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  • DVD Detective Dee

    Sortie du film Detective Dee (Tsui Hark) en DVD et Blu-Ray

     

    dd.jpgL'excellent dernier film de Tsui Hark, en salles durant avril dernier, vient déjà de sortir en DVD et Blu-ray. Une injustice se pointe déjà, récurrence sur le marché et stratégie commerciale pour pousser le public français à acheter des lecteurs Blu-rays : l'édition BD contient trois fois plus de bonus qu'une édition DVD bien décevante et simple (pas de making-of, ni d'entretiens avec le réalisateur ou les comédiens). Le fort travail de reconstitution et de restitution de l'Histoire, de même que les effets spéciaux desservant des idées monumentales de mises en scène, donnent pourtant matière à réflexion et explication dans ce film. On aurait pu souhaiter des bonus techniques et des interviews d'historiens sur le sujet...

     

    Bref, toujours est-il que la sortie de ce DVD permet de revenir sur cet extraordinaire et flamboyant film de genre, qui parvient à donner sa dose d'émotion et d'action sans jamais tomber dans les lieux communs et parvenant toujours à surprendre, étonner, émerveiller. Le casting de haut niveau réunissant de grands noms du cinéma chinois (Andy Lau, Carina Lau, Tony Leung Ka-Fai...) porte et prolonge la richesse visuelle et émotionnelle de Detective Dee. Un divertissement de très bonne qualité, qui fait déjà parti de la quintessence du cinéma populaire chinois.

     

    Ici, la critique du film

     

    Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme.

    Un film de Tsui Hark

    Edité en DVD par Wild Side Vidéo

    En bonus : un entretien avec Jean-Claude Zylberstein sur le personnage historique du juge Ti (Dee étant la traduction anglaise de Ti).

     

    A venir :

    Animation : Paprika (Satoshi Kon) ; Kiki la petite sorcière (Hayao Miyazaki) ; Summer Wars (Mamoru Hosoda) ; Piano Forest (Masayuki Kojima)

    Cinéma coréen : Thirst (Park Chan-wook) ; Hansel et Gretel (Yim Phil-sung)

  • Memories

    Memories

    Un projet de Katsuhiro Otomo

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    Comme tout ensemble de courts-métrages, Memories s'avère inégal, très inégal. Tout d'abord, difficile de voir le fil conducteur entre les trois films proposés et plus que cela, le titre lui-même. Les trois épisodes sont pourtant tirés de récits de Katsuhiro Otomo (réalisateur d'Akira), qui a confié la réalisation de deux des segments à Koji Morimoto et Tensai Okamura. Curieusement, le meilleur épisode reste le premier, Magnetic Rose, et le moins empreint de la marque d'Otomo. Réécrit par Koji Morimoto et le grand Satoshi Kon, il ressemble plus à un film de Satoshi Kon qu'à un récit d'Otomo. L'occasion de prouver que le réalisateur d'Akira reste loin de ses pairs Satoshi Kon ou Hayao Miyazaki, en dépit des apparences et de la qualité uniquement formelle des films qu'il propose. Les deux autres segments, Stink Bomb et Cannon Folder pêchent par leur scénario ou leur manque d'originalité, s’avérant inaboutis.

     

    memrose.jpgMagnetic Rose de Koji Morimoto

    Magnetic Rose, qui ouvre l'ensemble, s'avère le plus intéressant et maîtrisé des segments. On y retrouve la ligne scénaristique de Satoshi Kon,ainsi que ses thèmes fétiches : la fascination pour les progrès de la société moderne, avec ces cosmonautes-éboueurs de l'espace ; la collision de la réalité scientifique avec l'inconscient ; le travail sur les réminiscences du souvenir et la confusion entre réel et illusion. La réalisation de Koji Morimoto est soignée, le trait précis sur les détails et la vraisemblance technologique permet de donner un cadre réaliste au propos fantastique. Comme toujours avec Satoshi Kon, le réalisateur respecte sa capacité à imaginer des passerelles entre l'univers fantasmé de la chanteuse d'opéra et l'opération des cosmonautes, grâce à l'animation. Les murs s'effacent pour donner place à un jardin où se promène une silhouette de femme, le fantôme féminin s'agite, les corps deviennent transparents ou en pierre. Magnetic Rose travaille habilement et de manière poétique sur la permanence du désir et du souvenir, faisant jaillir un lyrisme dramatique dans cette histoire de science-fiction.

     

    Stink Bomb de Tensai Okamura

    Amusant et distrayant. Mais que vient faire Stink Bomb dans cet ensemble ? Le graphisme datémembomb.jpg et le récit dans l'absurde et le grinçant, qui montre comment un jeune homme ayant avalé par inadvertance un médicament contre son rhume se révèle être une bombe puante détruisant toute forme de vie à vingt mètres, ne suffisent pas à apporter l'originalité dans l'ensemble. Un banal récit caricatural voulant mettre en lumière l'incapacité des autorités face à l'événement, mais qui fait au final plus sourire que réfléchir, d'autant plus que l'animation est d'un classicisme fade.

     

    memecannon.jpgCannon Folder de Katsuhiro Otomo

    Comme pour Steamboy, Cannon Folder s'appuie beaucoup trop sur sa forme et la prouesse visuelle, palliant aux maladresses du fond et du scénario empli de lacunes. Otomo met en place tout un univers militaire effrayant et l’ensemble se présente comme un immense plan-séquence animé, dans une réalisation à l'ancienne très impressionnante. Mais le format du court-métrage peine à approfondir son sujet, certains passages s'avérant très long, comme le remplissage d'un canon. Otomo dresse le portrait d'une forme de dictature, où la guerre est prônée (contre qui ? On ne le saura pas) et où toute forme d'espoir est bannie. Les visages sont âpres, miséreux, l'ambiance sombre, le quotidien strict et minime, faisant songer à l'URSS. Si l'originalité visuelle marque dans cet enfer belliqueux, le reste manque de nuances et de réflexion, s'en cantonnant à l'impression horrifique qu'il veut donner.

