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  • Vengeance

    L'étranger de Macau

    VENGEANCE (2009) – Johnny To 

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    J'avoue qu'à la vue d'une affiche hautement hideuse mettant en avant Johnny Halliday, je me suis demandée ce qui était arrivé à Johnny To. On pourrait croire que Vengeance vise uniquement à mettre en valeur le star française dans une production étrangère et la glorifier par le biais d'un film d'action. Heureusement, dès les premières images, le style de Johnny To et de son scénariste Wai Ka-Fai s'impose, nous livrant une fois de plus une oeuvre divertissante et efficace, certes moins impressionnante que Exilé, mais restant dans l'optique de ses thèmes habituels.

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    La Vengeance de ce Français, Costello, incarné par Halliday, n'est qu'un prétexte pour introduire les personnages typiques chers à Johnny To : un trio de tueurs à gages professionnels qui vont peu à peu s'affranchir du grand patron, machiavélique et impulsif à souhait, et ce à travers de multiples scènes d'action époustouflantes. Les similitudes avec Exilé, voire Sparrow, sont nombreuses. Tout d'abord, les mêmes acteurs sont à l'honneur, permettant de perfectionner leur jeu, notamment Simon Yam, déjà hilarant dans Sparrow, qui joue le rôle d'un patron de gang proche de celui d'Exilé en beaucoup plus décadent, mais malheureusement mis à l'honneur. Autre racine, le fameux trio contestataire, élaborant des stratégies réfléchies et une attitude classe, marqué par le soulèvement d'indépendance. Il est même doublé, retrouvant un reflet exact en les personnes des tueurs de la famille de Costello, réaffirmant les « types » de personnages que le cinéaste se plaît à traiter, ce qui donne lieu à une confrontation impressionnante.

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    Johnny Halliday, face à ces acteurs expérimentés et parfaitement intégrés à l'univers de Johnny To, fait pâle figure, s'appuyant sur un registre monolithique grave et peu nuancé. La démarche du réalisateur vis à vis de l'acteur français comporte néanmoins son intérêt. Autant Halliday n'est pas habitué à jouer dans une production asiatique, autant ce décalage se ressent au niveau de son personnage. En effet, Frank Costello/Halliday est totalement inconnu, étranger aux éléments du récit et du film lui-même, ce qui explique son jeu hagard, hésitant et sa lourdeur. Il ne comprend absolument rien aux codes de la mafia de Macau, aux actions du groupe qu'il a engagé, n'agissant qu'à partir de quelques mots écrits en vitesse sur une photographie tandis que ceux qui l'entourent – les habitués de To – élaborent des stratégies complexes et intelligentes. Le contratse s'affirme ainsi entre ces quatre tueurs à gages, charismatiques, sûrs d'eux, même face à la mort, qu'ils affrontent dans une bataille impressionnante d'éclat ; et Costello, agissant à l'aveuglette, se laissant prendre à tous les pièges dressés par les protagonistes du lieu. Aux stratégies, plans construits de manière absurde mais efficace par les personnages-clés du cinéaste (comme les étiquettes vendues par les enfants et collées sur le grand patron pour l'identifier) s'oppose l'action brute et irréfléchie de l'étranger de Macau.

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    Certes, Vengeance est bien moins subtil et cruel qu'Exilé, bien moins énergique (notamment dans le scénario, assez banal et équilibré) et original que Sparrow, mais il confirme le talent de Johnny To pour l'orchestration des scènes d'action, et définit ses thèmes fétiches, néanmoins moins riches (comme le personnage de Kwai, leader du trio qui méritait plus d'importance). Cependant, To réussit à utiliser de manière relativement efficace et intelligente la présence de cet acteur européen qu'il ne désirait pas à la base (il exigeait Alain Delon), le traitant comme un parfait étranger en tant que personnage et acteur.

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  • Kazuya Minekura

    SAIYUKI OU LE STYLE KAZUYA MINEKURA

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    Saiyuki, doublé de sa suite Saiyuki reload, est une sorte de parodie d'une légende traditionnelle chinoise, provenant du roman Voyage en Occident qui raconte les pérégrinations d'un bonze et de ses trois disciples, personnages fantastiques (deux démons et un roi singe). Cette légende a déjà inspiré beaucoup de séries (Osamu Tekuza, Akira Toriyama), mais Kazuya Minekura en fait une nouvelle adaptation extrêmement libre et personnelle, faisant notamment de ces personnages nobles et traditionnelles de mauvais exemples modernes et complexes. Tout d'abord parce qu'il s'agit de personnages indifférents à leur mission, considérant le voyage comme un pique-nique dans la nature, ce qui fait du manga une sorte de road-movie divertissant et hilarant, mais également porté par une force dramatique due au passé sombre des quatre héros et à leur potentiel dangereux. Par exemple, le bonze, loin d'avoir le crâne rasé ou l'abstinence de la cigarette ou de l'alcool, est totalement corrompu et porteur d'un mauvais caractère ; le roi singe n'est qu'un gamin affamé et insupportable ; des deux démons ne ressortent qu'un pervers vulgaire et un aimable jeune homme sournois. Cependant, chaque protagoniste, malgré les apparences futiles et décontractées, est marqué par une certaine noirceur intrigante, qui gagne en profondeur au fil de la progression du récit et du voyage entrepris.

