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Le Petit Garçon de Nagisa Oshima

Le regard-caméra du petit frère...

 

LE PETIT GARCON (SHONEN, 1969) – Nagisa Oshima

La force du Petit Garçon de Nagisa Oshima réside dans un petit détail de mise en scène. Le contexte social dépeint, la démonstration de l'éclatement de la cellule familiale, ou la mise en scène hybride d'Oshima s'incarnent entièrement dans un personnage secondaire de son film, qui cristallise toute la singularité frappante de ce cinéma.

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Dans le film, le héros a un petit frère, âgé d'à peine quatre ans, présent de bout en bout, souvent caché dans le plan, ou accompagnant son aîné dans une bouleversante scène dans la neige. A plusieurs reprises dans le film, au fur et à mesure que les tensions surgissent dans le couple, que l'enfant décide de déserter, puis d'endurer, ce cruel quotidien, ce petit frère prend de la place et passe du second au premier plan. Ce changement de statut n'en fait cependant pas uniquement un nouvel enjeu dramatique, mais constitue une incarnation directe du froissement entre la fiction et le documentaire qui porte le film.

En effet, ce qui frappe dans la présence de cet enfant est bel et bien la révélation de l'acteur qui se prend de plein front la fiction du film. Dans de nombreuses scènes, notamment celles de dispute entre le couple, ou entre le père et le grand frère, les regards-caméra du tout jeune acteur se révèlent fréquents, glissés avec autant de timidité que le désarroi vers l'équipe de tournage durant l'éclatement de la violence. L'enfant ne joue pas, cela est clair. Les larmes qui coulent sont véritables, tandis qu'il s'assoit dans la neige auprès de Tetsuo Abe, qui incarne le jeune héros.

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De ce détail et de cette révélation violente de la fiction s'agence la construction du film tout entier. Le cinéma d'Oshima repose sur une imbrication complexe – et sans cesse remise en question – de la réalité factuelle et de la création romancée. Par ce petit garçon qui perturbe le travail de la mise en scène, de la mise en espace et du jeu des autres comédiens, il pointe le malaise de ce choix de raconter au cinéma une histoire vraie, en l'occurrence un fait divers qui avait défrayé l'époque. Le récit de cette fausse famille arnaquant dans les années 1960 les automobilistes subit une double-dynamique d'auscultation : implication émotionnelle par l'attachement du scénario au fils aîné, qui ne cesse de se jeter sous les roues pour plaire à son père ; distance documentaire par l'altercation de voix-off, de journaux et de reportages d'époque. Tout particulièrement, le film s'éloigne de la fiction lors de la mise à mal du parcours des escrocs : les arrestations sont menées sur le mode de la reconstitution historique, là où la caméra s'approche des moments inconnus. Ce qui intéresse Oshima n'est non pas de comprendre les psychologies de la famille, mais de gratter les possibles vacillements nés, répercutés au sein des deux enfants.

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Le jeu de distance avec la fiction envahit aussi l'implication émotionnel auprès du héros. Le petit garçon est solitaire. En quelques plans de générique, Oshima indique avec finesse la cruelle absence d'amis de son âge : la figure gamine parle à voix haute, de loin dans la rue, comme saisi isolé de son groupe, mais au fur et à mesure que la caméra s'approche, que le plan s'étire, se dévoile la solitude du personnage. L'enfant mime la camaraderie mais joue tout seul. De même, il échappe à la place privilégiée de l'aîné, car les caresses ni les étreintes familiales n'existent pas et les mots de félicitations du père sonnent creux. Si le film fait du supérieur familial un investigateur sans remords et sans amour, il accorde une place singulière à la belle-mère, interprétée par Akiko Koyama. Progressivement, l'enfant devient un complice, bien plus qu'un fils de substitution, de cette femme soumise.

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La position est troublante : autant le film attriste par l'éloignement d'une enfance possible, autant ce rejet de toute innocence, afin de combler les attentes du père, permet la création des relations. Le petit garçon se rapproche de sa belle-mère dans leur commune critique du père, presque à égalité malgré leur différence d'âge. De même, le rapport au petit frère évolue dans cette optique, car d'abord inexistant, puis instaurant un rapport protecteur entre distanciation et brusque proximité. L'accident de voiture auquel assiste l'enfant est un bouleversement pivot dans son évolution : la rencontre avec le visage de la petite fille décédée devient soudaine révélation. Le petit garçon qui avait effacé toute trace de son identité retrouve l'enfance, et dans le même mouvement, sa tenace fragilité.

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Si j'en reviens au petit frère dans cette démonstration de la fragilité, c'est bel et bien parce que la caméra reconquiert ce second protagoniste dans toute sa faiblesse. Le visage criard explose à l'écran lors de cette déambulation dans la neige, devenant, à l'instar du visage mortifié de la jeune enfant décédée dans l'accident, le miroir désolé du petit garçon.

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