  • I saw the devil

    J'ai rencontré le Diable

    Un film de Kim jee-woon

    (Merci à Big-Cow pour cette critique ! )

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    Je ne suis pas très familier du cinéma asiatique, encore moins du cinéma coréen, que je n'ai croisé que par quelques films : Old Boy, Memories of Murder, The Host. Je vais quand même essayer de m'exprimer sur J'ai rencontré le diable, vu la semaine dernière, un jeudi après-midi où le temps ne devait pas être glorieux, et ayant par ailleurs déjà eu d'excellents retours sur le film, que ce soit par Facebook ou par Mad Movies.

     

    J'ai rencontré le diable a été réalisé par Kim Jee-woon, réalisateur entre autres de A Bittersweet Life et Le bon, la brute et le cinglé, que je n'ai pas encore eu l'occasion de voir. Le film raconte la traque de Kyung-chul (Choi Min-sik, déjà génial dans Old Boy), tueur en série et psychopathe notoire dans le civil, autrement conducteur d'une navette scolaire, par le policier et fiancé de sa première victime Soo-hyun (Lee Byung-hun), dans une Corée qui semble envahie par les psychopathes et les assassins. Le film dépasse bien vite le cadre de l'enquête policière classique, où les policiers recherchent l'identité du tueur, pour se concentrer sur la traque en elle-même, et le profond désir de vengeance qui ronge Soo-hyun.

     

    J'ai rencontré le diable est un grand film. Pas un film qui retourne les tripes, mais un très grand film quand même, excellent, jouissif. J'ai lu que Kim Jee-woon n'avait pas écrit le scénario du film, mais que celui-ci lui avait été proposé par Choi Min-sik, lequel voulait interpréter le tueur : et c'est en effet la première chose qui crève l'écran, Choi Min-sik, magistral, probablement le plus grand serial-killer qu'il m'ait été donné de voir au cinéma, qui tue comme il déguste son café ou conduit sa navette scolaire, tranquillement, une fois passée la première exaltation : une sorte de surréaliste tueur en pantoufles, à l'image de quelques uns des psychopathes qu'il rencontre. A l'opposé, Soo-hyun, suintant une sorte de haine vengeresse crasse qui marque l'écran, d'une singulière cruauté, au point que l'on se demande, parfois, qui est vraiment le diable dans tout ça.

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    La deuxième chose que l'on retire de cette traque extraordinaire, de cette chasse peu commune entre ces deux personnages hauts en couleur, c'est le sublime de la photographie, l'aspect magistral, incroyable, épatant de ces plans somptueux, de ces décors géniaux. On pense à cette excellente scène d'introduction, au bord d'une route enneigée ; à ce premier affrontement entre les deux grands acteurs du film, au coeur d'une somptueuse serre, où la maîtrise de l'éclairage se révèle être particulièrement géniale ; au bus du tueur lui-même, et sa superbe décoration, avec ces deux petites ailes d'ange de chaque côté du rétroviseur.

     

    Ce que l'on retient aussi, c'est la brutalité du film, l'hémoglobine récurrente (sans tomber dans du gore outrancier), la fascination que provoque, là encore, la horde de psychopathes qui peuplent la Corée de Kim Jee-woon. Les références cinématographiques au genre sont d'ailleurs nombreuses : on pense, bien sûr, à Memories of Murder, dans cette enquête menée au début du film, mais également pour les touches d'humour dispersées ça et là dans le film et qui nous renvoient au cinéma de Bong Joon-ho en général ; le plan conçu par Kyung-chul, qui souhaite mettre un terme à sa traque, peut évoquer Seven.

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    L'importance de ces références cinématographiques, la singularité de Kyung-chul, m'ont fait me poser une question sur ce qui avait amené ce personnage à tuer (et attention, je risque ici de spoiler). On ne sait pas d'où il vient, on ne sait pas vraiment pourquoi il est devenu ainsi : on sait tout juste qu'il a abruptement quitté son fils et ses parents, pour se réfugier dans une baraque au fond de laquelle il commet ses meurtres sordides. On ne sait pas si des traumatismes l'ont poussé à devenir ainsi. Certes, on suppose qu'il fricote depuis longtemps avec la mort, comme en témoignent ses retrouvailles avec le tueur cannibale de l'hôtel, autre personnage haut en couleur, mais guère plus. Sorti d'on ne sait où, Kyung-chul semble bien loin des tueurs traditionnels, alors que les pulsions qui semblent le saisir ne sont que vaguement évoquées : le meurtre n'est pas présenté comme un besoin, comme un rituel, ni rien de semblable : il se contente de tuer. De tuer, mais toujours tranquillement : fumant en même temps, sa tasse de café posée à côté de lui alors qu'il découpe des corps, comme s'il était en pantoufles dans son canapé à regarder un polar. Ce qui m'amène à me demander si, à ce stade, le meurtre ne serait pas pour lui une sorte de choix de vie : il ne semble pas poussé par des contraintes extérieures, il commet ses actes tranquillement, sans se soucier de rien (en témoignedevilaffchoi.jpg la jeune fille qu'il assomme dans son bus avant de l'achever chez lui). Par ailleurs, cette attitude presque spectatrice chez lui (comme quand il demande à la secrétaire du médecin de se déshabiller, et se contente de soupirer et de lui lancer des objets quand elle est trop lente, comme il aurait pu le faire dans une mauvaise représentation théâtrale), l'importance des références cinématographiques dans ses actes (ainsi, quand il surgit de la droite de l'écran lors du premier meurtre, à la manière du tueur de Memories of Murder qui surgit sur le chemin lors d'un de ses assassinats), laissent à penser qu'il s'est construit cette identité de tueur comme spectateur, comme quelqu'un qui, abreuvé de films de genre et de récits glauques, aurait décidé, lui aussi, d'embrasser la carrière de serial killer : d'où, là encore, sa tranquille jubilation quand il trouve comment berner Soo-hyun. C'est probablement ce qui fait de J'ai rencontré le diable un grand, un très grand film : un personnage si ambigü, si fascinant, interprété par un acteur de génie. Et si Lee Byung-hun est tout aussi excellent en homme assoiffé de vengeance, c'est avant tout Choi Min-sik qui reste dans les esprits, dans le rôle d'un des plus grands tueurs de l'histoire du cinéma.

