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Cinéma chinois - Page 3

  • Master Class Jia Zhangke

    MASTER CLASS JIA ZHANGKE

    Animée par Pascal Mérigeau, au Forum des Images le 10 novembre 2013

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    Jia Zhankge a beau être de petite taille, il se révèle être un grand homme, à la fois généreux et modeste dans l'approche de son cinéma. Lorsque le parrain du festival « Un Etat du monde et du Cinéma » qui a eu lieu sur ce mois de novembre de Forum des Images s'approche timidement dans le grand auditorium, pour s'asseoir en face du grand Pascal Mérigeau, les spectateurs sont à la fois amusés par le contraste de taille et touchés par sa discrétion.

    L'auditorium faisait ainsi salle comble pour accueillir le cinéaste chinois qui se livra d'emblée sur son parcours, qui ne s'est pas tout de suite porté sur le cinéma, mais d'abord dans la peinture et les Beaux-arts, une influence qui se manifeste constamment dans son oeuvre. Zhangke fit aussi part, dans son récit, de son fort attachement à sa ville natale, Fenyang, où il tourna notamment certains de ses films, tel Xiao Wu (1999) ou Platform (2001), et de la difficulté à y tourner des films en Chine. Sans s'apitoyer sur la violence de la censure exercée dans son pays, le cinéaste préféra nous parler de sa fascination pour tous les moyens possibles de résistance et de détournement de cette censure. Il raconta ainsi plusieurs anecdotes sur l'univers des DVDs piratés, totalement différent de celui de la France, où les vendeurs clandestins deviennent de vrais historiens du cinéma, fournissant des grands classiques ou des films indépendants. De même, l'apparition et le développement d'Internet ayant fourni un nouveau moyen d'expression pour beaucoup, le film The World, dont Zhangke nous commenta un extrait choisi par Pascal Mérigeau, incarne ces nouveaux moyens de communication.

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    The World (2004)

     

    Ce regard que porte Jia Zhangke sur son pays se révèle tout à fait singulier et d'une admirable distance. Le cinéaste a fait part, durant cette Master Class, de cette approche, pertinente et fine, vis à vis de l'importance du changement et des mutations en Chine, que son cinéma essaie très justement de capter, pour en révéler les limites, les failles, et pour surtout soutenir la mémoire de ceux qui se retrouvent mis à l'écart de cette société mouvante.

     

    Le lien vers la captation réalisée par Arte : http://www.arte.tv/fr/master-class-jia-zhangke/7690810.html

    Liens vers les critiques des films de Jia Zhangke : Still Life (2006) ; 24City (2008) ; I wish I knew (2010).

  • People Mountain People Sea

    Des montagnes aux enfers

    PEOPLE MOUNTAIN PEOPLE SEA – Cai Shangjun

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    Certains critiques y voyaient un western chinois, mais il s'agit plus d'un film noir dans les montagnes chinoises, teinté par l'esprit de Zola – dont le réalisateur affirme s'être inspiré. D'une carrière immense et d'une blancheur extrême aux profondeurs noires d'une mine illégale, le personnage de Lao Tie effectue une progressive descente aux enfers, traversant les bas-fonds et les couches exploitées de la société, à la recherche de l'assassin de son frère. Le film de Cai Shangjun refuse le pathos et le sentimentalisme et s'ancre dans une âpre observation des faits, préférant la précision de la mise en scène et la richesse des sons d'ambiance aux scènes de dialogue ou d'explication.

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    Dans sa réalisation, Cai Shangjun succèderait presque à Jia Zhanke. La photographie du film, et son sens de la mise en scène, rejoignent dignement la latence des films de Zhanke, et chaque mouvement de caméra déploie un sens de la mise en scène et de la narration absolument sidérant. Rien que la première séquence, celle de l'assassinat, propose une esthétique hors du commun : le cadre et les choix de position des personnages déploient une intensité dramatique surprenante, car alliés à une forme de simplicité et de dépouillement provenant des lignes du décor, des collines désertes et inondées de soleil. Par la suite, le protagoniste du frère apparaîtra au beau milieu d'une carrière impressionnante, d'où jaillissent des effluves de poussière blanche et de roches friables. Les textures et l'éclairage ont une importance très forte dans le cadre de cette mise en scène, étant là pour rendre compte d'une atmosphère particulière, souvent angoissante. De bout en bout de son enquête, le frère va ainsi peu à peu passer des montagnes escarpées à l'ambiance bouillonnante et miséreuse de la ville, aux campagnes peuplées de moutons, jusqu'à ce final sidérant au sein d'une mine illégale, où ne règnent que la sueur luisant sur les peaux noircies des travailleurs clandestins.

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    Le personnage de Lao Tie recherche au final plus l'assassin pour se donner une quête et une raison d'agir. Sa mort paraît si absurde et si naturellement acceptée – étant elle-même filmée au début comme un événement naturel – que toute action de vengeance paraît vaine. Sa quête se révèle plus une déconstruction progressive, où Lao Tie observe, se fait humilier, essaie de reprendre le pouvoir par la force, se rend dans les lieux sans réelle conviction, plus dans l'attente que dans la réalisation. Le film nous place autant en position d'observateurs des actions de Lao Tie que de ce qu'il découvre, à savoir une succession de portraits des couches les plus miséreuses de la société, des bas-fonds de la ville aux conditions inhumaines du travail dans les mines. Dans cette peinture noire et âpre, les rares séquences du quotidien de Lao Tie apparaissent comme des temps de suspension paisibles, le temps de déguster un repas ou de promener les moutons, comme si la seule échappatoire possible était de rester fidèle à la vie des montagnes.

