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La Maison au toit rouge

La maison ébranlée

LA MAISON AU TOIT ROUGE (CHIISAI OUCHI, 2014) – Yôji Yamada

Le film de Yôji Yamada émeut dans la reconstitution qu'il exige, reconstitution qui s'établit non seulement dans la période de l'avant-guerre, mais également par la vision du mélodrame à l'ancienne qu'il transmet. L'image de la petite maison se fait symbole d'un petit bonheur bourgeois dans toutes ses contradictions, et encapsule les désirs de ses deux figures féminines, la maîtresse de maison Tokiko (Takako Matsu) et sa servante Taki (Haru Kuroki), narratrice de l'histoire.

Bien des années après son passage dans la "maison au toit rouge", Taki écrit, sous l'insistance de son petit-fils, son expérience en tant que servante, à une époque insouciante d'une Seconde Guerre Mondiale en approche. Pour véritablement apprécier, il faut par ailleurs faire la parenthèse de ses séquences « contemporaines », où la famille y va de la découverte du récit de leur grand-mère. Alors que la reconstitution et le récit de jeunesse de Taki émeuvent, toutes les scènes portées par son petit-fils demeurent lisses et sans intérêt, gâchant le final par un effet de bouclage très sirupeux. Ce sont là les grandes limites du film de Yôji Yamada, maladroit dans ce retour au présent alors qu'il parvient à conserver la subtilité du passé.

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D'emblée, la réalisation se soumet au romanesque de la confession personnelle et fait céder tous les choix à la vision paradisiaque que confère la jeune fille à ses employeurs. A plusieurs reprises, son petit-fils la reprendra par ailleurs, mettant en doute la perfection apparente de son récit, et sa naïve insouciance, occultant toutes questions sur la suprématie bourgeoise, le fossé entre la ville et les campagnes pauvres ou tout simplement l'écrasement de la femme au foyer. Ces éléments néanmoins filtrent dans le drame de l'histoire amoureuse vécue par Tokiko, parfois dans un contraste un peu facile. Ainsi, la représentation du cercle des hommes au travail demeure caricaturale, ne présentant le mari et ses collègues que sous une même allure abrutie et constamment sexiste – un portrait très forcé qui déséquilibre la subtilité approchant les femmes ou le personnage intrusif d'Itakura.

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Au-delà, la reconstitution des années 1930 passe dans un travail des couleurs et des textures particulièrement prenant. Une forme d'indécision s'y dessine entre la tradition japonaise, très respectée, et toutes les marques d'une occidentalisation séduisante pour la famille. Cette incarnation est particulièrement intéressante car rarement représentée à l'écran, mais aussi parce qu'elle sous-entend le charme qu'elle a pu exercer sur Taki. L'agencement minutieux des décors, la parfaite synchronie des actions, les éclairages et les fonds volontiers peints ou construits déploient délicatement l'artifice, faisant de cette demeure au toit rouge une véritable maison de poupée où s'écoule paisiblement le quotidien, et où le moindre défaut, ton élevé dans un dialogue, pensée de désir, mauvais temps, peut ébranler tout l'édifice.

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En l'occurrence, c'est l'arrivée d'Itakura, l'un des employés du mari de Tokiko, qui va déclencher la verve romantique du film et le bouleversement dans la demeure. Pourtant, point d'ébranlement massif ni de déchirement de couple : l'étrangeté de l'homme vient plus au contraire semer le doute auprès des deux jeunes femmes, et les renvoyer à leur propre solitude, un mouvement émotionnel que personne d'autre ne percevra hormis elles-mêmes. Le choix de l'acteur pour incarner l'employé fait son effet à son niveau. Hidetaka Yoshioka est un acteur aussi régulièrement doubleur dans de nombreux animes ou films d'animation. Sa voix presque trop haut perchée pour un homme, empreinte d'un ton naïf, le fait souvent interpréter des personnages de garçon papillonnés par leurs premiers émois ou leur découverte de la vie – un des exemples connus étant le héros de La Tour au-delà des nuages de Makoto Shinkai. En revenir sur ce détail de casting n'est pas anodin, car dès lors s'institue un profond décalage, créant presque le malaise, au sein de cette reconstitution sucrée : la voix ne correspond pas au visage déjà âgé de l'acteur, de même que son accoutrement de bon garçon bien coiffé contraste avec un visage déjà mûr et marqué. L'association est par ailleurs travaillée, présentant l'homme au comportement à la fois enfantin (il préfère aller lire des histoires ou construire des avions avec l'enfant de la maisonnée au lieu de fêter le Nouvel An à grands renforts de saké) et adulte (sa prise en main des réparations de la maison durant l'orage). Ce déséquilibre constant, qui surgit dans un univers très bien rangé, charme précisément Tokiko.

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Demeure aussi également sensible, en parallèle de l'idylle vécue par Tokiko et Itakura, la délicatesse prêtée à l'amitié entre la maîtresse de maison et la servante. Par cette dernière est timidement abordé l'homosexualité féminine, dans de minuscules, mais tendres et émouvants, relents de son désir : la séquence du massage des pieds, la constance du regard épiant les faits et gestes de sa maîtresse... Dès que Taki évoque son arrivée dans la grande maison, Tokiko est d'emblée dans les premiers plans, gouvernant les actions et la dynamique de composition, tandis que l'enfant ou le mari seront toujours en recul. Les plans indiquent d'emblée les objets de l'affection du personnage.

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Si les deux femmes se répondent et forment un duo complice, c'est bel et bien parce qu'elles s'animent de la même aspiration naïve. La vision paradisiaque de la servante se prolonge dans le regard de sa maîtresse, qui affabule aussi, mais cette fois-ci autour de la figure d'Itakura. L'imprécision qu'il instaure, dans son association homme-enfant, dans ses rêves de dessinateur, devient peut-être un échappatoire direct à son rôle d'épouse au foyer, mais jamais le film ne viendra expliciter cette attirance. La description du personnage de Tokiko est à cet égard remarquable, car oscillant entre le désir de perfection et le besoin quasi sournois de s'en échapper, notamment par des marques d'affection plus denses, des réactions plus capricieuses. En cela, La Maison au toit rouge est avant tout l'approche de cette dualité féminine, dont les désirs mystérieux sont tour-à-tour incarnés dans cette réalisation minutieuse.

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