     

    Par Big-Cow

  • Un Endroit Discret

     

    Un Endroit Discret - Ed Actes Sud 

    Un roman de Seicho Matsumoto

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    Deuxième roman que je découvre de Seicho Matsumoto, après Le Vase de Sable, Un Endroit Discret se rapproche plus du roman social que du polar. A travers l'enquête d'un homme sur sa femme récemment décédée d'un infarctus, Matsumoto traque les failles et obsessions du Japon, faisant une peinture sociale à la fois humaine et cruelle de sa société. 

    Tsuneo Asai, fonctionnaire sérieux occupant un poste important au sein du Ministère de l'Agriculture, apprend lors d'une mission à Kobe que sa femme est brusquement morte d'une crise cardiaque. Tout en remplissant les formalités du deuil de ce drame si soudain, Tsuneo, qui savait sa femme fragile du cœur, ne peut s'empêcher de trouver les circonstances de sa mort suspectes et étranges. Il se rend compte qu'il ne connaissait rien de celle avec laquelle il s'était marié plutôt par conformisme que par amour et commence à traquer la vérité derrière cette mort, découvrant un autre visage de celle qui l'attendait les soirs à la maison. 

    Au travers de cette enquête individuelle fascinante, Matsumoto révèle à la fois les doutes de son personnage et l'étouffement d'une société. C'est l'obsessionnel souci des apparences qui est sans cesse mis en lumière, que ce soit à travers la vie intime et secrète de cette femme morte ou à travers l'enquête de son mari, qui tente de faire passer ses démarches inaperçues. Tsuneo tient à garder son image propre de fonctionnaire, même si la corruption est présente dans son métier, même s'il procure des filles à son supérieur, même s'il doit enquêter dans les maisons closes. Il n'hésite pas à emprunter un faux nom, déguiser ses véritables intentions pour chercher des indices sur sa femme. Par son enquête, il se remet en question, frôle la berge de la folie. Le style incisif et sec de Matsumoto parvient admirablement à nous faire partager les pensées complexes de son personnage, pensées antagonistes de culpabilité, hypocrisie, curiosité ou frayeur. 

    Un Endroit Discret désigne aussi la duplicité de l'épouse que les moyens mis en œuvre à la fin du récit par Tsuneo pour venger sa femme. Le titre, à la fois mystérieux et significatif, vise à révéler le caché sous l'apparence, chaque protagoniste cherchant cet « endroit discret » pour y enfouir ses pulsions, ses passions, ses haines, ses confessions. 

  • The Sky Crawlers

    Ce vide du ciel, ce vide existentiel 

    THE SKY CRAWLERS

    Un film de Mamoru Oshii

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    Sorti en 2008 (mais pas dans les salles lorraines, comme toujours...), The Sky Crawlers est le dernier film d'animation de Mamoru Oshii, qui a aussi réalisé les deux Ghost in the Shell. Adapté de la série de Hiroshi Mori, The Sky Crawlers, se situant dans un futur imaginaire, met en scène des enfants-pilotes destinés à ne jamais grandir et à servir le pays en participant à des batailles aériennes maintenant le front entre les patries ennemies.

     

    Enfants-soldats

    Ce film d'animation, en dépit des apparences, se débarrasse de toute facilité des scènes d'action, se concentrant sur la psychologie des personnages et les questions que soulèvent un tel thème. Il faut savoir que, dans le domaine de l'animation japonaise, la présence des enfants-soldats est fréquente. Osamu Tezuka le sous-entend bien à travers le personnage de robot d'Astro Boy, quasi-privé d'enfance du fait de l'héroïsme et de la perfection robotique. Et une majorité des séries animées privilégient des protagonistes jeunes, parfois projetés comme armes de guerre dans une bataille d'adultes, tels Gundam Seed ou Soukyuu no Fafner, ce dernier étant très efficace de par sa mélancolie. The Sky Crawlers rejoint cette thématique, Mamoru Oshii lui apposant son regard scrupuleux et dur.

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    Rythme

    Les temps d'action sont très rares, le quotidien se déroulant ostensiblement. Un nouveau venu arrive dans la caserne, mais il est pourtant accueilli dès le départ avec le minimum de forme qu'il soit, le déroulement des journées n'étant en rien perturbé. De même, lorsqu'un des cinq pilotes présents meurt au cours d'une mission, un autre vient le remplacer, adoptant les mêmes gestes que celui auquel il succède. Le rythme est ainsi lent, patient, répétitif. A cela s'allie une atmosphère mystérieuse, faite d'attente et de coups du hasard. The Sky Crawlers n’est pas si loin du quotidien des soldats durant les Guerres Mondiales, l'attente faisant songer à ce que décrivait Joseph Kessel dans nombreux de ses romans sur l'aviation (par exemple L'Equipage, un magnifique récit empreint d'humanité). Après une attaque aérienne, les carcasses des avions et des corps sont parfois introuvables pendant plusieurs jours, les pilotes étant soumis à vivre dans le même microcosme sans rien savoir de l'état de leurs coéquipiers.