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    La sécheresse des scènes et de l'écriture, qui confine au dépouillement le plus complet, prêtent par fois à confusion. Le montage alterne en effet des scènes de contemplation, souvent des plans-séquences à la belle latence, avec de courtes et explosives bulles de violence. Ces choix provoquent soit une émotion brutale, soit une rupture de rythme assez désagréable pour la suite du récit. Hormis ces quelques moments de confusion, l'ensemble laisse une impression forte, film désespéré sur la vengeance ou la condition d'un homme progressivement précipité des montagnes aux enfers de la terre.

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  • The Grandmaster

    THE GRANDMASTER – Wong Kar-wai

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    Autant le nouveau film de Wong Kar-wai m'a séduite par son esthétique dont je me méfie habituellement, autant son scénario ne m'a pas convaincue. Alors que la forme visuelle et le travail photographique et sonore du cinéaste hongkongais trouve une nouvelle ampleur avec l'histoire d'Yip Man et du kung-fu, les choix de récit et de montage se révèlent confus, peu à peu lassants et creux.

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    Qu'a voulu faire Wong Kar-wai avec The Grandmaster ? Raconter la vie du grand maître ? Montrer sa gloire, puis sa déconstruction face à l'invasion de l'armée japonaise ? Donner une histoire plus générale des différents types d'arts martiaux ? S'attacher à la figure de la fille du grand maître, attirée par la modestie de Ip Man ? Etre dans la fresque ou dans l'intime ? Autant d'intrigues et de choix d'écritures qui ne cessent de se frôler tout du long de The Grandmaster, uniquement unifiés par la forme, exquise, du film.

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    Si Wong Kar-wai a voulu dresser le portrait de la diversité des arts martiaux et se frotter à tout style de combat, cette intention trouve son apogée durant la séquence dans la maison close, autant un lieu de plaisir qu'un espace dédié aux rencontres entre les grandes écoles. Superbement filmé, la séquence fait gravir, au sens propre, les échelons d'un art martial à un autre, mêlant la démonstration à l'épique. Dans cette scène, les intentions de Kar-wai apparaissent et cette alchimie fonctionne admirablement. Or, par la suite, en particulier sur la période de l'invasion japonaise, les rares indications historique délivrées ne suffisent pas à appréhender le reste de l'histoire et à comprendre sa direction. En résulte une succession de séquences tout aussi bouleversantes dans la forme qu'incompréhensibles dans le fond. Le protagoniste mystérieux de La Lame, joué par Chang Chen, donne ainsi lieu à une troublante séquence de rencontre dans un train et à un combat épique dans la rue, mais ne se trouve qu'effleuré dans le récit, jouant plus un rôle en toile de fond.

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    Si le choix de Tony Leung devient presque un classique chez Wong Kar-wai, sa sobriété marquée et son charisme naturel étant les deux ressorts clés de ses personnages, et en l'occurrence parfaits pour incarner Yip Man, le choix de Zhang Ziyi, pourtant un personnage secondaire, se révèle bien plus audacieux et étonnant. Le fait est que l'écriture de la fille du Maître Gong présente bien plus d'ambivalence que l'intègre Yip. Zhang Ziyi incarne ainsi un personnage aux antipodes de ceux – bien plus niais et sans réelle profondeur – de ses précédents films, et réunit plusieurs questionnements sur l'héritage et la vengeance. La beauté de l'actrice est traitée dans la tonalité d'une grande froideur qui atteindra sa force avec la séquence dans la neige près d'une voie de chemin de fer. Cette froideur et cette épure concernant la mise en scène du personnage transmettent une forme de dignité chez Kar-wai, et déclenchent bien plus d'émotion que pour le malheur vécu par Yip Man, dont le destin familial est totalement éclipsé du film.

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    Plus intéressant, enfin, se révèle le choix esthétique apporté aux séquences de confrontation. Kar-wai y semble fusionner deux styles auparavant distingués dans le cinéma d'action chinois, réunissant à la fois Bruce Lee et Tsui Hark. En effet, si le film met en scène le maître du wing chun, l'art martial qui a fait la renommée de Yip Man et de son élève Bruce Lee à Hollywood, les combats au corps au corps sont filmés comme des séquences de wu xia pian, d'affrontement au sabre. L'esthétique développée autour du mouvement, de la virevolte et du prolongement des membres du corps atteint presque une dimension surnaturelle et fantastique. Ce renversement se révèle impressionnant et aurait pu atteindre une véritable ampleur si l'écriture globale du film s'était révélée plus cohérente.

  • Une vie simple

    Plaisirs culinaires

    UNE VIE SIMPLE – Ann Hui

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    Une vie simpleest un film très culinaire, et ce n'est pas ce qui le dessert, bien au contraire ! La simplicité du film (et donc, de la vie de ses protagonistes) vient avant tout des échanges, plaisirs, partages de la cuisine et des plats chinois. Une simple soupe devient dans le cadre du drame de la fin de vie de Ah Tao (Deanie Ip), servante dévouée à la famille Leung et ayant presque élevée par elle-même le dernier fils, Roger (Andy Lau), devient une véritable bénédiction.

