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  • Paprika

    L'actrice onirique

    Paprika (2006) - Un film de Satoshi Kon

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    Film-somme, film-testament, film-hommage au cinéma, apogée visuelle et virtuelle… Tous les substantifs sont bons pour désigner le dernier film réalisé par Satoshi Kon, tragiquement décédé d'un cancer durant l'été 2010. A ce jour, Paprika est considéré par beaucoup de ses fans comme le point d'orgue du travail de Satoshi Kon, comme s'il pressentait sa mort prochaine. Je préfère le considérer comme une précieuse parcelle de son oeuvre, un travail remarquable qui établit des passerelles avec ses thèmes fétiches et obsessionnels, tout en se tournant, avec lucidité, originalité et une pointe de cynisme, vers l'évolution d'une société de plus en plus médiatisée et dématérialisée. Paprika, par son postulat onirique et scientifique, semblait un sujet en or pour ce réalisateur de la psyché, qui a su, à travers d'autres films brillants comme Perfect Blue ou Millenium Actress, tirer profit des capacités de l'animation à décliner nos identités, mettre à nu les troubles les plus fascinants tout en refusant une psychanalyse facile. Le rêve est au centre de Paprika, matière aux fantasmes, matière aux pulsions les plus délurées.

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    Rêve et réalité

    Là où le récent Black Swan d'Aronofski s'inspirait franchement, et avec tricherie, de l'étonnant déchirement interne de l'héroïne de Perfect Blue, Inception de Christophe Nolan (un film déjà bien plus sincère et efficace que Black Swan) semble tirer certaines de ses ficelles de Paprika. La comparaison est troublante, le scénario de Paprika mettant en avant l'invention de la DC Mini, un système électronique capable de partager les rêves des individus, ainsi que de les enregistrer, comme une vraie séquence vidéo. Le rêve est en outre l'occasion rêvée pour Satoshi Kon de perfectionner ce en quoi il excelle : son sens de la transition et du raccord-mouvement, où le protagoniste se retrouve propulsé d'un univers onirique à un autre, très proche des multiples mises en abîme d'Inception. Mais le parallèle s'en limite à ces petites idées (il réside également le thème de l'ascenseur, où la référence se fait plus qu'explicite…), les deux films ayant deux propos totalement différents, celui de Paprika surpassant par ailleurs la classique question philosophique que posait le block-buster américain. En effet, Inception, derrière la complexité de son montage, cachait un scénario au final assez simple, mettant ses personnages face à un questionnement phare dans le thème du rêve : la réalité est-elle vraiment celle qui est vécue ? Ne serait-ce pas plutôt le rêve le monde réel ? Satoshi Kon se débarrasse aisément de cette problématique puisque, dans tous ses films, la réalité est sans cesse déformée, malaxée, insaisissable, profondément subjective. Il préfère poser les questions des limites de la science sur un plan éthique, et notamment vis à vis de cette technique d'intrusion dans le rêve, véritable viol de l'intimité.

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    Violations

    Le thème de la violation traverse ainsi tout le film, tout comme il empreint l'oeuvre entière de Satoshi Kon. La mise à nu, l'exposition des images les plus folles, l'étalement symbolique d'une psychologie ambiguë (sous-entendus d'un malaise homosexuel, clins d'oeil à Gustave Moreau avec le mythe d'Oedipe) trouvent leur illustration dans Paprika. Le rêve révèle les pulsions de chacun, imaginations débridées lâchées dans de grands espaces urbains ou fantastiques. La séquence qui révèle la véritable identité de Paprika devient ainsi une véritable mise à nu au sens physique du terme, la jeune femme ayant son corps violé et déchiré en deux par l'un des hommes ennemis. A travers la folie de ce film et ses images délurées, Satoshi Kon dévoile le danger du partage du rêve, avec les extrêmes où tout cela peut mener. Et par cette idée du partage, il met aussi en avant la propension qu'ont les images à circuler facilement, quitte à envahir les esprits et à s'infiltrer partout. La parabole d'Internet est ainsi ingénieuse (cet Internet dont le danger était déjà pointé dans Perfect Blue qui datait de 1998 !) : le commissaire entre non seulement virtuellement mais aussi physiquement dans le site web donnée par Paprika. Et celle-ci est elle-même cette figure virtuelle, aussi insaisissable que séduisante, véritable personnification des nouvelles technologies : elle incarne en effet la libération, la vitesse, la multiplicité des possibilités, elle sait surfer sur les nuages déguisée en Son Goku aussi bien que rouler à moto, voler les bières des affiches publicitaires, se miniaturiser ou se grandir. Cette capacité de transformation et de vélocité s'avère incarner la métaphore féminine des actuelles performances technologiques.

