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  • Le vase de sable

    LE VASE DE SABLE (1974)

    Un film de Yoshitaro Nomura

     

    vaseaff.jpgAdapté du roman éponyme de Seicho Matsumoto, Le Vase de Sable est réalisé par un ancien assistant réalisateur d'Akira Kurosawa, Yoshitaro Nomura. Le film pourrait se scinder en deux parties, deux partis pris différents qui donnent néanmoins une cohérence au film et en font une adaptation satisfaisante, mais pouvant néanmoins être controversée.

     

    Dans un premier temps, Nomura reste fidèle au style et aux thématiques développée par le roman policier de Matsumoto. La sécheresse et l'exactitude scientifique de l'écrivain japonais se retrouve dans un rythme scandant les différentes étapes du récit, les diverses déceptions des inspecteurs ou les rebondissements de l'affaire, gravitant autour de ce mystérieux « Kaméda » prononcé avec l'accent du Nord par une victime anonyme, seul indice au départ. Chaque moment ou lieu est présenté par le biais d'un sous-titrage sec en exact écho à la rigueur de Matsumoto et de son héros l'inspecteur Imashini. Nomura respecte bien la forte importance des repères géographiques dans le film, l'inspecteur arpentant diverses contrées rurales du Japon pour retrouver la vérité, arpentant les campagnes et les vallées, rencontrant les paysans et les familles vivant dans la misère, à des lieux d'un Tokyo surpeuplé. En cela, Le Vase de Sable incarne bien tout le long cheminement dans ces paysages, tourné dans des conditions naturelles, les plans étant souvent traversés par le train, liaison entre tous les éléments (le cadavre est retrouvé près des rails, la chemise tâché du sang du meurtrier est jetée par la fenêtre d'un train). C'est bien souvent le passage d'un train dans le cadre qui permet d'aboutir aux vrais coupables, au personnage de l'inspecteur, aux témoins importants.

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    Mais, et c'est là que l'adaptation montre à la fois son intelligence mais aussi ses limites, Le Vase de Sable se détache dans une seconde partie de la sécheresse et du regard pertinent et réaliste de Seicho Matsumoto. L'ouverture musicale annonce ce brusque revirement de parti pris, qui s'effectue lors de la résolution de l'enquête : sur les premières images du générique, un enfant seul au bord de la plage construit patiemment des vases de sable creusés avec l'eau de la mer. Ces quelques plans sont oniriques, se déroulant au coucher de soleil avec l'ombre de l'enfant qui s'agite face à la mer, portés par un orchestre volontiers lyrique. Nomura fait ainsi tout d'abord le choix d'illustrer le titre (dont la signification restait mystérieuse dans le roman), s'attachant au personnage de l'enfant qui sera plus tard le double du meurtrier jeune. L'explication de l'enquête se trouve en effet dans l'enfance du coupable. Dans un montage final alternant ce passé lourd et le concert que donne le coupable, un jeune compositeur, Nomura affirme un sentimentalisme inattendu et rattrape en quelque sorte le meurtrier.

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    Les partis pris sur ce final échappent à la veine réaliste de base : le compositeur, qui fait de la musique concrète hautement controversée dans le roman, devient un jeune prodige en vogue dans la musique classique dans le film. Toute une partie déploie ensuite des tableaux musicaux trouvant ses racines dans les peintures japonaises, dans la représentation des paysages ruraux et désertés, des saisons printanières florissantes et de toute beauté ou de l'hiver rude et pâle. Le thème de l'enfant meurtri et incompris, vagabond et fuyard, y lourdement insisté. Si le montage entre le concert et le passé s'avère impressionnant et intense, il est dommage qu'il dessert un propos appuyé et versant dans le sentimental, faisant même tirer des larmes à l'inspecteur en charge de l'enquête. Une telle intention semble totalement décharger le coupable de son acte et faire oublier l'importance qu'a joué le protagoniste féminin de Rié, victime s'étant sacrifiée naïvement pour l'homme qu'elle aimait. A cette adaptation, on peut ainsi préférer le regard juste de Seicho Matsumoto qui, plutôt de mélodramatiser le meurtre, révélait les angoisses de sa société à travers son coupable. 

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    A VENIR :

    Paprika (Satoshi Kon) – The Sky Crawlers (Mamoru Oshii)

    Thirst (Park Chan-wook)

  • The Secret Reunion

    Heureusement que Song Kang-ho existe...

    THE SECRET REUNION

    Un film de Jang Hun

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    Le fameux leurre d'une affiche aux allures de thriller intense...

    N'étant pas sorti dans nos salles provinciales (ce qui est loin d'être une faute...) mais juste trouvable en DVD, The Secret Reunion ne sert qu'à prouver une seule chose aux (télé)spectateurs : combien certaines stars et acteurs de cinéma peuvent sauver de justesse des (télé)films. J'emploie volontairement les parenthèses pour signifier toute la vacuité de The Secret Reunion, sur lequel il y eut une forte campagne médiatique avant sa sortie en Corée, notamment à case de la présence de ses deux acteurs principaux.

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    La bande-annonce sur Internet annonçait pourtant un film d'action à la Infernal Affairs sauce coréenne, avec le fameux jeu de chat et de souris, la confrontation entre deux grandes figures antagonistes (la bonhomie rigolarde de Song Kang-ho contre la retenue rigide de Kang Dong Won), l'espace urbain ou rural – puisque les paysages campagnards isolés jouent toujours un rôle dans les films coréens) – comme terrains de chasse. C'est le cas sur la courte première partie de The Secret Reunion où, à grands renforts de caméras survoltées, de foules en délire, le policier Song Kang-ho poursuit sur l'autoroute un espion nord-coréen. On a droit à une démonstration épique des capacités physiques de Song Kang-ho, où l'acteur grimace, peste, se précipite avec rage au volant de son véhicule.