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    Dès le début du film, le scénario nous vante les mérites culinaires de la vieille servante, filmée cachée dans la cuisine ou sélectionnant avec sévérité ses ingrédients au marché, et la réalisation se plaît à en faire la démonstration, dans des scènes absolument alléchantes. Par la suite, toute la tendresse d'Une vie simple résidera avant tout dans les efforts que vont déployer Roger et le reste de la famille pour prendre soin de Ah tao, paralysée et recluse dans une piteuse maison de repos suite à un infarctus. Lui préparer et lui offrir des plats sera la principale attention apportée, donnant lieu à des déclinaisons comiques de ces simples gestes : Roger ou sa mère, connaissant l'exigence d'Ah Tao, verront leurs plats critiqués par la malade, débouchant sur des scènes comiques. Dans ce rapport entre Roger et la servante, c'est bien une histoire de filiation qui se noue, teintée de romance amoureuse. La relation est cernée au travers de séquences d'une tendre complicité, refusant le larmoiement pour se concentrer sur les petites plaisirs de la vie, ou encore les découvertes nostalgiques. En témoigne une émouvante séquence de fouille dans les cartons, où la vieille femme redécouvre, à la veille de sa mort, son tout premier salaire de servante, tandis que son protégé la regarde amoureusement s'extasier.

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    En outre, Une vie simple réussit à garder un équilibre plaisant entre le mélodrame et le comique. Le choix d'un sujet aussi lourd est non seulement traité avec une belle justesse, mais est de plus constamment enrichi de touches burlesques et humoristiques. Dans la maison de repos, le caractère assez infernal tout autant qu'attendrissant du lieu est relevé, où les personnes âgées peuvent se révéler insupportables, bornées, disputant un voisin qui peine à manger, réclamant de l'argent à tout va, ou encore se trompant de dentier. En outre, le film joe habilement de l'image de Andy Lau, un choix très habile dans le casting, puisqu'il incarne un producteur de blockbusters, pourtant habitué à vivre simplement car fidèle aux codes de vie modestes de celle qui l'a élevé. De ce contexte naissent des scènes burlesques, tournant en dérision le cinéma chinois : apparition hilarante de Tsui Hark réclamant plus de budget pour son film ; reconversion de Anthony Wong, fidèle acteur de Johnnie To, en directeur de maison de retraite à l'allure d'un mafieux...

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    La simplicité du film et de ses intentions en font une histoire forte, et éminemment touchante. Son rythme parvient à nous faire suivre, dans une troublante vérité, le sentiment de la maladie qui nous dépasse, pouvant faire passer d'un rétablissement plein d'espoir à une brusque dégradation. Les interprétations sont époustouflantes, Deanie Ip jouant de manière impressionnante ce corps malade passant par toutes les phases sans perdre de sa dignité ; et Andy Lau, dans un choix judicieux, à la fois en lien avec son image de célébrité et à contrepoint de ses rôles habituels, joue sur la carte de l'intime et sur celle de son impeccable sobriété. 

  • Ip Man

    IP MAN (2008) – Wilson Yip

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    Grosse production hongkongaise, Ip Man retrace la vie de Yip Kai-man, maître chinois de wing chun, un art martial chinois très célèbre et réputé. Je suis loin de connaître les films d'arts martiaux, ou encore les techniques relatives à ces disciplines, toujours est-il que je m'intéressais à Ip Man pour la raison de son succès, qui réintroduit le film d'arts martiaux dans la production cinématographique de la Chine actuelle.

    ipyip.jpgLe film dresse tout d'abord un portrait très élogieux du maître, vu tout du long comme un personnage généreux et noble (aucune allusion à son addiction à l'opium, par exemple). Dans Ip man, il est plus question de poser un dilemme que de connaître le gagnant ou le perdant dans les combats. En effet, la supériorité et la sagesse de Yip dans les arts martiaux est d'emblée acceptée et vénérée, et la plupart des combats visent à réaffirmer ses capacités et sa puissance. Au-delà des affrontements, le film est surtout l'occasion de poser ce fameux dilemme entre l'intensité d'une vie de combat et la paisibilité d'une vie de famille pacifique avec sa femme et son fils. Au final, c'est l'arrivée de la guerre et de l'occupation des Japonais qui va décider du sort de Yip, contraint à jouer les prodigues devant un commandant japonais féru de wing chun. Intrigue pour le moinsipjaponais.png classique, mais pas désagréable, donnant son pourcentage d'action habituel. La réflexion politique reste mince, avec une série de personnages plus ou moins caricaturés : du commandant assez digne et paradoxalement fasciné par Yip à son adjoint insupportable par ses grimaces et sa cruauté excessive et gratuite, en passant par le mercenaire infantile, ou le garant de la loi, chargé de la traduction et divisé entre les deux clans.

    Sur le point de vue de la réalisation, on ne peut qu'être plus que déçu, la mise en scène ne se déployant que sur les scènes d'action, afin de mettre en avant la diversité et l'habileté des techniques déployées. La caméra ne prend le risque de s'élever et de se faufiler au ras du sol ou auprès des corps et des armes que sur les combats, le reste de la réalisation se limitant presque à du théâtre filmé pour le reste, encadrant avec platitude les décors reconstitués. Ce qui fait la différence avec d'autres cinéastes hong-kongais, bien plus talentueux, tels Johnnie To ou Tsui Hark, ceux-ci sachant au contraire déployer une mise en scène personnelle à chaque plan, aussi bien dans l'action que dans les temps faibles.