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    Puzzle onirique

    Qui dit transformation, vélocité, dit explosion des frontières. En travaillant sur l'image mentale et ses obsessions, Satoshi Kon nous projette sans cesse dans un intérieur mental, dans la pensée, brouillant les pistes entre objectivité et subjectivité. Le film n'hésite pas à s'attacher à plusieurs personnages et à multiplier les points de vue : fantasmes des employés du laboratoire, univers dérangé de certains personnages aux frustrations sociales et sexuelles, vision des médias, point de vue démultiplié de Paprika, rêve de la thérapie du commissaire. Ce dernier s'avère particulièrement intéressant : ses rêves incarnent parfaitement, grâce à la technique de l'animation, l'étrange imagerie mentale qui composent l'espace onirique. On passe d'une univers à un autre, d'un thème et d'une ambiance à une autres par des transitions très particulières, dans le mouvement ou dans la forme, sans que jamais le fil du parcours onirique ne semble brisé ou incohérent. La construction peut s'apparenter aisément à une spirale, les points de vue frôlant le vertige par moment, par exemple lors de la dégringolade du commissaire dans les couloirs rouges ocres. De plus, l'ensemble du scénario, comme toujours chez Satoshi Kon, s'appuie sur la technique précise et ciselée du puzzle en reconstitution. Le traumatisme du commissaire a fort à faire avec cette construction : les éléments trouvent peu à peu leur signification, une image en particulier agit comme un leitmotiv obsessionnel, celle de papdedouble.jpgson double assassiné chutant au ralenti dans l'escalier. Le rêve surréaliste phénoménal qui s'infiltre partout est quant à lui annoncé durant toute la durée du film, les indices parsèment l'enquête, certains plans se font écho, dans la séquence du parc d'attraction par exemple. La présence de la double personnalité, enfin, cristallise tout ce système d'échos et de parallèles. Ce thème peut se lire dans le personnage du policier mais aussi, et surtout, à travers la duplicité de Paprika et ces deux personnages de femmes opposées mais marquantes. Millenium Actress, Perfect Blue ou même Tokyo Godfathers sous certains aspects, sont tous trois des illustrations schizophréniques. Il est en de même pour Paprika, à la différence près que les deux femmes sont clairement deux entités distinctes qui partagent un même corps mais dont les envies et les ambitions sont radicalement différentes. Nul besoin pour l'une comme pour l'autre de changer de comportement, il s'agit plus d'une complémentarité temporaire qui permettra à chacune de trouver sa raison d'exister. Paprika finira par trouver son envol, se libérer de toute étreinte corporelle, évanescente comme l'air, tandis qu'Atsuko se raccrochera à la terre et à la réalité, avec la promesse de fonder sa vie avec celui qu'elle aime. Paprika confirme en outre une tendance quasi-féministe qui se retrouve dans la plupart des films de Satoshi Kon, à travers deux figures de femmes très fortes, ainsi qu'avec ce final grandiose, où la femme aspire goulûment l'homme, sorte d 'inversion d'Adam et Eve !

