Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Bilan 2015
2015, une année asiatique
Viennent le mois de janvier, et le temps de retour aux découvertes asiatiques de l'année. Sur l'autre blog a déjà été publié un compte-rendu plus général, comportant le traditionnel top de l'année. L'Asie n'y a pas été en reste, puisque s'y est imposé en chef de file un film chinois, ainsi qu'un documentaire du même continent, et enfin une création d'animation japonaise.
Cependant, cette année fut faible sur la production cinématographique asiatique, car éminemment frustrante. Son apparus dans leur clarté les difficultés de distribution ou d'apparition de nouveaux auteurs, ou d'une production à l'écart de celle qui s'est imposée il y a quelques années, sur les écrans français.
En 2002, Ivre de femmes et de peinture est récompensé à Cannes. Im Kwon-taek évoque alors l'émergence d'un "cinéma asiatique"
Perdue dans le refuge parental durant les vacances de Noël, j'ai passé quelques journées à fouiller dans mes archives cinéphiles. C'est au détour de mes collections de Positif que mon regard échoua sur un article d'Adrien Gombeaud, personnalité éminente dans le cinéma asiatique, et agréable rencontre au cours de cette année 2015 – car oui, tout se lie une fois que l'on en revient aux événements bousculés d'une même année, le chaos des lectures, projections et discussions prenant forme. Dans un article pour le Positif de février 2011, certains propos du chercheur ont frappé mon attention quant à ce sentiment de frustration face à l'année passée. Le critique y revenait, en guise de bilan sur la première décennie du nouveau millénaire, sur la naissance du terme « cinéma asiatique ». Celui-ci recouvrait les œuvres venues d'une partie de l'Asie révélées en Europe au début des années 2000, mais aussi un phénomène de coproductions entre les auteurs et d'autres pays, ce qui aidait à monter leurs projets, concrétiser des échanges culturels et faciliter la circulation des films, y compris jusqu'en Europe. Ces films étaient ceux de Kiyoshi Kurosawa, Hirokazu Koreeda, Naomi Kawase, Im Kwon-Taek, Kim Ki-duk, Lee Chang-dong, Bong Joon-ho et Park Chan-wook, Eric Khoo, Garin Nugroho, Apichatpong Weerasethakul, Hou Hsiao Hsien, Jia Zhangke, Wong Kar-wai, Johnnie To, Wang Chao, Wang Xiaoshuai, et au cœur de l'animation, l'arrivée et la reconnaissance de Miyazaki avec Le Voyage de Chihiro, et bien d'autres noms régulièrement convoqués au festival de Cannes ou de Venise, reconnus au travers de nombreux articles de presse ou d'ouvrages. Des noms qui évidemment se lient en grande partie au triangle conquérant Japon-Chine-Corée du Sud et à d'autres pays comme la Thaïlande ou l'Indonésie. Des noms qui ont également stimulé beaucoup de passions, un engouement asiatique inattendu. Et ce sont ces noms qui ont motivé, et qui motivent encore, les lignes de ce blog.
5 ans après Oncle Boonmee, la confirmation de Apitchapong Weerasethakul avec la sortie de Cemetery of Splendour.
L'ouverture des regards occidentaux ont ainsi favorisé l'entrée de ces films dans des festivals et des salles cinéma, puis sur le marché de la vidéo. Mais de cet engouement, que reste-t-il ? Ou, plus exactement, comment évolue-t-il ? Car là surgit le problème, au vu des productions reçues cette année, ce cinéma asiatique perd de sa présence, à tel point qu'il se limite aux chefs de file de la première décennie, voire s'efface dans les possibilités de découverte. L'effet d'accompagnement s'est prolongé pour certains (Zhangke, Weerasethakul, Miyazaki, Kurosawa et Koreeda dernièrement), perdu pour d'autres (rareté ou absence sur nos écrans des dernières réalisations de Johnnie To, Tsui Hark, Wang Xiaoshuai, Kim Ki-duk) et surtout peine à propulser de nouvelles figures. Pourtant, la nouvelle production est présente. Un récent article de Stéphane du Mesnildot dans les Cahiers du Cinéma (dossier « Jeune cinéma japonais : à l’attaque ! » d'octobre 2015) le prouvait : le critique, ayant arpenté le Japon, faisait part de sa rencontre avec de nombreuses figures, notamment des cinéastes femmes, totalement inconnues en France. Les autres témoignages de cet instructif dossier apportait raison en donnant furieusement envie de découvrir ces jeunes cinéastes, la plupart engagés. Mais cette production n'a jailli, chez nous, que par des programmations discrètes – et bien souvent, grâce à la bataille de distributeurs indépendants – comme Saudade (Katsuya Tomita) ou Au Revoir l'été (Kôji Fukada).