     

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    L'acteur de Yip, Donnie Yip, s'avère quelconque, efficace évidemment sur les scènes de combat (pas de doublures, l'acteur étant lui-même un expert en arts martiaux), mais assez indifférent sur les séquences émotionnelles. On retrouve quelques acteurs de Johnnie To dans le casting, en particulier Simon Yam (l’extraordinaire chef mafieux d'Exilé) qui trouve ici un rôle étrangement « pacifiste » et calme, ce qui démontre une fois de plus son talent protéiforme. Sans être décevant, Ip Manest un film assez décevant sur le point de vue de la narration ou de la réalisation, et ne vaut le détour que pour ses séquences d'action, celles-ci très étudiées et impressionnantes.

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  • Le secret des poignards volants

    LE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS (2003) – Zhang Yimou

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    Le Secret des Poignards Volants est un film très populaire, grosse production hongkongaise qui connut un vif succès aussi bien en Chine qu'en Europe. Ce style de cinéma, entre mélodrame, arts martiaux, et reconstitution historique, n'est pas forcément celui que je connais le mieux de Chine, ni celui que j'apprécie le plus. Après Hero et la Cité Interdite, c’est le troisième film de Zhang Yimou que je découvre, et je dois avouer que la déception fut aussi présente.

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    Le Secret des Poignards Volants, tout comme Hero, s'ancre dans un contexte historique bien précis, en l'an 859. La dynastie Tang est sur le déclin et doit faire face à l'émergence de mouvements rebelles, dont celui de la Maison des Poignards Volants, que deux capitaines sont chargés de débusquer sous les ordres de l'Empereur. Ce choix permet à Zhang Yimou d'ancrer son propos dans le genre de l'épique et de se surpasser dans les séquences de cascades. Volontiers mystique et fantastique, la période exploitée appelle à l'esprit des légendes, à l'immensité des décors, à un visuel flamboyant et foisonnant, et aux protagonistes charismatiques. Ainsi, dans un premier temps, le film respecte et suit cette intention, délivrant des séquences de combat éblouissantes. Curieusement, c'est bien la première scène du genre qui m'impressionna le plus dans le film, à savoir l'altercation entre le soldat Jin et la danseuse Mei, qui deviennent peu de temps après les personnages poursuivis par les divers guerriers de l'Empereur. Cette scène allie le plus fortement la chorégraphie à l'action, et s'avère très symbolique dans les choix de couleurs ou de cadrage. Une autre séquence impressionnante, il s'agit de celle de l'attaque dans la forêt de bambou, utilisant allègrement le bambou et sa consistance comme des armes terrifiantes et fulgurantes, pouvant s'incarner sous tous types de forme : lance, projectile, épée, barreaux de prison... Ces bambous fonctionnent bien entendu comme une annonce des fameux poignards volants, armes mystérieuses de bout en bout, correspondant à une forme de magie. Par ailleurs, le scénario fait le choix de ne jamais véritablement dévoiler le véritable choix et but de l'organisation secrète, une piste qui aurait malheureusement pu être creusée pour un scénario qui aligne certains poncifs et se complaît dans le genre du mélodrame. 

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    Sous des apparences de tragédie, le film ne donne en effet aucune profondeur aux personnages, les considérant uniquement de simples rouages dans le mécanisme du désespoir. Dans un premier temps, la traque à l'extérieur laisse présager une belle ambiguïté, les personnages miroitant l'un autour de l'autre, entre Mei (Zhang Ziyi), l'aveugle farouche et sensible ; Jin (Takeshi Kaneshiro), le soldat intrépide ; et le supérieur Leo (Andy Lau), d'une impressionnante sobriété et rigidité. Cette partie s'avère bien rythmée, efficace, dépeignant une relation triangulaire assez ambiguë et dépassant le simple stade de la romance. Le silence de Mei incarne un élément mystérieux et charismatique qui donne au film une certaine couleur, et le soldat Jin est quant à lui parcouru d'hésitations entre la loyauté envers Leo (plus qu'envers l'Empereur par ailleurs) et l'attirance envers la jeune danseuse. Les paysages flamboyants, filmés dans les teintes chinoises bien connues (couleur or, pourpre, bleu roy et vert sombre) se prêtent enfin aisément à des séquences de combat virtuoses.

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    Mais bien vite, ces personnages tombent dans une forme d'hypersensibilité et de fragilité extrême agaçantes. Le contexte historique s'efface définitivement derrière la romance, assez improbable et facile. Difficile de voir par exemple le véritable engagement des protagonistes, que ce soit Leo ou Mei, qui n'affichent que superficiellement leurs opinions politiques et n'incarnent au final que des figures de la romance et de la tragédie amoureuse. Le personnage de Leo, en particulier, devient une cruelle déception au fur et à mesure du récit : derrière la sobriété de Andy Lau, pourtant un très bon acteur dans ce style de rôle (par exemple avec Infernal Affairs), intervient brusquement une caricature de l'éperdu amoureux, dont le surgissement paraît complètement absurde, maladroitement amené dans le récit. De plus, outre les trois acteurs phares du film, grandes stars du cinéma chinois, apparaît aussi trop furtivement une grande actrice, Carina Lau, dont le rôle aurait pu, une fois de plus, être bien plus étoffé et développé à la place de l'intrigue amoureuse, désespérément classique. Comme de guise, la tragédie trouvera son apogée parmi la neige tourbillonnante, lourd symbole de la pureté de Mei, vue comme une victime là où la fin ouverte ne laisse que la présence de la mort. Le Secret des Poignards Volantss'enfonce ainsi dans le mélodrame poussif, lourdement symbolique par ses choix visuels ou son montage (l'agaçant parallélisme entre les plans d'ensemble des deux amants isolés), s'éloignant de pistes politiques ou psychologiques avec facilité. 