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    Imaginaire japonais

    papgrenouille.pngPaprika est plus marqué par l'univers japonais que les autres films de Satoshi Kon, tout comme Le Voyage de Chihiro s'inspire bien plus des croyances ancestrales avec Miyazaki. On y retrouve un imaginaire vif avec ce rêve phénoménal agissant comme une sorte de virus et réunissant toutes les figures spirituelles, légendaires ou religieuses de la culture japonaise. La personnification de certains figures animales (telles les grenouilles, ce qui fait songer au Voyage de Chihiro) et de personnages fantasmagoriques contrastent habilement avec les objets animés de la rue, dans une folle farandole où la légende ancestrale rejoint la modernisation actuelle. Les distributeurs déformés et hurlants, lampadaires, réfrigérateurs et autres appareils ménagers forment unepapfantasme.jpg cacophonie infernale des machines, en écho avec la fascination du Japon pour l’univers robotisé et automatisé (Metropolis avec Osamu Tezuka, Steamboychez Katsuhiro Otomo). Ce rêve tonitruant rassemble tout ce qu'il y a de fascinant et paradoxalement terrifiant dans le pays : un passé surnaturel chargé de légendes glauques qui continue d'imprimer sa marque dans une société tendant pourtant à l'occidentalisation ; un avenir de plus en plus tourné vers la puissance matérielle et économique et empreint du phénomène de mondialisation. Dans certains passages, il peut même se lire une critique des psychoses du Japon. A la fin, le rêve envahit la réalité, mais s'en fait la délirante métaphore. Des hommes d'affaires se jettent du toit en riant, grinçante vision du suicide, des patriarches politiques aux allures de poupées se disputent le trône, tels des pantins décharnés, et les jeunes gens voient leurs visages remplacés par des portables, amer vision d'une jeunesse déconnectée de la réalité et sans personnalité. Derrière son délire visuel, Satoshi Kon distille toujours autant une vision noire de sa société, dans le chaos le plus total. Seule une Paprika énergique paraît maintenir ce chaos.

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    Hommage au cinéma

    Enfin, si Paprika peut être librement interprété à différents niveaux – scénario complexe, angle psychanalytique, critique de la société, vision du Japon et de ses transformations – il reste incontestablement et peut-être avant tout un formidable hommage au cinéma. Millenium Actress et Perfect Blue prouvent la forte thématique du cinéma, monde à l'industrie fascinante et perverse, pour lequel les héroïnes se passionnent mais dans lequel elles doivent aussi se papleçonciné.jpgbattre pour être reconnues. Dans Paprika, l'hommage au cinéma n'a jamais été aussi fort, agissant comme une sorte de retour à la passion première de Satoshi Kon. Le personnage du commissaire évidemment, est un des médiateurs de cette passion : toute son entreprise psychanalytique mise en œuvre avec la DC Mini révèlera son traumatisme cinématographique pour finalement accepter son passé. L'ouverture, magnifique d'originalité se veut comme une palette des genres cinématographiques avec le thème du spectacle, le film à suspense, la comédie, les clins d'oeil à Hitchcock dans le train, le fantastique... De nombreuses leçons de cinéma ponctuent le film, définitions de la ligne imaginaire et du Panfocus, et bien évidemment cette très belle idée de l'écran de cinéma traversé, toujours en lieu avec le thème de l'explosion des frontières... A la fin du film, le commissaire se rend au cinéma, retrouve ses premières amours. L'auto-citation finale est présente avec à l’affiche toutes les œuvres réalisées par Satoshi Kon, ultime héritage représenté. Mais le film que va découvrir le commissaire n'est pas Paprika, mais un film dont on aperçoit auparavant l'affiche au milieu du film, lorsque le personnage s'évanouit dans sa voiture : il s'agit d'un étrange film dont l'affiche a des allures de paradis perdu, avec deux silhouettes d'enfants éblouis sous un soleil d'été. Comme si Satoshi Kon nous invitait à revenir sur un émerveillement d'enfant, à rejoindre une forme d'émotion toute originelle et juste par le cinéma.

