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Pakeezah

La courtisane amoureuse

 

PAKEEZAH (1972) – Kamal Amrohi

Film découvert dans le cadre du cycle « Les Femmes à l'écran » organisé par Contre-Courants, le 10 octobre 2015 au Reflet Médicis

Pour sa toute première séance de ciné-club, l'association Contre-courants, qui assure la diffusion de films d'Asie du Sud, nous proposait un véritable classique du cinéma indien. Pakeezah est un film essentiel dans la tradition du « film de courtisanes », genre dont les principales caractéristiques peuvent se retrouver dans le film bollywoodien contemporain. Pour accompagner ce très beau mélodrame chanté et dansé de Kamal Amrohi, la présentation du film par l'équipe de Contre-courants fut fort appréciable et instructive.

Pakeezah conte les difficultés amoureuses de son héroïne, élevée par sa tante comme une courtisane précieuse. La jeune fille elle-même est issue d'une union tragique, rendue impossible du fait de la différence de statut. Le drame se prolonge jusque Pakeezah, quasi la réincarnation de sa mère, et aussi reniée par la famille de grand amour. Le film se révèle une vraie tragédie, où les liens familiaux se perdent pour mieux se resserrer, où l'errance est longue avant un dénouement éclatant. La réalisation de Kamal Amrohi demeure à la hauteur du romanesque, imprégné par ses danses, ses couleurs et son travail majestueux de la composition du cadre et des décors. La copie projeté du film avait malheureusement beaucoup souffert du temps, et la qualité piètre de la pellicule et de sa bande sonore empiétait sur cette éblouissante photographie portée par son jeu des couleurs, ou encore sur la partition musicale, l'une des plus connues du répertoire. Cependant subjugue encore l'impressionnante utilisation des architectures combinées aux démonstrations de danse et de rythmique du chant. En particulier, le film révèle un sens inouï d'utilisation de la profondeur de champ. Certaines séquences saisissent une multitude de pièces et de scènes en arrière-plan des actions de Pakeezah, suggérant par-là que la condition de la courtisane demeure. Tout au long du film, la sensibilité oscille entre l'application de la séduction par la courtisane, qui, comme beaucoup d'autres dans la même demeure, charme par ses danses et ses chants ceux venus la visiter ; et la révélation de son sentimentalisme, tourné vers un désir romantique de rencontre.

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Cette hésitation se devine entre ces scènes dansées très structurées et la sensibilité de la bande. Malheureusement, la traduction française des paroles de la copie présente demeurait, selon l'équipe de Contre-courants, très en-deçà de la poésie du texte. S'y devinait cependant un poids des mots transcendant les distances, les étoffes et la pudeur de l'ensemble. La chanteuse prêtant sa voix à Pakeezah n'est autre que Lata Mangeshkar, l'une des plus interprètes dans les films indiens, reconnaissable à sa voix très aiguë. Le contraste surgissait très fortement entre son timbre très intime, très romantique et l'accomplissement millimétré de la danse, et la voix permettait bien souvent une expression plus forte que le corps soumis au décor des plans.

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Pakeezah s'inscrit dans le début du cycle de Contre-courants en tant que la représentation de « la femme amoureuse ». Et le protagoniste joué par Meena Kumari l'incarne bel et bien, et dans ses toutes contradictions possibles. L'héroïne se révèle fuyante, difficile à cerner dans sa volonté et son désir, car son statut de courtisane n'apparaît d'abord point comme un obstacle face à elle. Pakeezah accomplit ses danses de séduction avec ferveur, voire aime narguer les cœurs des hommes accrochés à son regard et prêts à s'abattre pour la conquérir. En témoigne une longue scène de séduction sous la pleine Lune, où toute la rivalité entre les hommes présents semble guidée par chaque mouvement de Pakeezah. L'expression du désir intime du personnage demeure ainsi très étrange, en regard de ses longues scènes d'accomplissement du devoir de courtisane, et l'est d'autant plus que le film est gagné par une certaine déliquescence dans la narration. Celle-ci, comme l'a expliqué l'équipe de Contre-courants dans sa présentation du film, se lie à la difficulté d'aboutissement de la réalisation, interrompue sur une longue période en raison de la séparation de Kamal Amrohi et de son actrice.

Certaines scènes furent ainsi tournées rapidement et la distance a peut-être abouti à ce traitement étrange de la temporalité au montage. Les ellipses sont audacieuses et certaines séquences paraissent inachevées, demeurent suspendues, en particulier à partir du moment où Pakeezah reçoit la visite de son étrange admirateur fétichiste de ses pieds dans le train. Curieusement, ce « défaut » du film qui n'a su recevoir sa complète réalisation, dessine entièrement l'inconstance des réactions de Pakeezah, troublée entre des gestes de séduction, des élans romantiques et et de brusques et intenses expressions de la douleur.

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 La qualité impalpable de la rencontre de la femme avec son grand amour – qui a en outre lieu pendant le sommeil de Pakeezah – fait longuement douter de l'existence de l'homme en question, et amène le film à un point de vue totalement féminin. Le montage paraît se transformer au gré des espoirs et des déceptions de Pakeezah, ceci sensible dans son attirance vers le sifflement d'un train au lointain, ou la relecture fréquente du mot doux glissé entre ses orteils. En cela, pour s'autoriser un parallèle au-delà des contextes et des temps, le rythme si singulier du film rejoint les élans à la fois emportés et sans cesse interrompus de l'actrice Chiyoko dans Millennium Actress (Satoshi Kon, 2001), là aussi une femme aussi courante après une chimère, tout aussi amoureuse que Pakeezah, et tout aussi bouleversante.

 

Plus d'informations sur http://www.contre-courants.com/

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