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Cinéma coréen - Page 4

  • Old Boy

    OLD BOY – Park Chan-wook

     

    Un grand merci à mon (ancien) camarade Wes pour le DVD !

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    Old Boy. Deux mots qui sonnent comme l'annonce du succès d'un certain cinéma sud-coréen dans le paysage cinématographique en 2004, où le film de Park Chan-wook, deuxième volet de sa trilogie sur la vengeance, frôla la Palme d'Or en recevant le Grand Prix du Jury à Cannes. Old Boy, fortement acclamé par la critique, reçut un fort succès à sa sortie et ouvrit la brèche à la reconnaissance d'un certain cinéma sud-coréen, suivi de près par Memories of Murder, The Host, Mother (Bong Joon-ho) ; A Bittersweet Life, I met the Devil (Kim Jee-woon) ou encore The Chaser, The Yellow Sea (Hong-jin Na). Le film de Park Chan-wok a en effet ouvert la voie à ce cinéma empreint de violence, et où tous les moyens de la réalisation – scénario, mise en scène, montage – visent à concrétiser, incarner, faire ressentir cette violence, qu'elle soit physique ou psychologique.

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    Adapté du manga éponyme de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi, le film de Park Chan-wook n'en reprend que le postulat de base (à juste titre, le manga d'origine manquant singulièrement d'intérêt, autant sur l'articulation de son scénario, que sur le graphisme), à savoir l'emprisonnement prolongé d'un homme ordinaire sur 15 années de sa vie, sans aucune raison, puis sa brusque libération dans la ville où il a été enlevé. La force du film doit tout d'abord à la construction de son récit, évidemment, qui correspond tout à fait à ce style de scénario dont il est impossible de délivrer la résolution dans une critique et qui ne peut être vu et utilisé qu'une seule fois (au même titre que d'autres scénarios au dénouement renversant et irréversible comme Fight Club ou Seven de David Fincher, par exemple). La recherche des réponses aux questions Qui, Pourquoi, Dans quel but ? donne ainsi le pouls du récit et des énigmes à résoudre, les éléments étant égrenés au fil des actions. De plus, le film développe un formidable sens sur le destin et le poids du chemin à suivre. Oh Dae-soo, bien qu'il soit guidé par l'esprit de vengeance le plus tenace, est de bout en bout guidé, manipulé par celui qui l'a enfermé. Le rapport au point de vue s'avère habile, manipulant lui aussi le spectateur. Tantôt le film nous fait partager les actions de « l'ennemi », riche milliardaire malade, identifié au bout d'une demie-heure de film, faisant sentir le poids de la manipulation sur Oh Dae-soo, tantôt la caméra épouse le regard du personnage principal, nous faisant souvent songer à tort qu'il a une longueur d'avance sur son geôlier.

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    Ce jeu sur le point de vue finit par démontrer l'horrifiant engrenage de manipulation dans lequel le protagoniste et le spectateur se sont laissés entraîner. Pour Park Chan-wook, le thème de la vengeance est ainsi intiment lié à l'idée de fatalité, de spirale irréversible, les nombreux retours en arrière du film et flash-backs mentaux du personnage contribuant à renforcer la manipulation, à l'image d'un puzzle se reconstruisant. La réalisation nous présente toujours en outre Oh Dae-soo comme en marge de la vie et du quotidien ordinaire : ses comportements sont déréglés, chacune des actions effectuées lors de son retour à la ville devenant l'équivalent d'une « première fois » beaucoup plus intense et violente. Ainsi, la première confrontation avec des jeunes délinquants donne lieu à une solide explosion de violence ; le premier repas à une dégustation pléthorique d'un énorme poulpe vivant ; la première rencontre avec une femme un choc violent écrasant le protagoniste. Ce n'est pas par hasard si la première chose que constate Oh Dae-soo est une tentative de suicide qu'il ne cherchera nullement à empêcher, le plaçant d'emblée du côté du spectacle de la mort.

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    En outre, le film de Park Chan-wook reflète la vision de la violence telle qu'elle est perçue dans une grande partie du cinéma nous parvenant de la Corée du Sud. Nombreux sont ceux qui ont écrit des articles sur l'efficacité de la violence, bien plus éprouvante, car repoussante, que celle d'un cinéma américain, mais qui provoque néanmoins une forme de fascination. Old Boy joue ainsi bien plus sur la part d'ambiguïté des personnages et leur propension à détruire l'autre, voire s'autodétruire. Le rapport à la chair éprouvée, torturée, mutilée, s'avère extrêmement fort, comme si le corps était intimement lié au mental, et ce rapport trouvera son point d'orgue avec le terrible acte final d'auto-mutilation. Le lien entre physique et psychologique devient ainsi très ténu dans les démonstrations de folie des personnages de Park Chan-wook, chaque défaillance mentale, ou erreur, devant se répercuter sur le corps et le détruire tout autant. Oh Dae-soo déclare ainsi au cours du film que la recherche de la vengeance est devenue une partie de lui-même. Il inscrit notamment sur sa peau le nombre d'années passées dans sa prison, tels des stigmates de sa condition d'homme enfermé et en proie à la folie. Sur ce point, la performance de Choi Min-sik, immense acteur coréen eu même titre que Song Kang-ho, ets remarquable. Là où Song Kang-ho était un masque de sobriété, s'enfonçant dans une cruauté indifférente pour Sympathy for Mr Vengeance, Choi Min-sik donne bien plus de son physique, étant agité par les tremblements de la folie, du désespoir, de la douleur, dans Old Boy. En outre, les films coréens cherchent bien souvent à étendre, par symbolisme, ou une forme de contamination, la violence dans des éléments alentours. Force en est cette célèbre scène de dégustation de poulpe vivant, croqué à pleines dents par Choi Min-sik, scène à la fois terrifiante et drôle, véritable performance d'acteur.

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    On retrouve cependant une caractéristique propre à Park Chan-wook au niveau de la violence à l'écran, caractéristique qui se retrouve un peu dans le cinéma de Bong Joon-ho. Il s'agit de ce rapport à une mise en scène quasi-fantastique par moment, et qui contribue bien souvent à rendre la réalisation du film bien plus impressionnante. Prenons l'une des premières séquences du film, à savoir l'enlèvement d'Oh Dae-soo : cet enlèvement est filmé de manière totalement fantastique. Le protagoniste téléphone depuis une cabine, avec un cadrage conventionnel et réaliste ; le protagoniste sort ensuite de la cabine, laissant la place à son frère qui reprend la conversation. A partir de ce moment, Oh Dae-soo disparaît totalement du cadre. Lorsque son frère sort de la cabine te l'appelle, le cadrage évolue soudain, comme un véritable basculement dans un autre univers, effectuant un formidable travelling arrière combiné avec un mouvement circulaire nous dévoilant la rue vide et un parapluie flottant à terre. Le postulat en lui-même, cet enfermement prolongé, apparaît lui aussi comme surréaliste, car inhumain. Le rapport à la folie provoqué par cet enfermement trouvera ainsi sa présence dans des hallucinations cauchemardesques où le protagoniste se retrouve envahi de fourmis. Park Chan-wook glisse par ailleurs sûrement un clin d'oeil aux fourmis symboliques des tableaux de Dali, voire plus encore à ce film culte du surréalisme, Un Chien Andalou, où se retrouve le même sens de l'excès et de la pulsion. Par la suite, une autre séquence s'impose comme fantastique, celle de la remémoration du souvenir, filmée de manière fantomatique, avec une très belle photographie épurée et donnant dans des tons très clairs et lumineux. Ce sens de l'onirisme, voire de la poésie dans le cinéma de Park Chan-wook est de plus lié au thème de l'hypnose, qui porte toute la résolution du film et mènera à la conclusion. Oh Dae-soo se réfugiera dans l'oubli et l'illusion pour survivre, les dernières images étant portées par la très belle musique lyrique de Jo Yeong-wook, compositeur attitré de Park Chan-wook.

