brouiller l'intrigue autant que son image, Charisma s’enlise dans une succession de séquences elliptiques et par trop herméneutiques, laissant juste émerger la folie sans trop lui donner de direction ou un regard plus pertinent.