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  • Judo

    YAU DOH LUNG FU BONG - JUDO - THROW DOWN (2004) – Johnnie To

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    Dédié à Akira Kurosawa, ce film de Johnnie To, quelque peu oublié et occulté par d'autres grands succès plus explosifs, ne manque pourtant ni d'originalité, ni de charisme. A travers cette intrigue uniquement centrée sur l'art et la pratique du judo, Johnnie To fait partager les aventures d'un trio de personnages attachant, s'ancrant plus dans sa veine comique et lyrique, comme il l'a démontré avec des films tel que Sparrow.

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    Judo s'avère en effet porté par un véritable dynamisme. Contrairement à son dernier film en salles, la Vie sans Principe, plus audacieux et réfléchi mais pêchant par un scénario tortueux, Judo choisit une véritable clarté, les séquences se suivant dans une logique agréable, l'intrigue judofemme2.jpgétant ponctuée par de belles pauses lyriques, comme une folle course-poursuite avec des billets de banque dans les bras ou une longue tentative pour décrocher un ballon de baudruche abandonné dans des branchages. Ces très belles séquences, bien souvent portées par l'unique personnage féminin détonnant du film, donnent un véritable sentiment de liberté. Car l'intrigue s'axe en effet sur la recherche de la liberté pour les différents personnages. La femme, Mona, sorte de vagabonde de luxe se rêvant chanteuse à Hong Kong, puis au Japon, l'incarnejudotony.jpg amplement, totalement libérée et sans attaches, assoiffée d'aventures. D'autre part, le second protagoniste, Tony, est un jeune homme intrépide et surdoué en judo, s'étant mis en tête de combattre les plus grands noms, lui aussi porté par une forme d'indépendance et de liberté. Tous deux, ils se heurtent à l'indifférence de Sze-to, ancien champion de judo ayant sombré dans l'alcool. Sze-to, un personnage dramatique par sa condition, devient cependant très drôle sous la mise en scène de Johnnie To, ou l'interprétation de son acteur, l'excellent Louis Koo (la redoutable tête montante d'Election 1 et 2), l'ancien champion de judo devenant un être indifférent au monde qui l'entoure et d'une mollesse terrifiante jusqu'à en être comique. Ainsi, l'une des séquences du film présente l'union de ces trois protagonistes à travers une excellente séquence de vol à la tire dans une salle de jeux d'arcade. La futilité de cet acte infantile rappelle les pickpockets casse-cou de Sparrow, organisés comme une mini-mafia à l'échelle d'un jeu d'enfants.

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    Le film tire, comme Exilé, beaucoup d'inspirations du western. Afin de rendre la tension sur les séquences de combat de judo, qui sont loin d'avoir comme avantage la violence des balles, la réalisation use de nombreux procédés pour capter l'attention d'un spectateur lambda, et créer une atmosphère captivante. Les corps volent dans la poussière, les prises s'enchaînent comme des fusillades à répétition, chaque chute au sol semblant s'assimiler à une balle tirée, ce n’est plus le calibre qui en impose, mais bien plus la silhouette, la précision du geste. Les échanges de répliques sonnent toujours avec menace et charisme, comme toujours avec Johnnie To, notamment parce que la cinématographie de Judo privilégie l'obscurité des bars et l'asphalte des rues nocturnes. En effet, rares sont les séquences de tatamis, ceux-ci étant reclus à un imaginaire nostalgique : Sze-To vient s'allonger dans la salle d'entraînement de son ancien maître décédé, effleurant les tatamis, se souvenant du contact avec ce sol adapté au sport de combat. Autrement, dans une première partie, les séquences de combat s'agencent comme typiques du western ou du film noir, les corps baignés dans une semi-clarté, l'éclairage étant toujours extrêmement symbolique, assimilant la déchéance de Sze-To et sa propension à l'alcool à un rapport au gouffre et à la chute, au sens propre du terme, contre un sol noir et lourd. Dans la seconde partie, pas forcément la plus intéressante du film, celle où Sze-to se « réveille » en quelque sorte, l'espace devient cependant plus éclairé, les scènes de combat plus extatiques et moins portées à la stylisation impressionnante de la première heure.

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    Enfin, le film étant dédié à Akira Kurosawa, on retrouve curieusement une forme d'ostentation proche du cinéma japonais. Certaines séquences s'avèrent presque suspendues, poétiques, ou lyriques, comme la course-poursuite entre Mona, Sze-to et leurs assaillants, après le vol d'une liasse de billets dans un tripot. Les billets s'envolent, et la musique porte cette très belle séquence, différente des séquences habituelles de course-poursuite. Un même effet d’ostentation se trouve exactement au milieu du film, durant la plus importante scène d'affrontement dans la rue, où sont utilisés de nombreux ralentis surplombant les corps ou s'infiltrant entre eux, rappelant le final d'Exilé ou la scène sur le terrain vague de Vengeance. De plus, trois chants symboliques sont entonnés a capella dans le film, sortes de chants légendaires interprétés par un protagoniste témoin de toutes les scènes, en tant qu'acte de début, milieu, et fin du récit. La présence de ces chants assimile Judo à un mélodrame, tout comme Kurosawa a souvent exploré la violence des sentiments avec fougue et passion dans ses réalisations. Cependant, le film de Johnnie To est loin de prétendre à l'émotion du cinéma du grand maître japonais, son film restant délibérément dans un ton léger. Le film pose tout de même les questions d'honneur et de condition humaine, celle-ci caractérisée par les expériences accumulées d'un homme dans sa vie. De fait, le récit de Sze-to s'avère marqué par le sens du retour aux sources, vu que le protagoniste s'installe dans l'ancien dôjô de son maître, s'occupe de son fils handicapé, donc reprend et fait revivre un certain passé, mais aussi par le sens de la renaissance et donc de l'achèvement d'une quête.

