Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Festival du Film Coréen à Paris 2015
3 Films au Festival du Film Coréen à Paris
Pourquoi diable le FFCP, après tout de même dix années d'existence, une équipe rodée, une programmation parvenant à faire venir des cinéastes imposants dans l'industrie, la location d'une grande salle à l'emplacement stratégique sur les Champs-Elysées – reste-t-il autant affublé de défauts techniques ? Si l'on pardonne parfois à la fragilité d'un festival, souvent difficile à mettre en place, exigeant du temps dans sa création, sa programmation et sa promotion, il demeure difficile de ne pas se crisper face au grand problème posé par le sous-titrage cette année. Ce problème existait déjà trois ans auparavant, lorsque le festival encore jeune évoluait dans le petit Saint André des Arts. A l'époque, les nombreux problèmes techniques étaient pardonnables et participaient même à une ambiance assumant son statut précaire et bricolé.
Mais, des années après, assister aux mêmes écueils dans un contexte plus confortable s'avéra agaçant. Subir des sous-titres de toute petite taille – un comble pour une projection sur de très larges écrans – accablés de fautes de frappe mais aussi parfois abondant en nombreux contresens et fautes d'orthographe rendait les projections fort désagréables.
Il n'est certes guère agréable de débuter ce billet sur cette touche négative, mais ces défauts demeuraient d'autant plus regrettables que les films découverts cette année étaient réellement intrigants, voire de très bonne qualité.
MIDNIGHT BALLAD FOR GHOST THEATER
(SAM-GEO-RI GEUK-JANG)
Kye-soo Jeon / 2006
Exemple de cette abondance d'erreurs de sous-titrage, la projection de Midnight Ballad For Ghost Theater a fortement souffert de problèmes de traduction, qui demandait en toute de la délicatesse au vu du ton décalé du film et de l'importance des paroles chantées. Comédie musicale, Midnight Ballad For Ghost Theater se révèle vite un objet curieux, affublé de nombreux défauts mais néanmoins attachant. S'il est durement touché par des problèmes d'écriture, un manque de budget évident et un rythme inégal, le film se révèle néanmoins insaisissable tout au long de la projection.
La direction du film et son sens réel ne se définissent guère, tant les genres flirtent ensemble, les pistes se superposent, et ce dans un cadre très défini, celui de cette vieille salle de cinéma. Si le film dénote d'emblée deux influences majeures que sont The Rocky Horror Picture Show et Tim Burton sur son accent le plus gothique, les emprunts ne sont que ponctuels et le scénario évolue vers des thématiques tantôt faibles, tantôt surprenantes. La définition des protagonistes et de leur passé de comédiens reste ainsi le lourd problème majeur, car elle demeure en surface de plusieurs possibilités et se contente de bribes de dialogue, de quelques gags de caractère, ou encore de rimes cryptées lors des chansons. C'est en particulier le cas pour le personnage du gérant de la vieille salle de cinéma, qui tente de se suicider, ratant à chaque fois son coup. Les causes de son désespoir, malgré un long numéro chanté les révélant, n'aident en rien la profondeur ou l'intérêt du personnage, pourtant intriguant à sa première apparition. De même, la réalisation ne déploie pas ses réelles possibilités, fade autant sur l'exploitation de ses décors fantastiques que sur de plates scènes musicales.
Si les deux premiers tiers du film accompagnent avec peu de ferveur ou d'originalité les déambulations des fantômes et de la jeune adulte échouée au milieu de ce groupe, la dernière partie du film révèle une surprenante jeu de mise en abîme. Dans ce petit cinéma d'époque afflue soudain la nostalgie de la cinéphilie, et d'une cinéphilie presque à l'image de celle française dans les années 1950. Les puristes étudiant le film se disputent les sièges avec le public populaire, tous venus assister à la projection d'une vieille bobine retrouvée, projection rythmée par un véritable parolier d'époque. Au cœur de Midnight Ballad For Ghost Theater filtre ainsi un regard passionnant sur le cinéma coréen, son histoire, son rapport à la cinéphilie. C'est l'étonnante reconstitution d'un soi-disant « premier film de monstres coréen », sorte d'Ed Wood asiatique, qui viendra entretenir ce regard et une certaine nostalgie des premiers temps et d'un cinéma de bric et de broc, uniquement dans le plaisir . Dommage que le vrai film en lui-même, celui qui contient cette petite trouvaille de projection, ne soit pas à la hauteur de ce plaisir.