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    Et puis... Comme si cette première séquence d'action avait mobilisé tout le budget du film, le reste n'est rien. L'action s'essouffle en quelques scènes, se limitant à une basse comédie de caractère, où l'ancien policier, vivant minablement d'un boulot frauduleux, se voit forcé de cohabiter avec son ancienne proie. Le reste se règle à l'aide d'une vague histoire d'amitié improbable (le grincheux Song Kang-ho révèle son cœur d'or et réussit à percer la carapace du sinistre Kang Dong Won) mêlée à une intrigue politique à peine ébauchée... Les tensions entre le Nord et le Sud de la Corée sont sensées ressurgir dans ce film et pourtant elles sont loin d'être traitées subtilement, passant par un classique schéma de jeu d'oppositions. A tout cela, une réalisation des plus conventionnelles...

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    Le seul intérêt du film reste Song Kang-ho qui, face à la vacuité de son personnage, donne tout ce qu'il peut de grimaces, de pirouettes, incarnant le lourdaud de service tel qu'il sait toujours bien le faire. Il n'y a qu'à le constater : dans la bande-annonce de film, il occupe toute la place, unique élément dynamique de l'ensemble, arrivant à tirer un peu vers le haut son partenaire Kang Dong Won et conservant le film au bord du gouffre de l'ennui...

  • Omoide Poroporo

    Retour à la Terre

    OMOIDE POROPORO (SOUVENIRS GOUTTE A GOUTTE) – Isao Takahata

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    Merci à Louise pour le DVD !

    Souvenirs goutte à goutte est un film d'animation sorti le 20 juillet 1991 (il y a donc exactement 20 ans!) et heureusement disponible en DVD actuellement. Le film d'Isao Takahata permet de réaffirmer les valeurs du cinéma des studios Ghibli, posé dans sa narration et le choix de ses thèmes, plus tourné vers le public adolescent et adulte pour livrer une leçon de sagesse et de poésie.

    Histoire d'une jeune adulte

    Taeko atteint la trentaine, est toujours célibataire au grand dam de sa mère, et suit la routine deomotrain.jpg son travail dans de quelconques bureaux à Tokyo. Lorsqu'elle demande un congé pour passer des vacances à la campagne, la jeune femme posé et tranquille de Tokyo se transforme en une travailleuse dynamique et enthousiaste, aidant aux récoltes des fleurs de carthame, dont les pigments rouges sont utilisés par les teinturiers. C'est au cours de ces vacances paysannes que ses souvenirs d'enfance vont se manifester, d'abord par petites touches, puis de manière suffisamment fréquentes pour que la jeune femme ait envie de les raconter. Postulat assez simple, mais qui révèle bien des choses sur une jeune adulte. Là où le thème du souvenir est attendu avec des protagonistes âgés revenant sur les étapes de leur vie, c'est ici à travers une jeune femme que s'entame le processus de remémoration.

    Retour à l'enfance

    omofamille.jpgLe trait est posé et harmonieux, l'ensemble ressemble à un film d'Ozu, avec son sens de la famille et sa nostalgie de l'image. Le film s'articule sur une série de scènes de l'enfance de Taiko, et l'influence d'Ozu se fait le plus sentir sur ces scènes : cadrage au niveau des tatamis et des personnages agenouillés, plans de groupe, même pudeur et simplicité des sentiments. Le film est marqué par une très grande justesse, saisit les moments de joies, de tristesse ou de tension avec une véritable retenue. Cette justesse permet la portée universelle des scènes décrites, malgré le contexte et les intérieurs japonais : la déception après l'ouverture d'un ananas, fruit rare à l'époque ; les disputes avec la grande sœur ; les illusions de carrière d'actrice après avoir joué dans une pièce à l'école ; l'arrivée des premières règles ; et bien évidemmentomoshojo.jpg les premières amours... Mais Souvenirs goutte-à-goutte, par son système de fragmentation, obéit à un rythme posé et maîtrisé, donnant à ces scènes le naturel et l'émotion nécessaires pour éviter tout effet de lourdeur ou de stéréotype. De plus, on retrouve dans ces scènes toute une culture de l'époque : le style inachevé et pâle donne l'impression de voir un vieux dessin animé japonais, certains visages de Taeko enfant revêtissent même parfois le large regard naïf des personnages féminins des shojo de l'époque. De multiples références à des émissions, groupes musicaux de l'époque parsèment en outre les scènes nostalgiques.

    Retour à la terre

    omocampagnevr.jpgEnfin, les souvenirs sont mis en parallèle avec les vacances de Taiko à la campagne. Une large part est ainsi consacrée, en contraste avec le cocon de la maison d'enfance et de l'école, aux paysages naturels et à l'essence purifiante de la campagne. Alors que les souvenirs apparaissent dans un trait léger et des couleurs presque pastels et claires, la partie du présent est plus verdoyante, prononcée dans le style et les choix d'atmosphère. Le film revendique l'ostentation et la modestie des vies des paysans, et laisse sa place à l'harmonie des lieux et des sons. Des chants hongrois résonnent dans la montagne, le rouge des carthames s'imprime à l'écran. Le calme et la douceur de cette campagne mènent Taeko à la réflexion, la rêverie, le souvenir, ses pensées d'enfance reflétant au final les seules fortes émotions qu'elle a pu éprouver dans sa vie. Le retour à l'ensemble va de pair avec un retour aux sources, à la terre natale, à la terre du bonheur et de la vraie vie. Si Taeko commence à se souvenir dans un train, merveilleuse symbolique qu'on peut retrouver dans tous types de films, elle refuse au final de voyager dans le train du retour, préférant prendre ses valises, descendre de la voie toute tracée vers Tokyo, et de revenir à la terre qui lui plaît. 