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    Judo n'est pas un Johnnie To mineur. Certes plus amusant et plus libéré que la violence d'Election, d'Exilé ou même de la Vie sans Principe, il se distingue du divertissant Running out of Time par son originalité et sa réalisation soignée, symbolique, plus proche et aussi attachant que le ludique Sparrow

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  • La Vie sans Principe

    La Bourse ou la Vie 

    LA VIE SANS PRINCIPE – Johnnie To 

    Merci à Ketty pour m'avoir proposé ce film !

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    Ce que j'apprécie chez Johnnie To et son équipe, c'est leur formidable sens du renouvellement, porté par un certain dynamisme, embrassant tous les sujets possibles pour les convertir en un film de Johnnie To, avec ses acteurs fétiches, ses thèmes récurrents, sa recherche dans une mise en scène de la violence.

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    Ici, c’est particulièrement le cas, puisque le nouveau film du réalisateur hong-kongais s'attache à une poignée de personnages précipités dans la crise financière de la décennie : l'inspecteur Cheung et sa femme cherchant un nouvel appartement ; le fringant Panther, sous-fifre dévoué aux chefs de son organisation mafieuse ; et enfin l'employée de banque Teresa, soumise à la pression de la concurrence pour gagner l'investissement des capitaux des clients qu'elle représente dans de nouvelles actions. Autour de ces protagonistes en gravitent plusieurs secondaires qui vont participer aux divers règlements de comptes ou assister aux renversements de valeurs déclenchés par l'effondrement de la bourse et des actions.

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    La Vie sans Principe s'impose ainsi comme un film choral où se lient et délient, se rencontrent ou s'affrontent, divers personnages. Commençons par le gros défaut du film, à savoir son scénario, qui peine à arriver au dénouement final, bien plus intéressant et intensif : une bonne heure du film s'étire à présenter les protagonistes, et s’embarrasse de séquences inutiles et parfois ennuyeuses. La partie sur Panther, par exemple, est une énième démonstration d'une mafia corrompue et grotesque, portrait déjà effectué dans de nombreux films de Johnnie To. Certaines séquences s'étirent en longueur, comme les cérémonies du Nouvel An, et seul le dynamisme de Lau Ching-wan, l'un des excellentissimes acteurs fétiches de Johnnie To, permet de s'accrocher au récit. De plus, l'un des protagonistes s'avère peu présent et faible par rapport à Teresa et Panther, il s'agit de l'inspecteur Cheung, assez creux et sans véritable évolution, loin d'incarner un inspecteur charismatique. En revanche, toute la partie consacrée à l'univers de Teresa, employée de banque, s'avère pertinente et porte un regard lucide et dur sur le jeu de malversation exercé par les entreprises bancaires pour attirer leurs clients sur des investissements leur rapportant des intérêts importants. Le personnage de Teresa, d'une belle sobriété grâce à l'interprétation de Denise Ho est par ailleurs d'une belle ambiguïté, à la fois soumise aux ordres et à la pression de sa chef tyrannique, dépossédée par ce qu'on lui demande, mais prête à tout pour ne pas finir perdante.

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    Heureusement, la dernière partie du film laisse place à un dénouement et une mise en scène impressionnante, fidèles au style de Johnnie To, réussissant à créer un suspense digne du thriller autour des fluctuations boursières qui défilent sur tous les écrans de la ville et des bâtiments traversés par les personnages. Evidemment, la violence et l'assassinat viennent rapidement alimenter les solutions des mafieux pour sauvegarder leurs investissements, mais les séquences d'action s'avèrent au final assez rares. On peut retenir une flamboyante et aberrante course contre la montre qu'effectue un des chefs de Panther au volant de sa voiture, transpercé au cœur par une fleur décorative, et pourtant continuant de conduire pour tenter un ultime investissement. Cependant, la réalisation du film prolonge la tension dans les séquences à la banque, de rapides travellings circulaires venant cerner Teresa ou ses clients piégés, et le montage jouant sur l'obsession de l'argent et des billets sortants, ou bien alors des chiffres de la bourse débités sur les écrans. Tout comme avec Margin Call (JC Chandor), ce sont les codes du genre du thriller qui permettent d'incarner et de rendre palpable une tension invisible, car se rapportant à des capitaux virtuels, et un effondrement psychologique bien souvent dissimulé. A cette tension magistralement représentée, le film associe une forme de distance ou d'humour, par exemple par la très belle musique composée par Yue Wei, dans la même veine que la partition de Xavier Jamaux pour Sparrow il y a quelques années, joue sur la légèreté et le lyrisme, loin de surligner les différents événements tragiques, mais imposant une forme de distance bien plus efficace.