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    Si les quatre premiers tomes révèlent une certaine maladresse du trait et un découpage parfois paresseux, dès le cinquième volume, l'action prend de l'ampleur, de même que le texte qui s'affine et distille l'intrigue de manière maîtrisée et efficace. Mais ce qui attire dans le style de Minekura, ce sont la qualité et l'originalité du graphisme. Alors que de nombreux mangas perdent beaucoup du fait de la fragilité d'un trait un peu trop léger ou rapide, l'auteur confère aux personnages un charisme dans les attitudes et les regards, du volume aux corps et aux vêtements. Les contrastes de lumière ou la complexité du grain de la chair et des cheveux gagnent en profondeur par son style tranchant et recherché. En revanche, on peut reprocher l'absence de décors, d'autant plus qu'il s'agit d'un voyage...pratiquement sans paysage. En effet, les villages traversés se succèdent sans grand changement dans leur architecture, quelques forêts ou montagnes jonchent parfois le parcours, les chambres d'hôtels se ressemblent toutes... A partir de la deuxième série, le décor commence à devenir plus soigné et observé, mais il reste dommage que cet aspect du manga reste peu traité.

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    Enfin, Saiyuki recèle d'un humour irrésistible, notamment en raison de l'excentricité de ses personnages, leur attitude à la fois classe et totalement immorale. Chacun adopte des points de vue opposés, ce qui fait de leurs confrontations multiples des rixes verbales et physiques totalement délirantes. De plus, par l'insouciance et le train de vie hasardeux de ces quatre héros, les scènes d'action ou de tension sont toujours brisées par leur indifférence fière.

  • Memories of Murder

    Un monstre et des calamars en boîte

    THE HOST (2006) – Bong Joon-Ho 

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    Après le génial Memories of murder, portrait d'une Corée rurale impuissante face à la violence d'un assassin de jeunes femmes, le réalisateur coréen Bong Joon-ho s'était intéressé à une histoire d'un tout autre genre, puisqu'il livre avec The Host un film de monstre étonnant.

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    Un monstre, sorte de calamar géant aux allures d'alien né de plusieurs produits chimiques verssés dans la rivière Yan, terrorise la population coréenne. Le film part de ce scénario classique, utilisant les codes du genre pour livrer également un regard personnel sur la situation dramatique et notamment la réaction du pays et de ses habitants. En apparence, tout comme Memories of murder, enquête criminelle haletante, The Host est ainsi un film de monstre aux multiples rebondissements, menant ses personnages du désarroi à l'assaut pour aboutir sur une scène finale, c'est à dire l'extermination du monstre. Mais même s'il reste traditionnel, le scénario reste bien maîtrisé et surprenant, cherchant toujours à explorer au maximum la situation, notamment le travail sur les égouts, profondeurs infinies qui obscurcissent encore l'espoir de retrouver la jeune fille. Cependant, Bong Joon-ho utilise cette histoire pour mieux dépeindre en toile de fond l'impuissance des autorités coréennes, le désarroi du pays et apporter sa touche d'humour personnel et décalé, tout comme il l'avait fait pour le fait divers des meurtres en zone rurale. 

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    L'utilisation de personnages dérangés, sortes de marginaux naïfs et attachants, qui permettent tout le croustillant du film. C'est le destin, la lutte impossible d'une famille haute en couleurs et singulièrement en manque de lucidité qui intéresse le cinéaste, tout comme les recherches vaines des deux policiers de Memories of murder. Song Kang-ho, merveilleux acteur coréen, aussi à l'aise en truand cinglé (Le bon, la brute et le cinglé de Kim Jee-woon), qu'en doux garagiste (Secret Sunshine de Lee Chang-Dong) ou qu'en commissaire bourru et terre-à-terre (MofM) incarne le personnage principal avec toujours autant d'énergie et efficacité. Mais les autres interprètes amènent également du charme à la famille, de nombreux étant déjà présents dans le film précédent, comme le suspect qui incarne ici le frère (Park Hae-il). Si le film s'attache à décrire leurs péripéties et leurs malheurs, il fait cependant preuve au départ d'une certaine moquerie, surtout vis à vis de l'oisiveté de Gang-du, sorte de père immature qui va révéler sa ténacité, tout comme le commissaire Doo-man, peu intelligent au début qui va finalement être le plus lucide sur le final. Les personnages des films de Bong Joon-ho se révèlent toujours face à l'atrocité, démunis autant physiquement que moralement.

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    Outre la famille déjantée, qui se révèle paradoxalement la plus courageuse, la Corée se voit également critiquée, à travers sa panique et paranoïa d'un virus inexistant. L'humour noir et cynique touche surtout les autorités, accrochées aux analyses des grandes puissances comme les Etats-Unis, et les équipes de désintoxications, surgissant maladroitement en plein rites funéraires publics. Évidemment, The Host est un film hautement plus impressionnant au niveau de l'échelle que le huis-clos rural et glauque de Memories of murder, multipliant les exemples de débarquements, arrestations et manifestations. De plus, les scènes d'action, agrémentées d'effets spéciaux efficaces, sont nombreuses et haletantes. Cependant, on peut reconnaître dans cet artifice le style de Bong Joon-ho : le goût pour les ralentis dramatiques, l'importance du regard, souvent presque caméra, la manière de filmer vertigineuse et un suspense maîtrisé grâce au travail sur les lieux et l'espace. Dans Memories of murder, l'assassin se cachait parmi des champs de blés boueux et denses tandis que le monstre tapisse les passerelles du pont ou les cavités des égouts. Le film joue en permanence sur l'obscur, le caché dans l'ombre, mais aussi la distance. La première apparition du monstre s'effectue de loin, insistant le doute sur sa forme, ou par la perception du son, amplifiant l'effet d'effroi.