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    Solitude, délaissement et mélancolie

    La solitude touche les protagonistes, les échanges étant rares et la pudeur permanente. Chacun suit ses activités, forçant peu l'autre à le suivre. Le héros se raccroche aux habitudes de son coéquipier pour s'intégrer, le suit dans l'unique bar des environs, passe ses nuits avec une de ses amies, emprunte sa moto. Les paysages sont peuplés par l'ennui, la platitude et le vide : de grandes campagnes désertées et traversées par des chemins de terre en ligne droite, où les maisons sont rares et le bar la seule attraction du coin. Dans ce creux quotidien, les enfants-pilotes trouvent un écho à leur vie dans le ciel, ce grand ciel vide et vaste dans lequel ils effectuent des figures, traquent les ennemis ou tentent d'y échapper. Nombreux considèrent leurs batailles non pas comme une nécessité mais comme un métier, comme une tâche les définissant, le ciel y étant peut-être le seul espace offert pour se trouver une place. Sur terre, la mélancolie les gagne. On fume doucement une cigarette, on boit pour oublier, on joue nonchalamment au bowling. Lorsqu'un des pilotes se fait traiter de gamin par son comportement délaissé, il répond « mais je suis un gamin ». Pourtant, il n'y a rien d'enfantin dans leurs actions, car ils tentent d'agir comme des adultes, par leur froideur et leur distance.

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    Psychologie et folie

    Enfin, The Sky Crawlers finit par atteindre le thème de la folie, et c'est sur ce point que le film de Mamoru Oshii se révèle le plus fascinant. Le trait figé et les teints pâles des personnages dessinés, la rigueur et le soin de l'animation en font un film latent, inquiétant. Parmi ce quotidien répétitif, ces gestes mis en valeur par l'animation – fumer une cigarette, survoler les airs, caresser le chien, goûter la tarte du bar, observer sans rien dire les autres – la peur de ne pas vieillir et d'en rester au même point finit par surgir. La sorte d'immortalité de ces enfants-pilotes n'est en rien présentée comme une facilité ou un atout, bien plus comme une faiblesse et une angoisse. Les protagonistes tentent d'y échapper par divers moyens : la présence d'un enfant, fille de la commandante ; la recherche de l'amour ; ou même la mort, certains étant prêts à se suicider, ou à se jeter dans le vide. Vide abyssal de la mort, dans le ciel, face à un ennemi invisible et impitoyable, prêt à exaucer la prière de ces enfants-pilotes condamnés à errer sur terre. The Sky Crawlersest ainsi un film profondément mélancolique, se faisant l'écho, avec patience et pudeur, du destin effroyable de ces personnages.

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  • Premier mois

    Un mois déjà et 250 visites pour ce premier blog, un début qui me fait plaisir et m'encourage à continuer à diffuser et faire partager ma passion pour le cinéma asiatique. Un cinéma si riche et multiple, entraînant sur tous les terrains, de la diversité des thèmes traités dans l'animation japonaise au cinéma populaire ou indépendant de Chine, en passant par les obsessions particulières de la Corée. Un cinéma pour lequel il faut parfois batailer pour voir arriver ses trésors sur les écrans français ou dans des DVDthèques souvent incomplètes et minimalistes. Mais un cinéma tout de même, avec ses valeurs, ses défauts, son exotisme et son originalité, parfois (et heureusement) son universalité... 

    Un grand merci à tous mes visiteurs de juillet et ceux qui m'ont laissé des commentaires. N'hésitez pas à faire savoir vos demandes et vos réactions face aux nouveaux articles !!

     

     

    A venir :

    Kiki la petite sorcière (Hayao Miyazaki)

    Paprika (Satoshi Kon)

    The Sky Crawlers (Mamoru Oshii)

    Coffret Stanley Kwan Partie 2 et 3

    Thirst (Park Chan-wook)

  • Stanley Kwan 1

    RETROSPECTIVE STANLEY KWAN – Partie 1

     

    kwan.jpgStanley Kwan est un réalisateur chinois s'étant fait remarquer durant les années 1990. Il tourne encore aujourd'hui quelques films, malheureusement difficilement trouvables. Stanley Kwan a notamment réalisé un film assez célèbre dans un certain cinéma indépendant de Chine, Lan Yu, histoire d'hommes à Pékin, qui fait parti de ces films fiévreux et intimiste parlant de l’homosexualité en Chine au même titre que Happy Together de Wong Kar-wai ou Nuits d'ivresse printanière de Lou Ye. Metropolitan Film Export vient tout juste de sortir un très beau coffret dédié à trois œuvres de Stanley Kwan, portées par de grands acteurs faisant leurs débuts, tels Maggie Cheung, Carina Lau, Tony Leung ou Leslie Cheung.

     

    Love Unto Wastes (1986) : Love Unto Wastes s'intéresse à une poignée de personnagesloveaff.jpg désoeuvrés, gaspillant le meilleur de leur temps dans des amours malheureux et de nombreuses beuveries insensées. A travers ce film à la fois maladroit et intense, Stanley Kwan exprime toute la frustration d'une certaine jeunesse, désabusée et peinant à maintenir ses illusions, en proie à une solitude terrible, tout en dressant un portrait d'une Chine aux multiples visages. Le héros principal, incarné par un Tony Leung tout jeunot, doit reprendre le commerce de riz de son père, enfermé dans une logique de succession familiale. Les femmes qu'il rencontre proviennent de Taïwan, venues à la recherche du luxe et de la vie urbaine rêvée dans les bars du soir et les karaokés, mais traînent leurs longues jambes avec désinvolture, lassitude. Ces personnages, dans un premier temps, gravitent les uns autour des autres, entre fêtes d'anniversaires, soirées, visites d'appartement. Stanley Kwan les filme avec cette distance discrète et cette observation respectueuse, ne jugeant pas leur paresse et mollesse, approchant quelques détails de l'intimité. La chanteuse de karaoké qui se retourne au milieu de sa chanson pour pleurer. Une autre qui évite la question « As-tu déjà avortée ». Une dernière qui se cache derrière ses lunettes de soleil pour esquiver les confrontations. Et Tony Leung qui observe ces femmes, les admire par leur désinvolture et leur humour, également attiré par les miroitements de leur appartement luxueux et leur mode de vie désintéressé.