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    Le côté très excessif et loyal des protagonistes de Johnnie To trouve dans ce film son écho dans l'absurde attachement à l'argent, au point d'y risquer leur vie. Toute l'entreprise du film est d'opposer des figures surpuissantes, obsédées par leur argent virtuel et leur placement, face à d'autres plus modestes, petites gens qui vont finalement tirer profit de la catastrophe, non sans se compromettre. Chacun finit par tirer la couverture à soi, et comme de nombreux autres films de Johnnie To, c'est un combat entre les valeurs morales, quasi-inexistantes, et ses propres désirs ou sa mégalomanie. Le film permet ainsi de traverser différentes couches sociales, différentes manières de réagir face à la société d'argent : Panther rencontre l'un de ses camarades mafieux en train de récupérer de vieux cartons pour se faire de l'argent, observe par la suite la salle d'opérations informatiques clandestine créée sous l'entreprise d'un de ses chefs ; Teresa fait face à des clients aux comportements divers, du plus méfiant à la plus naïve, celle-ci étant cruellement trompée par le langage superficiel de la banque. Au final, ce sont les plus faibles qui s'en tirent à bon compte, Teresa repartant avec son lot d'argent, glace dans la main, l'inspecteur et sa femme obtenant leur appartement à nouveau prix, et surtout Panther, tout jeune nouveau riche s'offrant le luxe de s'offrir un cigare à la « bague rouge », comme marquant ironiquement son nouveau statut obtenu à coup de hasards, à coups d'assassinats soudains, à coups de tromperies.

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  • 11 fleurs

    11 FLEURS – Wang Xiaoshuai

     

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    Deux éléments handicapent le nouveau long-métrage du cinéaste Wang Xiaoshuai, auteur des formidables Beijing Bicycle, Shanghai Dreams et Une famille Chinoise. D'une part, la coproduction française, paradoxalement, en apportant une belle aide à la finance du film et à sa diffusion, semble dériver le cinéaste de sa veine réaliste et intimiste, certaine séquences s'avérant plus convenues. D'autre part, la large part autobiographique qui habite le film, empli de souvenirs d'enfance de Wang Xiaoshuai à la fin de la Révolution Culturelle, limite le potentiel imaginatif et restreint le développement de certains personnages, malheureusement. Le fait que Wang Xiaoshuai choisisse un personnage d'enfant le représentant contraste avec les psychologies habituelles qu'il évoquait dans ses précédents films et ne donne pas lieu à une véritable fascination.

     

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    Wang Xiaoshuai s'inspire de son enfance pour dépeindre la fin de la Révolution Culturelle à travers les yeux d'une famille quelconque réfugiée à la campagne du fait du statut de peintre amateur du père. Le jeune Wang explore de nouveaux sentiments tandis que les premières luttes prennent place. La dimension politique est ainsi assez faible, le film privilégiant le regard de l'enfant et le quotidien de la famille. La reconstitution est soignée, ancrant le film dans des tons ocres et embrassant des paysages magnifiques de la campagne. Les séquences amènent à plusieurs drames à différents niveaux : drame principal autour de la chemise causant la fierté de Wang, choisi pour mener la gymnastique matinale instaurée par Mao, mais aussi sa honte, puisqu'il la perd ; drame adjacent avec le fugitif traqué dans la forêt ; drame de la jeune camarade de Wang, violée par l'un des patrons de l'usine ; drame de l'absence du père... Les trois derniers points scénaristiques présentaient beaucoup plus d'intérêt que le premier, qui s'impose cependant sur tout le film. L'initiation du jeune Wang est en effet ce qui pêche au rythme et au propos, car de nombreuses scènes s'avèrent convenues et déjà vues : les échanges avec la bande de copains, assez maladroits, les premières émotions sexuelles avec la vision des parents dans le lit, les premières désillusions, la vision de la violence... le problème est que le jeune comédien employé reste très loin du talent des héros de Beijing Bicycle ou Shanghai Dreams, Wang Xiaoshuai étant peut-être plus doué pour diriger et filmer les adolescents plutôt que les enfants. Le jeune acteur se révèle peu attachant, gardant le même masque d'indifférence durant presque tout le film. De plus, la présence de la part autobiographique semble limiter les prises de libertés avec le personnage et sa psychologie.

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    Heureusement, on retrouve le meilleur de Wang Xiaoshuai dans une poignée de personnages environnants et de séquences, où se manifeste, toujours de manière subtile et intelligente, une belle analyse de la psychologie humaine. Dès Beijing Bicycle apparaissait, par la ténacité des deux garçons qui se disputaient le vélo, une sorte de mystère humain où les sentiments ne passaient pas pas les mots mais uniquement par les gestes et les élans inexpliqués de violence. La mise en scène pudique et lente de Beijing Bicycle tendait à sublimer ces élans inexplicables mais pourtant terriblement justes, comme lors des longues courses-poursuites entre les deux garçons. Dans 11 Fleurs, la lenteur est aussi présente mais les longueurs se font paradoxalement plus ressentir dans l'accumulation de séquences courtes que dans les séquences de longue durée. Car c'est bien plus la succession des scènes d'initiation classiques qui pêchent au rythme, alors que les rares moments de réelle mise en scène intriguent bien plus. La rencontre avec le fugitif est ainsi remarquable de force et de mystère, agissant bien sur l'ambiguïté du comportement du jeune assassin fascinant qui vole la chemise du jeune Wang pour colmater sa blessure. L'approche est lente, presque sauvage, en cohérence avec le cadre de la forêt broussailleuse. Wang se salit du sang de ce jeune homme, la sueur perle et la terre s'accroche aux peaux, brisant le cadre rigide des institutions de Mao et ramenant à une réalité difficile. Par la suite, cette apparition charismatique et animale restera la seule du film, les autres tentatives de rencontre avec le fugitif s'avérant des séquences inutiles, et l'ambiguïté de la relation s'effaçant peu à peu.