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    Par rapport à son premier volet de la trilogie, Sympathy for Mr Vengeance, même si on reconnaît le sens aiguisé de la mise en scène de Park Chan-wook, et son regard sur la violence, le ton et la réalisation d'Old Boy s'avèrent cependant différents. Tout d'abord, la mise en scène de Sympathy for Mr Vengeance était très glaciale, très distante, toute en suggestions et en longs plans fixes. La violence s'installait de manière progressive à l'intérieur du cadre, la lenteur contribuant à rendre le spectacle éprouvant. Les temps de silence étaient très présents, jouant sur les possibilités de suggestion et d'imagination. Old Boy présente une réalisation bien plus nerveuse, bien plus impulsive, à l'image de l'implosion du personnage au bord de la folie après avoir été enfermé aussi longtemps sans explications. Là où Sympathy for Mr Vengeance impose ainsi le recul vis à vis des actes et des protagonistes, Old Boy cherche au contraire à faire souvent partager l'univers mental confus et ultra-perceptif de Oh Dae-soo. Dans la première partie, celle de l'enfermement sur les 15 années, le montage et l'utilisation de la voix-off parviennent ainsi à dynamiser le quotidien répétitif du personnage, notamment avec un très beau split-screen entre les archives de télévision et la percée du mur, tout en faisant ressentir le terrible poids du temps qui passe. Certaines scènes sont filmées avec nervosité, avec de brusques travellings violents ou des effets d'accélération (lors de la montée dans l'ascenseur, par exemple). L'esthétisme a de plus une part essentielle. A l'inverse des actes terrifiants entrepris, le personnage du geôlier auquel se confronte Oh Dae-soo vit dans le luxe et un univers aseptisé, se déplaçant avec des allures de mannequin et d'esthète. Cette confrontation nous mène dans un ton plus acide, donnant plus dans l'humour noir tout comme Thirst. La scène du poulpe repousse et amuse à la fois, tout comme celle du plan-séquence à la hache, qui paraît surréaliste. Le personnage de Oh Dae-soo constate sa propre plongée en enfer avec dérision, dénué de tous sentiments, confondu dans l'absurde de la situation.

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    Old Boy se révèle un film d'une terrible efficacité. La réalisation de Park Chan-wook fait vivre le pouls de la douleur incarnée à l'écran et le chaos mental du personnage. Plus nerveux que Sympathy for Mr Vengeance, mais tout aussi précis et ciselé dans ses choix de réalisation et de scénario, le film incarne un des plus brillants portraits de la manipulation et de la cruauté à travers ses protagonistes, ayant influencé de nombreuses répliques dans d'autres films sud-coréens.

  • Song Kang-ho


    Song Kang-ho

    Pour quiconque s'intéresse à l'actualité du cinéma coréen, Song Kang-ho s'avère incontournable. Il est partout, il a tourné sous la direction des plus talentueux cinéastes du moment, s'illustre aussi dans des comédies populaires que dans des films d'une insoutenable violence. Il est, avec l'acteur Lee Byung-hun, l'une des figures les plus populaires au niveau international, sa notoriété ayant franchi le cap de la frontière sans pour autant tourner dans des films d'une nationalité différente que la sienne (contrairement à Lee Byung-hun qui fit plusieurs apparitions dans de grosses productions aux côtés d'acteurs américains).

    Song Kang-ho est tout d'abord le seul à avoir tourné sous la direction des trois grands cinéastes représentatifs du cinéma de violence qui nous parvient de la Corée du Sud : Park Chan-wook, évidemment, cinéaste avec lequel il a le plus collaboré, avec JSA, Sympathy for Mister Vengeance, Lady Vengeance et Thirst; Bong Joon-ho avec deux films populaires, Memories of Murder et The Host ; et enfin Kim Jee-woon, également avec deux collaborations, The Foul King et Le Bon, la Brute et le Cinglé, fort succès coréen à sa sortie en 2008.

    Au-delà de ces interprétations et collaborations inévitables et mémorables, car toutes encadrées par une réalisation forte et originale, Song Kang-ho s'est toujours affirmé en Corée du Sud dans des rôles populaires, beaucoup dans la comédie (The Secret Reunion, The Show must go on) ou encore le drame historique (The President's Barber, Antartic Journal). Il a également tourné une fois sous la direction du précieux cinéaste Lee Chang-dong, avec Secret Sunshine, où il interprète le garagiste amoureux de l'héroïne. Ses rôles les plus célèbres montrent bien l'atout de cet acteur : sa formidable propension à pouvoir interpréter des rôles aussi bien comiques que tragiques, surprenant soit par son travail facial et gestuel proche du burlesque, soit par la sobriété de sa composition. Revenons un peu sur les interprétations les plus marquantes de cet acteur talentueux...

     

    Affirmation du père et du prêtre

    Songkangho.jpgL'un des rôles les plus sidérants de Song Kang-ho reste inévitablement celui du père dans Sympathy for Mr Vengeance qui débute la fameuse trilogie de la vengeance de Park Chan-wook. Ce film marque la deuxième collaboration de l'acteur avec le cinéaste, après JSA. Song Kang-ho venait alors de se faire remarquer du grand public, car JSA, ainsi que The Foul King, étaient les plus grands succès publics et critiques du moment en Corée du Sud. Kim Jee-woon décrit par ailleurs très bien cette période dans un entretien consacré au Positif de l'été dernier. Avec Sympathy for Mr Vengeance, Song Kang-ho dessine une figure ambiguë qu'il réexploitera dans son rôle de prêtre pour Thirst : à savoir l'homme intègre, adulte et responsable, brutalement remis en question dans ses convictions. Un drameSympathy for mr Vengeance song.jpg viendra le bouleverser, la mort de sa petite fille pour l'un, la transformation en vampire pour l'autre, qui le poussera contre ses convictions, l'amènera à franchir, et ce avec répulsion, les limites du vice et de la pulsion. Dans Sympathy for Mr Vengeance, il s'excuse auprès de celui qu'il assassinera sauvagement, s'imposera à observer des cadavres décortiqués à la morgue, mais évitera de regarder ceux qu'il torture. Il cache le visage d'un des kidnappeurs qu'il torture sous un drap, puis tranche les tendons de l'autre dans l'eau de la rivière. La composition de Song Kang-ho est glaciale, à thirst_262977.jpgaucun moment son personnage ne semble ressentir de jouissance à torturer les meurtriers de sa fille, pourtant l'absence de pitié et d'humanité suinte à travers sa silhouette et son visage. Même sobriété chez le prêtre de Thirst, qui apparaît cependant bien plus comme une victime de la tentation. Le jeu de Song Kang-ho, élégant et volontiers sensuel dans sa soutane noire, s'oppose sans cesse au comportement exhibitionniste de sa partenaire interprétéeJSA.jpg par Kim Ok-vin. Ces personnages, à la fois autoritaires et troubles, constituent la part sobre et juste dans le jeu de Song Kang-ho, part qui s'esquissait déjà dans le rôle du colonel de JSA. Dans ce dernier, une figure de « père » se dessine déjà. Plus âgé que les autres soldats, Song Kang-ho s'impose, charismatique et cynique, s'amusant tendrement avec le jeune soldat sud-coréen incarné par Lee Byung-hun. Une figure de père que l'on retrouve enfin dans The Host. Là, ce film de Bong Joon-ho inverse la tendance : le père, à la base un loser négligé et puéril, devient, face au drame de la disparition de sa fille, le plus courageux et le plus vaillant, perdant ses habitudes nonchalantes pour retrouver un gain d'énergie et une vraie responsabilité parentale. Là où l'un verse dans le désespoir et la déshumanisation, l'autre retrouve un éclat héroïque.

     

    Pitreries, grimaces et prétention

    thegoodthebadtheweird12.jpgBien loin de ces compositions dramatiques, Song Kang-ho participe à de nombreux films comiques, détruisant toute forme de sobriété ou fermeté. Dans ces films, le visage craque, le corps s'exprime dans tous les sens, corps bien souvent plus rond et bonhomme qu'auparavant. Pitreries, grimaces, éclats de rire et trognes comiques s'enchaînent. L'exemple le plus probant est le personnage du Cinglé dans Le bon, la brute et le cinglé (Kim Jee-woon) : affublé d'un bonnet péruvien et de grosses lunettes, il traverse le décor, déserts ou marchés tonitruants, à toute allure, explosant tout sur son passage, plonge la tête dans un scaphandrier pour se protéger des balles, explose d'un rire agaçant, roule en boule sur le sable... Même constatation pour The Secret Reunion (Jang Hun), pâlot film d'espionnage, où Song Kang-ho ressert le même jeu pour soutenir son faible rôle. Il abandonne18862548.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-20070907_114312.jpg le costume du début pour endosser des habits campagnards et une attitude négligée, enchainant les réactions puériles. Même comportement négligé et correspondant à l'image du « beauf » par excellence dans The Host, où le père mange en cachette les queues de la seiche servie aux clients, puis nie s'être servi. Ces personnages de pitres, de loser, d'insupportable fanfaron, s'allient bien souvent à une prétention, une fierté farouche face à tout ce qui relève du Joon-Ho-Bong-Memories-of-Murder-2.jpgsérieux ou de la rigueur. Ainsi, le commissaire de Memories of Murder (Bong Joon-ho) devient vite jaloux de l'intelligent et bel inspecteur issu de la ville, et ne cherche qu'à le ridiculiser au cours d'une soirée arrosée où il s'affiche dans un karaoké irrésistible de drôlerie. De même que le policier de The Secret Reunion, tout comme le Cinglé, nargue ses adversaires et les toise avecsecret3.jpg prétention. S’inspirant de cette suite de personnages grotesques, Lee Chang-dong confie habilement à Song Kang-ho un rôle dans la lignée de ce potentiel comique pour Secret Sunshine. L'acteur apparaît sous les traits d'un garagiste terre-à-terre, loin de la religion divine dans laquelle l'héroïne noie son chagrin.