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    Et soudain le drame jaillit. Avec violence et naturel à la fois. La jeune chanteuse se fait assassiner par un voleur. Et ce n'est pas tant la recherche du coupable qui construit le scénario. Stanley Kwan utilise cet argument, cette fausse piste pouvant nous faire douter de l'innocence des amis de la chanteuse dans cette assassinat pour révéler non seulement les failles de ses personnages, mais aussi introduire le protagoniste clé de l'inspecteur de police chargé de l'enquête. Interprété par un Chow Yun-fat excellent, ce rôle atypique dans la carrière du célèbre acteur est le plus nuancé de l'ensemble, cet inspecteur paumé introduisant une touche loveuntowastes.jpgd'humour dans le drame agissant et étant le catalyseur de toutes les frustrations. Chow Yun-fat fait des exercices de gymnastique en plein interrogatoire, revient sur les lieux du crime par curiosité et surprend une scène d'amour, imite Columbo et finit par échanger une soirée arrosée avec ceux qu'ils surveillent. Par lui, le spectateur s'introduit dans l'intimité de ces jeunes gens, dont les désirs affleurent, les angoisses se montrent, les lunettes craquent. A la fin, il ne reste plus que des regrets, des souffrances, des résidus d'avortement. Comme le personnage de Chow Yun-fat qui avoue avoir approché les jeunes gens juste pour les voir gaspiller leur vie, le spectateur a partagé ces Love Unto Wastes, ces amours déchus, ces vies consommées par le plaisir, incapables de retrouver le plaisir et leur place, brisées et délaissées. Le film dénonce cette solitude d'une certaine jeunesse, isolée dans la société, ne pouvant pas s'intégrer socialement et étant quasiment oubliée. Seul cet inspecteur de police, parce qu'il connaît d'autres souffrances depuis le départ de sa femme, s'intéresse à eux, se retrouve dans leur solitude. Les marginaux se retrouvent et si ce très beau film laisse une trace d'amertume et de regrets, il laisse percer à la fin la possibilité d'une amitié entre ces êtres désoeuvrés. 

  • Jiro Taniguchi

    RETOUR SUR JIRO TANIGUCHI

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    J'ai beaucoup parlé de mangas pour adolescents dans cette rubrique, et peu de ce qui se passait du côté des adultes. Il faut dire que le "seinen" s'exporte beaucoup moins que les mangas pour jeunes générations, étant donné que cette dernière est plus demandeuse que la génération adulte (qui a, du coup, et malheureusement, généralement une mauvaise perception des bandes dessinées japonaises). L'un des rares à s'être imposé dans le paysage français est l'illustre Jiro Taniguchi, révélé il y a quelques années déjà. Je me rappelle lire les premières oeuvres de Jiro Taniguchi vers 13 ans, à la même époque que le Poulet aux prunes de Marjane Satrapi (ils étaient tous deux les deux auteurs très en vogue à l'époque dans le rayon BD). L'auteur japonais est le seul (avec Osamu Tekuza, pilier dans l'histoire du manga, et à la limite Naoki Urasawa, l'auteur de Monster, 20th Century Boys ou récemment Pluto) à être totalement reconnu dans le domaine du manga et considéré comme un vrai artiste. Ce constat est malheureux, le manga étant souvent considéré comme un sous-genre, bardé de clichés d'un dessin à la va-vite, d'un trait grotesque et hyperbolique et d'une intrigue de divertissement. Si beaucoup n'échappent pas à ces caractéristiques (mais, après tout, l'hyperbole et la niaiserie existent aussi bien dans de nombreuses BD européennes !), certains mangas sont de vraies perles, capables de générer de multiples émotions et de captiver, dans sa logique de construction en chapitres, presque à l'image d'un roman-fleuve, les yeux et l'esprit avec intensité !

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    Bref, revenons au très grand Jiro Taniguchi, qui a heureusement contribué à l'ouverture au genre japonais. Pourquoi ce succès et cette reconnaissance ? Le fait est simple : les mangas de Jiro Taniguchi se distinguent par leur composition très occidentale et leur souci d'une narration très soutenue, littéraire et romancée. Le découpage est rigoureux, clair et limpide, les formats sont généralement plus grands que celui d'un manga traditionnel, et la précision du trait domine. les personnages de Jiro Taniguchi oscillent entre la rigueur anatomique de nos vieilles règles occidentales, et les caractéristiques faciales issues du style japonais (yeux larges, deux traits simples pour la bouche, droiture du nez, rondeur de la tête). D'où ce style, ce tracé si particulier, si naturellement agréable, universellement apprécié dans les oeuvres de Taniguchi. Celles-ci ont permis de changer une vision souvent fermée du manga, qui n'y voyait que l'agressivité des traits et du découpage, le grotesque des actions et du propos. Autre élément fondamental chez Taniguchi : le sens du décor et de l'espace. Chaque détail est étudié avec scrupule, rendu avec la finesse de la plume à l'image du travail d'un graveur ou d'un peintre d'estampes. Le Sommet des Dieux, passionnant ensemble sur l'ascension de l'Everest, en est l'exemple le plus probant : le rendu des chaînes de montagne et de la beauté fatale de ces sommets divins y sont sidérants, étourdissants. Ce manga, qu'il faut par ailleurs absolument découvrir, autant pour la finesse du travail pictural que pour l'humanité de son propos, reste l'une des meilleures créations de l'auteur, un bouleversant et long cheminement qui captivent le lecteur d'une page à l'autre.)