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    Le symbole du monstre se retrouve certes dans cette créature repoussante, visqueuse et barbare, mais il touche également les autorités, autant monstrueuses dans le traitement des « contaminés ». Si l'alien est traitée de manière inquiétante et horrifique, telle la scène violente lors de sa première apparition au bord du lac, toute la partie chirurgicale et toute l'agressivité policière sont dépeints avec un humour noir et une ironie hautement plus alarmants. L'exagération quant à la force du monstre (les ossements... et les multiples allusions aux calamars dégustés par Gang-du) permet d'établir de la distance vis à vis de son caractère artificiel pour dénoncer autant la folie des équipes médicales qui torturent, avec autant d'absurdité, le personnage principal. The Host s'avère particulier du fait de ce balancement entre le conte horrifique et captivant et l'humour grinçant qui met à distance. Même condensé qui se retrouvait dans Memories of murder, avec des scènes de meurtres crues et violentes et le quotidien morne de policiers stupides et incompétents.

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    The Host, divertissement à la fois traditionnel et original, permet de confirmer les thèmes et le style d'un réalisateur coréen qui prend ici plus d'aisance et assurance sur un projet conséquent.

  • Still Walking

    Générations

    STILL WALKING (2009) – Hirokazu Kore-eda 

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    Après le magnifique Nobody Knows, Hirokazu Kore-eda nous livre un nouveau film, Still Walking, moins cruel et difficile que la précédent, qui contait le quotidien d'enfants livrés à eux-mêmes, mais qui reste dans la verve de son style sensible, intime et doucement mesquin. Ce film pourrait être la suite de l'oeuvre de Yasujiro Ozu, d'où les jeunes adultes criblés de doute seraient devenus des grands-parents blasés et tranquilles.

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    De même, Kore-eda s'intéresse à la famille, progressivement éclatée et se réunissant uniquement lors d'événements exceptionnels, telle la célébration de la mort accidentelle du fils aîné. Les souvenirs, les remords, les reproches et les ambitions affleurent à travers trois générations, grands-parents, parents et enfants, même principe de trois regards comme chez Ozu, survolés par la présence invisible et oppressante de la mort. Celle-ci est le catalyseur des secrets, des non-dits, de la douleur refoulée qui éclatent lors des scènes intimes (par exemple entre les couples) et sont juste sous-entendus lors des réunions familiales. Still Walking se centre sur le personnage du fils cadet, Hiro, frustré de se confronter à ses parents du fait de son remariage avec une veuve et son enfant et d'une comparaison constante avec l'héroïsme de son frère décédé, successeur du cabinet de médecin du père.

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    Avec justesse, Kore-eda décrit cette confrontation difficile entre ce grand-père brutal et cynique, son fils distant et boudeur et la grand-mère qui, au contraire, déclare ses regrets avec innocence, plaignant l'absence de son fils qu'elle admirait tant. Les oppositions sont présentes entre tous les personnages, chacun cachant une part délicate de sa personnalité ou se révélant hypocrite. La justesse du film de Kore-eda provient surtout de cette construction nuancée de personnages mystérieux mais révélateurs d'un esprit de famille universel.

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    Toute cette cruauté des personnages se marque par les gestes quotidiens, les positions et la place de chacun dans l'espace qu'est la maison emplie de souvenirs du passé des grands-parents. Le vieux médecin reste confiné dans un cabinet étroit, se forçant à faire semblant de travailler pour ne pas montrer son dépassement par ses collègues de l'hôpital. La fille essaie vainement d'envahir la cuisine de sa mère, où se réunissent tous les enfants pour aider à préparer le repas, Hiro se caractérisant par exemple par sa capacité à égrener le maïs. Seuls les enfants parcourent les lieux en tous sens, brisant les règles de l'espace (ils brisent la pastèque dans le jardin, ou l'un rentre dans le cabinet du grand-père), mais vite freinés par les adultes. 

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    Cependant, l'extérieur a aussi une importance primordiale. Tout comme dans Nobody Knows, le dehors est synonyme d'évasion, de sortie d'un espace oppressant et lourd de menaces. Les séquences en extérieur sont ainsi filmées en plans larges, moins rapprochés des personnages, les laissant se mouvoir et s'exprimer plus facilement. Dans le précédent film, les enfants couraient dans les rues en riant, se perchaient sur les jeux du parc ou se rafraîchissaient le visage, goûtant au plaisir de liberté, retrouvant une joie de vivre qui avait été progressivement comprimée par l'appartement insalubre. Ici, les ombrelles s'ouvrent et les fleurs s'illuminent sous le soleil, les membres de la famille profitant de la promenade tranquille et apaisante dans le cimetière. Le plan final porte par ailleurs le même espoir, la même touche légère que Nobody Knows, tournée vers l'avenir, vers le cycle vital, des générations qui ne cessent de se perpétuer, valeurs fluctuantes qui ne cessent d'inspirer d'excellents films comme Still Walking.