VETERAN (BE-TE-RANG)
Seung-wan Ryoo / 2015
Film d'ouverture, Veteran fut un véritable phénomène au festival. L'ambiance de la salle était en effet particulièrement électrique, les spectateurs – beaucoup étant des Coréens habitant Paris – acclamant l'acteur, s'esclaffant face aux gags burlesques, s'exclamant à chaque scène de combat. Une ambiance qui généralement me rebute par son extravagance mais qui pour le coup, se ralliait bien au dynamisme pétillant du film, et à son plaisir de follement régaler ses spectateurs.
Veteran est un film symptomatique du style cinématographique coréen qui attire les foules actuellement. Moins radical que Park Chan-wook, violent mais moins douloureux que Kim Jee-woon, aimant à basculer autant dans la comédie que le drame, Veteran se rapproche de Hard Day, remarqué en France l'année dernière, ou encore du cinéma de Jang Jing. Une veine plus divertissante, plus éclatée également, s'amusant à user des nouvelles thématiques d'époque – la suprématie de requins financiers, une police forcément corrompue ou flirtant à la limite de la loi, l'accablement des malheurs sur les plus miséreux... – autant que des codes de genres.
Le film de Seung-wan Ryoo a surtout la qualité de présenter un scénario véritablement prenant pour accompagner ses protagonistes hauts en couleur ou l'énergie de ses affrontements. L'enquête menée par le policier Do-Chul et son équipe prend vite des allures de règlement de compte par des justiciers, mais sans ignorer la difficulté d'instaurer une justice dans une société creusée par le fossé entre les ultra-riches et les ultra-pauvres. sans refuser à ces personnage le statut de héros, le film ne les dresse pas dans un discours purement manichéen, tenant à asseoir les différentes circonstances de l'enquête et du suicide suspect sur un réseau d'intrigues denses et d'actions en parallèle, ne prouvant pas la naïveté de sa construction. Non seulement Veteran convainc, mais il porte haut et fort ses nombreux messages, et la peinture alarmante d'un Séoul entaillé par les problèmes sociaux.
Certes, le film accentue ce contexte pour permettre le divertissement et surtout l'affrontement entre ses deux figures dominantes. Do-chul (excellent Jung-min Hwang) est un policier bienveillant, mais néanmoins casse-cou au possible, détruisant sans distinction toutes les scènes de crime, provoquant ses adversaires, une parade ici plutôt comique du combattant incontrôlable propre à de nombreux films coréens. De même, son équipe fait preuve d'une succession d'actions délurées, créant une atmosphère d'emblée chaleureuse, construite sur de nombreux gags et à laquelle on s'attache aisément. En face, l'antagoniste joué par Ah-in Yoo déploie une palette d'actes cruels et égoïstes. Le choix de Ah-in Yoo, acteur populaire de dramas et idole de la jeunesse coréenne est en ce sens un contresens fort malin, faisant du jeune homme au visage poupin un terrifiant psychopathe. Mieux, le film propulse ce protagoniste dans la veine des nouveau méchants du siècle, ceux qui, génies ou milliardaires, deviennent des figures sur-gâtées vivant par leur mépris et leur nonchalance du pouvoir.
La caractérisation très accentuée de ces personnages pourrait entraîner sur un jeu d'opposition agaçant, ou attendu. Mais ici l'alchimie fonctionne car elle reste combinée à ce soin d'étayer chaque rencontre, de proposer à chaque scène un point de vue affirmé, un élément à l'enquête ou à la description sociale, ou encore une virtuosité de mise en scène. Car, il faut bien le souligner, l'affrontement final dérogeait à tout écrasement déjà venu dans le cinéma d'action coréen : l'idée de projeter les deux adversaires, qui jusque là s'étaient vus dans des bureaux ou des salles privées, au creux d'une foule sur la place publique, est aux antipodes des sombres dénouements de vendetta usuels. Ce changement développe tout un rapport de mise en scène et de considération d'un public urbaine bienvenue dans l'action coréenne, rarement en prise avec de vraies problématiques sociales.