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    Une oeuvre de Taniguchi ne se lit pas comme un simple manga, mais véritablement comme un roman. Chaque page laisse le temps à la complexité de sa composition et à la densité d'un texte bien souvent issu d'une oeuvre littéraire. En cela, le travail est empreint d'une tranquilité zen proche de la pensée asiatique. les thèmes de la plupart des récits de Taniguchi concernent soit la famille, soit le cheminement individuel et spirituel : Quartier Lointain, Le journal de mon père ou Les années douces pour la famille, Le Sommet des Dieux, Seton ou Au temps de Botchan étant plus de grandes fresques s'attachant au rapport de l'homme à la vie, à l'immensité, à sa passion ou à son époque. Quartier Lointain reflète un questionnement proche d'Ozu à partir de cette trame simple : un homme, entre deux voyage d'affaires, connaît une pause atemporelle où il se retrouve rajeuni, dans la peau de lui-même à 14 ans, âge où son père avait quitté la maison. Avec subtilité, le récit, fluide et empreint de nostalgie, décrit l'évolution du comportement de cet homme, qui revit les choses de son enfance, réfléchit à ses regrets ou ses erreurs. Pas de dramatique introspection psychologisante, pas de mélodrame ni de violence, juste une paisible et cruelle observation du monde de l'enfance qui se délite progressivement, à l'image d'un film d'Ozu, dont Taniguchi reconnaît recevoir l'influence. Si son oeuvre se rapproche, par la forme, de la bande dessinée, voire de la littérature occidentales, les récits et la conception de l'humanité restent fidèles à une pensée asiatique : ostentation face au temps qui passe, recherche de l'harmonie, de l'équilibre, profonde spiritualité envers les objets, les paysages, les animaux et le passé. Une oeuvre de Taniguchi se lit de manière posée, paisible, car elle émane une douceur et une humanité profondément sensibles et touchantes. 

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  • Pandora Hearts

    PANDORA HEARTS – Jun Mochizuki 

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    Je voulais parler de ce manga depuis longtemps, d’autant plus que les premiers tomes sont maintenant enfin sortis en librairie (toujours ce paradoxe entre le succès croissant de la bande dessinée japonaise dans notre pays et une publication française rare). Pandora Hearts de Jun Mochizuki est une version revisitée du mythique Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Carroll, qui inspire également de nombreux autres mangas. Mais, et c’est ce qui fait le talent de cette série, l’auteure ne s’en tient pas à une vision moderne ou parodiée des figures du roman. Elle en utilise juste les codes pour mieux les assortir à son récit et à son propos, bien éloignés du questionnement d’Alice.

     Oz Vessalius est l'héritier de la famille Vessalius, l'une des familles appartenant aux quatre duchés. A 15 ans, il doit passer une cérémonie de passage à l'âge adulte. Un événement pendant cette cérémonie l'entrainera dans un monde sombre et confus : un monde parallèle connu sous le nom d'Abysse, sorte de Pays des Merveilles horrifique. Il y rencontrera Alice, figure tyrannique à la recherche de ses souvenirs perdus. Derrière cette rencontre, une foule d'événements et de personnages vont s'introduire peu à peu, tous connectés par les événements mystiques et à la recherche de la vérité.

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    A travers le merveilleux royal de Pandora Hearts se retrouvent des thèmes bien typiques à la culture japonaise, notamment la question du passé et de la mémoire, qui hante chaque protagoniste. Le récit brasse avec un certain lyrisme l’action aux réflexions psychologiques des héros, les intrigues politiques au mystère des souvenirs morcelés d’Alice. Un fort symbolisme romantique agit tout au long des chapitres, tels les topoï de la rose, de la montre à gousset, de la mélodie familière, des jardins secrets, des évanescentes du passé… L’atout de Pandora Hearts est son scénario jouant sur la fragmentation, à l’image de la mémoire morcelée et incomplète d’Alice. Le mystère s’épaissit et se complexifie au fur et à mesure des chapitres, les indices étant délivrés par fragments, suggestions, visions fugitives sur le papier. L’ambiance joue aussi une importance capitale dans cette histoire, bardée de romantisme, d’onirisme envoûtant. Le trait est gracile et élégant, le découpage aéré et agréable, à la fois dépouillé et voluptueux lors des scènes de souvenirs, ou torturé et angoissant lors des introspections intérieures.Paradoxalement, si le mystère s’étoffe au fil des chapitres, le lecteur reste accroché, et le suspense se fait plus prenant, tout agissant sur la suggestion ou le souvenir, donc entretenant un doute constant jusqu’à ménager de grands moments dé révélation flamboyant. Il est ainsi assez plaisant de lire ce manga qui, loin des actions survoltées et grotesques de certains autres, laisse sa place à l’imagination du lecteur, grâce à son lyrisme empli de mystère et d’intrigues.

