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Spectaculaire chez Bong Joon-ho II

Retour sur THE HOST (GWOEMUL)

Un film réalisé par Bong Joon-ho en 2005

 

Projeté au Cycle Séoul Hypnotique au Forum des Images.

En revoyant The Host, six ans après sa première découverte sur un petit lecteur DVD du salon familial, se dessine l'évidence que le film de Bong Joon-ho demeure l'un des meilleurs films d'action du nouveau millénaire.

Le monstre a regagné sa légitimité depuis quelques années dans le cinéma, avec les récents Cloverfield (Matt Reeves, 2008), Godzilla (Gareth Edwards, 2014) ou Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015). Par légitimité, j'entends son inscription dans un cadre réaliste, et la mise en rapport du monstre avec des structures socio-historiques bien précises, en construisant l'image d'une lourde menace. Est-ce à dire que The Host amorce ce retour à une représentation terrifiante, qui se fonde à la fois sur une totale virtualité et le gain de détails réalistes, du monstre de cinéma ?

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Le film coréen s'aligne à l'époque sur son contemporain américain qu'est la relecture horrifique de La Guerre des Mondes par Steven Spielberg. La comparaison n'est pas si anodine car certains éléments de la mise en scène de Bong Joon-ho connaissent un parallèle étonnant avec le cinéaste américain. Le pari de ramener le monstre à l'écran reste osé pour ces deux films, tous deux des grands succès dans leur pays d'origine autant qu'à l'international. La Guerre des Mondes prolonge une qualité d'épouvante du monstre extraterrestre, jouant sur l'angoisse de l'invasion et la qualité inconnue – et donc incompréhensible et incontrôlée – apportée par une menace extérieure. Mais The Host ne relie pas son monstre à des entités extérieures, et le rattache au contraire aux données réalistes de son pays. Le film ramène les possibilités d'épouvante de la créature à un contexte entièrement urbain, réaliste, loin de son implication dans des univers de fantasy ou de science-fiction, et surtout bien moins monumental que le film de Spielberg. Sans refuser le spectaculaire, la réalisation se réduit à un lieu majeur d'affrontement – l'un des ponts du fleuve Han – et se concentre sur une série de protagonistes. Le monumental se limite aussi au refus de destruction : la créature n'instaure pas, à la différence des Tripods, Godzilla ou T-Rex, un écrasement massif des décors, ne frôle pas l'annihilation apocalyptique ou catastrophique. Elle se révèle au contraire plutôt une forme souple et très animale, dont l'ambition est juste de se déplacer sur son terrain et de stocker sa nourriture.

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Plutôt que du monumental, ou de l'écrasement, la mise en scène de Bong Joon-ho gagne sa virtuosité dans l'incarnation pure de la monstruosité. The Host est d'abord un film de monstre, au sens autant propre et figuré du terme, et le genre s'accorde parfaitement avec le style général du cinéaste, à savoir cette monstruosité oscillant entre le grotesque et l'horreur pure, et qui se nourrit volontiers de l'absurdité des événements de son pays. Stéphane du Mesnildot, durant la conférence précédant la projection du film, éclairait The Host d'une lecture intéressante à ce propos. Le critique y décrivait le monstre comme naissant de l'histoire du pays et de l'accumulation de ses tensions sociales, économiques et politiques. L'origine, concrète, d'apparition de ce monstre est en ce sens teinté de dérision dans l'ouverture du film, choisie pour les extraits du conférencier. La représentation du tout-puissant américain, par l'autoritaire et tyrannique scientifique du début, indique une suprématie aliénante et volontiers caricaturale de la culture occidentale sur le pays. De même, la pollution du fleuve Han par les produits toxiques aboutit sur l'accouchement de cette créature, comme une vengeance de la part de l'environnement sur le pays.

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Le rapport politique du film est, au-delà, omniprésent dans toutes ses tonalités. A cette ironique métamorphose posant des enjeux écologiques se rajoute le rapport de lutte des classes et d'oppression de la marginalité. Plus qu'encore avec son monstre, Bong Joon-ho déstabilise en proposant une famille de bras cassés irrécupérables, se prenant pourtant de plein fouet la logique de leur arrestation et de leur décontamination. La démonstration de la mentalité abrutie de ses personnages est toujours, à contre-coup, rééquilibrée par une démonstration de force bien plus écrasante et violente, mais aussi gagnée d'une similaire stupidité. En témoigne la scène de funérailles, dont le rapport dramatique est sans cesse entaillé par des postures grotesques et des réactions clownesques (étalage au sol de la famille en larmes, hurlante sous les flashs des photographes) ; et auquel succède la première apparition de l'agence de décontamination. Celle-ci passe justement par un gag burlesque, où l'un des scientifiques couvert d'une épaisse combinaison jaune, surgissant au milieu de la foule massée et bruyante des victimes, glisse et tombe à terre. Mais cette amusante chute est très rapidement contrecarrée par la violence soudaine de la décontamination.