  • Ponyo sur la falaise

    Les enfants et les parents

    PONYO SUR LA FALAISE (2009) – Hayao Miyazaki 

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    Après l'inégal Château ambulant, Hayao Miyazaki, que l'on croyait effacé après la sortie des Contes de Terremer de son fils, revient en force avec un nouveau film incroyable, réunissant une fois de plus les ingrédients qui avaient fait le charme des précédents et réussissant à transcender une fois de plus l'écran et les ressources de l'animation.

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    Ponyo sur la falaise est une adaptation dérivée de la Petite sirène, devenue un « poisson rouge » tentant d'échapper à l'autorité de ses parents et de son foyer maritime. L'originalité du scénario, qui détourne grandement toutes les questions romantiques qui saturait le Disney, est dereposer, tout d'abord sur la réduction de la romance à l'échelle de l'enfance, et ensuite d'y apposer constamment le regard des parents, définissant plusieurs figures paternelles et maternelles auparavant moins explorées dans les autres oeuvres de Miyazaki. Enfin, l'univers maritime est prétexte à une explosion de couleurs et créatures diverses. Ce qu'installe le cinéaste japonais avec les profondeurs de la mer est similaire avec ce qu'il créait dans la forêt de Mononoke Hime ou dans le ciel de Laputa. Les films de Miyazaki ont un fondement profondément écologique, et la première partie du film, avec l'arrivée de Ponyo dans le monde des humains, permet de vérifier ce thème. 

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    Il subsiste toujours un contraste entre le monde florissant et lumineux du milieu naturel, ici la mer, et les constructions monstrueuses humaines. Dans la première partie du film, Ponyo quitte un foyer familial où les cellules se démultiplient à l'infini, où les créations affluent, où les couleurs miroitent sous les bulles, pour rejoindre les bordures saturées de déchets et agitées par les palles des bateaux de la ville de Sosuke. Par ailleurs, l'idéal du père du petit poisson est purement écologique, se concrétisant par le paradis bullaire qu'il créera pour les vieilles femmes de la maison de retraite. Miyazaki sait parfaitement utiliser toutes les ressources de son élément, allant jusqu'à transformer la ville en étang gigantesque, peuplé de créatures préhistoriques, envahie par des vagues fantastiques. La musique merveilleuse de Hisaishi est toujours aussi surprenante et délicieuse pour embaumer cet univers. De plus, une certaine gradation s'effectue, de manière maîtrisée, entre les différentes étapes du bouleversement, des quelques vagues monstres du père qui poursuivent le petit garçon jusqu'à l'explosion colorée et crépitante provoquée par Ponyo et enfin la confusion complète entre paysage humain et naturel. 

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    Cette transformation d'un paysage, déjà observée dans les autres films de Miyazaki, comme Le voyage de Chihiro (les bains semblant vestiges s'animant à la tombée de la nuit), provoquée généralement par les esprits et autres créatures mystiques, se déclenche par la revendication du petit poisson. On peut voir en la force magique de la fillette, jusqu'à écraser son père, les excroissances liées à l'adolescence. Les inquiétudes de Fujimoto ne sont-elles pas analogues à celles classiques du père face à leurs filles grandissantes ? Car derrière la naïve histoire d'amour entre les deux enfants réside toujours le regard des parents en arrière-plan, que ce soit Lisa dans la maison ou Fujimoto sur son « véhicule » marin. Le film oppose ces deux figures, l'une chaleureuse et attentive, gardant son calme face aux événements, l'autre catastrophé et maladroit. Or, Miyazaki s'attache rarement aux portraits des parents, les laissant toujours inexistants dans ces films les plus célèbres, préférant plutôt la présence des grands-parents. Dans Ponyo, la mère est bien plus courageuse et exemplaire que le père, sachant comment exprimer ses sentiments, que ce soit Lisa pétillante ou la « déesse de la mer », présence maternelle impressionnante. Néanmoins, les personnages de parents n'en restent pas moins nuancés, comme Fujimoto, intéressant car rare jusqu'à présent dans l'univers miyazakien. Cette figure de père maladroit, fatigué et inquiet change du gentil homme à lunettes de Totoro ou Kiki, la petite sorcière, s'avérant même beaucoup plus amusant et touchant.

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    Enfin, Ponyo sur la falaise réunit admirablement tous les ingrédients du vieux cinéaste. Jamais l'animation n'aura atteint un tel de gré de fluidité, jamais les décors n'auront été aussi ravissants et précis et le fantastique aussi flamboyant. De plus, le film fut réalisé de manière traditionnelle, presque entièrement à la main, ce qui rajoute une certaine pureté que l'on perdait un peu dans le précédent. Par ailleurs, le début du film est l'exact miroir de celui de Laputa, l'ascension de Ponyo vers le large s'apparentant à la chute de Shiita vers la terre. Mais Ponyo reste un ravissement pour les yeux et les oreilles, toujours aussi originale et maitrisé.

  • Tokyo Sonata

    Du Choeur de Tokyo à Tokyo Sonata

    TOKYO SONATA (2009) – Kiyoshi Kurosawa 

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    Tokyo Sonata est le premier film que je découvre de Kiyoshi Kurosawa et la découverte reste favorable par la qualité de la mise en scène et l'originalité d'un scénario qui dérape totalement sur une deuxième partie onirique, coupant avec la chronique sociale, malgré des interprétations parfois limitées. Cependant, le film reste intéressant en comparaison avec ceux du maître Yasujiro Ozu, resté pendant longtemps le cinéaste des traditions familiales japonaises. Tokyo est par ailleurs une ville-phare sur laquelle il s'intéresse dans nombreux de ses films (Choeur de Tokyo, Une auberge à Tokyo, Voyage à Tokyo...), lieu d'activité industrielle aspirant tous les rêves des jeunes cadres et les enfermant dans une routine et cadence frénétique et mécanique.