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  • Entretien Kim Jee-woon

    N°605 de Positif – Juillet-Août 2011

    Entretien de Kim Jee-woon

     

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    Lee Byung-hun dans J'ai rencontré le diable de Kim Jee-woon

    Si la revue Positif avait accumulé un retard considérable pour l'envoi de numéro de juin à ses abonnés, elle rattrapa le coche avec le fameux numéro-double de l'été, très complet et à l'heure. Sous l'égide d'un Claude Chabrol rigolard en guise de couverture (le dossier sur le cinéaste y est d'ailleurs une mine d'entretiens et d'articles), Positif consacre un entretien à Kim Jee-woon, l'un des réalisateurs les plus populaires en Corée, à propos de son dernier film, J'ai rencontré le diable, triplement primé au festival de Gérardmer.

    Dans cet entretien, Kim Jee-woon y parle de sa vision de la violence, de son compatriote Park Chan-wook, de ses précédents films et surtout de ses acteurs ! Ces deux derniers points sont les plus intéressants, car ils reflètent le goût du cinéaste pour le mélange des genres, le jeu des extrêmes, tout en donnant une bonne vision d'un certain cinéma coréen qui obtient de plus en plus de succès dans son pays et dans les pays étrangers. En outre, Kim jee-woon parle de certains acteurs incontournables, Choi Min-sik (l'acteur d'Old Boy de Park Chan-wook), Lee Byung-hun et Song Kang-ho. Le cinéaste parle d'ailleurs de l'ascension de ce dernier avec The Foul King, l'un de ses films improbables sur une vedette du catch, un film qui, selon lui, n'aurait pas eu le succès escompté sans la présence de l'acteur. The Foul King aurait de plus prouvé qu'un succès au box-office était possible en Corée grâce à la présence d'une star, événement assez rare à l'époque dans l’industrie cinématographique du pays. L'occasion de souligner l'importance que joue Song Kang-ho au sein du cinéma actuel, puisqu’il est le seul à avoir tourné sous la direction des plus célèbres cinéastes coréens du moment, à savoir : Kim Jee-Woon (The Foul King, Le Bon, la Brute et le Cinglé) ; Park Chan-wook (JSA, Sympathy for mr Vengeance, Thirst) ; Bong Joon-ho (Memories of murder, The Host) ; et même l'illustre Lee Chang-dong (Green Fish, Secret Sunshine) !

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    Song Kang-ho dans The Foul King de Kim Jee-woon

     

    A noter : l'acteur Lee Byung-hun viendra notamment en France pour un fan meeting à Paris durant avril 2012, lors d'une rencontre organisée par l'association Cooleurasia. Voici le lien Facebook de l'événement : http://www.facebook.com/event.php?eid=104658226290612

    ainsi que l'adresse du site de l'association : http://cooleurasia.com/

     

     

     

  • Le Vase de sable

    LE VASE DE SABLE

    Un roman de Seicho Matsumoto

     

    vase_sable.jpgSeicho Matsumoto est un romancier japonais de la seconde moitié du 20ème siècle, réputé dans le domaine du policier comme étant le « Simenon japonais ». Cette appellation m'a poussée à m'intéresser à cet écrivain, étant une adepte de Simenon. Le Vase de Sable est l'une des enquêtes les plus célèbres de l'inspecteur Imanishi, le héros de Matsumoto, et fut adapté par le cinéaste Yoshitaro Nomura en 1974.

     

    L'inspecteur s'y retrouve confronté à l'assassinat violent d'un sexagénaire retrouvé dans une gare, ne disposant que d'un vague témoignage et d'une absence d'identification du cadavre. Cette maigreur au niveau des indices marque le style de Matsumoto et justifie son appellation de « Simenon japonais ». Dans les régions rurales et isolées du Japon, l'inspecteur et son adjoint doivent effectuer un véritable travail de minutie et de patience, seuls face au mystère des événements et de leur complexe imbrication. Tout comme Maigret, Imanishi est un homme simple, concret et précis, préférant voir les choses par lui-même plutôt que d'en déléguer à ses subordonnés. Le roman est ainsi et d'abord une formidable traversée géographique dans le pays. Imanishi passe une journée entière à scruter les bords de la voie ferrée dans l'espoir d'y trouver un indice, lit le journal, écoute tout témoignage, n'hésite pas à se documenter longuement dans les archives ou les dictionnaires. Il se rend dans les villages isolés et interroge des familles pauvres.

     

    La critique sociale est aussi fortement présente dans ce roman policier, en lien directe avec la résolution de l'enquête. Le motif du coupable démontre le lent cheminement qu'il a dû parcourir pour arriver à ce meurtre, plutôt expliqué par la pression sociale et la rupture entre les différentes classes et milieux que par une habituelle explication psychologique. C'est la sociologie et l'étude de moeurs qui tissent plus le propos de l'enquête chez Matsumoto.