     

    L'élégance cachée

    SecretSunshine2.jpgCes derniers rôles révèlent une autre facette de Song Kang-ho, qui se manifeste particulièrement sur Secret Sunshine ou Memories of Murder. Lee Chang-dong a parfaitement su exploiter l'ambiguité de la carrière de l'acteur, lui confiant un rôle au fort potentiel comique, celui d'un garagiste terre-à-terre et naïf, loin de tout romantisme. C'est cependant ce personnage balourd de prime abord qui va être le seul à soutenir et tenter de ramener l'héroïne de Secret Sunshine à la réalité. Song kang-ho incarne dans ce film la part « terrestre » et très réaliste du style de Lee Chang-dong, diamétralement opposé aux aspirations célestes et religieuses de la femme dont il est amoureux. Le policier vulgaire du cercle dessecret2.jpg Amis de la Poésie dans Poetry est par ailleurs le prolongement de ce personnage. Derrière sa bêtise, ce type de personnage s'avère souvent le plus sage et tendre dans ses intentions, parvenant sans le savoir à garder un semblant d'humanité. Il en est de même pour le mémorable commissaire de Memories of Murder, assurément l'une des meilleures Gwoemul.jpgcompositions de l'acteur. Song Kang-ho agace tout en amusant dans une première partie, se faisant infantiliser par les enfants qui imitent ses grimaces, campagnard frimeur sympathisant avec tout le monde. Son côté nature lui confère cependant un certain sens de la raison et une véritable tendresse paternelle, notamment envers son sérieux coéquipier issu de la ville. L'ampleur des meurtres perpétrés dans le film fera par la suite basculer le jeu de Song Kang-ho dans une grande sobriété, voire élégance, à l'instar du père de The Hostqui révélera un courage sans pareil. Le talent de l'acteur, allié aux intelligentes réalisations de ceux avec qui il travaille, réussit à signifier ces conversions sans manichéisme ni facilité. 

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  • A Bittersweet Life

    A BITTERSWEET LIFE – Kim Jee-Woon

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    Avant J'ai rencontré le Diable et Le Bon, la Brute et le Cinglé, Kim Jee-woon avait déjà tourné A Bittersweet Life avec son acteur fétiche, la star Lee Byun-hun. Ce film est le deuxième que je découvre de Kim Jee-woon. Il permet de confirmer le goût pour le mélange des genres qu'opère toujours le cinéaste sud-coréen dans sa réalisation et son scénario, ainsi que le talent de Lee Byun-hun. Mais A Bittersweet Life déçoit quelque peu par son propos limité et des ficelles scénaristiques convenues, en dépit de l'élégance et la photographie et de l'impressionnante esthétisation de la violence.

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    La clé du film est contenue dans le titre même, A Bittersweet life, que l'on pourrait maladroitement traduire en français par une « vie douce-amère ». L'apparition de ce titre est illustrée, au début du film, par ce plan sur le personnage central, Sun Woo, incarné par Lee Byung-hun, mettant son carré de sucre dans un café bien noir, l'image de cette action simple s'alliant au titre puis au récit tout entier. Dans ce film, la douceur frôle la violence brute et sans pitié, et deux extrêmes incarnent ainsi la cinématographie, tout comme il peut avoir deux antagonismes permanents, le ciel et la terre, dans le cinéma du grand réalisateur Lee Chang-dong. La très belle mise en images et en sons de cet antagonisme s'avère très belle. Le film s'ouvre par exemple sur cet impressionnant plan-séquence où Sun Woo, dans son élégant costume sur mesure, quitte le comptoir luxueux, passe devant les serveuses tirées à quatre épingles, traverse des cuisines actives pour atterrir dans les bas-fonds mal-famés de l'hôtel, comme une véritable descente aux enfers. Le lyrisme intervient ensuite avec le personnage de la maîtresse du patron de Sun Woo, figure sensée être coupable aux yeux de l'employeur, mais qui, sous les yeux de Sun Woo revêt une importance romantique. Son émotion est transcrite par des évocations poétiques : l'ouverture sur le feuillage des arbres en mouvement, propres au « mouvement du cœur », des plans sur les cheveux féminins glissés derrière les oreilles, la présence musique classique qui s'oppose au rock des scènes d'action.

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    En parallèle, par opposition, le film restitue une violence sourde et bien souvent insoutenable, violence que le cinéma coréen actuel a su toujours retranscrire avec force et sans tabous. Après une première partie avec des séquences qui montent peu à peu dans l'horreur (la torture, la punition corporelle) jusqu'à l'intensive scène de fuite, la violence va ensuite dans un absurde inattendu, à la fois esthétique, amusant et terrifiant : la très amusante scène du combat au rythme de l'interrupteur qui s'allume et s’éteint ; le terrible mais risible passage où, avant de tuer sa cible, le héros se voit apprendre à démonter une arme par celui qu'il tuera par la suite ; l'élégante séquence où l'une des cibles patine sur la glace, non pas pour profiter de la patinoire où a lieu l'affrontement, mais parce qu'elle est touchée au pied. Tout ceci pour converger vers l'ultime vengeance, où tous les moyens sont déployés pour impressionner le spectateur : cascades, plongées et contreplongées, mouvements dans le cadre, multiplicités des cachettes dans le décor, jeu de reflets... Le film trouve là ses limites, dans ce scénario qui jalonne les étapes jusqu'à un affrontement épique attendu, mais dont la terrible conclusion semble évidente dès le départ. Le suspense reste peu présent, tant le personnage est condamné dès les premiers plans, avec cette métaphorique descente dans les bas-fonds de l'hôtel. De même, l'élément salvateur que représente la jeune femme reste un lieu commun largement utilisé dans de nombreux films.

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    Compensant les failles d'un scénario convenu, le jeu de Lee Byung-hun, grande star coréenne, ayant aussi joué la Brute dans le Bon, la Brute et le Cinglé, s'avère impressionnant et subtil. Son visage impassible, son regard calme finissent par se refermer totalement et se raffermir avant chaque explosion de violence. La sobriété de cet acteur, qui n'use pas que de son charmant visage, rappelle le jeu de Casey Affleck dans The Killer inside me (le très mauvais film de Michael Wintterbottom, en dépit de l'excellente interprétation de l’acteur américain) : même visage d'ange dans la tourmente. L'acteur joue aussi de son corps et de l'élégance de sa silhouette, son costume semblant sans cesse le protéger des coups. Il referme par exemple le bouton de sa veste avant chaque action violente, comme pour se redonner une contenance. La veste sera enfin progressivement et symboliquement tâchée de sang jusqu'à la fin du film, à l'image d'un honneur déchu, d'une place perdue à jamais.

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    On intègre souvent le nom de Kim Jee-woon à ce groupe de cinéastes coréens qui esthétisent la violence physique et morale, comme Bong Joon-ho ou Park Chan-wook. Il existe cependant une différence fondamentale entre Kim Jee-woon et Park Chan-wook, tous deux tournés vers un cinéma de violence et de mise en scène de cette violence à l'écran, c'est que l'un tourne pour explorer, expérimenter, s'amuser avec divers genres, alors que l'autre travaille toujours de manière à servir un propos engagé. Dans A Bittersweet Life, Kim Jee-woon s'en cantonne à une vague, voire grotesque imagerie des mafias et des gangs, étant loin de tout ce que diffuse Chan-wook sur les frustrations de la société coréenne, sa misère et son cloisonnement dans sa trilogie de la vengeance. A Bittersweet Life est ainsi un film très impressionnant, très bien maîtrisé dans sa réalisation, porté par son excellent acteur Lee Byung-hun, mais dont il manque une subtile réflexion face à cet étalage virtuose de violence et de combats. bitterlee2.jpg

  • Thirst

    THIRST (2009)

    Un film de Park Chan-wook

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    Je n'avais pas osé voir Thirst à sa sortie, tant les critiques s'acharnaient à en décrire l'hémoglobine et le goût pour le gore du dernier né de Park Chan-wook lors de son passage à Cannes. En trouvant le DVD à la médiathèque de Strasbourg, je profitais de l'occasion, le petit écran étant moins violent que la profondeur du cinéma. Au final, tout a été tellement dit sur ce film avant sa sortie en salles que la surprise n'est plus. Loin de renouveler le genre, Park Chan-wook le respecte encore plus, rejoignant la quintessence d'un mythe vampirique à laquelle il mêle l'adaptation de Thérèse Raquin d'Emile Zola. Le tout porté par une pléiade d'excellents acteurs confirmés.

