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Man On High Heels

Le contrepied du talon

MAN ON HIGH HEELS (HAIHEEL) – Jang Jin

 

Film d'ouverture du Cycle Séoul Hypnotique au Forum des Images, le 15 septembre 2015

L'originalité de Man On High Heels ne repose pas sur le mélange des genre dont il se réclame – mais bien plus sur une contradiction inattendue dans son scénario. Son personnage principal, le policier Yoon Ji-wook (Cha Seung-won) cristallise cette dernière, par ce contraste entre la virilité de l'homme, un « vrai mec » selon les protagonistes extérieurs, et son secret désir de féminité. Cette étonnant paradoxe permet à Jang Jin de certes mélanger les genres, mais d'aussi brasser des clichés dans deux mondes a priori incompatibles,et d'enfin y trouver de la sincérité.

Le protagoniste de Yoon, brute policière chargée de régler leurs comptes aux gangsters les plus divers, rejoint d'abord ces figures ténébreuses et charismatiques des héros des nouveaux thrillers du cinéma coréens. En filigrane du policier et de sa démonstration de force dans la scènes d'ouverture du film, se dessinent les ombres de ce type de personnage prégnant dans les productions parvenant en France, comme le héros de A Bitterweet Life (Kim Jee-woon, 2005). Mais, dans la logique de son titre, Yoon révèle une volonté de devenir femme en total contrepied. Il fantasme non pas sur son arrogance de voyou et sa domination physique – palissades plutôt qu'une identité – mais sur les beautés coréennes et leur délicatesse exotique.

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Le contraste joue à plusieurs niveaux. La seconde surprise concernant Yoon est son extrême mollesse, resurgissante en-dehors des scènes d'action. Probablement lassé de cacher sa vraie nature, le policier n'affiche que nonchalance, paresse, regard rêveur et moue boudeuse, indifférent à l'admiration ou fascination autour de lui – comportement qu'on interpréterait comme de l'idiotie. Le comique se déclenche à ce niveau, notamment parce Jang Jin confronte cette attitude à des galeries de personnages et de milieux largement intensifiés et exagérés dans leur description. L'excitation du supérieur de Yoon, la méchanceté gratuite des antagonistes, la corruption à tous niveaux mais aussi le kitsch des bars fréquentés par les travestis ou les transsexuels. La qualité du film est de ne pas tant jouer sur l'opposition radicale entre les milieux, mais de se moquer, avec suffisamment de mesure, de chacun des deux imaginaires. La coquetterie surannée d'un transsexuel flirte autant avec la brutalisté abrutie et grotesque d'un mafieux. Et la nonchalance, la neutralité d'un héros fatigué comme Yoon sert admirablement bien d'intermédiaire épongeant ces extrêmes.

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Un autre point sur lequel Man On High Heels parvient à capter l'attention, voire à créer de l'empathie, est le suivi des tentatives de transformation de Yoon en femme. Sans détours, très simplement mais avec le minimum de pudeur, le film s'attache aux hésitations face à l'opération à venir et aux premiers gestes de travestissement. Dans une des séquences, le policier, suivant le conseil d'un transsexuel le coachant, décide de s'habiller d'une élégante robe et de descendre dans la rue attenante à son appartement. La scènes devient tour-à-tour comique et tragique : coincé dans l'ascenseur avec ses voisins, le personnage subit les regards surpris et choqués de ceux qui ne le reconnaissent pas. Ce type de séquence construit véritablement l'attachement au protagoniste principal et, dès lors, le désir de résolution du film ne se situera plus dans la spirale de violence généralement convoquée dans le thriller coréen, mais bien plus dans l'espérance de voir l'homme se réaliser femme.

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Une certaine inégalité s'immisce cependant dans l'audace du mariage entre l'action ultra-brutale et l'imaginaire de la beauté féminine asiatique. Si certains quiproquos se révèlent hilarants, d'autres parties s'enlisent. La jouissance de la reprise de certains n'est pas toujours à son comble, et crée des scènes presque embarrassantes car semblant manquer de sincérité. C'est en particulier le cas pour tous les souvenirs de jeunesse de Yoon, et la disparition de son premier amour : la pâleur romantique de l'image, la réalisation très léchée des évocations, l'intrusion de la chanson de k-pop reprennent à l'exact des réflexes à l'oeuvre dans la plupart des films coréens sur l'homosexualité (notamment ceux de Lee Song-Hee-Il, aussi invité à ce cycle Seoul Hypnotique). Il demeure difficile de s'attacher à ces souvenirs, tant ils ruissellent d'un certain artifice et d'une absence de singularité – là où ce n'est guère le cas dans la cocasserie assumée des règlements de compte ou des tentatives de travestissement. Cette maladresse prégnante handicape Man On High Heels, mais souhaite au moins espérer des autres films de Jang Jin d'autres détours à venir parmi les codes de l'industrie cinématographique de son pays.

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