     

    Le style est simple, le rythme très posé, laissant le temps aux événements et nous faisant vivre de manière très réaliste la lenteur de l'enquête. Nous ne sommes pas loin du style latent et observateur d'un Simenon. Un roman policier agréable et posé, refusant tout sens du suspense et menant plus à la réflexion. 

  • Sympathy for mr vengeance

    SYMPATHY FOR MR VENGEANCE (2002)

    Un film de Park Chan-Wook

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    Premier volet de la trilogie de la vengeance avec Old Boy et plus tard Lady Vengeance, Sympathy for Mr Vengeance est le second film que je découvre du cinéaste après JSA, film-enquête ayant comme toile de fond les relations nord- et sud-coréennes au niveau de la zone de sécurité, un film par ailleurs assez juste qui valait le coup d'oeil pour son engagement et la qualité de ses interprétations (Song Kang-ho et Lee Byung-hun y forment un tandem bien plus intéressant que celui du Cinglé et de la Brute dans le film de Kim Jee-woon).

     

    Incarnation de la violence

    Sympathy for Mr Vengeance est un film âpre, véritable cauchemar autant au niveau de la forme que du fond. Il confirme le talent que déploie un certain cinéma coréen dans la mise en scène et la démonstration de la violence, celle-ci venant s'imprimer dans chaque plan et s'appuyant sur la très forte capacité de suggestion des images et du son. Des films comme The Chaser (Na Hong-jin), Memories of Murder et Mother (Bong Joon-ho), voire les deux succès du festival de Gérardmer 2011 (Bedevilled de Jang Cheol-soo et I saw the devil de Kim Jee-woon) s'ancrent dans cette optique, Park Chan-wook en étant le chef de file.

     

    De la vision extrêmement dure du film, il faut en retenir la brillante mise en scène, imbibée de cette violence âpre et nauséeuse, ainsi qu'un scénario précipitant ses personnages dans la fatale spirale de la vengeance. Le récit se scinde en deux parties : la première agissant comme la cause, centrée sur le personnage du sourd-muet, expliquant la succession malheureuse de hasards menant à la mort de la petite fille ; la seconde étant la conséquence, bien moins supportable (du moins sur le plan physique) que le premier temps, et sublimant l'implacable mécanique de la vengeance du père. Elliptique et peu bavard, Sympathy for Mr Vengeance incarne la violence par trois points : l'observation clinique ; le phénomène de distance et de jeu avec l'arrière-plan ; le travail de suggestion, notamment par le son et l'hors-champ.

     

    Ostentation de la souffrance

    L'idée de l'observation est assez difficile à expliquer et pourtant, elle empreint de nombreuxvengeancecorps.jpg films coréens, à commencer par Poetry de Lee Chang-dong. L'esprit asiatique et sa conception cyclique du temps fait que le cinéma y empreint de bien plus d'ostentation que le cinéma occidental. La caméra saisit, de manière très posée et sincère, les événements, frontale par rapport aux lieux et aux personnages. Cette observation est quasi-clinique par moments, comme lors du réveil du sourd-muet après le vol de son rein par le trafiquants d'organes. Dans un travelling arrière tremblotant, la caméra s'assimile aux soubresauts du corps nu recroquevillé sur le sol du parking désert, laissant place peu à peu, par ce mouvement, à la souffrance du personnage, brutalement disséqué et abandonné comme une vulgaire poupée usée.

     

    Distance

    Loin des montages survoltés du cinéma américain, qui privilégie la proximité de la caméra avec les corps, la fusion avec l'action et la souffrance, le film préfère la distance et vengeancetrio.jpgl'éloignement face aux événements violents. Les plans sont souvent fixes et larges, embrassant toute une action et créant l'horrifique par cette distance imposée et cette fixité qui oblige à regarder en face les événements, sans pouvoir agir ou interagir. Par exemple, un employé s'tant fait licencier se mutile devant la voiture du personnage joué par Song Kang-ho, en pleine rue. On se regarde, on observe l'homme crier, puis se mutiler : totale rigidité des corps et des visages, figés entre le dégoût extrême et l'insensibilité. Le contraste entre l'ampleur de la violence et la rigidité de la mise en scène accentue ainsi la cruauté du propos et nous renvoie à une certaine condition ambiguë de spectateur. Park Chan-wook continuera notamment d'explorer ce phénomène de distance à travers Thirst, son dernier film.

     

    Travail de suggestion

    Un formidable travail de mise en scène et de montage est effectué sur le hors-champ sonore etvengeancelegiste.jpg visuel. Le meilleur exemple reste la séquence insupportable de la noyade de la petite fille, l'ellipse étant faite sur sa chute dans l'eau. Il se joue aussi une rupture avec la vision du personnage principal, ce sourd-muet qui reste indifférent face aux cris de la petite, alors que le spectateur peut entendre, s'imaginer le drame, a une longueur d'avance sur lui. Une même utilisation du son et des bruitages, qui prolonge l'imagination du spectateur et renforce la vengeancenoyade.jpgviolence, est présente lors des séquences où le personnage de Song Kang-ho, aveuglé par sa soif de vengeance, s'inflige des séances d'observation dans les salles d’opérations des médecins légistes. La suggestion agit aussi au niveau de la mise en scène et de l'agencement des différents plans à l'image. Park Chan-wook laisse sa place aux zones sombres de l'image, sème le doute quant aux actions effectuées pour la vengeance : l'eau, tout comme les pierres au bord du lac, les sacs en plastique et les vêtements cachent les blessures et les souffrances mais laissent imaginer le pire sous ce qui cache.