ALIVE (SAN-DA)
Jung-Bum Park / 2015
Réalisé par le premier assistant réalisateur de Lee Chang-dong sur Poetry, Alive est d'emblée marqué par cette figure d'autorité, et probablement d'enseignement, à l'instar des réalisations de Ounie Lecomte ou July Jung. Cependant, plus que cette dernière, dont le A Girl At My Door était trop fortement embarrassé de formes de son mentor, Jung-Bum Park construit un film dense et véritablement personnel.
L'aperçu du film laissait présager un certain risque face à son sujet. Le thème de la misère marque en effet la direction du film, en accompagnant, sur près de trois heures de projection, une famille peinant à survivre durant un terrible hiver. Mais Jung-Bum Park réussit, d'une manière assez incroyable, à embrasser ce thème lourd et ambitieux par la rigueur de sa mise en scène et de son écriture. L'idée de la complaisance ou d'une sécheresse trop fortes dans le ton n'effleurent même pas ces deux heures quarante-cinq, tant le regard s'accrochent au lent quotidien de ses personnages. Le film parvient à maintenir ce qui décrit nettement le désespoir de ses personnages tout en écartant le superflu. Il touche, par son approche sobre et méticuleuse, chaque étape de leur construction intérieure.
C'est la précision de l'écriture et des détails qui permet d'abord cette emprise. Alive se révèle un film très physique, au plus près du travail entretenu chaque jour. Ce travail, c'est d'abord celui de la fermentation du soja, qui regroupe les protagonistes et dans lequel s'insinuera, mine de rien, le drame. C'est, ensuite, ce projet de la construction d'une maison, où Jung-cheol souhaite héberger sa famille, et à laquelle il donne forme peu à peu. Les gestes deviennent clé dans l'appréhension des protagonistes, et le renfermé Jung-cheol, interprété par le réalisateur lui-même, n'est pas sans rappeler, par sa manipulation brute des trons d'arbre et des briques, l'ours Olivier Gourmet dans Le Fils des frères Dardenne. Cette dimension, cette recherche du concret, précipite l'écriture dramatique dans une utilisation directe des éléments, et dans une confrontation à la misère qui passe d'abord par l'affrontement du paysage, et non uniquement par des pressions sociales extérieures. Les intempéries, les glissements de terrain ou encore les caprices de température sur le soja deviennent les premiers ennemis, ennemis d'autant plus sournois qu'ils se manifestent dans le temps, se révèlent violents par une lente dégringolade des événements.
Alive déploie ensuite une réelle finesse dans l'appréhension sociale, évidemment naissante au travers du dense destin de ses personnages. C'est là que transparaît l'influence de Lee Chang-dong et sa volonté de laisser ses personnages d'abord se creuser par leurs actions et leurs réactions. Le film taille brillamment les successions d'émotions contradictoires qui traversent cette famille, par exemple lorsque le propriétaire de l'entreprise de soja les enjoint, lors d'un truculent dîner familial où ils sont en train de cuisiner et servir les plats, à chanter au karaoké avec eux. Sans perdre de vue les comportements en arrière-plan, dont la colère des employés face à cette proposition, le film s'attarde avec douceur sur la sœur trouvant du plaisir dans ce moment de liberté chantée et qui, bien que consciente du fossé social, prend espoir à imaginer vivre dans la haute sphère. Cette subtilité d'approche, notamment par la place accordée aux réactions contrastées, se révèle héritière de Lee Chang-dong, qui la met fréquemment à l'oeuvre dans ses scènes de repas ou de réunion.
En revanche, l'écart avec ce cinéaste se dessine dans l'écriture des personnages et des émotions en jeu. Celle-ci participe à une entreprise réellement unique, approchant des protagonistes plus obscurs et moins tournés vers l'imaginaire. L'interprétation des acteurs est excellente par sa mesure et donne à ces figures une dureté désolée qui devient peu à peu déchirante au fil des péripéties surmontées. De même, la retenue des comportements et l'attachement aux actions font des courts moments de faiblesse ou de tendresse des émouvantes percées dans le récit, tels l'observation patiente d'oeufs naissants sous la lumière du jour, ou encore l'effleurement bref du front d'un ami à la sortie d'un bar... Parce que les personnages endurent longuement et constamment leurs malheurs, chaque geste en décalage avec ce comportement devient, sous la caméra de Jung-bum Park, une résistance de plus à la condition sociale.