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    Avec Tokyo Sonata, le film est un moyen de vérifier le poids des traditions dans la société japonaise, notamment la famille et le travail. Le paysage s'est modernisé, les maisons se sont « occidentalisées » et les conditions de vie sont devenues plus saines mais la fracture sociale reste encore présente, dans un milieu où le licenciement est porteur de déshonneur et perte de pouvoir. Kiyoshi Kurosawa nous démontre bien la précipitation d'une famille stable à la remise en cause et l'explosion totale des rapports de domination dans la cellule familiale traditionnelle japonaise, par le biais de ce licenciement brut. 

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    Chez Ozu, l'intérieur est le lieu de toutes les tromperies, politesses et caprices familiaux, huis-clos d'une apparence paisible mais qui révèle les failles entre membres d'une même famille. Filmé à hauteur des personnages, le film rase les tatamis et est écrasé par un plafond étouffant. Dans le Japon actuel, l'architecture s'est « occidentalisée », structurée par les escaliers brillants, les colonnes, les meubles (dont la table de la salle à manger) polis et d'un design à la mode. Tapis, cadres de verre et longs rideaux flottants décorent les murs et les shoji (panneaux coulissants) ont disparu au profit de larges portes-fenêtres. Mais Kurosawa capte toujours de la même manière la vie de la famille par une caméra située à leur hauteur, gravissant les escaliers ou séparant par les colonnes ou meubles.

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    De plus, les réunions familiales, en cercle, si fréquentes chez Ozu, se raréfient dans le Tokyo Sonata, témoignage contemporain de la perte de l'importance du rituel familiale. Une unique scène, par ailleurs éphémère et tendue, réunit les quatre membres de la famille ; seule la mère est encore présente pour soumettre la présence à table de tous mais le mari préfère s'isoler, le premier fils déserter ou s'enfermer et le dernier errer dans les rues. Dans une première partie, Kurosawa décrit avec pertinence ces flottements des personnages, tendant plus à s'éloigner l'un de l'autre, à s'isoler dans le cadre, à s'égarer totalement. Seule la mère continue à tenir son rôle au foyer, posant un regard lucide et attentif sur ses enfants et sa famille, préparant le repas et aménageant la maison. Elle est le protagoniste le plus attachant et sympathique, la seule finalement à ne pas perdre ses repères, mais restera la plus apte à briser ce quotidien sans hésitation.

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    Le film décrit ainsi subtilement, avec une progression calculée et maîtrisée la plongée progressive de ses quatre personnages dans une errance désespérée. Le père est le plus touché car il doit déjà tenir et respecter un statut, contrairement aux enfants qui sont en passe de le définir, qu'il sent peu à peu se détruire. La honte et la peur procurés par le chômage auquel il est brusquement confronté ont un impact sur sa condition de père devant gérer le foyer, sentant qu'il perd de son autorité (notamment face aux désirs divergents de ses fils), expliquant ses accès de colère. Les deux fils, quant à deux, veulent tout simplement s'échapper du parcours planifié par leur père, et même du foyer qu'ils fuient. Ce principe de la fuite d'un milieu clos et intime était déjà présent dans les films d'Ozu, notamment pour les rôles de jeunes filles refusant le mariage arrangé. 

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    Cette fuite est poussée à l'extrême chez Kurosawa. Le premier départ, celui du fils aîné pour rejoindre l'armée américaine, engrange les autres. Chacun, au même moment, poussé par les mêmes événements impromptus, va s'évader de sa situation, de sa condition familiale et sociale. La mère, par sa relation avec le cambrioleur inattendu, va au plus loin de cette fuite, s'échouant dans une bicoque délabrée au bord d'une plage déserte. Envolée quasi-fantastique des personnages qui est malheureusement la partie la moins bien traitée du film. Le cambrioleur maladroit reste peu convaincant et cet éclatement est attendu tout du long. Eclatement des frontières, par le trajet hors du trajet quotidien et de la demeure familiale, éclatement du statut de la mère par cette liaison adultère, éclatement de l'innocence du jeune fils et éclatement de l'autorité du père. Désintégration de tous les principes pour en faire renaître, un matin faiblement éclairé, un sentiment familial sincère et simple. Réunion qui se confirmera avec la beauté d'une ultime scène puissante, celle, déjà si commentée, du Clair de lune au piano.

  • 24 City

    Re / Dé construction

    24 CITY (2008) – Jia Zhangke 

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    Après le sublime Still Life, un nouveau film de Jia Zhangke, figure incontournable du cinéma chinois à présent, arrive enfin. Oeuvre moins impressionnante que le précédent, 24 City reste néanmoins une réflexion sur l'architecture et la condition particulière de la société chinoise.