Face à Naomi Kawase, Stéphane du Mesnildot évoque Les 10 amours de Nishino réalisé par Nami Iguchi, adapté d'un roman de Hiromi Kawakami, mais inconnu en France.
En 2015 ont donc surtout surgi des « poids lourds » de cette première décennie, mis en avant à Cannes, en particulier. Si les nouveaux films de Kiyoshi Kurosawa, Hirokazu Koreeda, Apitchapong Weerasethakul permettaient de saisir l'évolution de leurs parcours – et bien souvent vers la lumière, au vu de l'émotionnel chez le premier, l'optimisme chez le second – ne se sont pas révélés, en parallèle, des premières propositions ou des nouveaux arrivants. Dès lors, le paysage asiatique de 2015 fait jaillir un certain creux, celui qui révèle une promotion et une diffusion générales du cinéma asiatique générales qui pérennisent peu le dynamisme et la curiosité d'il y a 10 ans. Par opposition, les véritables actifs dans cette entreprise sont des manifestations spécialisées.
Le Forum des Images a présenté cette année l'oeuvre de Lee Song Hee-il, inédite en France, qui évoque notamment l'homosexualité en Corée du Sud (ici, son dernier film White Night).
En regard de cette constatation, il faut donc saluer le travail de festivals débutants (Cinéma d'Iran, ou le récent Contre-courant, pour la promotion et diffusion du cinéma indien qui propose à son ciné-club un cycle autour de la représentation de la femme indienne), de cycles initiés par de grandes institutions (les venues de Jang Jing, Lee Song Hee-il, Jang Sun-woo dans le cadre du cycle Séoul Cinema, ainsi que le FFCP) ou d'entreprises de distribution et d'éditions DVD bataillant pour s'imposer sur le marché (le travail d'Eurozoom, de Survivance films ou encore la récente collection BlaqMarket de BlaqOut) ou même de nombreux blogueurs et chercheurs partageant leurs recherches.
Se dessine ainsi la nécessité de dénicher les nouveautés dans ces manifestations ou dans ces éditions, alors que certaines grandes salles échouent à instaurer des propositions aussi originales et audacieuses. Dans mes souvenirs des années 2005 à 2010, j'ai connu cette facilité à aller arpenter les salles à la découverte de Oncle Boonmee, Shanghai Dreams ou Memories Of Murder. Presque 10 ans plus tard, bien que délocalisée sur la grande capitale, cette facilité s'est effacée en ce qui concerne l'offre en salles, la diversité existant dans des programmations plus intermittentes, plus fragiles et raréfiées.
Miss Hokusai de Keiichi Hara, très promu en France, fut cependant une déception par rapport au reste de l'oeuvre, moins connu, du cinéaste.
Et l'animation, que devient-elle dans ce paysage ? Force est de constater que l'effort est très contrasté. Si la Corée du Sud a été mise à l'honneur, la force de l'animation coréenne a disparu des programmations générales malgré les timides sorties de Wonderful Days (Kim Moon-Saeng, 2004) ou Mari Iyagi (Sung-Gang Lee, 2002) durant la fameuse décennie. Mais ont surgi dernièrement des réalisations issues de nouvelles pays, belles initiatives encouragées par la grande culture d'un cinéma à destination du jeune public, tels Le Garçon et le monde (Alê Abreu, Brésil) ou Anina (Alfredo Sordeguit, Uruguay).
Bien que dernier film du studio Ghibli et deuxième réalisation de Hiromasa Yonebayashi, le délicat Souvenirs de Marnie est passé inaperçu.
Le Japon reste la troisième présence dans les sorties françaises d'animation cette année, auprès des Etats-Unis et de la France. Néanmoins persiste la visibilité écrasante des grands – Le Vent se lève de Hayao Miyazaki, maintenant Le Garçon et la bête de Mamoru Hosoda – et la difficulté des nouveaux – Souvenirs de Marnie, le second long-métrage de Hiromasa Yonebayashi, à peine existant en salles. La production visible en 2015 a néanmoins déçu : si l'on peut se réjouir du bon accompagnement en salles et dans la presse du dernier long-métrage de Keiichi Hara, Miss Hokusai, le film demeure très loin du talent déployé sur les deux premières propositions de ce jeune cinéaste. Un Eté avec Coo et Colorful surplombent, par leur délicatesse, leur subtilité et leur sincérité, largement l'inégal Miss Hokusai, alors qu'ils furent passés inaperçus auprès d'un public général lors de leur sortie en salles. Le Garçon et la Bête, premier représentant de la japanimation en 2016, se révèle malheureusement une déception similaire, véritable stagnation dans le parcours de Mamoru Hosoda.