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    Les personnages du manga s’avèrent assez bien nuancés, échappant à de nombreux lieux communs typiques des protagonistes de ce genre. Chacun se retrouvera en proie au doute selon les situations. Le personnage principal, Oz, jeune garçon volatile, gai comme un pinson ayant un certains sens de l’opportunisme, révélera sa solitude par la suite. Alice, figure féminine très forte et tyrannique, oscille en permanence entre son côté féroce et la beauté de sa franchise. Gil, serviteur d’Oz, verra sa dévotion à son maître remise en cause par tous les autres protagonistes. Sharon, figure de jeune fille passionnée, révèle une sagesse infinie. Break, undes personnages les plus populaires de la série au Japon, est une sorte de Chapelier Fou charmant et inquiétant, tentant de dominer les situations par son comportement cynique. Mais un autre personnage me semble le plus tragique et complexe, c'est celui, empreint d'héroïsme, d'Eliot Nightray, sorte d'incarnation nostalgique de certaines valeurs perdues comme l'honneur, la fierté du nom, le sens chevaleresque et de l'amitié. Ce personnage, dont l'apparition semble hasardeuse au début, se connecte progressivement à l'immense toile d'araignée qu'est l'intrigue de la tragédie de Sabrié (événement mystique et apocalyptique autour duquel planent tous les souvenirs disparus), et se retrouve précipité dans un destin tragique avec son serviteur Leo, par ailleurs lui aussi un personnage très ambivalent.  

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    Dans Pandora hearts, à l'instar de Nabari No Ou, l'ennui est rare, du fait de l'ambiance envoûtante, chaque page étant une délectation des yeux, les illustrations peintes de l'auteur étant particulièrement belles. Les personnages sont de plus tous attachants, car tous mystérieux et échappant aux habituels lieux communs des héros typés de nombreux mangas. Au fil des chapitres, la dimension tragique s'intensifie, et certains passages s'assimilent à une véritable catharsis visuelle. Jun Mochizuki réussit à imprimer visuellement, par des découpages parfois violents et un travail typographique brutalisé (mais loin de tomber dans le gore ou l'horrifique, c'est là toute la qualité de son oeuvre qui conserve en permanence une certaine élégance) la torpeur psychologique de ses personnages, souvent dans l'incompréhension face à l'immensité de ce qui les dépasse. Difficile de comprendre, dans ces passages, quel est le véritable objet de leur peur, le mystère confinant parfois jusqu'à l'abstraction, et pourtant, l'impression s'en retrouve fortifiée et intensifiée, déchirante et troublante. 

    Pandora Hearts fut adapté en anime de 25 épisodes et n'échappe pas à cette règle cruelle de la déception, la série peinant à restituer la force de l'oeuvre originale, surtout en raison de la mollesse de l'animation. Reste l'atmosphère, assez bien rendue grâce à une très bonne bande originale, et le casting de voix, toujours excellent au Japon (notamment Akira Ishida, qui interprète le personnage du Chapelier Fou, un doubleur très populaire à la voix exquise). 

    Pandora Hearts de Jun Mochizuki fait parti, à mon sens, avec Nabari No Ou, des meilleurs mangas dans le paysage adolescent actuel. Le talent de la jeune auteure ne cesse d'évoluer au fil des tomes (14 en ce moment sont déjà parus au japon, mais le final semble s'approcher), qui amènent à des sommets d'émotion et de tension. Une première série très prometteuse, par sa sincérité et son style affirmé.

  • Running Out of Time - Mad Detective

    RUNNING OUT OF TIME (1999) et MAD DETECTIVE (2008)

    Deux films de Johnnie To

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    Bien représentatifs de l'efficacité du maître hong-kongais, Running out of Time (1999) et Mad Detective (2008, co-réalisé avec Wai Ka Fay) pourraient être des chefs d'oeuvre s'il n'y manquait pas un petit quelque chose qui les amèneraient au même rang que l'époustouflant Exilé, à ce jour l'un des meilleurs films de Johnny To, et pourtant l'un des plus méconnus. Ils incarnent cependant tous deux la fantaisie violente du cinéma du réalisateur, combinant un scénario haletant, s'amusant à suivre tout autant à démonter les codes du genre et de conserver un rythme effréné, et un souci de mettre en situation des personnages à demi-fous. Ces deux films confirment une certaine efficacité dans le style, bien loin de la vision politico-guerrière mise en oeuvre dans le dyptique d'Election, insoutenable et étouffant. 

    L'une des raisons de la réunion de ces films dans cette critique est son acteur commun, le génial Lau Ching-wan. n'hésitant pas à frôler l'autodérision, notamment pour le protagoniste de Mad Detective, l'acteur se retrouve face à deux rôles très différents. Dans l'un, il incarne le pilier fondateur de l'intrigue, sa vision s'accordant au champ de la caméra, brouillant la frontière entre réalité et subjectivité gagnée par la folie et la paranoïa, ce qui en constitue un caractère tragiquement désuet. Dans l'autre, il soutient le personnage incarné par Andrew Lau (le futur mafieux infiltré dans la police et co-réalisateur d'Infernal Affairs), se prêtant à un rôle plus léger, dans le but d'organiser un jeu complice avec son partenaire, atteint d'un cancer en phase terminale. Pourtant, là où Running Out of Time pouvait se prêter aisément au mélodrame obscur, le film se révèle léger et dynamique, jouant sur l'antagonisme de ses deux personnages. 

    Le thème de l'affrontement final et massif se retrouve ainsi dans Running Out of time, à travers la confrontation entre les deux acteurs, l'un marqué par la tragédie, l'autre par la joie de vivre. Leurs visages mêmes s'opposent : Lau Ching-wa est d'un physique volontiers bonhomme et sympathique, tandis que la beauté efféminée et encore jeune de Andrew Lau le pose comme quelqu'un de fragile. Cependant, là où l'on aurait pu attendre dans cette course-poursuite   que le plus dynamique soit le chat, l'inverse se produit : c'est la malade qui se révèle le plus redoutable et machiavélique, n'hésitant pas à piéger son adversaire, qui prend un certain plaisir à jouer les complices de sa propre destruction. Le héros de Johnnie To sont toujours si curieux qu'ils n'hésitent pas à se lancer dans l'inconnu et dans le risque. Ainsi, si Running Out of Time imprime le thème de la confrontation, Mad Detective concerne plus un duel introspectif. L'ancien inspecteur incarné par un Lau Ching-wa bien plus dramatique, s'enfonce dans sa propre folie pour lever le voile sur la mystère des autres. 