    Mêlant fiction (certains personnages sont joués par des acteurs) et réalité (retour sur les lieux et interviews d'ouvriers), 24 City est tout d'abord une réflexion sur le genre même du documentaire. Autour d'un même lieu, le film croise les témoignages des ouvriers, entrecoupés de quelques plans servant d'illustrations, passant de l'un à l'autre en soulignant les différentes vies qu'ils ont emprunté et en montrant en arrière-plan la destruction progressive des usines. L'utilisation d'actrices pour certains personnages peut surprendre : parmi les visages d'anciens ouvriers burinés par le temps et les souvenirs, trois femmes se distinguent par leur visage bouleversé et bouleversant et surtout par la composition scrupuleuse de leur récit poignant. On distingue, par la longueur de leur témoignage et leur phrasé, la composition fine mais irréelle, d'actrices. Zhangke mêle habilement ces interprétations, quasi des offres aux actrices, aux regards et présences graves et fantomatiques des vrais ouvriers. A la fiction dramatique, le film crée un curieux contraste avec le réalisme du documentaire et du visage réel. 24 City joue avec le contexte réel pour recréer des histoires poignantes. Dans Still Life, le réalisateur s'entraînait déjà au même principe : lors du chantier du barrage monumental des Trois-Gorges, deux personnages parcouraient la ville à la recherche de leur passé. 

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    La dure réalité des ouvriers, de cette présence tendue et arquée, regards droits et justes sur la caméra, reste cependant le plus touchant dans ce film. Zhangke sait filmer ces figures ayant vécu, vu et maintenant délaissés face à la construction de cet ensemble urbain, positionnant la caméra de la manière la plus frontale, captant ces regards et expressions exceptionnelles. Le film comporte une émotion forte et subtile, passant par les confessions des personnages et la manière de capter leurs gestes, tout en restant très respectueux de leurs comportements. Que ce soit ces deux vieillards, l'apprenti et son ancien maître qui se joignent les mains, ou cette jeune fillette de l'immeuble qui poursuit sa trajectoire circulaire sur un toit le soir. 

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    La force visuelle provient également de la qualité du réalisateur à filmer l'architecture chinoise. Paysage marqué par le temps, constellé de ruines d'anciennes industries, mais également en proie aux technologies modernes. Il s'opère une dé / re-construction permanente dans le cadre, qui touchait déjà le barrage des Trois-Gorges dans Still Life. L'usine 420 et la cité ouvrière, insalubre et en ruines, se détruisent sur des images sidérantes (comme l'effondrement d'un des bâtiments, provoquant un souffle de poussière qui envahit progressivement le cadre), tandis que se met en place le complexe luxueux de « 24 City », planifié, visité et expliqué. Deux types d'architecture et de paysages s'opposent, l'un industriel et usé, l'autre urbain et neuf. Pas de musique, pas d'ajout superficiel sur ces constructions mises à nues. 24 City cadre des salles vides aux ampoules électriques abandonnées, vacillant dans l'air, les appartements aux couleurs pâles et aux murs effrités ou les éclairages agressifs des constructions modernes.

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    Réflexion sur la Chine et ses transformations, filmé toujours avec brio et subtilité, 24 City, le nouveau film de Jia Zhang ke est une belle réussite.

  • Le Bon, la Brute et le Cinglé

     LE BON, LA BRUTE ET LE CINGLE (2008) – Kim Jee-Woon 

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    Non, ce n'est pas un vulgaire remake coréen du film de Sergio Leone mais plutôt un joyeux dérivé, s'inspirant juste de la trame pour le détourner habilement. Le bon, la brute et le cinglé s'ancre dans une ambiance décalée, composée de devantures coréennes aux inscriptions et couleurs flamboyantes, traînant dans la poussière blanche, les copeaux de bois et le sang séché. 

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    Dès les premières images, le film nous plonge dans un univers totalement asiatique et avec une pointe de fantaisie. Les accessoires sont nombreux, précis, à la fois précieux et factices. Les trucages sont peu cachés, loin de là. Chaque action étonne par la précision de son mécanisme et son absurdité. C'est du cinéma au sens propre, l'illusion composant tout. Cependant, même si ce but reste simple et banal, le film comporte cette ambiance si originale et un dynamisme toujours actif, le transformant en un joyeux cocktail explosif, où l'œil se délecte des multiples points de vue, idées, rebondissements, parfois même un peu trop. La présence de la modernité se manifeste par le bombardement de scènes d'action, durant parfois jusqu'à vingt minutes d'explosions, mouvements saccadés, multipliant les points de vue, chaque plan se succédant avec une frénésie parfois fatigante.

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    Certes drôle par l'absurdité de sa mécanique ou la richesse des idées et réactions, l'action reste dominante et souvent peu justifiée. Sa présence cherche juste à distraire, évidemment. Sur ce point, le film reste banal et juste un moyen de plaisir. Ce qui s'avère intéressant, c'est l'univers particulier qui s'impose au spectateur, mêlant l'histoire de la guerre pour l'indépendance de la Corée à d'énormes anachronismes marquant la présence ironique des technologies modernes (salle de cinéma, jumelles extra-sensibles...). L'intrigue est quant à elle délaissée au profit de l'action et du travail des décors, se basant sur une classique chasse au trésor, qui vire rapidement à l'absurde, finissant sur la révélation grinçante d'un Eldorado non plus constituée de pièces d'or mais d'or noir. Là aussi règne l'humour ironique d'une société en pleine modernisation, tandis que nos trois héros restent tournés vers un passé révolu, celui de la vraie aventure. 

