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Souvenirs de Marnie

Un parfum d'enfance...

 

SOUVENIRS DE MARNIE (OMOIDE NO MÂNÎ) – Hiromasa Yonebayashi

Après Arrietty et le petit monde des chapardeurs (Karigurashi no Arrietty, 2010), Hiromasa Yonebayashi continue son exploration intime et atmosphérique des rencontres impossibles. Force est de constater qu'à l'inverse de son collègue Goro Miyazaki, qui a signé deux longs-métrages aux partis pris narratifs et esthétiques extrêmement différents, Yonebayashi, un des fidèles assistants d'Hayao Miyazaki, prolonge avec Souvenirs de Marnie son style minimaliste. La discrétion du ton et l'épique renversé à l'échelle de quelques jours d'été le rapprochent cependant plus de Yoshifumi Kondo que du maître Miyazaki. Souvenirs de Marnie a la poésie douce et les emballements nostalgiques de Si tu tends l'oreille (Mimi wo sumaseba, 1995).

Le film de Yonebayashi a ce goût de l'ancien, au sens qu'il ravive les motifs d'une époque disparue, de dîners d'aristocratie, de valses sous la pleine Lune, de tours abandonnées ou de vieilles demeures respirant les souvenirs. Se reconnaît bien là le plaisir du cinéaste pour les décors de l'intime, l'importance des objets ou les ambiances tamisées. Le personnage de Marnie en lui-même, avec sa fantaisie des pique-niques et des robes à volants, est proche d'une poupée de porcelaine animée. Sa demeure si gracieuse et élégante n'est point si éloignée de la maison de poupée qui trône dans la chambre de Shô et où Arietty rêve d'emménager avec ses parents.

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Souvenirs de Marnie a, dans cette logique, le ton d'un roman d'enfant lu au bord d'une plage, ou d'une aventure inaugurée au cours d'une partie de cache-cache dans des ruines abandonnées. Ce parfum d'enfance n'est pas celui des rires et des jeux de groupe ; mais plutôt celui qui, commençant à se décoller de l'insouciance et frôlant l'adolescence, se niche un temps dans les échappées étranges, dans les songes à moitié réels, dans ces courts moments où on se surprend encore à croire en des mondes magiques. L'héroïne du film est en ce sens une enfant solitaire, s'immergeant dans le dessin pour tromper son morne ennui des autres et sa timidité extrême. Son geste, très révélateur, d'effacer le jeune enfant qu'elle venait de dessiner dans son carnet au début du film, montre à la fois son asocialité autant que son désir de nouveauté. La trouée blanche dans son dessin signale le vertige naissant de son imagination. Les courses oniriques d'Anna sur les morceaux de terre flottants du marais sont proches en cela des parcours galopants de l'héroïne de Si tu tends l'oreille, où elle survolait les planètes du monde d'Iblard. Dans les soubresauts d'une animation fluide et délicate tournoie le désir de croire.

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Ces emballements ont parfois une mécanique hasardeuse. Les temps du souvenir se révèlent inégaux, ne dégageant pas la même intensité, s'embarrassant de confusions spatio-temporelles inutiles. On se surprend à envisager dans ces glissements des époques et des songes le travail non plus de Miyazaki mais bel et bien de Satoshi Kon. Mais les confusions d'Omoide no Marnie ne se révèle pas aussi intenses que ceux de Perfect Blue ou de Millenium Actress, car elles ne sont pas le portrait d'une fragmentation. L'esthétique et le montage du film de Yonebayashi tient ainsi plutôt du ressac, où chaque vague déferlante de la mer de ses images n'a évidemment pas la même force, ni la même émotion.

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La relation d'Anna et de Marnie prolonge la dynamique singulière de celle de Shô et Arietty dans le précédent film de Yonebayashi, tenant sur une similaire impossibilité de communiquer. Dans Arietty et le petit chapardeur, les différences de proportions – mais aussi de caractères, enflammé chez l'une, passif chez l'autre – étaient à l'origine de la tragédie ; ici ce sont les différences de temps et de réalités qui créent la séparation. Lors de la préparation du premier long-métrage de Yonebayashi, Miyazaki avait indiqué dans son scénario l'influence des relations du Cœur de Thomas (manga de Moto Hagio, sorti en 1974) pour qualifier celle construite entre Shô et Arietty. Mais le style d'Hagio touche aussi le lien tissé entre Marnie et Anna : s'y tend la même délicatesse, la même fragilité des gestes, le même romantisme des courts instants. Les caractéristiques du personnage de Marnie, cependant, rejoignent celles d'un protagoniste créé par Miyazaki. Yonebayashi développe autour de cette très belle figure la même charge de magnétisme que Hauru dans Le Château ambulant (Hauru no Ugoku Shiro, 2004). L'animation accompagne chaque nuance de son charisme, ses cheveux flottants, le dynamisme et l'élégance de ses postures, ses nombreux changements faciaux. Marnie porte en elle une forme de dualité enfant-adulte qui caractérisait le personnage d'Hauru, magicien mature aux fréquentes attitudes infantiles. Loin des femmes battantes de Miyazaki, Marnie propose un versant inattendu, plus androgyne qu'il n'y paraît. Le charme de Souvenirs de Marnie réside donc enfin dans ce délicat renversement des figures féminines.

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Commentaires

  • J'ai aussi pensé à "Si tu tends l'oreille" en visionnant ce film. Très beau, très bien rythmé, mais je l'ai trouvé moins accessible qu'Arietty - et bien différent en fait. Plus mature. J'ai été un peu déçue par la fin qui, selon moi, répond trop à des questions dont les réponses sont évidentes (je pense qu'il aurait été plus efficace, et davantage dans le ton fantastique du film, de ne pas tout dévoiler, mais ça n'engage que moi). Il y a vraiment une forme de tragédie dans les films de ce réalisateur, que tu illustres bien en parlant de "rencontres impossibles", destinées à échouer - mais qui conduisent finalement l'héroïne à espérer d'autres rencontres, celles-ci possibles.
    Ah, et si je ne me trompe pas, il y a une maison de poupées dans la chambre de Marnie, près de la porte (qu'on voit quand Sayaka y fait entrer Anna).

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