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    Retour au mythe vampirique

    Tout comme Kim Jee-woon avec le Bon, la Brute et le Cinglé, Park Chan-wook aime à retrouver le film de genre, le vrai, tout en y rajoutant sa touche personnelle. Le vampire devient un objet de fascination et de répulsion, incarnée par la maladie écoeurante qui atteint le corps du prêtre, soigné par un sang contaminé qui lui permet pourtant de survivre. Thirst se caractérise tout d'abord par ce travail sur le corps meurtri et sa chair avide, le titre lui-même venant rejoindre cette thématique qui traverse tout la travail du cinéaste. Les éclairages rendent les peaux blafardes, les plaies plus saignantes, l’atmosphère est volontiers gothique et froide. Park Chan-wook prolonge par ailleurs ce travail sur la froideur et le figé, travail qu'il exploitait dans Sympathy for Mr Vengeance. Eclairages faibles, visages figés et maquillés comme des poupées (à l'effigie de lTae-Joo qui pose en tant que modèle dans la vitrine de sa belle-mère), corps rigides et tendus, même lors des scènes d'amour. Pas étonnant que la figure de prêtre incarnée par Song Kang-ho trouve sa place dans ce décor et cette ambiance morbides, la soutane noire incarnant parfaitement l'élégance et la retenue du vampire, pas si loin de la droiture de Max Shreck dans Nosferatu de Murnau.

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    Eros/Thanatos

    La fidélité au mythe vampirique se retrouve aussi, et bien évidemment dans les pulsions de mort et de désir. Inutile de s'étendre sur les multiples fantasmes et interprétations psychanalytiques qui s'associent à la figure du vampire, qui en constituent un phénomène de mode souvent mal réapproprié. Park Chan-wook restitue très bien ces deux thématiques dans son film, Thirst étant à la fois érotique et violent, nauséeux et sensuel. Les deux acteurs sont tous d'abord extrêmement bien dirigés, permettant d'éviter le grotesque des scènes de sexe ou de meurtre. La réalisation joue sur le dévoilé et les zones d'ombre, le cadre effleurant les chairs nues tandis que l'éclairage volontiers expressionniste en souligne les formes... et en cache de nombreuses parties. La noirceur esthétique va de pair avec le propos, largement inspiré de Thérèse Raquin de Zola, où se mêle la critique social (le milieu infect et déshumanisé dans lequel vit la jeune Tae-Joo) et la fièvre du désir qui pousse à tout. L'amour et la mort se trouvent enfin présents dans le thème de la foi, le rôle du prêtre incarné par Song Kang-ho étant une véritable nouveauté par rapport au récit de Zola. Ce prêtre, porté par l'amour de Dieu, est ainsi prêt à s'offrir en cobaye pour des expériences sur une maladie incurable et cutanée, pensant sauver sa peau des défigurations atroces par la grâce de sa religion. En témoignent des scènes morbides et dérangeantes au début du film, où le prêtre inonde de sang la flûte sur laquelle il jouait un air bucolique.

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    Absurde et Humour

    Tout comme beaucoup de films coréens, Thirst partage le goût d'un humour très particulier, propre à la culture coréenne car donnant dans un absurde grinçant et bien souvent dérangeant (ce qui explique en partie les réactions déconcertées de certains de mes amis face à la vision de films mi-grinçants, mi-dramatiques comme The Host). La figure du prêtre, tout d'abord, détonne dans la thématique du film de vampires. Un prêtre porté par le désir mais qui tente de conserver au maximum sa dignité humaine, face aux moqueries de sa compagne aux intentions bien plus pulsionnelles. Le film joue sur le contraste entre ces deux figures, et s'amuse avec la dualité du prêtre vampire : allusion au sang du Christ bu durant la messe, dégustation du sang des poches de perfusion de l'hôpital, folie d'une hémoglobine kitsch qui envahit un espace d'un blanc moderne et luxueux.

    En outre, une majeure partie de l'humour passe à travers la figure du frère, double du personnage de Camille dans Thérèse Raquin, et interprété par l'excellent Shin Ha-kyun, qui jouait le sourd-muet dans Sympathy for Mr vengeance. Le film s'amuse avec les apparitions fantomatiques du mort, qui glougloute aux portes, s'immisce entre les draps avec sa pierre et ses vêtements mouillés, infiltre la mise en scène reconstituant l'imagination du couple qui l'imagine à tous les endroits possibles dans la chambre.

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    Bourreaux et Victimes

    Thirst, comme tous les films de Park Chan-wook, comme beaucoup de films coréens, se fait l'écho de la violence dans la société coréenne. La figure du vampire, certes, fait preuve de cruauté, mais c'est bien plus la dualité du prêtre, déchiré entre conviction et désir, qui intéresse Park Chan-wook. La cruauté repoussante des personnages autour de lui- que ce soient sa compagne, la mère ou le frère – exacerbe ces désirs. Chacun devient à la fois bourreau et victime : la jeune Tae-Joo doit subir les humiliations quotidiennes par sa mère, mais n'hésite pas à se mutiler elle-même pour accuser son mari innocent ; le prêtre fait preuve d'une cruauté inouïe lors de l'assassinat du frère mais se sacrifie pour les malades. Le texte de Zola permet de fournir un écho aux problèmes obsessionnels d'un certain cinéma de Corée : la société est vue dans une ambiance morbide et âcre, définitivement perdue et vouée à la mort et à la souffrance (le double-suicide final). Les personnages se déchirent dans des espaces étouffants, la violence surgit à la moindre réflexion, pulsionnelle, brusque, envahissant le cadre sans préparation préalable. Ce que l'on peut reprocher à Thirst, c'est d'avoir fait passer l'argument vampirique devant les interrogations sociales. Là où Sympathy for Mr vengeance démontrait que l'effroyable spirale de la vengeance était causée par le gouffre entre les classes sociales et l'indifférence des autorités, Thirst privilégie l’esthétique noire et glacée à la véritable critique sociale que l'on trouvait chez Zola.

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  • Hansel et Gretel

    Les Orphelins 

    Hansel et Gretel (2007)

    Un film de Yim Phil-sung

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    Merci à Gwladys pour le DVD !

    Hansel et Gretel, lors de sa sortie en DVD, m'avait attirée dans les rayons. Voir un conte de Grimm adapté en film coréen semble improbable et pourtant prouve la vitalité d'un tel cinéma, tout comme il peut exister au Japon des mangas sur des thèmes surprenants et inattendus. Si le film a connu un échec à sa sortie, son édition DVD pour la France se veut de rattraper le coche avec un double-DVD de très grande qualité, comportant notamment un making-of très amusant et intéressant (certaines vidéos filmées durant le tournage par les enfants-acteurs du film y sont par exemple présentes).

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    Non pas un conte, mais des contes

    Le film de Yim Phil-sung, réalisateur d'Antarctic Journal, ne se veut pas la retranscription du conte d'Hansel et Gretel, qui apparaît plutôt comme un prétexte. Un jeune homme, en passe d'être père, a un accident de voiture sur une route isolée. Assommé à la tête, il échoue au beau milieu d'une forêt obscure. Une jeune fille portant une lanterne le recueille et le mène dans sa famille, habitant une charmante maison au beau milieu de cette forêt. Malgré l'insistance des parents pour qu'il reste, le héros quitte la famille et recherche son chemin. Très vite, il revient sur ses pas, incapable de trouver la sortie et se voit peu à peu condamné à rester dans lahanselparents.jpg charmante maison de cette famille. Dans ce film fantastique et proche d'un huis-clos peut se retrouver l'influence de plusieurs contes. Ce sont tout d'abord les enfants qui sont au centre du dispositif maléfique, et non plus des personnages d'adultes ou de sorcière. Par ces enfants qui refusent de laisser partir les adultes qui échouent dans leur maison sont présents la peur de l'abandon du Petit Poucet, l'isolement au milieu d'une forêt comme pour Le petit Chaperon Rouge, et l'enchantement de la Belle au bois dormant. L'intemporalité reste bien représentée dans le film, le héros se réveille dans une chambre dont les objets ont parfois changé mystérieusement de place, la nuit arrive rapidement dans la forêt, la neige intervient brusquement malgré le soleil... Les décors et les effets spéciaux s'avèrent soignés et efficaces : la maisonnée a tout ce qu'il y a de plus charmant et d'inquiétant, les tentures et les tapisseries sont truffées de détails, et certains passages dans la forêt font songer à la poésie horrifique du Labyrinthe de Pan (Guillermo Del Toro).

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    Les dérapages de l'horrifique...