     

    Les psychoses de la société coréenne

    Enfin, Sympathy for Mr Vengeance brasse les grandes psychoses de la société coréenne, psychoses qui jalonnent aussi des films comme Mother ou The Chaser, voire même le cinéma de Lee Chang-dong. La distance, la retenue excessive d'une société étouffant les plaintesveangeanceindiff.jpg rendent les protagonistes insensibles. La jeune fille amoureuse du sourd-muet parle ainsi de l'enlèvement de la petite fille comme d'un quelconque sujet. Les personnages sont désintéressés, finissent par acquérir toute distance avec tout ce qui les entoure, car ils se retrouvent laissés à l'abandon, vivant dans la misère. Cette vengeance pointe en outre un choc social avec le contraste entre le personnage du père de la petite, riche et manipulateur, et celui du sourd-muet, miséreux et quasi-autiste. Dans cette société dépeinte, la violence s'infiltre partout, l'argent étant souvent le déclencheur de toute cette violence et cruauté. Le trafic d'organes règne, et, dans ce milieu dévasté et déshumanisant, la vengeance s'infiltre sans grande difficulté. Dans ses films, Park Chan-wook arrive toujours à saisir l'insécurité et le désœuvrement, laissant ses personnages livrés à eux-mêmes, abandonnant les dialogues pour donner aux gestes une plus grande violence et cruauté.

     

    vengeancefin.jpgEnfin, il faut souligner les formidables interprétations de ce film. Si le cinéma de Park Chan-wook, si ciselé et maîtrisé soit-il, m'horrifie à chaque vision de ses films, on ne peut lui nier son talent pour la direction d'acteurs. Tout comme pour JSA ou Thirst, il y déploie son sens du trio, avec deux hommes et une femme. Le sourd-muet est interprété par Shin Ha-Kyun, un acteur fidèle qui jouait un second rôle dans JSA, et surtout le frère malade de Thirst, acteur dont la physionomie fragile sert toujours des personnages maladifs et nauséeux. Donna Bae, autre grand actrice qu'on retrouve dans The Host ou dans le rôle de la Air Doll de Kore-eda, sidère par sa nonchalance inquiétante. Et enfin Song Kang-ho, toujours aussi excellent, fait preuve d'une grande sobriété dans ce rôle de père incontrôlable, sobriété dramatique qu'il approfondira dans son rôle de prêtre avec Thirst

  • Nasu - Un été andalou

    NASU - UN ETE ANDALOU

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    Comment obtenir la meilleure combinaison cosmopolite dans un film ? Nasu remplit aisément cette condition, étant, sous l'égide des studios Madhouse, le premier film d'animation consacré au cyclisme, ce sport bien occidental, et se déroulant en Andalousie, le tout marqué par une réalisation japonaise. Oui, bien avant nos françaises Triplettes de Belleville (Sylvain Chomet), les célèbres studios japonais avaient déjà créé un film d'animation consacré au vélo et à son esprit compétitif forcené.

    Durant un peu plus d'une heure, le film est présenté sur la jaquette comme une collaboration studios Ghibli-Madhouse productions, Hayao Miyazaki faisant figure d'être l'initiateur de ce projet. Affirmation un peu poussée de la part de l'éditeur DVD, les studios Ghibli n'étant pas présents dans le générique final... On reconnaît au contraire plutôt la patte des studios Madhouse à travers le choix de personnages déjà adultes, et d'un graphisme plutôt décapant qu'allant dans le sens de l'harmonie de chez Ghibli.

    Le film respecte la durée d'une étape d'un Tour compétitif, où le cycliste Peppe doit traversernasu.jpg les landes perverses car désertiques de son pays natal, l'Andalousie, le jour où son frère se marie. A travers ce postulat sont dressés les deux thèmes principaux du film, à savoir le sens de la patrie et de la fratrie. Si l'action se passe en Andalousie, il se retrouve ce goût de la terre natale, des champs cultivés et d'anciennes traditions culinaires de la région, phase écologique que l'on peut difficilement soustraire à la majorité des films d'animation japonais. C'est peut-être à ce niveau que l'on retrouve le plus l'esprit de Miyazaki. Nasu donne une couleur dynamique à l'Andalousie, porté par les chansons typiques, les panoramiques sur les paysages, l'excentricité de ses habitants (tel l'oncle, un cas typique aussi agaçant qu'attachant), le symbole du taureau qui vient fournir de l'ombre au cycliste harassé.

    Ensuite, agit le second thème, à savoir le trajet initiatique de Peppe, qui voit dans cette étape un
    défi, une manière de surpasser son frère qui se marie avec celle qu'il aimait. Peppe compense la perte affective par le gain de la course, mais se rend vite compte de la différence énorme entre les deux, sa victoire n'étant que le reflet de la désillusion. Là aussi, malgré l'écart géographique se retrouve une conception du temps typique au cinéma japonais, car « cyclique » dans ce film sur le cyclisme. Peppe revient sur les souvenirs de son passé, tout comme il traverse emblématiquement sa terre natale.