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    Le bon, le brute et le cinglé mérite le plus d'attention dans la construction de ses trois personnages principaux, qui divergent largement des personnages originels. Seul le bon (interprété par Jung Woo-sung) reste similaire : sans coeur, silencieux, attentif et excellent à la carabine, son seul but est la prime et le succès. L'interprète du bon semble ainsi le moins bon, justement, prouvant peu ses capacités face aux deux autres acteurs, nettement plus originaux et personnels. Cependant, si Kim Jee-Woon a modifié le scénario, il a aussi rajouté des histoires personnelles à ses personnages, leur inventant un passé trouble et sensible. Le personnage du bon est justement le seul qui ne bénéficie pas ou peu de l'explication de ses origines, restant obscur, moins compréhensible et attachant. Par ailleurs, le cinglé (Kang-ho Song), tandis qu'il l'accompagne, tente de subtilement en savoir plus sur lui, en vain. Kang-ho Song a, quant à lui, continué d'utiliser son physique débonnaire pour interpréter le cinglé. Excellent premier rôle dans de superbes films coréens tels que Memories of murder (Bong Joon-ho) ou Secret Sunshine (Lee Chang-Dong), Kang-ho Song est amusant, énergique, toujours à composer son jeu de grimaces et répliques insolentes, le rendant finalement très attachant. 

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    Mais la différence la plus surprenante réside dans le personnage de la brute (Lee Byung-hun). Véritable cœur de glace dans le film de Sergio Leone, il est ici rajeuni, plus sensible et très émotionnel. Choix surprenant et, il faut bien le dire, intéressant, le quotidien de ce jeune homme charismatique mais capricieux est suivi, découvrant un caractère immature, avide de pouvoir et d'une jalousie sans pareil, telle celle d'un enfant voulant posséder tous les jouets du monde. Kim Jee-Woon a sûrement écrit le film pour ce rôle important de la brute, afin qu'il échoue à l'acteur Lee Byung-hun, véritable star dans on pays et qui avait déjà joué un rôle dramatique dans A Bittersweet Life. L'acteur se débrouille, animé par les rictus de jalousie et les poses inspirées. La brute cherche toujours à rattraper les deux autres, le bon et le cinglé, autant au sens propre (course-poursuite pour le trésor) qu'au figuré (ils sont tous deux meilleurs tireurs que lui et ont déjà une réputation bien remplie). Par sa jeunesse, il incarne même physiquement ce retard, le plaçant comme un personnage central plus faible, qui cherche en permanence à rattraper les autres, à les surpasser, à empiéter sur leur réputation d'aînés (ce que prouvera, sur la fin du film, la révélation sur le passé mystérieux du cinglé). 

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    Le bon, le brute et le cinglé est donc un remake léger, utilisant le film originel comme prétexte pour mieux détourner l'intrigue et les personnages, l'adaptant à l'ambiance « sauce soja », s'amusant follement et fourmillant d'idées. C'est du cinéma au sens propre du terme, sans réflexion, mais juste de l'action, du plaisir, et ça ne se refuse pas.

  • Sparrow

     Sortons nos parapluies

    SPARROW (2008) – Johnny To

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    Après le sublime Exilé (2007), Johnny To nous livre un nouveau film toujours aussi enthousiaste et distrayant. Il est à préciser que Sparrow n’est pas un thriller noir et stylé, mais un film oscillant entre la comédie romantique, musicale et l’action. Johnny To s’en donne à cœur joie dans un Hong-Kong coloré et bondé, jouant sur le côté labyrinthique des lieux. Tel Vincente Minelli avec Un Américain à Paris (cf critique), To s’immisce dans Hong-Kong tel un touriste enthousiaste, observant les gratte-ciels, se frayant un chemin dans le trafic de voitures ou prenant en photo les jolies femmes pressées.

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    L’acteur Simon Yam (qui jouait un boss mafieux insupportable dans Exilé) est le représentant du réalisateur, scrutant avec son visage rond et jovial les curiosités de la ville. Chef d’une minable bande de pickpockets, il prend plaisir à orchestrer ses sorties, à mettre en place toute une chorégraphie de l’art de dérober. A l’instar des fusillades stylisées d’Exilé, la caméra saisit ce prétexte du vol à la tire pour se délecter de travellings audacieux, de ralentis embellis sur une bande sonore éblouissante ou de jeux de mains à plusieurs. Une scène sidérante par son rythme et sa précision représenta au mieux cette chorégraphie, faisant le clin d’œil à Gene Kelly : le duel sous les parapluies noirs de Hong-Kong est d’une beauté sidérante, où chaque geste prend son importance, à l’effet éblouissant. Sparrow se définit d’abord comme un plaisir cinématographique, ponctué de rebondissements efficaces, scandé d’énergie (mis à part un premier quart d’heure un peu errant), de personnages truculents et d’un humour facile, sans pour autant être désagréable.

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    Le film repose essentiellement sur les superbes prises de vue, et la photographie magnifique, se prêtant aux multiples jeux de cache-cache des personnages dans les rues de Hong-Kong ; et sur la bande musicale, propice à une comédie musicale asiatique, insistant sur les petits refrains au piano et les violons entraînants. Simon Yam bondit, marche, tourne avec vivacité dans les rues, dérobant au passage quelques billets, donnant des ordres, envoyant des coups d’œil ironiques. Sous ses ordres, trois acteurs un peu déconcertés par sa joie de tourner, et légèrement décevants, n’insufflant pas la même énergie au film, mais suivant Simon Yam dans son numéro avec motivation.