    Tout ce tissu cinématographique sous-jacent à l'intrigue et à l'action mènent ainsi à ce constat simple, et pourtant essentiel : le cinéma c'est rêver. Au début du film, après une première immersion dans l'imaginaire du commissaire, ce dernier et la jeune Paprika tiennent cette conversation : « les rêves nocturnes sont des courts-métrages artistiques, et les rêves matinaux des longs-métrages de divertissement », affirme la jeune fille. Ce à quoi le commissaire réplique : « Et toi, tu es une actrice de films oniriques ? » Ce seul échange dépeint tout le génie merveilleux du film. 

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  • Carré de Culture Tangmo

    Carré de culture à Tangmo

    Un film de Delphine Ziegler

    Avec la danseuse-chorégraphe Aurore Gruel

     

    Dans le cadre d'une résidence à Bouxières-Aux-Dames (charmante petite ville un peu isolée sur une colline en Lorraine), la cinéaste Delphine Ziegler et la chorégraphe Aurore Gruel ont projeté le film qu'elles avaient réalisé à Tangmo en Chine. Difficile de trouver la catégorie où ranger ce travail, toujours est-il que je décidais d'y consacrer un article, vu la qualité du travail proposé par ces deux artistes, d'autant plus que la danse d'Aurore, alliée à la réalisation et au montage de Delphine reflètent l'esprit asiatique dans lequel elles se plongent.

    Eau

    Elles s'y plongent, en effet, autant au sens figuré qu'au sens figuré, puisque l'eau est au centre de Tangmo, traversé par un petit canal qui constitue la structure et la ressource du village. La composante naturelle, le « retour aux sources » s'intègrent ainsi tout naturellement à la danse du film, épuré et calme dans son rythme. La rigueur et la beauté des plans, souvent fixes, de Delphine Ziegler, s'attachent à la matière des choses et à leur confrontation avec la robe brune de la danseuse, confrontation qui peut aller jusqu'à la fusion. Le tissu de la robe vient même à s'intégrer à la roche brune, créant une seconde peau plissée par l'eau qui coule, dans un plan particulier.

    Contemplation

    L'ensemble touche à la contemplation. Contemplation que l'on peut palper dans de nombreux films indépendants chinois, ou dans le cinéma asiatique en général. La paisibilité du petit village, avec son eau qui coule en permanence, permet au corps d'Aurore de s'imprimer dans une démarche lente. La fixité des plans longs et la transition par de lents fondus enchaînés rejoint ce phénomène de contemplation et d'ostentation, laissant toute sa place et son temps aux mouvements de la danseuse, à sa lente imprégnation au lieu. Certains fondus sont particulièrement beaux, par exemple dans l'immense vieux temple ou lors d'un contrejour sur un balcon.

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    (c) Delphine Ziegler

     

    Immersion dans le quotidien

    Enfin, ce travail est une étrange immersion non seulement dans le paysage, mais aussi dans le quotidien des habitants de Tangmo. Tandis qu'Aurore évolue dans les rues, les habitants continuent leur travail, observent le curieux protagoniste au milieu de l'eau, voire suspendent un instant leur quotidien pour observer ce qui se passe. Un curieux contraste s'effectue ainsi entre une femme arrêtée au bord du canal où la danseuse bouge, discutant activement de çà de là tout en s'interrompant parfois, le regard et la voix happées par cette danse et cette eau qui coule. Un travail sur une séquence révèle aussi ce contraste : Aurore s'extirpe lentement d'une ruelle, le regard perdue vers le lointain, tandis qu'on entend des individus hors-champ qui piaffent, discutent allègrement, voire crachent à terre. De même, lors d'une séquence tournée près d'un chantier, les bruits de fond et les discussions des ouvriers s'opposent à l'évolution de la danseuse sur le mur. Ce beau contraste rappelle le magnifique Still Life de Jia Zhanke, où durant l'activité intense sur les chantiers visant à démolir les maisons envahies par le barrage des Trois-Gorges, les ouvriers s'interrompaient pour observer le paysage dévasté, perdus dans leurs pensées. 