    Une bonne partie du film peine à trouver ses marques et son originalité. Le début fonctionne comme un film d'horreur conventionnel. La sympathie forcée de la bonne famille met mal à l'aise, de même que les décors enfantins. Le suspense s'installe lors ds séquences de nuit : silhouettes qui circulent dans les couloirs, mélodies disgracieuses, déplacements dans le grenier labyrinthique... Tous les ingrédients sont là, convenus et avenants. Le film dérape ainsi un peu dans son patchwork glauque et terrifiante, allant jusqu'à des absurdités lourdes comme l'anthropophagie supposée des enfants ou leur vieillissement prématuré. Là n'est pas l'intérêt d'Hansel et Gretel, qui parvient à trouver, au bout d'une bonne demie-heure d'effets attendus, son véritable propos et son originalité.

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    ...jusqu'à une étonnante lecture psychologique

    En effet, Hansel et Gretel s'épanouit plus dans la relecture qu'il fait du conte transposé, et non dans ses effets, notamment sur le plan de la psychologie. On sait bien, avec les nombreuses interprétations psychanalytiques du conte (le travail de Bruno Bettelheim), qu'une adaptation au cinéma s'avère bien plus intéressante sur le plan de la réflexion que du prétexte de l'action ou de l'esthétisme merveilleux décrits. Le film remet tout d'abord en question la cruauté de la morale du conte. C'est en lisant la fin d'Hansel et Gretel, où la « méchante sorcière » est poussée dans le feu que les enfants du film furent amenés à user de la même cruauté, suivant la doctrine manichéenne du conte de base. Ils ne distinguent, par leurs caprices, le monde qu'en noir et blanc, à l'image de ce programme de télévision qu'ils regardent en boucle, entre les gentils lapins et les méchants ours, les parents aimables et les parents agressifs, cédant ou non à leurs caprices.

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    Parallèlement à cela, Hansel et Gretel se risque sur le chemin de la compassion et du mélodrame, avec cependant une certaine énergie et efficacité. Par l'histoire de ces enfants abandonnés et à la recherche de leurs parents se dessine le thème plus intéressant de l'enfance maltraitée. Lors des séquences des souvenirs se retrouve la violence du cinéma coréen, avec sa crasse, sa sueur, sa froide cruauté. Le film dénonce ainsi la condition des orphelins et de la maltraitance des enfants en Corée à une certaine époque, intention tout à fait honorable et bien plus intéressante que le pâle film horrifique du départ. L'esthétique glauque et malaisée sert ainsi par la suite le sombre propos de la maltraitance et de l'abandon. Le passé torturé des enfants rejoint ensuite la réalité présente avec ce curieux et excellent personnage de faux prêtre dérangé qui croise sans le savoir de dangereux jeunes criminels. Rencontre et collision absurde à laquelle assiste le héros, entre le plus malsain et fou des malfaiteurs (il chante, ému, une prière à la Lune avant de feuilleter sa Bible où figurent les photographies des jeunes victimes dont il a abusé) et ces enfants perturbés par trop de violence. Le film se finira ainsi par la catharsis de cette violence, dans une impressionnante scène de tornade.

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    Certes maladroit sur certains points, le film de Yim Phil-sung reste une curieuse surprise, originale dans ses intentions et prenante. Les enfants se débrouillent assez bien, les adultes aussi. Hansel et Gretel est ainsi un film atypique dans le cinéma coréen, où le genre du fantastique reste assez peu présent, puisqu’il n'y a guère que The Host (Bong Joon-ho) dans les références les plus connues. 

  • I saw the devil

    J'ai rencontré le Diable

    Un film de Kim jee-woon

    (Merci à Big-Cow pour cette critique ! )

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    Je ne suis pas très familier du cinéma asiatique, encore moins du cinéma coréen, que je n'ai croisé que par quelques films : Old Boy, Memories of Murder, The Host. Je vais quand même essayer de m'exprimer sur J'ai rencontré le diable, vu la semaine dernière, un jeudi après-midi où le temps ne devait pas être glorieux, et ayant par ailleurs déjà eu d'excellents retours sur le film, que ce soit par Facebook ou par Mad Movies.

     

    J'ai rencontré le diable a été réalisé par Kim Jee-woon, réalisateur entre autres de A Bittersweet Life et Le bon, la brute et le cinglé, que je n'ai pas encore eu l'occasion de voir. Le film raconte la traque de Kyung-chul (Choi Min-sik, déjà génial dans Old Boy), tueur en série et psychopathe notoire dans le civil, autrement conducteur d'une navette scolaire, par le policier et fiancé de sa première victime Soo-hyun (Lee Byung-hun), dans une Corée qui semble envahie par les psychopathes et les assassins. Le film dépasse bien vite le cadre de l'enquête policière classique, où les policiers recherchent l'identité du tueur, pour se concentrer sur la traque en elle-même, et le profond désir de vengeance qui ronge Soo-hyun.

     

    J'ai rencontré le diable est un grand film. Pas un film qui retourne les tripes, mais un très grand film quand même, excellent, jouissif. J'ai lu que Kim Jee-woon n'avait pas écrit le scénario du film, mais que celui-ci lui avait été proposé par Choi Min-sik, lequel voulait interpréter le tueur : et c'est en effet la première chose qui crève l'écran, Choi Min-sik, magistral, probablement le plus grand serial-killer qu'il m'ait été donné de voir au cinéma, qui tue comme il déguste son café ou conduit sa navette scolaire, tranquillement, une fois passée la première exaltation : une sorte de surréaliste tueur en pantoufles, à l'image de quelques uns des psychopathes qu'il rencontre. A l'opposé, Soo-hyun, suintant une sorte de haine vengeresse crasse qui marque l'écran, d'une singulière cruauté, au point que l'on se demande, parfois, qui est vraiment le diable dans tout ça.

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    La deuxième chose que l'on retire de cette traque extraordinaire, de cette chasse peu commune entre ces deux personnages hauts en couleur, c'est le sublime de la photographie, l'aspect magistral, incroyable, épatant de ces plans somptueux, de ces décors géniaux. On pense à cette excellente scène d'introduction, au bord d'une route enneigée ; à ce premier affrontement entre les deux grands acteurs du film, au coeur d'une somptueuse serre, où la maîtrise de l'éclairage se révèle être particulièrement géniale ; au bus du tueur lui-même, et sa superbe décoration, avec ces deux petites ailes d'ange de chaque côté du rétroviseur.

     

    Ce que l'on retient aussi, c'est la brutalité du film, l'hémoglobine récurrente (sans tomber dans du gore outrancier), la fascination que provoque, là encore, la horde de psychopathes qui peuplent la Corée de Kim Jee-woon. Les références cinématographiques au genre sont d'ailleurs nombreuses : on pense, bien sûr, à Memories of Murder, dans cette enquête menée au début du film, mais également pour les touches d'humour dispersées ça et là dans le film et qui nous renvoient au cinéma de Bong Joon-ho en général ; le plan conçu par Kyung-chul, qui souhaite mettre un terme à sa traque, peut évoquer Seven.

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    L'importance de ces références cinématographiques, la singularité de Kyung-chul, m'ont fait me poser une question sur ce qui avait amené ce personnage à tuer (et attention, je risque ici de spoiler). On ne sait pas d'où il vient, on ne sait pas vraiment pourquoi il est devenu ainsi : on sait tout juste qu'il a abruptement quitté son fils et ses parents, pour se réfugier dans une baraque au fond de laquelle il commet ses meurtres sordides. On ne sait pas si des traumatismes l'ont poussé à devenir ainsi. Certes, on suppose qu'il fricote depuis longtemps avec la mort, comme en témoignent ses retrouvailles avec le tueur cannibale de l'hôtel, autre personnage haut en couleur, mais guère plus. Sorti d'on ne sait où, Kyung-chul semble bien loin des tueurs traditionnels, alors que les pulsions qui semblent le saisir ne sont que vaguement évoquées : le meurtre n'est pas présenté comme un besoin, comme un rituel, ni rien de semblable : il se contente de tuer. De tuer, mais toujours tranquillement : fumant en même temps, sa tasse de café posée à côté de lui alors qu'il découpe des corps, comme s'il était en pantoufles dans son canapé à regarder un polar. Ce qui m'amène à me demander si, à ce stade, le meurtre ne serait pas pour lui une sorte de choix de vie : il ne semble pas poussé par des contraintes extérieures, il commet ses actes tranquillement, sans se soucier de rien (en témoignedevilaffchoi.jpg la jeune fille qu'il assomme dans son bus avant de l'achever chez lui). Par ailleurs, cette attitude presque spectatrice chez lui (comme quand il demande à la secrétaire du médecin de se déshabiller, et se contente de soupirer et de lui lancer des objets quand elle est trop lente, comme il aurait pu le faire dans une mauvaise représentation théâtrale), l'importance des références cinématographiques dans ses actes (ainsi, quand il surgit de la droite de l'écran lors du premier meurtre, à la manière du tueur de Memories of Murder qui surgit sur le chemin lors d'un de ses assassinats), laissent à penser qu'il s'est construit cette identité de tueur comme spectateur, comme quelqu'un qui, abreuvé de films de genre et de récits glauques, aurait décidé, lui aussi, d'embrasser la carrière de serial killer : d'où, là encore, sa tranquille jubilation quand il trouve comment berner Soo-hyun. C'est probablement ce qui fait de J'ai rencontré le diable un grand, un très grand film : un personnage si ambigü, si fascinant, interprété par un acteur de génie. Et si Lee Byung-hun est tout aussi excellent en homme assoiffé de vengeance, c'est avant tout Choi Min-sik qui reste dans les esprits, dans le rôle d'un des plus grands tueurs de l'histoire du cinéma.