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    Quant au personnage de Kelly Lin, il est symbolisé ce moineau qui s’immisce entre les murs (part ailleurs, je vous conseille le film du même titre, qui fera l’objet d’une très longue critique) de Simon Yam au début du film. Car cet oiseau au charme fier et discret va amener bien des ennuis à nos quatre pickpockets. De plus, le titre, Sparrow, est un mot anglais comportant deux significations : moineau et pickpocket. Car le film représente essentiellement une rencontre entre deux classes sociales (la luxueuse femme d’un mafieux et des pickpockets ridicules). Chacun n’hésite pas à jouer l’autodérision de son personnage, Kelly Lin jouant sur sa beauté à talons aiguilles, telle une égérie de Wong Kar-Wai, exaspérant dans son rôle de séductrice ; tandis que les quatre pickpockets redoublent de naïveté et de bonhomie, cherchant à jouer les professionnels, en vain. Ce quatuor peut rappeler celui des quatre tueurs à gages d’Exilé, composé de même manière : un chef réservé et se voulant impartial ; un jeune généralement troublé par les événements et deux acolytes un peu maladroits et redoublant d’originalité pour duper leurs adversaires.

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    Ainsi, Sparrow joue essentiellement sur la métaphore d’un moineau tapageur, séduisant par sa vivacité et sa précision. Moins impressionnant et complexe qu’Exilé, il n’en reste pas moins agréable et amusant.

  • Souvenir

    Une voix dans la montagne

    SOUVENIR (2008) – Im Kwon-Taek

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    Il était temps que je découvre le cinéma coréen avec le centième film réalisé par le maître en la matière, Im Kwon-Taek, réputé pour son Ivre de femmes et de peinture, notamment. Souvenir est un film qui ne manque pas de charme ou de romanesque. Nous entrons dès les premières scènes dans un cinéma volontiers lyrique et époustouflant, soignant la reconstitution historique, les costumes et les maquillages et explorant des thèmes ressassés et encore flamboyants.

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    Le personnage principal, héros au visage sympathique et au caractère maladroit, recherche en permanence sa « sœur », douée d’une voix miraculeuse et atteinte de cécité, et avec laquelle il arpentait les contrées durant son enfance, tous deux menés par leur maître saltimbanque. Etrangement, le récit, pourtant un long flash-back raconté à un villageois amoureux lui aussi de la sœur, brouille volontairement l’esprit chronologique de l’ensemble. Chaque séquence se définit essentiellement sur une rencontre entre certains personnages, un retour ou un départ, entrecoupés d’ellipses. Ces courts événements démontrés avec précision contribuent à symboliser le thème de la recherche de l’autre, ou de soi-même, pour chaque protagoniste, thème extrêmement classique mais adapté au carctère grandiose du film. De même, lors des retrouvailles, chacun demande à l’autre « Comment as-tu fait pour me retrouver ? », transformant son retour en une véritable apparition magique. Par ailleurs, Dong-ho s’imagine apercevoir sa sœur sur le chemin, alors qu’il ne s’agit que d’une illusion.

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    L’histoire d’amour platonique s’exécutant entre les deux héros répond justement à ce mot, l’illusion. Dong-ho, par ses balades idylliques et ses regards perdus dans l’horizon, n’est-il pas un héros romantique, tandis qu’autour de lui les autres Coréens boivent, font la fête ou l’insultent, et que le pays se transforme, gagné par l’industrialisation et la mondialisation ? Peu à peu apparaissent la radio, la télévision, l’industrie du pétrole au Moyen-Orient, fond de toile contrastant avec les désirs des personnages. De même, Song-hwa, la sœur, s’obstinant dans sa condition de chanteuse aveugle en exil, ne chante que des chansons d’amour et de désir. Son errance et sa discrétion contribue à faire croître la chape de mystère qui l’entoure, signifiant qu’elle reste précieuse mais inaccessible. La puissance de sa voix et du style de chant pratiqué permet au film d’atteindre une force magistrale.

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    Les lourdeurs dans l’histoire et l’interprétation parfois exagéré de certains acteurs sont atténués par ce style de chant représenté, filmés avec virtuosité. Dès qu’un chanteur commence à s’exprimer, contant au rythme des tambours légendes ou fables coréennes, les visages gagnent en émotion, l’attention s’aiguise et les décors naturels subjuguent. La voix de la jeune femme résonne, avec cet accent si particulier de la langue coréenne, voix de gorge tressaillant de vie, de douleur et d’émotion. La représentation des coutumes (véritable désir du cinéaste pour son centième film) vise à les sublimer, à exprimer leur importance et l’impact dont il est toujours capable, souligné par les prises de vue magnifiques des paysages environnants et des costumes chatoyants.

    Cependant, le film assiste également à la disparition de cette pratique du chant : la troupe théâtrale où travaillait Dong-ho passe des salles de fêtes aux petits bars des villages, perdant de l’importance et de son respect. La chanteuse incarne un genre d’idéal de ce chant, imperturbable et éternel, comme vient le souligner la séquence finale.

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    Certes, Souvenir peut facilement être considéré comme un mélo flamboyant, avec les lourdeurs romantiques qui s’imposent mais la surprise et le plaisir d’assister à un travail de qualité sur ce visage de la Corée prime sur l’impression générale du film.