  • Hansel et Gretel

    Les Orphelins 

    Hansel et Gretel (2007)

    Un film de Yim Phil-sung

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    Merci à Gwladys pour le DVD !

    Hansel et Gretel, lors de sa sortie en DVD, m'avait attirée dans les rayons. Voir un conte de Grimm adapté en film coréen semble improbable et pourtant prouve la vitalité d'un tel cinéma, tout comme il peut exister au Japon des mangas sur des thèmes surprenants et inattendus. Si le film a connu un échec à sa sortie, son édition DVD pour la France se veut de rattraper le coche avec un double-DVD de très grande qualité, comportant notamment un making-of très amusant et intéressant (certaines vidéos filmées durant le tournage par les enfants-acteurs du film y sont par exemple présentes).

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    Non pas un conte, mais des contes

    Le film de Yim Phil-sung, réalisateur d'Antarctic Journal, ne se veut pas la retranscription du conte d'Hansel et Gretel, qui apparaît plutôt comme un prétexte. Un jeune homme, en passe d'être père, a un accident de voiture sur une route isolée. Assommé à la tête, il échoue au beau milieu d'une forêt obscure. Une jeune fille portant une lanterne le recueille et le mène dans sa famille, habitant une charmante maison au beau milieu de cette forêt. Malgré l'insistance des parents pour qu'il reste, le héros quitte la famille et recherche son chemin. Très vite, il revient sur ses pas, incapable de trouver la sortie et se voit peu à peu condamné à rester dans lahanselparents.jpg charmante maison de cette famille. Dans ce film fantastique et proche d'un huis-clos peut se retrouver l'influence de plusieurs contes. Ce sont tout d'abord les enfants qui sont au centre du dispositif maléfique, et non plus des personnages d'adultes ou de sorcière. Par ces enfants qui refusent de laisser partir les adultes qui échouent dans leur maison sont présents la peur de l'abandon du Petit Poucet, l'isolement au milieu d'une forêt comme pour Le petit Chaperon Rouge, et l'enchantement de la Belle au bois dormant. L'intemporalité reste bien représentée dans le film, le héros se réveille dans une chambre dont les objets ont parfois changé mystérieusement de place, la nuit arrive rapidement dans la forêt, la neige intervient brusquement malgré le soleil... Les décors et les effets spéciaux s'avèrent soignés et efficaces : la maisonnée a tout ce qu'il y a de plus charmant et d'inquiétant, les tentures et les tapisseries sont truffées de détails, et certains passages dans la forêt font songer à la poésie horrifique du Labyrinthe de Pan (Guillermo Del Toro).

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    Les dérapages de l'horrifique...

    Une bonne partie du film peine à trouver ses marques et son originalité. Le début fonctionne comme un film d'horreur conventionnel. La sympathie forcée de la bonne famille met mal à l'aise, de même que les décors enfantins. Le suspense s'installe lors ds séquences de nuit : silhouettes qui circulent dans les couloirs, mélodies disgracieuses, déplacements dans le grenier labyrinthique... Tous les ingrédients sont là, convenus et avenants. Le film dérape ainsi un peu dans son patchwork glauque et terrifiante, allant jusqu'à des absurdités lourdes comme l'anthropophagie supposée des enfants ou leur vieillissement prématuré. Là n'est pas l'intérêt d'Hansel et Gretel, qui parvient à trouver, au bout d'une bonne demie-heure d'effets attendus, son véritable propos et son originalité.

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    ...jusqu'à une étonnante lecture psychologique

    En effet, Hansel et Gretel s'épanouit plus dans la relecture qu'il fait du conte transposé, et non dans ses effets, notamment sur le plan de la psychologie. On sait bien, avec les nombreuses interprétations psychanalytiques du conte (le travail de Bruno Bettelheim), qu'une adaptation au cinéma s'avère bien plus intéressante sur le plan de la réflexion que du prétexte de l'action ou de l'esthétisme merveilleux décrits. Le film remet tout d'abord en question la cruauté de la morale du conte. C'est en lisant la fin d'Hansel et Gretel, où la « méchante sorcière » est poussée dans le feu que les enfants du film furent amenés à user de la même cruauté, suivant la doctrine manichéenne du conte de base. Ils ne distinguent, par leurs caprices, le monde qu'en noir et blanc, à l'image de ce programme de télévision qu'ils regardent en boucle, entre les gentils lapins et les méchants ours, les parents aimables et les parents agressifs, cédant ou non à leurs caprices.