     

    Par Big-Cow

  • Poetry

    Les mots et la mort 

    POETRY (2010) - Lee Chang-Dong

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     Les films de Lee Chang-Dong me laissent toujours dans un état d'étrange réflexion et émotion après leur vision, et ce, durant de longues semaines. Il m'est difficile d'effectuer une critique de ses films (il n'y eut d'ailleurs pas d'article sur Secret Sunshine lors de sa sortie en novembre 2007, tant ce film m'avait laissée sonnée), car son oeuvre s'avère rigoureuse, secrète, fragile. Poetry a reçu le Prix du Scénario à Cannes, mais il aurait largement mérité la Palme d'or, notamment face à Oncle Boonmee qui reste très surestimé en dépit de l'exotisme et du mystère qu'il dégage. Car le nouveau film de Lee Chang-Dong est, non seulement plus abouti que le précédent, mais surtout un travail d'une très grande maîtrise, cohérent sur tous les plans, et d'une générosité incroyable à l'égard de ses personnages et de ses spectateurs.

    Secret Sunshine contait la lente marche dans la pénombre d'une femme perdant son fils, qui trouvait refuge dans la religion. L'actrice Jeon DoYeon, remarquable dans la gestion physique de cette souffrance, avait obtenu le Prix d'interprétation à Cannes 2007. L'honorable Yun Junghee aurait pu prétendre au même titre, tant son travail est d'une justesse époustouflante et que le rôle qu'elle joue est d'une force et complexité incroyables, en comparaison avec le jeu, certes de qualité mais classique, de Juliette Binoche dans Copie conforme d'Abbas Kiarostami. De même, il y avait dans Secret Sunshine, cet incontournable acteur qu'est Song Kang-ho, qui trouvait un rôle charnière avec ce film, à la fois dans la gamme de ses compositions habituelles mais aussi dans une nouvelle forme de création. Son personnage toujours en retrait dans l'image, se retrouve par ailleurs dans Poetry à travers plusieurs répliques. 

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    Une fois de plus, Lee Chang-Dong nous conte une histoire de foi et de sacré. Ce sens du sacré, voire de la passion, que nous avons tous en nous, comme un exutoire ou une échappatoire aux événements, une manière de surmonter les événements. La mère de Secret Sunshine se jetait à corps perdu dans les cérémonies religieuses ; la grand-mère de Poetry se love dans le langage des fleurs et la beauté visuelle et sonore de la poésie. Lorsqu'elle apprend le terrible acte qu'a commis son petit-fils, elle s'évade de cette terreur en allant contempler les fleurs à l'extérieur du restaurant. Elle se raccroche à la nature qui l'environne pour lutter contre la misère qui la frappe, comme cherchant la beauté, l'idéal dans un monde chaotique. Mais toute cette quête de l'ordre et de la perfection, le film la cerne avec une simplicité remarquable, au travers des différentes situations et comportements qu'adopte son héroïne. Elle sort doucement du restaurant à l'annonce du viol, elle esquive involontairement la rencontre avec la mère de la jeune suicidée en évoquant le paysage bucolique et les récoltes, elle tente de conserver son élégance et d'écrire enfin son premier poème en dépit des remarques qu'on lui afflige. Car toute sa frustration s'exprime dans cette volonté infaillible de réussir à écrire son poème. Le brio du scénario est de faire saisir subtilement ses sentiments au travers des pensées qu'elle sème et des questions qu'elle pose, désespérée, aux autres poètes, sur la méthode pour écrire. Son impossibilité d'atteindre la beauté du monde, la beauté d'une pomme par exemple, est liée à son trouble intérieur, comme noyant tout espace sujet à la beauté, à l'espoir. La caméra saisit des instants volés de l'intimité de Mija, qui s'affaisse par terre après avoir trop bu, qui se traîne le long du couloir de l'école, qui accepte de faire l'amour avec un vieil homme diminué dans sa baignoire, loin de l'élégance qu'elle dégage avec fierté devant les autres. Son désespoir transparaît à travers tous ces comportements qui étayent sa dignité habituelle.

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    Le contraste entre cette forme de naïveté élégante et les atrocités évoqués s'incarne directement dans la réalisation de Lee Chang-Dong, toujours dans l'oxymore de la douceur d'une image épurée au propos violent et noir. La scène d'ouverture, vertigineuse d'intensité, suit le courant de l'eau qui dépose un corps flottant, celui d'une jeune lycéenne aux cheveux détachés, auprès des enfants jouant joyeusement près de la rive par cette belle journée d'été. Tout le film est sous cette ambiance doucereuse et estivale, chaque image étant balayée par des rayons de soleil. La vieille grand-mère, femme quia  beaucoup connu, revient sur les lieux d'un crime qui la laisse abasourdi en dépit de son expérience. Elle assiste à la messe donnée en hommage à la jeune lycéenne, vole la photographie qu'elle cache contre elle comme un trophée, l'observant telle une icône religieuse, va épier la salle de biologie dans lequel l'acte s'est passé. Le personnage est à la fois tiraillé entre sa naïveté romantique, incarnée dans les nombreuses séquences oniriques et bucoliques, et une morbidité obsédante, cachée derrière les objets et lieux qu'elle visite. Le film ne surlonge jamais ce tiraillement, parce qu'il est la forme même du film. Une photographie exquise, une progression dramatique posée et délicate, une manière de filmer claire et limpide, toujours proche du personnage, qui sont en contraste, mais accompagnent, son indissociables du sujet. 

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    D'une certaine manière, beauté rime toujours avec danger chez Lee Chang-Dong, et douceur avec douleur. Mais jamais le cinéaste ne tombe dans la surenchère ni l'excessif, car il en reste à un stade d'observation toute respectueuse des événements, et qu'il ne cerne, par cette observation patiente et délicate, que le frôlement de ces deux contraires, sorte de caresse renflouée à chaque plan. Frôlement qui peut s'incarner par exemple dans le rapprochement du corps malade du Président et du corps encore sain et féminin de la grand-mère. Pas de démonstration dans tout cela, mais plutôt une distance juste, une tentative d'approche, voire de séduction que le cinéaste tente d'opérer à chacun de ses plans. Le mystère n'a jamais été aussi complet dans ce film, prolongation plus aboutie que Secret Sunshine, où déjà recelait le mystique de la brusque foi du personnage de la mère. Le rythme de Poetry est plus soutenu, l'intelligence du scénario encore plus fine, nous faisant oublier peu à peu la maladie de Mija pour aboutir à une existence toute sensorielle. parce qu'elle oublie, Mija semble redécouvrir les choses sous un autre angle, fait ressortir leur mystère par la tentative qu'elle effectue d'écrire à propos d'eux, que ce soit une pomme, une rivière, un cerisier en fleurs… 

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    Le thème de la poésie, assez rare au cinéma, passe non seulement à travers le personnage à la fois romantique et morbide de Mija, mais aussi par le biais des protagonistes qu'elle rencontre. En cela, Poetry dresse l'un des plus beaux portraits de cet art, et en effectue l'approche d'une manière extrêmement généreuse et nouvelle. Jane Campion, avec Bright Star (autre réussite de l'année 2010), passait par l'histoire d'amour romantique et pudique du poète John Keats et de sa muse Fanny pour donner une image pure et délicate de la poésie. Ici, la poésie est abordée d'une manière simple, quasi-populaire. malgré la distance de la culture et de la langue, le film réussit, au-delà des frontières, à transmettre différentes visions du monde et des choses. L'un des plus beaux passages reste celui où les divers membres du petit club de poésie évoquent un de leurs souvenirs. Toujours patiente, la caméra cerne leur lente remémoration, leur émotion, leur regret, leur réflexion progressif, conférant une sorte d'intimité intense, d'autant plus que certains comédiens improvisaient lors du tournage de ces scènes. La poésie du film peut être brut comme ces confessions face caméra ; ou alors adopter un caractère théorique par les cours délivrés par le professeur ou d'autres poètes professionnels. Par le biais d'une petite ville de province, Poetry dépeint ainsi la poésie à tous les niveaux : celle, reflétant le mystère et l'incompréhension, de Mija ; celle enseignée par le professeur expérimenté ; celle, souvenirs intimes, des membres du club ; celle, salace, du policier… Le personnage de ce dernier est par ailleurs extrêmement intéressant, de même que celui du parent qu'i s'occupe de Mija. Tous deux incarnent les doubles du protagoniste masculin de Secret Sunshine, qui était incarné par Song Kang-ho. Ils sont ces témoins terre-à-terre, toujours en retrait mais néanmoins présents, de la douleur de Mija. Ils tentent de la rappeler, souvent maladroitement, à une réalité plus simple, moins déchirante, plus brute et moins sentimentale. Certains plans avec ces personnages sont par ailleurs l'exact miroir des scènes de lamentation dans Secret Sunshine.