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    Autre personnage fascinant et lui aussi opaque, c'est celui de le jeune fille violée. La mise en scène de Wang Xiaoshuai est sur ce point d'une finesse remarquable. Dès le début du film, cette jeune fille est ainsi filmée de loin, sa silhouette étant isolée par le décor et la cadre, montrant déjà le terrible acte qui l'a divisée de ses camarades. La révélation du viol par le père de la jeune fille est par ailleurs l'une des séquences les plus émouvantes et tragiques du film, réalisée avec une justesse et une pudeur impressionnantes, loin du mélodrame. Enfin, l'ultime regret reste la maigre présence du père, qui ouvre cependant le film. La très belle affiche française est sur ce point très trompeuse, car elle laisse penser que c'est cette relation au père qui va tisser une toile autour de la Révolution Culturelle, d'autant plus que la famille est un des thèmes clés de Wang Xiaoshuai. Pourtant, sur une bonne partie du film, le père disparaît et ne revient que sur quelques séquences finales, celles-là aussi très fortes. Le jeune Wang ne pipe mot face à son père très bavard, acquiesçant à toutes ses questions et références artistiques. La passion pour la peinture du personnage étant brimée par le gouvernement Mao et le rang d'artiste ravalé à celui d'ouvrier, le père tente ainsi de diffuser ses connaissances à son fils, à travers de très jolies scènes où la flamme de la bougie éclaire en secret des tableaux impressionnistes réduits à des reproductions miniatures. Les 11 fleurs du titre illustrent quant à elle la scène d'ouverture, où le père apprend à peindre un bouquet de fleurs à son fils, comme 11 bougies soufflées face aux différents événements. Dommage que le dernier film de Wang Xiaoshuai, très bon réalisateur dans son pays, souffre d'autant de lacunes et d'un rythme bancal, ne pouvant pas fleurir totalement. 

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  • Apart Together

    La Résignation

     

    APART TOGETHER – Wang Quan'an

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    Après La Tisseuse, Wang Quan'an nous présente son nouveau film, passé assez inaperçu dans les salles. Apart Together s'attache de nouveau à un personnage de femme, cependant bien plus âgé que les héroïnes du Mariage de Tuya ou de La Tisseuse. Bien moins puissant que ce dernier, le film de Wang Quan'an fait partager les notions de résignation, de regret et de vieillesse à travers un événement historique. En 1949, Liu, jeune soldat comme beaucoup d'autres, part se réfugier à Taïwan devant l'avancée des troupes communistes. Derrière lui, sa femme Qiao enceinte attend son retour puis finit par se remarier pour avoir une bonne condition de vie. 50 ans plus tard, l'exilé revient de Taïwan et réapparaît, décidé à emmener son amour de jeunesse.

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    Le film de Wang Quan'an peut être vu comme l'exact opposé de La Tisseuse. Là où l'un commençait par un récit réaliste dur (une jeune tisseuse mère de famille apprenant qu'elle est condamnée à mourir) et se finissait sur une note d'espoir et d'onirisme, l'autre, Apart Together semble débuter sur un retour bienheureux (les retrouvailles avec l'amour de jeunesse, reçu triomphalement dans la famille) mais entraîne peu à peu sur les chemins de la résignation et de la désillusion. Le vieil homme, revenu de Taïwan après la mort de sa seconde femme, est reçut en héros en Chine, où les victuailles peuplent la table et la fanfare des jeunes enfants interprète des airs maladroits. Le nouvel époux de Qiao accueille l'ancien amour de sa femme avec une réelle convivialité. Pas de drame distancié, par d'explosion de larmes ou de sentiments chez Wang Quan'an, l'accueil s'effectuant sous les apparences rassurantes des traditions et de la chaleur culinaire et surtout alcoolique. Le film décrit bien plus une tension permanente, fragile du fait de cette conservation des apparences. Qiao n'ose exprimer, en tant que bonne mère de famille, ses véritables regrets et son désir de repartir avec Liu. Certains séquences, terribles, décrivent ainsi les réactions égoïstes de ses proches, telles ses filles l'accusant de trahison, son mari, tombant dans une sorte d'aphasie, ou son fils, négligeant son père revenu.

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    Le plus intéressant reste le personnage du mari. Wang Quan'an s'y attarde avec une relation triangulaire trouvant son apogée dans une scène de repas arrosé et nostalgique autour de la table entre les trois protagonistes âgés. Ce personnage, d'une réelle justesse et excellemment interprété par Cai Gen-Xu, oscille à la fois entre un sincère respect de sa femme et de son ancien amant, et une réelle frustration de la voir partir. Lors de la fameuse scène filmée en plan-séquence au niveau de la table, la mise en scène met bien avant le déchirement de Qiao, entre son mari fidèle et malade et son amour de jeunesse romantique, entre la tradition et la possibilité du renouveau. De cette séquence, il se dégage également une profonde nostalgie, incarnée à travers les chants entonnés par les trois personnages, seul moment où, à travers l'évocation des souvenirs, ils se rejoignent. Au final, l'espoir de Qiao, magnifiquement interprétée par la célèbre actrice Lisa Luo, se flétrira dans une émouvante scène de séparation. Par contraste, ou par rééquilibre, sa petite-fille viendra lui annoncer qu'elle pourra se marier avec celui qu'elle aime.

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