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    Parallèlement à cela, Hansel et Gretel se risque sur le chemin de la compassion et du mélodrame, avec cependant une certaine énergie et efficacité. Par l'histoire de ces enfants abandonnés et à la recherche de leurs parents se dessine le thème plus intéressant de l'enfance maltraitée. Lors des séquences des souvenirs se retrouve la violence du cinéma coréen, avec sa crasse, sa sueur, sa froide cruauté. Le film dénonce ainsi la condition des orphelins et de la maltraitance des enfants en Corée à une certaine époque, intention tout à fait honorable et bien plus intéressante que le pâle film horrifique du départ. L'esthétique glauque et malaisée sert ainsi par la suite le sombre propos de la maltraitance et de l'abandon. Le passé torturé des enfants rejoint ensuite la réalité présente avec ce curieux et excellent personnage de faux prêtre dérangé qui croise sans le savoir de dangereux jeunes criminels. Rencontre et collision absurde à laquelle assiste le héros, entre le plus malsain et fou des malfaiteurs (il chante, ému, une prière à la Lune avant de feuilleter sa Bible où figurent les photographies des jeunes victimes dont il a abusé) et ces enfants perturbés par trop de violence. Le film se finira ainsi par la catharsis de cette violence, dans une impressionnante scène de tornade.

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    Certes maladroit sur certains points, le film de Yim Phil-sung reste une curieuse surprise, originale dans ses intentions et prenante. Les enfants se débrouillent assez bien, les adultes aussi. Hansel et Gretel est ainsi un film atypique dans le cinéma coréen, où le genre du fantastique reste assez peu présent, puisqu’il n'y a guère que The Host (Bong Joon-ho) dans les références les plus connues. 

  • Kiki la petite sorcière

    Le chat, la mer et le ciel 

    Kiki la petite sorcière

    Un film de Hayao Miyazaki

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    Merci à Fanny pour le DVD !

    J'avais découvert Kiki la petite sorcière lors de sa sortie en France en 2004. Le film (qui date de 1989) avait été brillamment restauré et était ressorti dans les salles françaises, à l'instar d'une série d'autres inédits, comme Le Château dans le ciel et Nausicaa de la Vallée du Vent. Je le redécouvre en DVD, avec toujours autant de bonheur. 

    Kiki est une petite fille qui, pour devenir sorcière, doit montrer son potentiel en partant durant une année dans une ville étrangère et se faire accepter par les habitants. A travers ce postulat enfantin, Miyazaki brosse le portrait d'une jeune fille au bord de l'adolescence, qui se découvre à travers ce parcours initiatique. La vivacité de l'animation et les personnages colorés allègent le dureté du propos, qui partage les affres et doutes de la fillette qui découvre un monde pas si rose et agréable que la charmante maison de ses parents.

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    kikijiji.jpgLe Chat

    Sur chacune de ses apparitions, Jiji apparaît auprès de Kiki. Jiji et Kiki, deux noms pétillants de protagonistes qui forment un duo contradictoire constituant une bonne partie de l'humour du film. Jiji, amer, ne cesse de critiquer la ville et d'abattre les illusions de sa sorcière par ses répliques cinglantes, méfiant comme un chat de gouttière. Le chat n'a pas la langue dans sa poche, donnant lieu à des séquences hilaranteskikiparents2.jpg comme ses rencontres avec un énorme chien bougon ou le boulanger muet chez lequel loge Kiki. Cependant, c'est ce premier détail qui révèle les changements de la petite sorcière. Jiji est tout d'abord une accroche à la terre de ses parents, un héritage de l'enfance dorée et la preuve de ses origines de sorcière. Le compagnon de tous les instants, qui la suit sur une bonne partie du film, découvrant la ville et ses habitants avec elle, ne peut soudainement plus lui parler, se sensibilisant au langage bien plus félin de la voisine d'en face. Lorsque Kiki s'aperçoit qu'elle ne peut plus lui parler, elle perd de sa confiance en elle tout en se détachant de sa dépendance d'origine, se confiant à d'autres qu'à lui.