Kill La Kill, visible en Occident à partir de 2015, est une grande réussite animée de l'année.
Face à ces regrets, le petit bilan en ce qui concerne un domaine plus précis et apprécié par l'auteur de ce blog, rehausse un peu la couleur du paysage. Dans le champ de la série animée, l'année s'est construite autour de bonnes valeurs que furent l'intelligente épopée de fantasy Arslan Senki, le surprenant et décapant Kill La Kill, le renversant Kekkai Sensen, le mature et sinistre Gangsta, le mélancolique Sokyuu no Fafner, quelques traversées sympathiques vers le passé avec Young Black Jack ou Lupin III, et plus récemment l'originale variation du super-héros avec One Punch-Man. L'anime a cependant conforté des codes et des variations communs, les meilleures séries étant engluées dans des animations sages (à l'exception de Kill La Kill, certes produit en 2013 mais diffusé en Occident en 2015), là où ont surgi auparavant des monuments en rupture globale comme Shinsekai Yori ou Attack On Titan
Le manga n'a en revanche pas été en reste du côté de la parution en France. Si existe peu l'animation pour adultes chez nous, le manga pour adultes, le seinen connapit depuis longtemps une belle envolée, par de magnifiques éditions, notamment de grands classiques. Après Tezuka et du regretté Shigeru Mizuki, des anthologies autour de Kazuo Kamimura, Shôtaro Ishinomori et Leiji Matsumoto sont apparues, mais également certains titres de Miyako Maki ou Umezu Kazuo. A cela s'ajoutent de nombreuses titres de manga chinois ou sud-coréens.
2015 a vu disparaître le grand mangaka Shigeru Mizuki. ici, une de ses oeuvres très inspirée des estampes de Kuniyoshi, en exposition sur Paris au petit Palais.
Suite à la polémique créée par la liste de la publication des nominés du Prix Angoulême a surgi néanmoins un déséquilibre entre auteurs féminins et masculins. Certes, les femmes du manga se révèlent très bien présentes en France, grâce à celles qui ont forgé le shojo des années 1990 – CLAMP, Natsuki Takaya, Yuu Watase, Yuki Kaori, Kaoru Mori – autant qu'un nouveau type de shounen – Rumiko Takahashi, suivie de près par Hiromu Arakawa, et Jun Mochizuki qui a clôturé cette année sa grande saga Pandora Hearts. Mais force est de constater que certains poids lourds féminins sont éminemment sous-représentés, voire inconnus, face à leurs pairs masculins, tels Tezuka, Matsumoto, Tatsumi. Face à la vague du gekiga surgissante depuis quelques années, à quand son équivalent féminin qui n'est autre que l'ensemble des femmes de l'an 24, très peu présentes dans les libraires françaises ? La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda demeure en cela la fleur qui cache la forêt, des nombreux récits de Moto Hagio aux autres œuvres de Miyako Maki, Keiko Takemiya. Par ailleurs, l'entrée dans la nouvelle liste des nominés de Moto Hagio serait peut-être enfin la porte d'entrée à ce courant.
L'entrée dans la liste des nominés au prix Angoulême de la grande Moto Hagio peut laisser espérer ouvrir de nouvelles éditions pour les autres oeuvres de cette prolifique auteure d'une grande humanité.
Pour 2016, deux temps forts surgissent déjà dans cette fameuse production asiatique. Évidemment, ils confirment cet appui conforté des figures jaillissantes d'il y a dix ans : The Assassin de Hou Hsiao Hsien et AN de Naomi Kawase. Ce dernier, découvert en clôture d'Un Etat du Monde et du Cinéma, dix jours après ces heures alarmantes de 2015, déploie cependant des valeurs qu'on ne peut refuser en cette nouvelle année. Le rapprochement d'un vieux restaurateur, d'une grand-mère touchée par la maladie et d'une jeune lycéenne timide sonne comme une invitation à la fraternité et à un chaleureux rassemblement.