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    Le double joue ainsi un rôle majeur dans Mad Detective, alors que c'est le temps qui marque Running Out of Time. Johnnie To se plaît à utiliser des caractéristiques psychologique sou de concepts abstraits pour les incarner en permanence dans sa mise en scène et dans la construction dramatique du récit.  Dans l'un, le détective voit les 7 personnalités du suspect, créées grâce à un artifice classique de montage (le raccord-regard sur l'homme surveillé sifflant un air/puis sur le détective l'observant hors-champ/pour découvrir, dans un troisième plan, 7 nouvelles personnes continuant de siffler le même air à la place du suspect), dans l'autre, la bombe est à la fois une menace et un moyen d'égrener le temps qu'il reste au malade. les idées de mise en scène se multiplient, les films jouant ou déjouant les attentes, utilisant jusqu'au bout les possibilités ouvertes par le thème. Le final de Mad Detective est ainsi flamboyant, et ce, malgré une présence convenue des miroirs dans ce drame psychologique : tous reflètent à la fois la réalité, la folie, la subjectivité du personnage, et éclatent au rythme des balles et des révélations. Quant à Running Out of Time, ses bombes n'explosent jamais, contre toute attente, tout moyen est bon pour s'infiltre dans la course : les pas claquent dans les escaliers, certains rampent dans les conduits d'aération, les voitures se bousculent, et les deux ennemis finissent par  se retrouver coincés l'un contre l'autre entre deux portières lors d'un échange de tirs intensif.

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    Les personnages restent empreints d'un soupçon de fantaisie, ce qui rajoute du charme à ces deux films et les distingue d'un banal film d'action. Dans Running Out of Time, Lau Ching-wa est un négociateur volatile et nonchalant, sorte de Patrick Jane attendri par ses subordonnés et mesquin envers son supérieur ridicule. Il faut aussi compter sur la présence de Suet Lam dans ce film, un second rôle très récurrent chez Johnnie To, notamment parce qu'il comporte ce faciès mémorable du lourdaud patibulaire, ce que l'acteur joue avec une belle efficacité. Quant à Andrew Lau, si son interprétation a moins de densité que dans Infernal Affairs (notamment en raison de son plus jeune âge), les belles scènes de complicité mises en oeuvre avec Lau Ching-wa permettent de relever son niveau. Lau Ching-wa, immense acteur qui s'illustre dans les deux films, incarne ainsi le personnage fou de Mad Detective, un homme prêt à subir toutes les épreuves pour ressentir physiquement les détails de l'enquête, comme se faire jeter enfermé dans une valise depuis le haut d'un escalier, ou s'enterrer pendant toute une nuit sous la terre. Ce personnage représente bien l'humour noir et morbide qui s'imprime dans les films de Johnnie To, qu'ils soient légers ou violents. L'homme offre une oreille en guise de cadeau d'adieu à son supérieur qui prend sa retraite, toujours balancé entre le sérieux du sacrifice et l'absurdité des gestes de mutilation. Si ces deux films offrent leur lot de personnages incongrus, il y manque cependant un adversaire excentrique et à la hauteur des héros. Il n'y a par exemple pas de folie joviale comme celle déployée par le mafieux incarné par Simon Yam (assurément l'un des meilleurs interprètes de méchants dans le cinéma d'action d'aujourd'hui) dans Exilé ou Vengeance. Les ennemis à contrecarrer restent malheureusement en-deçà de la mise en scène et des interprètes principaux. 

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    Les deux films s'aventurent de plus sur le chemin de l'urbanité et de la nuit. La ville nocturne est toujours primordiale dans la filmographie de Johnny To, que ce soient les environs d'Hong-Kong ou de Macao. Un des films les plus connus du cinéaste imprime très bien cette passion : PTU, suivant les circonvolutions de divers protagonistes durant toute une nuit dans les rues. Les personnages errent au milieu des avenues désertes, les paysages étant proches des landes d'un western par leur désolation, leur mystère amenant les êtres à se méfier des alentours ou d'eux-mêmes. C'est souvent dans une rue déserte que les hommes se retrouvent face à la solitude et au drame dans Johnnie To, et les deux films n'échappent pas à la règle.  

    Enfin, si le cinéma de To s'impose comme marqué par sa masculinité, la femme n'en est pas pour autant écartée et y joue toujours un rôle primordial, souvent tendre ou déclencheur (hé oui, si la rédactrice de cette critique n'est pas insensible au charme des comédiens masculins des films de Johnny To, elle ne soutiendra jamais un film qui ne défend pas la femme d'une manière ou d'une autre). Dans Running out of time, le personnage féminin est de passage et s'avère la seule esquisse d'une jolie intrigue sentimentale avec le malade poursuivi par la police. Dans Mad Detective, il acquiert une importance capitale dans la folie du personnage : la femme interprétée par Kelly Lin s'avère une chimère, un souvenir désiré et construit d'après les photographies, que l'homme soumet aux autres qui jouent le jeu en acceptant son existence fantôme. le film crée ainsi une belle parabole sur l'amour perdu et désiré, sur la permanence d'une image fantasmée mais irréelle. 

    Moins intensifs ou flamboyants par rapport à Exilé ou Election, ces deux films de Johnny To s'avèrent cependant excellents par leur sens du rythme, leur habile scénario combiné à une mise en scène toujours en recherche d'originalité et de trouvailles, et surtout leurs interprètes fascinants.