     

    kikimer.jpgLa Mer

    Kiki a le coup de cœur face à la ville car elle y est émerveillée par la mer. Tout comme dans Le Voyage de Chihiro, cette mer est synonyme de beauté mystérieuse, large et vaste, isolant la cité des Bains ou la ville adoptée par la sorcière. Celle-ci est en contraste avec la maison bien abritée derrière les arbres de ses parents, où sa mère s'active dans la serre, sphère protectrice du reste du monde. Les décors jouent toujours un rôle primordiale dans les films des studios Ghibli et la ville en bord de mer de Kiki n'en est pas exempt. Parallèle à celle où habitent Sosuke et sa mère danskikiville.jpg Ponyo sur la Falaise, elle a des abords charmants, une ambiance colorée tout en révélant ses caprices. Kiki découvre les complications d'une circulation complexe lorsqu'elle traverse les rues en balai, manquant de provoquer un grave accident. La sorcière n'a pas sa place dans ces rues animées, parmi ces voitures et camions agités. Elle découvre ainsi le monde urbain et ses caprices, l'hospitalité et le rejet. Une boulangère enceinte jusqu'au cou l'accueille à bras ouverts tandis que des jeunes filles fardées de son âge pouffent sur son passage. Comme toujours, tous les personnages rencontrés dans ce film de Miyazaki sont capables de révéler une certaine cruauté discrète sans jamais être condamnés ou perdre de leur candeur.

     

    kikivol2.jpgLe Ciel

    Le ciel, l'action. Le film sait rythmer les moments de calme et ceux d'agitation, entre action et réflexion, quête initiatique et divertissement maîtrisé. Il parvient à retranscrire, grâce à l'animation impeccable, la sensation d'onirisme et de vitesse lors des séquences de vol, que ce soit lors du voyage à balai, de la traversée dans la ville, du parcours sur l'autoroute à vélo, ou encore lors du final avec le dirigeable. On reconnaît l'amour de Miyazaki pour les machines de vol, passion qui rythme ses films : l'engin de Nausicaa, l'avion rouge dans Porco Rosso, les dirigeables des pirates du Château dans le ciel ou le dragon dans Le Voyage de Chihiro. Le balai trouve ainsi aisément sa place dans la filmographie du grand maître. Par les scènes dans le ciel, l'agressivité du vol ou du vent se révèle tout autant que son agréable impression. Certaines séquences sont même très impressionnantes et inquiétantes (l'attaque des corbeaux, le suspense lorsque le dirigeable s'effondre sur la ville). Tout comme le chat, l'action de voler est un élément caractéristique à la sorcière et révélateur des troubles qui agite une fille aux bords de l'adolescence. C'est la disparition de son don qui inquiète Kiki et indique les changements de son corps et de son esprit qu'elle ne comprend pas.

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    Le film passe ainsi habilement par les accessoires de la sorcière, loin de l'image surnaturelle habituelle, pour transfigurer les failles et les doutes qui agitent toute jeune adolescence face à la cruauté des hommes, le fonctionnement d'une communauté, l'ambition et la peur de décevoir dans cette ville. Parcours initiatique transporté par la robe noire et les yeux malicieux et naïfs de Kiki, son chat noir aux grands yeux sur ses épaules, Kiki la Petite Sorcière est, à l'instar d'Arietty, un film sur les angoisses de l'adolescence, frais et grave, subtil et agréable.