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    On peut regretter la trop grande sagesse du film, qui ne dure qu'une heure et développe peu lethème du vélo à travers l'animation. L'opposition très virile entre les sportifs est bien mise en avant, amis c'est seulement sur la fin de la course que Nasu se permet quelques libertés dans l'animation, les cyclistes se transformant en monstres déformés lors du sprint ultime. Nasu est ainsi un agréable film, teinté d'une légère nostalgie et d'une légère, trop légère, excentricité. Il aurait été bien de voir craqueler un peu les limites de cette Andalousie sereine. 

  • Pandora Hearts

    PANDORA HEARTS – Jun Mochizuki

     

    Pandora.Hearts.504503 - copie.jpgJe voulais parler de ce manga depuis longtemps, d’autant plus le huitième tome vient de paraître en librairie (toujours ce paradoxe entre le succès croissant de la bande dessinée japonaise dans notre pays et une publication française rare). Pandora Hearts de Jun Mochizuki est une version revisitée du mythique Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Carroll, qui inspire également de nombreux autres mangas. Mais, et c’est ce qui fait le talent de cette série, l’auteure ne s’en tient pas à une vision moderne ou parodiée des figures du roman. Elle en utilise juste les codes pour mieux les assortir à son récit et à son propos, bien éloignés du questionnement d’Alice.

    « Là-bas, tout n'était que ténèbres »

     Oz Vessalius est l'héritier de la famille Vessalius, l'une des familles appartenant aux quatre duchés. A 15 ans, il doit passer une cérémonie de passage à l'âge adulte. Un événement pendant cette cérémonie l'entrainera dans un monde sombre et confus : un monde parallèle connu sous le nom d'Abysse, sorte de Pays des Merveilles horrifique. Il y rencontrera Alice, figure tyrannique à la recherche de ses souvenirs perdus. Derrière cette rencontre, une foule d'événements et de personnages vont s'introduire peu à peu, tous connectés par les événements mystiques et à la recherche de la vérité.

    Fragmentation et souvenirs

    A travers le merveilleux royal de Pandora Hearts se retrouvent des thèmes bien typiques à la culturePandora Hearts Echecs - copie.jpg japonaise, notamment la question du passé et de la mémoire, qui hante chaque protagoniste. Le récit brasse avec un certain lyrisme l’action aux réflexions psychologiques des héros, les intrigues politiques au mystère des souvenirs morcelés d’Alice. Un fort symbolisme romantique agit tout au long des chapitres, tels les topoï de la rose, de la montre à gousset, de la mélodie familière, des jardins secrets, des évanescentes du passé… L’atout de Pandora Hearts est son scénario jouant sur la fragmentation, à l’image de la mémoire morcelée et incomplète d’Alice. Le mystère s’épaissit et se complexifie au fur et à mesure des chapitres, les indices étant délivrés par fragments, suggestions, visions fugitives sur le papier. L’ambiance joue aussi une importance capitale dans cette histoire, bardée de romantisme, d’onirisme envoûtant. Le trait est gracile et élégant, le découpage aéré et agréable, à la fois dépouillé et voluptueux lors des scènes de souvenirs, ou torturé et angoissant lors des introspections intérieures. Paradoxalement, si le mystère s’étoffe au fil des chapitres, le lecteur reste accroché, et le suspense se fait plus prenant, tout agissant sur la suggestion ou le souvenir, donc entretenant un doute constant jusqu’à ménager de grands moments dé révélation flamboyant. Il est ainsi assez plaisant de lire ce manga qui, loin des actions survoltées et grotesques de certains autres, laisse sa place à l’imagination du lecteur, grâce à son lyrisme empli de mystère et d’intrigues.

    Ambivalence

    Pandora Hearts Bonds - copie.jpgLes personnages du manga s’avèrent assez bien nuancés, échappant à de nombreux lieux communs typiques des protagonistes de ce genre. Chacun se retrouvera en proie au doute selon les situations. Le personnage principal, Oz, jeune garçon volatile, gai comme un pinson et ayant un certain sens de l’opportunisme, révélera sa solitude par la suite. Alice, figure féminine très forte et tyrannique, oscille en permanence entre son côté féroce et la beauté de sa franchise. Gil, serviteur d’Oz, verra sa dévotion à son maître remise en cause par tous les autres protagonistes. Sharon, figure de jeune fille passionnée, révèle une sagesse infinie. Break, un des personnages les plus populaires de la série au Japon, est une sorte de Chapelier Fou charmant et inquiétant, tentant de dominer les situations par son comportement cynique. Mais un autre personnage me semble le plus tragique et complexe, c'est celui, empreint d'héroïsme, d'Eliot Nightray, sorte d'incarnation nostalgique de certaines valeurs perdues comme l'honneur, la fierté du nom, le sens chevaleresque et de l'amitié. Ce personnage, dont l'apparition semble hasardeuse au début, se connecte progressivement à l'immense toile d'araignée qu'est l'intrigue de la tragédie de Sabrié (événement mystique et apocalyptique autour duquel planent tous les souvenirs disparus), et se retrouve précipité dans un destin tragique avec son serviteur Leo, par ailleurs lui aussi un personnage très ambivalent.