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Cette capacité à évoluer d'un ton à l'autre, mais aussi de soumettre ce passage à l'évolution de sa mise en scène et de son ambiance, s'inscrit en véritable forme d'écart dans ce film. D'une minute à l'autre, le pas est monumental entre la farce totale et le réalisme prononcé, entre le sourire et l'effroi. La séquence imposant ce franchissement demeure celle, sidérante par son changement de ton, de la première attaque de la créature. Les touriste amassés au bord du fleuve Han remarquent d'abord l'étrange animal marin se rapprocher de la surface : amusés et fascinés, ils lui jettent de la nourriture, avant que la créature ne s'éloigne. C'est par ailleurs Gang-du (Song Kang-ho), héros du film, qui initie le contact en jetant la première canette – et le geste deviendra symbole de leur rivalité à venir. La banalité de l'action et son aspect touristique détendent l'attention du spectateur : le surgissement direct du monstre au loin, ayant gravi la terre ferme et s'élançant vers le groupe massé, n'en sera donc que plus fort. Le basculement s'opère parce que le film nous ramène directement à une action quelconque, familière, soudainement pulvérisé par une masse fantastique s'imposant à l'écran, violentant le rythme.

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L'écart transparaît ensuite à travers les différentes échelles qui construisent le monstre : du petit poisson mordant qu'il est auprès des pêcheurs à l'énorme créature qu'il devient, ce jeu de passage d'une taille à une autre sans cesse rappelé établit un écho à la structure narrative et esthétique du film, de même que la qualité hybride du monstre – mélange de calamar, pieuvre, alien et reptile – se fait tissu concret du mélange des genres revendiqué par Joon-ho. Le jeu de tailles est en outre sans cesse rappelé par des détails et des indices montés en parallèle du surgissement énorme de la créature. The Host se révèle proche en cela du tout premier Jurassic Park, voire du cinéma en général de Steven Spielberg. Les rappels et clins d'oeil constants de la menace du tyrannosaure par son nom sur l'étiquette d'un échantillon, son squelette, son schéma ou son ombre se font écho aux multiples poissons évoquant la créature, la seiche dont est arrachée l'une des queues, le calamar en boîte de conserve goulûment avalés par le héros du film... La qualité du monstre se greffe partout, dans les détails et en amont des apparitions de la créature. Ceci s'aligne avec un rapport indiciel scrupuleux dans le film : çà et là, et c'est ainsi que se construit l'inclusion du spectateur autant que sa préparation aux nombreuses scènes d'action et d'affrontement avec la créature, se placent des éléments repères, telles les canettes de bière jetées au sol, les flèches tirées par la sœur, les passages furtifs des deux enfants vagabonds...

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Cet écart est aussi celui qui travaille les personnages et les transforme en héros de film d'action. Stéphane du Mesnildot a également fait une interprétation intéressante du personnage de Gang-du en l'érigeant comme véritable rival du monstre. Il faut dire que les cheveux jaune paillasse du piètre père de famille répondent à la peau fauve de la créature. Côté caractère, c'est la paresse qui joint les deux. Le monstre ronflant lourdement dans son repaire devient écho direct – écart, là aussi, d'une échelle et d'une nature à une autre – au premier plan d'apparition de Gang-du, somnolant et bavant à son stand de vente. Dès lors, le scénario du film s'agence presque comme celui d'une concurrence entre les deux présences, bataillant pour obtenir la garde de Hyun-seo, précieuse fille unique pour l'un, garde-manger pour l'autre. La mise en scène, toujours fine et indicielle, de Bong Joon-ho, s'amuse à tracer les parallèles, en divisant volontiers son cadre durant les scènes de courses, où la trajectoire de l'humain affronte celle du monstre.

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Le rapport de paternité demeure évidemment une reconquête dans le film. Plus largement, il s'agira pour chaque protagoniste de retrouver sa place au sein de sa famille, et son rôle à jouer dans l'action. Jeunesse de révolte retrouvée pour le grand frère auparavant taciturne, cible atteinte pour la sœur championne de bronze au tournoi de tir à l'arc, et sentiment de paternité révélé pour Gang-du. Le monstre n'efface guère les protagonistes, très attachants dans le film de Bong Joon-ho, ceci lié autant à la qualité d'interprétation de ses acteurs qu'au rapport clownesque, léger et enlevé qu'ils apportent. Il se dessiné ce rapport nonchalant, au rire possible, face à la tragédie qui menace – un rapport aussi présent dans Jurassic Park, avec le populaire personnage de Jeff Goldblum, toujours en marge des autres dialogues, décalant le ton par ses boutades ou ses postures. Cette comédie que Bong Joon-ho ne refuse pas à ses personnages, il la trouve toute entière dans son acteur fétiche, Song Kang-ho, qui propulse à l'extrême son jeu antithétique, alliant comportement grotesque à lourde gravité, ainsi que dans la partition de Lee Byung-woo. Le choeur de trompettes rédigé par ce dernier stimule ce mouvement désorganisé de la famille, auquel succède une mélodie à la clarinette, signalant la progressive harmonie recomposée du groupe.

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En dépit de ce balancement des tons, de ce sens de l'écart « monstrueux » dans The Host, l'émotion et le drame prédominent bel et bien dans ce récit d'action. Le spectaculaire ne se limite pas à l'esthétique et accompagne cette reconquête de la paternité en maltraitant d'emblée l'innocence. L'une des images les plus terrifiantes du film demeure celle de la vision subjective de Gang-du, tandis qu'il voit le monstre courir en direction de sa fille. L'enfant arraché devient image traumatique de la monstruosité, et trace la douleur dans le film de Bong Joon-ho. Au-delà de la virtuosité de sa réalisation et de ses nombreux rebondissements, c'est ce plan qui terrifie, ne trouvant son accalmie que dans le refuge familial final, cependant toujours aussi marginalisé.

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