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    Au-delà de la poésie, le film dresse en filigrane un portrait de la Corée du Nord. Lee Chang-Dong possède toujours ce regard incisif sur les différentes attitudes révoltantes et sur l'absurdité du fonctionnement social au sein des plus modestes villes. Ainsi, la jeunesse coréenne s'avère inaccessible, fermée, indifférente et incompréhensible. Le regard change lorsque Mija apprend que son petit-fils, celui-là même qui dévore les repas qu'elle prépare avec soin et regarde nonchalamment la télévision, a participé à un viol collectif. Les personnages ayant commis les pires crimes restent éloignés, comme effacés, totalement séparés du protagoniste principal. La mise en scène suggère sans cesse la division, la séparation et la distance entre grand-mère et petit-fils. Cette même incompréhensions de la violence se retrouve par ailleurs dans tout le cinéma coréen, le dernier film de Bong Joon-ho n'en faisant pas exempt. Mother suivait le parcours d'une mère qui découvrait le vrai visage d'une brutalité âpre chez la jeune population et se laissait entraîner dans cette spirale. Cependant, la génération des adultes est aussi immorale que celle des jeunes. face au viol, les parents qui se réunissent, tous des hommes, veulent régler la douleur d'une mère à la manière d'une affaire de business, et utiliser l'argent comme "dédommagement" à la perte de sa fille. Tout comme dans son précédent film, Lee Chang-Dong pointe le souci des apparences, fidèles à une tradition du correct et de la transparence, dans les petites villes, où chacun est prêt à tout, voire à une corruption quasi-inhumaine, pour entretenir sa bonne réputation.

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    Dans Poetry récèle le mystère. Un mystère autant imposé par le magnifique personnage de Mija, brillamment interprété par l'actrice Yun Junghee, dont chaque geste et attitude respire la grâce ; que par la réalisation subtile et patiente, constamment dans l'approche des êtres. Mystère qui s'incarne aussi dans l'incompréhension face à une société étouffante et ambiguë, auquel le personnage tente d'échapper à travers des envolées poétiques, lyriques, naturelles. Au final, Mija parviendra à écrire son poème. Un poème dont les vers trouveront leurs racines dans la mort qui l'accompagne depuis le début du film, et qui se révélera, dans un magnifique montage, la voix de la mort elle-même, de cette petite lycéenne regardant son suicide depuis le pont. Dans Secret Sunshine, c'était la renaissance d'une jeune femme, dans Poetry, c'est la mort, l'adieu d'une vieille personne qui a déjà trop vu.

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  • Memories of Murder

    Un monstre et des calamars en boîte

    THE HOST (2006) – Bong Joon-Ho 

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    Après le génial Memories of murder, portrait d'une Corée rurale impuissante face à la violence d'un assassin de jeunes femmes, le réalisateur coréen Bong Joon-ho s'était intéressé à une histoire d'un tout autre genre, puisqu'il livre avec The Host un film de monstre étonnant.

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    Un monstre, sorte de calamar géant aux allures d'alien né de plusieurs produits chimiques verssés dans la rivière Yan, terrorise la population coréenne. Le film part de ce scénario classique, utilisant les codes du genre pour livrer également un regard personnel sur la situation dramatique et notamment la réaction du pays et de ses habitants. En apparence, tout comme Memories of murder, enquête criminelle haletante, The Host est ainsi un film de monstre aux multiples rebondissements, menant ses personnages du désarroi à l'assaut pour aboutir sur une scène finale, c'est à dire l'extermination du monstre. Mais même s'il reste traditionnel, le scénario reste bien maîtrisé et surprenant, cherchant toujours à explorer au maximum la situation, notamment le travail sur les égouts, profondeurs infinies qui obscurcissent encore l'espoir de retrouver la jeune fille. Cependant, Bong Joon-ho utilise cette histoire pour mieux dépeindre en toile de fond l'impuissance des autorités coréennes, le désarroi du pays et apporter sa touche d'humour personnel et décalé, tout comme il l'avait fait pour le fait divers des meurtres en zone rurale. 

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    L'utilisation de personnages dérangés, sortes de marginaux naïfs et attachants, qui permettent tout le croustillant du film. C'est le destin, la lutte impossible d'une famille haute en couleurs et singulièrement en manque de lucidité qui intéresse le cinéaste, tout comme les recherches vaines des deux policiers de Memories of murder. Song Kang-ho, merveilleux acteur coréen, aussi à l'aise en truand cinglé (Le bon, la brute et le cinglé de Kim Jee-woon), qu'en doux garagiste (Secret Sunshine de Lee Chang-Dong) ou qu'en commissaire bourru et terre-à-terre (MofM) incarne le personnage principal avec toujours autant d'énergie et efficacité. Mais les autres interprètes amènent également du charme à la famille, de nombreux étant déjà présents dans le film précédent, comme le suspect qui incarne ici le frère (Park Hae-il). Si le film s'attache à décrire leurs péripéties et leurs malheurs, il fait cependant preuve au départ d'une certaine moquerie, surtout vis à vis de l'oisiveté de Gang-du, sorte de père immature qui va révéler sa ténacité, tout comme le commissaire Doo-man, peu intelligent au début qui va finalement être le plus lucide sur le final. Les personnages des films de Bong Joon-ho se révèlent toujours face à l'atrocité, démunis autant physiquement que moralement.

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    Outre la famille déjantée, qui se révèle paradoxalement la plus courageuse, la Corée se voit également critiquée, à travers sa panique et paranoïa d'un virus inexistant. L'humour noir et cynique touche surtout les autorités, accrochées aux analyses des grandes puissances comme les Etats-Unis, et les équipes de désintoxications, surgissant maladroitement en plein rites funéraires publics. Évidemment, The Host est un film hautement plus impressionnant au niveau de l'échelle que le huis-clos rural et glauque de Memories of murder, multipliant les exemples de débarquements, arrestations et manifestations. De plus, les scènes d'action, agrémentées d'effets spéciaux efficaces, sont nombreuses et haletantes. Cependant, on peut reconnaître dans cet artifice le style de Bong Joon-ho : le goût pour les ralentis dramatiques, l'importance du regard, souvent presque caméra, la manière de filmer vertigineuse et un suspense maîtrisé grâce au travail sur les lieux et l'espace. Dans Memories of murder, l'assassin se cachait parmi des champs de blés boueux et denses tandis que le monstre tapisse les passerelles du pont ou les cavités des égouts. Le film joue en permanence sur l'obscur, le caché dans l'ombre, mais aussi la distance. La première apparition du monstre s'effectue de loin, insistant le doute sur sa forme, ou par la perception du son, amplifiant l'effet d'effroi.

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    Le symbole du monstre se retrouve certes dans cette créature repoussante, visqueuse et barbare, mais il touche également les autorités, autant monstrueuses dans le traitement des « contaminés ». Si l'alien est traitée de manière inquiétante et horrifique, telle la scène violente lors de sa première apparition au bord du lac, toute la partie chirurgicale et toute l'agressivité policière sont dépeints avec un humour noir et une ironie hautement plus alarmants. L'exagération quant à la force du monstre (les ossements... et les multiples allusions aux calamars dégustés par Gang-du) permet d'établir de la distance vis à vis de son caractère artificiel pour dénoncer autant la folie des équipes médicales qui torturent, avec autant d'absurdité, le personnage principal. The Host s'avère particulier du fait de ce balancement entre le conte horrifique et captivant et l'humour grinçant qui met à distance. Même condensé qui se retrouvait dans Memories of murder, avec des scènes de meurtres crues et violentes et le quotidien morne de policiers stupides et incompétents.

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    The Host, divertissement à la fois traditionnel et original, permet de confirmer les thèmes et le style d'un réalisateur coréen qui prend ici plus d'aisance et assurance sur un projet conséquent.

  • Le Bon, la Brute et le Cinglé

     LE BON, LA BRUTE ET LE CINGLE (2008) – Kim Jee-Woon 

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    Non, ce n'est pas un vulgaire remake coréen du film de Sergio Leone mais plutôt un joyeux dérivé, s'inspirant juste de la trame pour le détourner habilement. Le bon, la brute et le cinglé s'ancre dans une ambiance décalée, composée de devantures coréennes aux inscriptions et couleurs flamboyantes, traînant dans la poussière blanche, les copeaux de bois et le sang séché. 