    Romantisme et tragique

    Dans Pandora hearts, à l'instar de Nabari No Ou, l'ennui est rare, du fait de l'ambiance envoûtante, chaquePandora roses - copie.jpg page étant une délectation des yeux, les illustrations peintes de l'auteur étant particulièrement belles. Les personnages sont de plus tous attachants, car tous mystérieux et échappant aux habituels lieux communs des héros typés de nombreux mangas. Au fil des chapitres, la dimension tragique s'intensifie, et certains passages s'assimilent à une véritable catharsis visuelle. Jun Mochizuki réussit à imprimer visuellement, par des découpages parfois violents et un travail typographique brutalisé (mais loin de tomber dans le gore ou l'horrifique, c'est là toute la qualité de son oeuvre qui conserve en permanence une certaine élégance) la torpeur psychologique de ses personnages, souvent dans l'incompréhension face à l'immensité de ce qui les dépasse. Difficile de comprendre, dans ces passages, quel est le véritable objet de leur peur, le mystère confinant parfois jusqu'à l'abstraction, et pourtant, l'impression s'en retrouve fortifiée et intensifiée, déchirante et troublante.

    Pandora Hearts de Jun Mochizuki fait parti, à mon sens, avec Nabari No Ou, des meilleurs mangas dans le paysage adolescent actuel. Le talent de la jeune auteure ne cesse d'évoluer au fil des tomes (14 en ce moment sont déjà parus au japon, mais le final semble s'approcher), qui amènent à des sommets d'émotion et de tension. Une première série très prometteuse, par sa sincérité et son style affirmé.

  • Detective Dee

    DETECTIVE DEE ET LE MYSTERE DE LA FLAMME FANTOME - Tsui Hark

     

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    Tsui Hark était assurément à l'honneur durant le mois de mai, son dernier film figurant à la fois sur les couvertures pourtant souvent rivales de Positif et Cahiers du Cinéma. Detective Dee y est présenté comme son grand retour. Difficile pour moi de juger si ce film annonce vraiment le come-back du réalisateur, connaissant très peu sa filmographie et ce genre cinématographique en vogue en Chine, toujours est-il que ce succès d'une aventure épique et historique s'avère compréhensible, Detective Dee étant un film efficace dans ses intentions et sa réalisation tout à fait honorables.

    deeimpé.jpgHistoire et divertissement

    Tsui Hark reprend ainsi le personnage historique du juge Ti, ou Dee pour le prononcer à l'anglaise, celui-là même qui inspire les actuels polars de Frédéric Lenormand, les Nouvelles enquêtes du juge Ti. Le film se fixe deux objectifs : rester fidèle aux enjeux historiques de l'époque, et livre un divertissement complet, autant sur un plan visuel époustouflant que sonore. Quoi de mieux que cette intrigue politique pour permettre de mettre à nu les dissensions au sein de l'Empire, entre les peuples qui critiquent la nouvelle Reine, les clans ennemis et les conspirations contre le pouvoir. La reconstitution est de taille, ayant recours à des effets spéciaux visuels parfois trop artificiels ou tape-à-l'oeil mais non moins impressionnants.

     

    Retour aux légendes

    Chorégraphies et décors se prêtent au jeu d'une action « flamboyante », parce qu'elle tournedeeaction.jpg autour du thème du feu, mais rejoint aussi une gamme de couleurs chaudes propres à l'Impératrice. Doré des costumes, rouge des capes qui claquent, orange des bannières qui volent. Tout un imaginaire chinois est retrouvé dans ce film, à travers une intrigue inexplicable et des phénomènes mystiques peu à peu supplantés par l'explication scientifique (les corps qui brûlent, l'apparition du prêtre sous forme d'un cerf). Ceci rappelle la méthode de Sherlock Holmes. Cependant, si le scénario du film de Guy Ritchie était d'une simplicité et d'un conventionnalisme déconcertants, Détective Dee réussit à captiver. Car le protagoniste principal n’est pas le seul à tendre ses efforts vers la résolution. D'autres, motivés par diverses raisons, font preuve d'autant intelligence et ruse, émettent des hypothèses, devancent le détective ou entravent son parcours. Le personnage de l'albinos (qui a par ailleurs conquis pas mal de cœurs féminins à la sortie du film...) en est l'exemple, dont la quête est aussi passionnante que celle de Dee. Ce dernier suit ainsi un parcours tortueux avant d'accéder à la vérité, dérouté par de multiples rebondissements, attaques, ou entraîné par de fausses pistes (celle du poison dans la gourde, explication qui semble évidente de prime abord, sertie par de gros plans trompeurs sur l'objet)

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    deelau.jpgDee

    Notre cher détective, interprété par un Andrew Lau toujours au mieux de sa forme, voit ainsi son intelligence mise à l'épreuve. Ce n'est pas seulement l'enquête qui met à mal son esprit, mais bien plus les pressions politiques qui s'exercent des deux côtés, entre l'Impératrice autoritaire et les clans ennemis qui lui reprochent de la servir. Or, et c'est sur ce point que Détective Dee doit son brio, tout le film tend à démontrer l'apolitisme du personnage, qui se veut au service de l'enquête et non du parti. Dee est tiraillé par le doute vis à vis de cette question, tente d'échapper au choix et se présente ainsi comme un véritable détective, marginal et indépendant, et non plus comme le juge qu'il a été autrefois. Il cherche à échapper à la lutte quasi-féministe engagée par l'Impératrice, ou aux provocations parfois sexistes de ses détracteurs, refuse d'écouter tout prosélytisme et s'accroche au mystère. Au final, la seule solution que trouvera Dee pour échapper à toutes ces pressions, c'est l'isolement dans les Bas-fonds, certes dû au danger du soleil, mais aussi symboliquement lié à son statut d'errance solitaire et détachée de la société.

     

    Enfin, et il faut souligner ce point, les interprétations amènent beaucoup de charme au film,deemystique.jpg d'autant plus que les personnages s'avèrent assez finement travaillés. Une bonne partie des stars de cinéma en Chine sont d'excellents acteurs (contrairement à une bonne pléiade d'acteurs français renommés...). Andrew Lau, l'heureux réalisateur d'Infernal Affairs, incarne le sombre Dee avec classe et sobriété, donnant toujours du charisme à ses personnages. Carina Lau, femme du Tony Leung d'Infernal Affairs, dans le rôle ambiguë de l'Impératrice peu présente à l'écran, réussit à impressionner. Tony Leung Ka Fai (à ne pas confondre avec le mari de Carina Lau...) prête comme toujours son physique sournois au rôle le plus ambivalent. La jolie Li Bingbing ne déçoit pas dans le personnage mi-fragile et mi-menaçant du jeune bras droit de l'Impératrice. Le jeune Chao Deng incarne un albinos charismatique assez inoubliable. 

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  • Pluto

    PLUTO

    Naoki Urasawa & Osamu Tezuka 

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    Merci à mon frère pour m'avoir incitée à lire ce manga !

    Après 20th Century Boys et Monster, deux séries cultes dans le paysage du manga, Naoki Urasawa signe Pluto, dont le scénario est inspiré par une histoire originale écrite par le grand Osamu Tezuka. L'occasion à la fois de souligner la qualité du travail graphique et scénaristique d'Urasawa, tout en rappelant certains défauts qui se trouvent ici heureusement éliminés par l'encadrement « fantomatique » de Tezuka (son fils ayant cédé les droits de « Astro Boy, l'histoire du robot le plus fort du monde » à Urasawa au cours de l'anniversaire de cette figure mythique qu'est le personnage d'Astro Boy).

    En effet, Urasawa choisit à la fois de renouveler l'intrigue en changeant le ton et en approfondissant les personnages, notamment celui de Gesicht, policier robot qui s'avère le fil rouge dans ce thriller robotique, tout en respectant les thèmes chers à Tezuka. Ce policier va enquêter sur une série de meurtres rituels visant à faire disparaître les robots les plus puissants du monde, et ce à travers une mystérieuse mise en scène barbare. On retrouve le talent d'Urasawa pour nous faire partager une intrigue toujours haletante, son découpage simple et son sens du suspense se confirmant dans ce manga. Urasawa a toujours dû son succès à cette habileté dans le rythme de son récit, donnant à chaque chapitre des clés tout en complexifiant sans cesse le problème, et puis captivant le lecteur.

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    Auparavant, on pouvait aisément abandonner les séries d'Urasawa (20th Century Boys, par exemple) du fait de la multitude de rebondissements, la fatigue prenant le pas sur l'intérêt. Avec Pluto, Urasawa se plie à un scénario qu'il réécrit tout en tendant ses efforts vers le final cernant la solitude d'Astro Boy, le robot le plus puissant au monde, et l'apologie des tensions entre humains et robots. Dans le monde futuriste, le jeune robot-garçon, se nommant Atom, était entouré de ses compères Gesicht, Uran, Epsilon ou MontBlanc. L'univers est partagé entre les robots et les humains, un univers installé très simplement par Urasawa, puisque l'on bascule tout de suite dans le vif de l'enquête autour de l'assassinat de Mont Blanc. Contrairement à Tezuka, il y a peu de fantaisie dans ce monde, les décors étant réalistes et rigoureux et les personnages à visages plus ou moins humains.

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    Si Urasawa transforme le style de Tezuka en quelque chose de plus adulte et sobre, il reste fidèle à ses thèmes de prédilection et son sens dramatique. Ainsi, la relation robot-humain est au cœur de ce récit, avec la question de la perfection. Les robots les plus forts au monde ne le sont pas par leurs capacités réflexives ou leur sens du calcul et de leur performance, mais plutôt par leur proximité avec les sentiments humains. Gesicht, Epsilon, Atom... Tous sont des personnages romantiques, ne demandant qu'à se rapprocher de la société humaine. Celle-ci les rejettent au contraire, s'en méfient, ne se rendant pas comte que leur comportement finit per déteindre sur ces robots qui finissent par connaître la solitude, la culpabilité et enfin la haine. L'intelligence de la réflexion (inspirée, selon l'analyse de mon frère, d'Asimov) et la profondeur des personnages permettent à Urasawa d'atteindre un point d'orgue avec ce travail. Terriblement et paradoxalement humains, ces robots vivent des sentiments extrêmes et sont nimbés d'un certain charisme : Gesicht, évidemment, le rigoureux et perfectionniste inspecteur hanté par un traumatisme ; le combattant et digne Hercule ; le pacifiste et généreux Epsilon ; et enfin Atom, cet enfant-robot qui saisit un escargot un jour de pluie sans raison valable, geste prouvant sa proximité avec le réflexe humain.

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    Pluto, tout en étant un thriller haletant et admirablement construit, traite d'une multitude de sentiments et thèmes. On y retrouve les relations entre les robots et les humains, faites de jalousie, de pouvoir, de discrimination et d’ambiguïtés, mais aussi entre les robots et leurs créateurs, tout aussi contrastées. Face à cela, règne entre les robots une certaine solidarité, et ce, quelque soit le rang ou la classification de chacun. Si l'amitié et le soutien peuvent s'instaurer, la destruction peut aussi apparaître. La société, même futuriste, révèle les failles humaines à travers ces personnages de robots qui goûtent peu à peu aux joies de la famille, au deuil de l'ami, à la jouissance du pouvoir, ou à la haine d'autrui.