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    Dès les premières images, le film nous plonge dans un univers totalement asiatique et avec une pointe de fantaisie. Les accessoires sont nombreux, précis, à la fois précieux et factices. Les trucages sont peu cachés, loin de là. Chaque action étonne par la précision de son mécanisme et son absurdité. C'est du cinéma au sens propre, l'illusion composant tout. Cependant, même si ce but reste simple et banal, le film comporte cette ambiance si originale et un dynamisme toujours actif, le transformant en un joyeux cocktail explosif, où l'œil se délecte des multiples points de vue, idées, rebondissements, parfois même un peu trop. La présence de la modernité se manifeste par le bombardement de scènes d'action, durant parfois jusqu'à vingt minutes d'explosions, mouvements saccadés, multipliant les points de vue, chaque plan se succédant avec une frénésie parfois fatigante.

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    Certes drôle par l'absurdité de sa mécanique ou la richesse des idées et réactions, l'action reste dominante et souvent peu justifiée. Sa présence cherche juste à distraire, évidemment. Sur ce point, le film reste banal et juste un moyen de plaisir. Ce qui s'avère intéressant, c'est l'univers particulier qui s'impose au spectateur, mêlant l'histoire de la guerre pour l'indépendance de la Corée à d'énormes anachronismes marquant la présence ironique des technologies modernes (salle de cinéma, jumelles extra-sensibles...). L'intrigue est quant à elle délaissée au profit de l'action et du travail des décors, se basant sur une classique chasse au trésor, qui vire rapidement à l'absurde, finissant sur la révélation grinçante d'un Eldorado non plus constituée de pièces d'or mais d'or noir. Là aussi règne l'humour ironique d'une société en pleine modernisation, tandis que nos trois héros restent tournés vers un passé révolu, celui de la vraie aventure. 

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    Le bon, le brute et le cinglé mérite le plus d'attention dans la construction de ses trois personnages principaux, qui divergent largement des personnages originels. Seul le bon (interprété par Jung Woo-sung) reste similaire : sans coeur, silencieux, attentif et excellent à la carabine, son seul but est la prime et le succès. L'interprète du bon semble ainsi le moins bon, justement, prouvant peu ses capacités face aux deux autres acteurs, nettement plus originaux et personnels. Cependant, si Kim Jee-Woon a modifié le scénario, il a aussi rajouté des histoires personnelles à ses personnages, leur inventant un passé trouble et sensible. Le personnage du bon est justement le seul qui ne bénéficie pas ou peu de l'explication de ses origines, restant obscur, moins compréhensible et attachant. Par ailleurs, le cinglé (Kang-ho Song), tandis qu'il l'accompagne, tente de subtilement en savoir plus sur lui, en vain. Kang-ho Song a, quant à lui, continué d'utiliser son physique débonnaire pour interpréter le cinglé. Excellent premier rôle dans de superbes films coréens tels que Memories of murder (Bong Joon-ho) ou Secret Sunshine (Lee Chang-Dong), Kang-ho Song est amusant, énergique, toujours à composer son jeu de grimaces et répliques insolentes, le rendant finalement très attachant. 

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    Mais la différence la plus surprenante réside dans le personnage de la brute (Lee Byung-hun). Véritable cœur de glace dans le film de Sergio Leone, il est ici rajeuni, plus sensible et très émotionnel. Choix surprenant et, il faut bien le dire, intéressant, le quotidien de ce jeune homme charismatique mais capricieux est suivi, découvrant un caractère immature, avide de pouvoir et d'une jalousie sans pareil, telle celle d'un enfant voulant posséder tous les jouets du monde. Kim Jee-Woon a sûrement écrit le film pour ce rôle important de la brute, afin qu'il échoue à l'acteur Lee Byung-hun, véritable star dans on pays et qui avait déjà joué un rôle dramatique dans A Bittersweet Life. L'acteur se débrouille, animé par les rictus de jalousie et les poses inspirées. La brute cherche toujours à rattraper les deux autres, le bon et le cinglé, autant au sens propre (course-poursuite pour le trésor) qu'au figuré (ils sont tous deux meilleurs tireurs que lui et ont déjà une réputation bien remplie). Par sa jeunesse, il incarne même physiquement ce retard, le plaçant comme un personnage central plus faible, qui cherche en permanence à rattraper les autres, à les surpasser, à empiéter sur leur réputation d'aînés (ce que prouvera, sur la fin du film, la révélation sur le passé mystérieux du cinglé). 

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    Le bon, le brute et le cinglé est donc un remake léger, utilisant le film originel comme prétexte pour mieux détourner l'intrigue et les personnages, l'adaptant à l'ambiance « sauce soja », s'amusant follement et fourmillant d'idées. C'est du cinéma au sens propre du terme, sans réflexion, mais juste de l'action, du plaisir, et ça ne se refuse pas.

  • Souvenir

    Une voix dans la montagne

    SOUVENIR (2008) – Im Kwon-Taek

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    Il était temps que je découvre le cinéma coréen avec le centième film réalisé par le maître en la matière, Im Kwon-Taek, réputé pour son Ivre de femmes et de peinture, notamment. Souvenir est un film qui ne manque pas de charme ou de romanesque. Nous entrons dès les premières scènes dans un cinéma volontiers lyrique et époustouflant, soignant la reconstitution historique, les costumes et les maquillages et explorant des thèmes ressassés et encore flamboyants.

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    Le personnage principal, héros au visage sympathique et au caractère maladroit, recherche en permanence sa « sœur », douée d’une voix miraculeuse et atteinte de cécité, et avec laquelle il arpentait les contrées durant son enfance, tous deux menés par leur maître saltimbanque. Etrangement, le récit, pourtant un long flash-back raconté à un villageois amoureux lui aussi de la sœur, brouille volontairement l’esprit chronologique de l’ensemble. Chaque séquence se définit essentiellement sur une rencontre entre certains personnages, un retour ou un départ, entrecoupés d’ellipses. Ces courts événements démontrés avec précision contribuent à symboliser le thème de la recherche de l’autre, ou de soi-même, pour chaque protagoniste, thème extrêmement classique mais adapté au carctère grandiose du film. De même, lors des retrouvailles, chacun demande à l’autre « Comment as-tu fait pour me retrouver ? », transformant son retour en une véritable apparition magique. Par ailleurs, Dong-ho s’imagine apercevoir sa sœur sur le chemin, alors qu’il ne s’agit que d’une illusion.

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    L’histoire d’amour platonique s’exécutant entre les deux héros répond justement à ce mot, l’illusion. Dong-ho, par ses balades idylliques et ses regards perdus dans l’horizon, n’est-il pas un héros romantique, tandis qu’autour de lui les autres Coréens boivent, font la fête ou l’insultent, et que le pays se transforme, gagné par l’industrialisation et la mondialisation ? Peu à peu apparaissent la radio, la télévision, l’industrie du pétrole au Moyen-Orient, fond de toile contrastant avec les désirs des personnages. De même, Song-hwa, la sœur, s’obstinant dans sa condition de chanteuse aveugle en exil, ne chante que des chansons d’amour et de désir. Son errance et sa discrétion contribue à faire croître la chape de mystère qui l’entoure, signifiant qu’elle reste précieuse mais inaccessible. La puissance de sa voix et du style de chant pratiqué permet au film d’atteindre une force magistrale.

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    Les lourdeurs dans l’histoire et l’interprétation parfois exagéré de certains acteurs sont atténués par ce style de chant représenté, filmés avec virtuosité. Dès qu’un chanteur commence à s’exprimer, contant au rythme des tambours légendes ou fables coréennes, les visages gagnent en émotion, l’attention s’aiguise et les décors naturels subjuguent. La voix de la jeune femme résonne, avec cet accent si particulier de la langue coréenne, voix de gorge tressaillant de vie, de douleur et d’émotion. La représentation des coutumes (véritable désir du cinéaste pour son centième film) vise à les sublimer, à exprimer leur importance et l’impact dont il est toujours capable, souligné par les prises de vue magnifiques des paysages environnants et des costumes chatoyants.

    Cependant, le film assiste également à la disparition de cette pratique du chant : la troupe théâtrale où travaillait Dong-ho passe des salles de fêtes aux petits bars des villages, perdant de l’importance et de son respect. La chanteuse incarne un genre d’idéal de ce chant, imperturbable et éternel, comme vient le souligner la séquence finale.

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    Certes, Souvenir peut facilement être considéré comme un mélo flamboyant, avec les lourdeurs romantiques qui s’imposent mais la surprise et le plaisir d’assister à un travail de qualité sur ce visage de la Corée prime sur l’impression générale du film.